Learning to fly - Chapitre 7
- 1993 -
H A R R Y
" Tu es venu, la solitude était vaincue,
J'avais un guide sur la terre. "
- P. Eluard, La mort l'amour la vie
Harry est allongé dans le lit de Louis. Il est plus de minuit. Il entend le bruit rassurant de la douche, dans la pièce d'à côté. Lui est déjà lavé, les cheveux mouillés sur l'oreiller. Louis lui a prêté des vêtements, un short de foot et un vieux t-shirt à l'effigie de Pink Floyd.
— Il était à mon père.
Louis avait l'air content en disant ça. En fait, il avait l'air vraiment content que Harry ait accepté de dormir chez lui, après qu'il l'ait trouvé en train de pleurer dans sa rue.
Harry ne se sent pas très bien. Il a honte, un peu, d'avoir fondu en larmes dans les bras de Louis. Mais il y a surtout la peur qui reste figée dans son ventre, qui ne le quitte pas depuis des heures. Cette peur qui l'a fait fuir de chez Jim. La peur que tout recommence, encore et encore.
Il ne sait pas pourquoi il a dit oui à Louis, quand celui-ci lui a proposé de partager son lit avec lui, pour cette nuit... Il ne devrait pas lui faire confiance, mais Louis n'a pas l'air comme les autres. Il ne l'a jamais regardé de cette façon là. Il a toujours l'air plus ou moins intéressé par ce que dit Harry. Quand ils ont lu des mangas ensemble, l'autre jour, Harry le faisait rire. Louis ne surjouait pas. Et quand leurs doigts se frôlaient, il ne reculait pas. Jamais... Harry ne sait pas comment interpréter les regards les silences les sourires de Louis. Il ne comprend pas sa gentillesse.
Ou plutôt, il a peur de comprendre.
Il se recroqueville un peu plus sous la couette en entendant la porte de la chambre s'ouvrir puis se refermer doucement. Il n'avait pas remarqué que la douche avait cessé de couler. Les pas de Louis s'enfoncent dans la moquette. Il chuchote :
— Harry... Tu dors ?
Harry ne répond pas. Louis semble attendre quelques secondes, puis il l'entend déposer lentement ses affaires dans son armoire, en refermer la porte sans la claquer. Il a l'air d'hésiter à rentrer dans le lit ou pas, et Harry retient sa respiration lorsque la couverture se soulève et qu'il sent son corps s'enfoncer dans le matelas.
Pourquoi a t-il accepté de dormir ici ?
Et si Louis lui faisait du mal ?
Et si Louis lui avait tendu un piège ?
— Tu ne dors pas.
Il y a un sourire dans la voix de Louis. Harry renifle et hausse lentement les épaules. Il ne se retourne pas. Il ne veut pas voir son visage. Il se contente de fixer la lumière bleue de la nuit, qui tombe en traits rectilignes sur les murs de la chambre, découpée par les persiennes.
— Tu veux parler de ce qui n'allait pas ?
— Non.
Sa voix lui semble rauque, par rapport à celle si légère de Louis. Il y a un petit silence. Pendant un moment, Harry se dit que Louis va juste s'endormir et le laisser, mais le jeune homme reprend :
— Je suis vraiment désolé pour l'autre jour Harry, vraiment. Parfois je dis des choses sans réfléchir, et je n'avais pas pensé que ça pourrait te blesser...
— C'est bon Louis.
Harry n'a vraiment pas envie de parler de ça maintenant. Il ne veut plus en parler tout court, en fait. Il a honte d'avoir réagi comme il l'a fait et en même temps... S'il remontait le temps, il sait qu'il partirait de la même manière.
— Est-ce que c'est de ma faute si tu pleurais ?, insiste Louis.
Harry soupire. Il savait que le jeune homme était ce genre de personne insupportable, à poser vingt fois la même question. Mais il ne va rien dire. Il est chez lui, après tout. Louis pourrait le jeter dehors s'il en avait envie, et Harry n'a plus tellement envie de quitter la chaleur rassurante de son lit.
— Ce n'était pas de ta faute, il soupire simplement.
— D'accord.
Il y a un nouveau silence, plus long que le précédent. Harry commence à se détendre. Le poids de la couette l'apaise, et la chaleur irradiante du corps de Louis près du sien, aussi. Il ne bouge pas lorsque le jeune homme dans son dos change de position, et semble se mettre sur le flanc.
— Harry ? Tu veux bien... Me regarder ?
Ce n'est qu'un murmure. Un murmure un peu angoissé. Comme si soudain, Louis aussi allait se mettre à pleurer.
Alors, Harry ose se retourner. Et Louis est juste en face de lui. Il sent son souffle sur son visage, ses grands yeux bleus qui s'écoulent dans les siens. Une voix dans sa tête lui intime de se reculer, de mettre de la distance entre eux, un vide infranchissable, mais il ne le fait pas. Louis a ce pouvoir sur lui, depuis le premier jour où il lui a serré la main. Harry se souvient que sa paume était moite dans la sienne. Il se souvient du regard de Louis, une espèce de brûlure inconnue et incontrôlable. C'est la même chose maintenant, en mille fois plus fort. Parce que Louis lui parle sans lâcher ses yeux.
— Est-ce que je peux te serrer contre moi ?
— Pourquoi ?
Leurs voix tremblent un peu, comme s'ils avaient peur de dire un mot de trop, un mot qui briserait tout.
— Pour ressentir.
Harry sait ce que veut dire Louis. Mais la phrase tourne dans sa tête. Il a peur, terriblement peur. Pourtant, il ne recule pas quand Louis se rapproche, quand son corps enferme le sien, étreinte fragile et solide à la fois, à peine timide.
Leurs jambes s'entremêlent tandis que Louis l'enlace et le serre comme s'il avait peur qu'une nouvelle fois, il ne s'échappe. Harry sait qu'il serait incapable de faire ça, pas maintenant. Il glisse sa main libre contre la nuque de Louis et le laisse plonger son visage contre son cou. Nez dans ses cheveux, il respire longuement. Le shampoing de Louis sent bon, une vague odeur de vanille qui lui rappelle la maison de son enfance, les petites bougies blanches que sa mère achetait et qu'elle posait partout dans le salon.
Ils restent comme ça longtemps, corps immobiles et entrelacés, cachés sous la couette. Harry sent le coeur de Louis battre contre le sien, lent et rassurant. Il sent la chaleur de son sexe contre sa cuisse, l'odeur un peu vague de tabac imprimée sur sa peau, malgré la douche. Et il n'a pas envie de fuir. Il voudrait que Louis ne le lâche plus, que Louis l'enferme dans l'espace clos de ses bras et ne le laisse pas repartir.
Il voudrait que jamais le soleil ne se lève, qu'il reste noir au-dessus de leurs têtes, que le monde ne puisse plus les voir, que Louis le protège à tout jamais de l'éclat bleu du ciel.
Ici, dans l'obscurité moite, pour la première fois depuis longtemps, il se sent bien.
*
*
*
Ils n'en parlent pas, le lendemain matin. Harry n'a même pas le souvenir de s'être endormi. Quand il s'est réveillé, Louis n'était plus dans le lit mais assis contre sa fenêtre, qu'il avait entrebâillé pour pouvoir fumer. Harry a failli lui faire une remarque, en le voyant si tôt une clope entre les lèvres, puis il s'est souvenu qu'il n'était rien pour lui, qu'il n'avait pas vraiment à s'inquiéter pour sa santé.
Et puis, il a tout oublié, parce que Louis a fini par remarquer qu'il avait ouvert les yeux et qu'il a écrasé sa cigarette dans son cendrier avant de refermer la fenêtre et de sauter sur la moquette.
— Bien dormi ?
Harry a repoussé la couette, baillant légèrement.
— Oui. Merci.
Il aurait dû rougir, sans doute, en repensant à la façon dont ils s'étaient enlacés jusqu'à sombrer dans le sommeil, mais ce n'est pas le cas. Louis agit totalement normalement, presque familier, comme si Harry était un vieil ami. Est-ce qu'il a oublié ce qu'il s'est passé cette nuit ? Pendant un instant, Harry se le demande. Mais la minute d'après, Louis lui tend timidement un gros sweat, et dans ses yeux il retrouve toute cette tendresse terrifiante qu'il y avait lu, quelques heures auparavant. Alors, il sait qu'il se souvient.
Ils descendent ensemble dans le salon. La maison est vide. Louis explique vaguement que ses parents travaillent beaucoup, qu'ils ne sont pas souvent là. Il leur sert des céréales, et ils vont s'installer dans le canapé pour regarder les dessins animés en mangeant. Harry se sent bien. Il a l'impression d'avoir douze ans, aucun problème et son meilleur ami près de lui. Ce qui est étrange puisqu'à douze ans, Harry avait déjà des problèmes et aucun véritable ami.
Louis a l'air passionné par l'épisode d'Olive et Tom qui passe à l'écran, pieds sur la table basse. Harry lui jette des regards réguliers tout en avalant ses céréales. Il aime bien l'intimité simple qu'il y a entre eux, la façon dont Louis le met à l'aise juste par sa présence... Et puis Louis est vraiment mignon, avec son t-shit trop large qui dévoile un bout de son épaule, et son short troué au niveau de la cuisse droite. Harry repense encore à la manière dont il l'a pris dans ses bras, cette nuit, et il meurt brusquement d'envie de se lover une nouvelle fois contre sa poitrine, de respirer l'odeur de sa peau, de glisser sa main dans la douceur de ses cheveux.
Et il ne devrait pas.
Il se l'était promis, de ne plus avoir ces pensées là.
Il en a marre de souffrir à chaque joli garçon qu'il croise, à chaque fois qu'un regard réveille le désir dans le fond de son ventre. Il en a marre qu'on le repousse, il en a marre des regards de dégoûts, des moqueries, des insultes qui s'insinuent toujours plus loin sous sa peau.
Le problème avec Louis, c'est qu'il ne se comporte pas comme tous les autres. Harry ne sait pas s'il est naturellement tactile et gentil, ou s'il y a autre chose. Peut-être les deux. C'est ce qu'il se dit lorsque l'épisode se termine et que Louis se retourne soudain vers lui, bouche grande ouverte.
— Tu m'en donnes ?
Harry cligne légèrement des paupières, rougissant un peu.
— De ?
— Bah, des céréales. J'ai fini mon bol, alors que tu mâchouilles depuis tout à l'heure.
Il rigole un peu et obéit, fourrant dans la bouche de Louis une grosse cuillerée de céréales gorgés de lait. Une petite goutte glisse le long des lèvres du jeune homme, jusqu'à son menton. Sans réfléchir, Harry avance son pouce et l'essuie. Quand il retire sa main, Louis est en train de le fixer, si intensément que Harry a l'impression de se mettre à brûler de l'intérieur.
Il recule et se rassoit bien au fond du canapé.
*
*
*
Ils vont au lac. Louis prend son skate mais roule doucement, juste à la hauteur de Harry. Ils ne parlent pas vraiment, mais le silence qui s'installe régulièrement entre eux n'a rien de gênant. Lorsqu'ils arrivent à la lisière de la forêt, ils croisent Agathe et Sam, en shorts et débardeurs. Immédiatement, Agathe s'approche de Louis avec un petit sourire. Elle lui fait la bise. Harry fronce légèrement les sourcils. Il n'a pas eu beaucoup le temps d'observer les liens dans le groupe mais il n'avait jamais remarqué qu'Agathe et Louis étaient proches ou même vaguement ami.e.s.
En fait, vu la tête que fait Louis, il se rend compte qu'il n'est pas le seul à être surpris.
— Ça fait longtemps qu'on t'a pas vu, Harry, fait Sam avec un petit sourire, alors qu'ils se remettent à marcher tous ensemble.
Harry hausse vaguement les épaules.
— J'avais des trucs à faire.
— Qu'est-ce qui peut être plus important que de boire des bières au bord de l'eau ?
— Tout.
Ce n'est pas Harry qui a répondu, c'est Louis. Ils se jettent un petit regard et le jeune homme sourit. Pour la première fois de sa vie, Harry se sent proche de quelqu'un. Mais les filles se mettent à rire, et Agathe s'exclame :
— C'est toi qui dit ça Louis ?
— Ouais. Pourquoi ?
— Je sais pas... Je t'imagine mal avoir des choses à faire comme Harry.
— Tu ne connais rien de ma vie, Agathe, grommelle Louis un peu sèchement. Tu t'imagines peut-être que je ne suis qu'un con qui ne pense qu'à fumer, boire et baiser mais c'est pas le cas.
Sa réponse jette un froid entre eux, et les filles émettent un petit rire gêné. Harry s'attend à ce que Louis s'excuse, ou rebondisse, mais il ne le fait pas, restant silencieux pendant tout le reste du trajet.
Et c'est à ce moment là qu'il se rend compte qu'il s'est trompé, sur Louis. Il n'est vraiment pas comme tous les autres. Peut-être même qu'il n'est comme personne.
*
*
*
Le lac est une immense tâche d'huile noire sous la lumière du soleil. Harry est allongé dans l'herbe, les bras en croix derrière la tête. Il a les yeux fermés. Près de lui, les autres discutent en fumant. L'air est doux. Il entend Jim et Charly qui plongent à tour de rôle dans l'eau trouble.
S'il tend la main, il touchera le genou de Louis, assis à quelques centimètres.
Mais il ne le fait pas. Il écoute seulement son bavardage inutile avec Romain, la façon dont leurs phrases ne se terminent jamais, comme s'ils savaient de toute façon très bien ce que l'autre allait dire. Harry l'envie un peu, Romain. Il connaît Louis depuis si longtemps. Il doit savoir tous ses secrets, même les plus inavoués. Ils jouent au foot ensemble, Louis le lui a dit. Il l'a sûrement vu nu entre les portes des vestiaires. Harry crispe légèrement les paupières. Il ne doit pas penser à Louis nu, il se l'est promis. Mais parfois, c'est difficile. Le soleil lui fait tourner la tête.
— Harry ?
Il se relève un peu, s'appuyant sur son coude. Sa vue met quelques secondes avant de se stabiliser. Louis est en train de le fixer en souriant, un genou relevé contre son torse. Ses pieds sont nus dans l'herbe, brunis par le soleil. Harry a envie de se pencher, d'attraper sa cheville et d'embrasser la rondeur de son os.
— Quoi ?
— Tu viens nager ?
Louis fait un mouvement de tête vers le lac. Harry ne sait pas. Mais il fait vraiment chaud. Et Louis a l'air d'avoir envie qu'il vienne. Il finit par hocher doucement la tête, et se lève tout à fait. Il suit le mouvement, retire son short et son débardeur. En caleçon, il saute dans l'eau. Il s'était attendu à un espace poisseux, sale et désagréable. Il s'était attendu à ce que des algues gigantesques et molles viennent frôler la plante de ses pieds. Ce n'est pas le cas. L'eau est un tissu de soie qui s'enroule autour de sa peau, une langue lisse et froide qui lui procure à peine un frisson. Louis a plongé en même temps que lui, et quand il ressort, ses cheveux trempés s'accrochent à son visage. Il secoue la tête en riant. Ses yeux sont le miroir du lac, et Harry veut vraiment s'y noyer.
— On fait une course ?
— Je suis assez mauvais.
Louis hausse les épaules.
— Moi aussi. Romain dit que je nage comme le font les chiens.
Et comme pour appuyer l'anecdote, il se met à remuer bras et jambes d'une façon totalement désordonnée, envoyant des gerbes d'eau vers Harry qui se met à rire.
— Effectivement... J'ai mes chances de te battre.
Louis lui renvoie un sourire brillant, paupières plissées et gouttes d'eau roulant le long de son cou. Harry détourne le regard avant de rougir davantage.
*
*
*
Finalement, il gagne de justesse. Louis nage mieux que ce qu'il disait, beaucoup plus habitué que Harry à ce genre d'exercice. Lorsqu'ils arrivent à la berge, essoufflés, ils sortent de l'eau pour s'asseoir dans l'herbe. De l'autre côté du lac, les autres ont sorti un ballon et sont en train d'organiser un foot aquatique.
— Tu ne veux pas y retourner ?, demande doucement Harry tout en arrachant un pissenlit se trouvant juste à côté de sa cuisse.
— Non... Je préfère être avec toi.
Louis a les yeux fermés, le visage un peu en arrière, vers le soleil. Il est très beau, avec sa peau dorée, ses mèches frivoles à peine sèches, et les tâches de rousseur qui commencent à s'étaler sur ses joues. Harry a envie de faire glisser ses doigts le long de sa mâchoire, et d'embrasser le coin de sa bouche.
Ce qu'il ne doit vraiment pas faire.
— Est-ce que tu es toujours aussi franc ?
La bouche de Louis s'étire un peu, sourire amusé.
— Je crois, oui... Ça te dérange ?
— Non... Enfin, je ne sais pas. Je n'ai pas l'habitude je crois.
— De ?
— Que les gens disent les choses aussi simplement. Qu'ils ne mentent pas.
Les paupières de Louis papillonnent un peu, jusqu'à ce qu'il tourne la tête vers Harry. Son visage ne sourit pas, il semble juste très sérieux. Comme s'il avait compris ce qui se cachait derrière cette simple petite remarque.
— Je ne suis pas un menteur, Harry. Je te le promets. Tout ce que je te dis, je le crois. Tous les mots. Je n'en regrette pas un seul.
Harry ne répond pas, légèrement embarrassé. Il repense à tout ce que Louis lui a déjà murmuré, phrases qu'il a retenu malgré lui.
Tu n'es pas... Comme nous. Ça change. J'aime bien...
Peu importe ce que tu traverses... Je suis là. Je ne vais pas te laisser tomber. Je suis là. Promis.
Est-ce que je peux te serrer contre moi ? Pour ressentir.
Je préfère être avec toi.
Tout ce que je dis, je le crois.
Quand il tourne à nouveau la tête, Louis s'est remis à sourire. Mais ce n'est pas le même sourire que d'habitude, insolent et solaire. Cette fois, c'est ce sourire doux et tendre, un peu timide, qu'il ne semble offrir qu'à lui. Un sourire qui fait battre son coeur beaucoup trop fort.
*
*
*
Ils s'échappent. Louis lui tient la main, comme la dernière fois, main un peu moite mais toujours aussi douce. Ils courent en riant dans les bois, et Harry ne s'inquiète pas des ronces qui effleurent ses bras. Louis est pieds nus, les brindilles sèches volent derrière lui, Rimbaud moderne parcourant les forêts au lieu des sentiers.
Ils dévalent les chemins, montent la petite colline, traversent la clairière et arrivent à la cabane. Ils sont essoufflés. À l'intérieur de leur abri, l'ombre grignote les murs. Comme la dernière fois, seul le petit matelas est baigné dans la lumière du soleil qui s'écoule de la fenêtre à moitié rongée par le lierre grimpant. De la poussière vole lorsqu'ils s'assoient.
Louis sourit, un sourire qui semble ne jamais pouvoir disparaître, joues rouges et souffle court. Son rire semble l'avoir plus épuisé encore plus que la course. Il est beau. Il est beau à en mourir, beau comme jamais Harry n'a trouvé beau un être humain. Un poing dur écrase sa poitrine, l'empêche de tendre la main pour la poser dans le cou de Louis, pour tirer sur les petits cheveux de sa nuque, pour attraper sa mâchoire et embrasser ses lèvres. Ses doigts tremblent sur ses cuisses.
Louis tend la main, la pose sur la sienne. Harry ne sait pas trop quelle est la frontière que ce geste a dépassé, ne veut pas y penser. Le regard du jeune homme est bleu, un bleu profond, bleu d'océan noyé dans un ciel d'été. Le regard de Louis est si proche du sien, le regard de Louis le brûle. Le regard de Louis est inaccessible. Le regard de Louis ne lui appartient pas.
— Ça va ?
Ce n'est qu'un murmure. Harry hoche lentement la tête. Sa propre voix lui semble assourdie par quelque chose qui l'écrase. Les noeuds du désir mêlés à ceux de la peur.
— Oui, ça va.
— Tu frissonnes.
La main de Louis glisse le long de la jointure de ses doigts, et effleure le sommet de sa cuisse. Harry est toujours en caleçon. Soudain, il a honte. Honte que Louis voit son corps. Honte de ses jambes minces et pâles par rapport à celles du jeune homme, fermes et dorées. Il attrape son poignet et le repousse. Le geste n'est pas sec. Louis n'a pas l'air de le prendre mal. Il fixe Harry quelques secondes avant de s'avancer brusquement et de s'asseoir près de lui, dos au mur. Ils étendent leurs jambes sur le matelas. L'air est chaud. Harry sourit vaguement lorsque Louis tend la main vers une petite boîte en fer posée par terre, et qu'il en sort un joint à moitié terminé.
— Tu veux ?
— Pourquoi pas.
Ils fument. Le silence s'étire, agréable. Harry se concentre sur le chant des oiseaux au-dehors, sur le bruit vague d'une route au loin. Sur les doigts de Louis qui rencontrent les siens chaque fois qu'ils s'échangent le joint. Sur la façon dont le jeune homme fume, en penchant légèrement la tête en arrière, muscles de la mâchoire parfaitement dessinés, joues qui se creusent et paupières qui papillonnent. Harry a un peu envie de pleurer. Et d'embrasser la ligne de sa gorge, en laissant sa langue errer sur sa peau.
— Je crois que la pote d'Agathe t'aimes bien. Tu sais, la fille rousse qui ne parle pas beaucoup.
Louis n'a pas tourné la tête vers lui, en disant ça. Harry ne réagit pas vraiment. Il esquisse un sourire, et demande :
— Comment est-ce que tu le sais ?
Louis hausse vaguement les épaules.
— Je la connais. Ça se voit. Mais toutes les filles t'aiment bien, en fait.
— Je ne comprends pas pourquoi...
Louis rit un peu, et enfin il tourne la tête pour regarder Harry. De ses lèvres s'échappent un peu de fumée.
— Peut-être parce que tu es mignon ?
Harry se sent rougir. Est-ce que Louis le pense, en le disant ? Est-ce que Louis le trouve mignon ? Prudemment, il hésite :
— Je... Ne me trouve pas mignon. Du tout.
— Tu te trouves comment ?
Harry n'arrive plus à tenir son regard. Il observe le plafond, les toiles d'araignées accrochées aux tôles grises. Sa bouche est un peu sèche.
— Je sais pas... Déprimant. Idiot. Maladroit. Moche. Inintéressant.
— Arrête.
Louis pose sa main sur son genou. Le geste les fait tous les deux tressaillir. Mais Harry ne bouge pas. Et Louis reste comme ça.
— Je ne te connais pas depuis très longtemps mais tu es la personnage la plus passionnante que j'ai rencontré de ma vie.
— C'est peut-être parce que je viens d'ailleurs ? Parce que je change tes habitudes ?
— Je ne crois pas. Regarde moi.
Harry obéit, un peu à contre coeur. Louis a l'air sérieux, petite ride entre les yeux, et en même temps assez mal à l'aise. Comme s'il ne savait pas vraiment ce qu'il allait dire, ou qu'il avait peur de la façon dont Harry l'interpréterait.
— J'ai lu beaucoup de livres depuis que je suis petit... Peut-être pas les livres les plus connus, peut-être pas les meilleurs, mais suffisamment pour savoir que ma vie était mortellement ennuyante avant toi. Je... Je n'avais pas l'impression d'être quelqu'un, tu sais. Les héros des romans sont tous si lumineux, si forts. Ils savent ce qu'ils veulent. Moi, j'existais à travers mon groupe d'amis, je faisais ce qu'ils faisaient, je n'avais que des rêves un peu brouillons et... Je ne sais pas, je me sentais différent sans savoir dire ce qui n'allait pas chez moi. Et toi... Je crois que tu m'aides à comprendre ce qui est différent en moi.
Harry ne sait pas quoi dire. Il n'est même pas sûr de comprendre ce que Louis veut signifier. Devant son silence, le jeune homme a l'air un peu désespéré, yeux immenses et tremblants. Harry ouvre la bouche, voulant bafouiller la première chose qui lui passe par l'esprit, mais soudain Louis attrape son visage entre ses mains et en une seconde, il se retrouve assis sur ses cuisses. Machinalement, Harry pose ses doigts sur ses hanches. Peau chaude et généreuse, un peu collante.
— Qu'est-ce que tu -
Il n'a pas le temps de terminer. Louis reprend le joint, inspire une bouffée et approche son nez de celui d'Harry. Alors, le jeune homme comprend ce qu'il veut faire. Et tout son corps se met à brûler. Lentement, il ferme les yeux et entrouvre les lèvres. Les doigts de Louis sont légers. Harry le sent redessiner timidement le contour de sa mâchoire, attraper son menton. Sa bouche est si proche. Harry avale la fumée. Leurs lèvres ne se touchent pas, se frôlent à peine. C'est juste bon, l'herbe qui passe entre eux, doigts sur ses hanches, ongles légèrement enfoncés dans le creux de ses reins. Les cuisses de Louis sont lourdes sur les siennes, à moins que ce ne soit le temps qui se soit brutalement épaissi en même temps que leurs regards ne se croisent. Et le bleu n'est plus si bleu mais noir aussi. Les doigts de Louis glissent. Harry les sent effleurer ses lèvres, en redessiner lentement le contour. Son pouce s'arrête, cherche sa langue entre l'espace entrouvert de ses dents. Harry veut le mordre, le lécher, ne plus jamais le laisser respirer. Mais son pouls s'emballe trop pour qu'il fasse un seul geste.
— Je peux t'embrasser ?
La question, murmurée, ne surprend pas Harry. Peut-être que depuis le début, depuis leur première poignée de main et les doigts de Louis attardés sur sa peau, il s'y attendait. C'est sûrement le joint, les deux bières bues avant, le soleil tapant sur les tôles brulantes de la cabane, la chaleur de la poussière, mais il n'a pas peur. Alors, il ne répond rien. Mais il avance son visage vers Louis, sans se laisser plus de temps pour réfléchir.
Leurs nez se frôlent, puis leurs lèvres s'enlacent.
Le baiser est timide, d'abord. Harry sent tout son corps trembler de l'intérieur, comme brûlant et gelé à la fois. Puis, Louis glisse ses doigts dans les boucles encore humides de ses cheveux, et soudain, tout s'efface. Harry ne pense plus qu'au poids du corps de Louis sur le sien, à la chaleur de sa langue qui trouve la sienne, pointue entre leurs dents qui s'entrechoquent. Le baiser est bon. Meilleur que tous ceux que Harry a échangé au cours de sa vie, dans la précipitation angoissé que quelqu'un le surprenne. Le baiser est lent, le baiser réveille en lui des sensations inconnues, le baiser a un goût d'avenir et d'espoir. Parce que Louis ne recule pas. Louis ne se met pas, soudain, à le regarder avec des yeux dégoûtés, ou effrayés. Louis est collé contre lui, Louis halète légèrement, Louis a les joues rouges et des paupières papillonnantes, Louis s'arrête pour reprendre son souffle et frotte son nez au sien, Louis lui murmure contre sa bouche, avant de mordre ses lèvres une nouvelle fois :
— Tu es la plus belle personne que j'ai vu de ma vie. Et je ne veux plus jamais que tu doutes de ça.
Et Harry le croit, un peu. Parce que tout est trop doux. Tout est trop tendre. Harry laisse ses doigts errer le long de sa nuque lorsque Louis enfouit son visage dans son cou pour l'embrasser. Et il se rend compte que s'il a laissé cela arriver, ce n'est pas à cause de l'herbe qui a déposé un étrange goût de citron sur la langue de Louis, ce n'est pas à cause de la bière, ce n'est pas à cause de la chaleur moite, ce n'est pas à cause de la poussière qui semble les envelopper dans son voile d'or éphémère.
Ce baiser, il en rêvait.
Et s'il se met à pleurer lorsque Louis embrasse avec lenteur et adoration le creux de sa bouche, ce n'est plus de tristesse.
C'est sans doute, déjà, d'amour.
_________
NOTE :
J'aime beaucoup beaucouuuup l'ambiance de ce chapitre. En fait, j'adore Larry de 1993. J'adore écrire les premiers amours. J'espère que ce premier baiser vous aura un peu fait rêver... Une des scènes est une référence à un OS de Zarah5, Hold my Breath, je vous le conseille fortement. (Et si vous trouvez la réf, euh, vous aurez tout mon respect.)
Merci de lire cette histoire et merci pour vos retours de plus en plus nombreux... Ça me motive vraiment beaucoup à écrire, je suis si heureuse que vous aimiez cet univers autant que moi ! <3
#CAPfic ♡
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