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A Great Day for Freedom - Chapitre 14


1999 

- L O U I S - 



" Fleurs de cerisier
Qui ne connaissez le printemps
Que depuis cette année,
Puissiez-vous ne jamais apprendre
Qu'un jour vous devrez tomber. "

-Ki no Tsurayuki





Une pluie épaisse et chaude tombe sur Kyoto, ce soir-là. Les ruelles du quartier de Teramachi brillent sous la lueur brouillée des lampions jaunes et rouges accrochés aux murs des restaurants. Les gens se pressent dans les boutiques et les échoppes, attirés par des néons multicolores, ou par l'odeur s'échappant d'une cuisine. Tous sont protégés par de grands parapluies. Régulièrement, des groupes d'étudiants encore en uniformes passent en riant. Ils ont l'air insouciants et légers, comme si pour un soir, la menace des examens ne pesaient pas sur leurs épaules. Entre eux, des touristes se faufilent, nez en l'air, à peine dérangés par la pluie, bien trop occupés à s'imprégner de tout, de la langue des odeurs des couleurs du bruit lent de la route qui passe au loin du murmure de l'orage qui menace le sommet des montagnes.

Louis est assis sur un tabouret, devant un plat brûlant de gohan. Les nouilles, accompagnées de poulet et de chou chinois, exhalent une odeur appétissante. Pourtant, Louis est incapable d'avaler quoi que ce soit. Ses baguettes de bois ne font que tapoter le bord de son bol. Il a les yeux rivés sur la rue. La vitre du restaurant le protège de la pluie et pourtant il a l'impression d'en sentir l'humidité ronger sa peau et ses os.

— Je suis là !

Il sursaute. Emma tire le tabouret juste à côté de lui, et s'installe, un sourire aux lèvres, les mains fraichement lavées après son passage aux toilettes. C'est elle qui l'a traîné dans un des quartiers les plus prisés de Kyoto, à la nuit tombée, prétextant qu'elle s'ennuyait étant donné que son petit-ami devait travailler sur une maquette d'un projet — Louis n'a pas tout compris — qu'il devait rendre immédiatement à son patron.

Louis ne regrette pas vraiment d'avoir accepté. Il sait juste ne pas être d'une très bonne compagnie. Heureusement, Emma ne semble pas vraiment s'en formaliser. Avec enthousiasme, elle attrape ses baguettes et commence à engloutir son plat — un obanzai, plat typique de Kyoto, d'après ce que Louis a compris de l'explication du serveur. Entre deux bouchées, elle le pousse gentiment du coude, et finit par demander :

— Louis... Est-ce que tu vas continuer à fixer le vide comme ça longtemps ?

— Je ne fais pas ça, grommelle le jeune homme en attrapant quelques nouilles entre ses baguettes, et en les entortillant maladroitement autour.

— Si, c'est exactement ce que tu fais. Tu as l'air d'un poète mélancolique du XVIIIème siècle.

Louis grimace.

— C'est toujours ce que j'ai voulu être dans la vie.

— Allez, explique moi ce qui ne va pas.

Dans la rue, un lampion du restaurant d'en face se met à s'affaiblir, créant une ombre étrange et mouvante sur le mur. Les gens ne semblent pas s'en apercevoir, dos courbé et marche rapide sur le sol mouillé.

— C'est... Je me demande ce que je fais ici, en fait.

— Tu visites. Tu manges. Tu te reposes. Tu t'amuses.

Louis sourit vaguement, avant d'hausser les épaules.

— C'était le but quand je suis arrivé... Et puis je suis tombé sur Harry, par hasard, et c'était comme...

— Renaître ?

Il coule un regard inquisiteur vers Emma mais la jeune femme se contente de le fixer simplement, attendant qu'il continue.

— Ouais. Peut-être ça. Même si ça sonne dramatique... Le truc c'est que, aussi stupide que ça puisse paraître, j'aime vraiment beaucoup Harry.

— Tu es amoureux de lui ?

La question est douce et sérieuse. Louis prend le temps d'avaler quelques nouilles, sans croiser le regard d'Emma. Il sait qu'elle ne le juge pas. Il a seulement du mal à mettre de l'ordre dans ses idées.

— Je ne sais pas, il finit par murmurer. J'étais fou de lui quand on était adolescent. Il était... Il était différent de tous mes amis. C'est lui qui m'a fait prendre conscience que je n'étais pas hétéro... C'est avec lui que j'ai eu mes premières expériences. Tu vois ?

— Oui, je vois.

Louis se remet à sourire. À mesure que les souvenirs refont surface dans son esprit, il sent sa voix s'adoucir :

— C'était vraiment bien, cet été là. Vraiment. Et je ne voulais pas que ça s'arrête. Je voulais que ce soit toujours lui et moi et le reste du monde... Ça semble fou, après tout, ça n'a duré que deux petits mois. Pourtant j'ai l'impression qu'il est l'être humain que je connais le mieux, et le seul que j'ai aimé de toute mon âme. C'est peut-être parce que j'avais seize ans à ce moment-là... On vivait tout très intensément. Je ne pouvais même pas imaginer qu'un jour tout ça prendrait fin.

— Comment est-ce que ça s'est terminé ?

Louis se tourne vers elle. Pendant quelques secondes, il la dévisage, sans paraître vraiment la voir. Puis, il soupire et se remet à fixer son bol à présent à moitié vide.

— Il est... parti.

— Sans te dire où il allait ?

Emma fronce les sourcils. Louis se rend bien compte qu'elle comprend qu'il ne lui dit pas quelque chose, mais il en est tout simplement incapable. Ces mots-là, même dans son livre, n'ont jamais pu être prononcé. Des années après, il sent encore la terreur saisir sa poitrine, et la serrer douloureusement. Est-ce que Harry serait encore capable de... Non. Il ne doit pas penser à ça. Harry a dit qu'il allait mieux. Louis le croit.

Il se racle un peu la gorge, tendant la main vers sa tasse de thé pour en avaler une petite gorgée. Le liquide chaud lui fait du bien.

— Pas vraiment. Je savais où il était, après qu'il soit parti. Mais il m'a envoyé une lettre me disant qu'il ne voulait plus me voir donc...

— Et tu n'as jamais cherché à le revoir après ?

— Si ! Bien sûr... J'ai essayé quand j'ai compris que j'avais fait une erreur en laissant tomber aussi vite. Il me manquait horriblement. C'était quatre mois après je pense, peut-être cinq... Mais quand je suis allé là où je pensais qu'il vivait, on m'a dit qu'il avait été, euh... qu'il avait déménagé. Et je n'ai pas réussi à retrouver sa trace.

— Tu étais jeune en même temps.

— Oui... Oui, je suppose que ça n'a pas aidé, avoue t-il avec un petit rire amère.

Emma penche la tête vers lui. Son regard est plus sérieux que jamais.

— Et donc, maintenant ? Est-ce que tu as l'impression que tout est comme avant entre vous ? Tu as dit que tu ne savais pas si tu étais amoureux de lui... Est-ce que ça veut dire que tu ne ressens plus la même chose pour lui ?

Louis ne peut pas s'empêcher de sourire. Emma hausse un sourcil, l'air perdue :

— Quoi ? J'ai dit quelque chose d'idiot ?

— Non ! C'est juste... C'est si improbable de parler de mon histoire d'amour au beau milieu d'un restaurant de Kyoto, avec une fille que j'ai rencontré il y a quelques semaines.

Emma lui renvoie son sourire, yeux adorablement plissés.

— Je comprends. Mais je crois qu'on se confie plus facilement à des gens qu'on ne connaît pas intimement... Cela dit, on peut arrêter là si tu veux.

— Je ne disais pas ça pour ça Emma.

Louis attrape doucement sa main et la serre entre la sienne. Le geste lui semble presque trop doux. Les doigts d'Emma sont fins entre les siens. Il pense à ceux d'Harry, longs et enveloppants, et son estomac se serre à nouveau un peu.

— J'ai dormi chez lui hier, il commence lentement. On a un peu parlé du passé... Et puis ensuite, on a été se coucher. Il ne s'est rien passé mais le matin, j'ai plus ou moins laissé entendre que je voulais qu'on se remette ensemble. Comme un couple.

— Il l'a mal pris ?

Louis fait une nouvelle grimace. Sur la vitre, la pluie s'écrase de plus en plus fort, mais il ne l'entend plus.

— Il n'a rien dit du tout. Et quand je lui ai dit que j'étais désolé, et que j'avais cru qu'on était sur la même page à propos de ça, il est encore resté silencieux. Il m'a juste... Laissé partir de son appartement. Alors. Voilà. Je crois que même si j'étais encore stupidement amoureux de lui, ça ne changerait rien. Ce n'est pas le cas pour lui.

Emma baisse les yeux, mordillant sa lèvre. Elle semble n'avoir rien à ajouter et Louis lâche ses mains. Il sent sa gorge se serrer, comme si elle était soudain pleine d'une sève aigre et collante.

Dans son bol, les quelques nouilles restantes sont à présent froides.

*

*

*

Les cheveux d'Emma sont trempés lorsqu'ils arrivent dans la rue, essoufflés d'avoir couru depuis le pont. Louis rit. Il sent le sol tanguer un peu sous ses pieds, lisse et mouillé, dur et noir comme de la pierre volcanique. Il attrape la main de la jeune femme avant de s'écrouler sur le trottoir. Il a une crampe à l'estomac.

— A... Attends... Deux secondes...

Emma s'esclaffe à côté de lui mais ne continue pas. Sa voix est un peu plus pâteuse qu'avant, ralentie par l'alcool qu'ils ont avalés dans cet espèce de petit bar amusant... Louis ne sait plus où. Il y avait seulement encore du saké. Et des gâteaux tous mous, qui avaient le nom du chat d'Harry... Peut-être qu'il va vomir en rentrant au ryokan.

Je pensais que tu tenais bien l'alcool.

Il hausse les épaules. La pluie ruisselle le long de ses omoplates et le fait frissonner.

— Pourquoi est-ce qu'il pleut autant, dans cette fichue ville ?, il marmonne.

Emma s'assoit près de lui sur le trottoir. Son jean colle à ses cuisses, comme celui de Louis. Il a envie de se lover contre elle et de ne plus repartir.

— Ça doit être la saison... Dis, ça te plairait de venir avec moi et Axel demain ? On s'en va. Ça te ferais peut-être du bien de quitter Kyoto.

Louis cligne des paupières. Comment Emma arrive t-elle à aligner autant de mots de façon logique, sans buter sur aucun ? Lui a déjà du mal à analyser ce qu'elle vient de dire... Partir ? Avec elle et Axel ? Partir... C'est bien ce que voulait Harry, non ? Louis lui fichera la paix au moins... Et il ne pourra plus manger son chat. Enfin, non, les gâteaux qui ressemblent à son chat. Ou qui portent le nom de son chat.

Bref.

Il relève un peu ses jambes, appuyant sa joue contre son genou mouillé. Son os est dur à cet endroit. Quelque part sous le flou de ses paupières, il revoit Harry, allongé nu sur le sol de la cabane, le dos et les fesses barbouillés de soleil, en train de mordre son genou. C'était un truc qu'il aimait faire. Et maintenant... Maintenant Harry veut qu'il s'en aille. Louis va le faire.

— Bien sûr, il bafouille.

Emma lui sourit.

— Super !

Elle se relève, tangue un peu sur ses jambes. Louis est rassuré en voyant ça, même si lui a besoin de son soutien pour se redresser.

Ils marchent tous les deux dans la rue vide, et Louis a dû mal à se concentrer sur autre chose que les fils électriques pendant partout au-dessus de leurs têtes. Si les fils tombaient... Ils se retrouveraient prisonniers de tous ces câbles noirs. Est-ce qu'Harry se sent enfermé, parfois ? Est-ce que retrouver Louis était comme pousser tous les murs de la prison de son esprit ? Est-ce que... Il faut vraiment que Louis arrête de penser à Harry sans arrêt. Mais ce n'est pas de sa faute, c'est Emma qui vient de prononcer son prénom.

Il s'arrête, tirant sur le bras de la jeune fille.

— Qu'est-ce que tu as dit ?

Sa voix lui paraît très lointaine, comme si elle ne lui appartenait plus.

— J'ai dit : tu devrais inviter Harry à venir. Il nous servirait de guide.

— Mais... Emma, j'ai dit qu'il ne voulait plus de moi...

Emma le lâche. Louis sent la pluie tomber dans ses cils, et les alourdir.

— Non. Il n'a rien répondu. Peut-être qu'il a juste peur... Ça fait six ans Louis.

— Et, et alors ?

— Et alors il n'accepte sûrement pas la situation aussi facilement que toi ! Tu es là, tu arrives de nul part et tu débarques dans sa vie en lui demandant de sortir à nouveau avec toi au bout de quelques semaines, comme si rien ne s'était passé entre temps !

Louis reste silencieux. Il tremble un peu, mais sûrement pas à cause du froid. Tout est vide, soudain, dans son esprit. Il a envie de murmurer, mais rien ne s'est passé entre temps. j'ai juste grandi en pensant à lui, à chaque putain d'instant. six ans se sont passés dans un brouillard épais, six ans qui m'ont seulement conduit à retrouver le vert immense de ses yeux et je ne veux plus attendre pour l'embrasser à nouveau. Mais il se sait que ce serait injuste, et faux. Le monde a continué de tourner. Il n'a plus seize ans. Et Harry non plus. Louis ne peut pas faire comme si un fossé profond n'avait pas été creusé entre eux. Il doit admettre que rien ne sera plus jamais comme avant, et qu'ils doivent tout recommencer. Si seulement Harry le voulait bien...

Devant lui, mains sur les hanches, Emma lui lance un regard de défi. Et Louis sait qu'il ne doit pas refaire l'erreur qu'il a commise six ans plus tôt : abandonner.

*

*

*

Quand Louis pousse la porte du konbini, Haku lui lance immédiatement un bonjour joyeux. Il est presque quinze heures, et la pluie a cessé de tomber depuis une demi-heure. Pourtant, l'air est déjà sec et les flaques devant les portes des maisons sont en train de disparaître.

Louis s'avance vers la caisse avec un sourire :

Est-ce qu'Harry est là ?

Il range des choses dans les rayons... Mais attention, il a l'air de mauvaise humeur.

Merci de l'avertissement !

Il se retourne, et s'engage dans la première petite allée sur la droite. Harry est de mauvaise humeur... Est-ce à cause de Louis ? Peut-être qu'il le sera encore plus quand il le verra débarquer. Mais Louis n'a pas envie de reculer.

Finalement, il trouve Harry, dos courbé devant un rayon, en train d'empiler des boîtes de gâteaux. Sous sa casquette verte, des petits boucles brunes s'échappent et viennent caresser la blancheur de sa nuque. Louis sourit malgré lui.

— Salut, il murmure doucement, ne voulant pas surprendre Harry.

Celui-ci se retourne pourtant vivement, sourcils froncés en voyant Louis.

— Ah, salut.

Sa voix n'est pas particulièrement froide. Il a juste l'air... Un peu gêné. Ce qui n'est absolument pas ce à quoi s'attendait Louis.

— Je te dérange ?, il hésite.

— Non, non. J'allais prendre ma pause de toute façon.

— Ok. Je vais t'attendre dehors si tu veux.

— Je prends ma pause dans l'arrière cour.

— Ah, euh. D'accord. Alors je vais...

— Je finis de ranger ça et on y va.

Louis se tait. Il hoche la tête et recule de quelques pas, laissant à Harry l'espace nécessaire pour finir d'agencer le rayon. Il se sent un peu inutile, planté là, alors il finit par retourner voir Haku qui semble ravi d'avoir quelqu'un avec qui discuter. Au bout de cinq minutes pourtant, Harry apparaît près de la caisse. Il a retiré sa casquette et se racle la gorge, fixant Louis.

— Tu viens ?

— Oui, j'arrive. Salut Haku.

Le jeune homme lui renvoie un sourire et Louis suit Harry sans hésiter, jusque dans l'arrière cour. L'espace est minuscule et le soleil parvient à peine à filtrer entre les hauts murs mais l'air est agréable. Il y a seulement une table et des chaises au milieu de la dalle de béton, et Harry s'installe, invitant Louis à faire de même. Sur la droite, il remarque alors que le mur est coupé et laisse entrevoir le jardin des voisins, pleins de petits arbres verts et de fleurs multicolores.

— Je suis désolé pour hier matin, commence Louis, ne laissant pas à Harry le temps de dire quoi que ce soit. Je n'aurais pas dû te dire ce que j'ai dit...

Une pointe d'hésitation brille dans les yeux d'Harry mais il laisse Louis continuer, sans ouvrir la bouche.

— Tu me connais... J'ai tendance à dire tout ce qui me passe par la tête sans vraiment réfléchir, et voilà. Je ne voulais pas te faire paniquer ou quoi que ce soit. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise non plus.

Harry ne répond pas tout de suite, prenant d'abord le temps de sortir de sa poche de pantalon une barre de Kit-Kat à la fraise. Il déchire l'emballage et croque dans le chocolat. Louis bouge nerveusement sur sa chaise.

— Pourquoi est-ce que tu es là ?, finit par demander Harry, la voix lente.

Les mains de Louis sont un peu moites sur le tissu noir de son jean slim.

— Je voulais te dire que je m'en vais ce soir.

— Du Japon ?

— Non, de Kyoto. Je-

— D'accord.

Louis se fige, surpris par le ton froid d'Harry. Le jeune homme écrase l'emballage de son Kit-Kat entre ses mains.

— C'est bien, il finit par ajouter. Tu vas voir d'autres choses que cette ville.

— Oui, acquiesce prudemment Louis. Et à ce propos, je me disais que-

— Je vais devoir retourner travailler Louis.

Que... Hein ? Louis regarde Harry se lever, trop surpris pour faire un geste.

— Mais... Ça fait deux minutes qu'on est là.

— Et tu crois que ma pause dure trois heures ?

Son ton est à nouveau cinglant. Louis avale sa salive, et se redresse à son tour. Il ne comprend pas pourquoi Harry lui parle comme ça... Exactement comme s'il se protégeait de quelque chose, et voulait repousser Louis le plus loin possible. Une nouvelle fois.

Il fixe son dos lorsqu'il ouvre la porte de l'arrière-cour et commence à s'engager dans le couloir menant au konbini. Il fixe son dos, et son sang se met à bouillir dans ses veines. Il se met à marcher, et attrape la porte avant qu'elle ne se referme.

— Harry, il siffle.

Le jeune homme s'arrête et se retourne vers lui. Il a l'air confus et... Blessé. Louis ne veut pas chercher à comprendre pourquoi. Il se sent juste en colère.

— Écoute, j'en ai marre de te courir après. Depuis que je suis arrivé ici, j'ai l'impression de passer mon temps à te voir me sourire, puis me tourner le dos dès que j'avance vers toi. Je ne comprends pas, d'accord ? Je sais que tu as toujours été pleins de secrets et de peurs que tu refusais de partager, mais s'il te plaît, cette fois dis-moi ce que tu veux. Je veux bien me battre pour toi pendant des années et des années encore, mais si c'est en vain alors je préfère le savoir immédiatement et partir.

Harry le fixe avec des yeux écarquillés, et pendant un instant, Louis se dit qu'il lui fait penser à un lapin pris dans les phares d'une voiture. Mais ensuite, Harry ouvre la bouche et balbutie :

— Mais tu as dit que tu partais de Kyoto.

— Oui seulement quelques jours, et avec toi idiot. Enfin si tu veux bien... Et si tu n'as rien à faire ce week-end.

Le silence s'étire entre eux, et Louis a soudain envie de rigoler nerveusement. Le visage de Harry est incrédule, et il finit par s'appuyer contre le mur du couloir, comme si ses jambes ne parvenaient plus vraiment à le retenir.

— Je... Quoi ? Tu veux que je vienne ?

— Oui. Emma et Axel m'ont proposé de les accompagner à Kanazawa, voir l'ancien quartier des geishas. Ce serait bien qu'on ait un guide... Même si je ne t'invite pas que pour ça, évidemment !

Harry commence enfin à sourire et il renifle, fronçant adorablement son nez, avant de murmurer :

— Et tu reviens à Kyoto après ça ?

— Oui. Je ne compte pas partir tout de suite.

— Qu'est-ce que c'est « pas tout de suite » ?

Louis roule des yeux, s'approchant suffisamment d'Harry pour pouvoir attraper le bas de son t-shirt entre ses doigts.

— C'est : est-ce que tu acceptes ma proposition oui ou non ?

Cette fois, Harry sourit vraiment. Un sourire brillant, qui remonte jusqu'à ses yeux et fait scintiller le vert de ses iris. Louis pense que s'il était dans une forêt et qu'il levait les yeux pour voir le soleil déposer ses rayons dorés sur les feuilles des arbres, il serait face à la même lumière.

— Oui, finit par souffler Harry. Ça me ferait plaisir d'être votre guide... Et d'être avec toi.

— Alors parfait.

Et juste parce qu'il en a envie, et qu'il sent le corps chaud et pliant de Harry sous le sien, Louis l'enlace doucement. Leur différence de taille est étrangement agréable, et Louis est surpris de réaliser que leurs corps s'emboîtent toujours aussi parfaitement qu'avant, malgré ça. Il enfouit sa tête dans le cou d'Harry, respirant l'odeur familière et lointaine de sa peau, pendant que les mains du jeune homme viennent se déposer sur sa taille. Des mains larges, qu'il sait être capables de le protéger du monde entier.

Et pendant une seconde, Louis s'autorise à fermer les paupières et à se dire que tout ira bien.

*

*

*

La gare de Kyoto est presque déserte. Il est six heures du matin, et Louis fait nerveusement les cent pas sur le quai, pendant que Emma et Axel, assis sur un banc, le regardent en baillant.

— Tu me donnes mal à la tête Louis, gémit la jeune fille en appuyant son front sur l'épaule de son petit-ami.

Louis s'arrête un moment de tourner, jetant un oeil vers l'entrée de la gare. Quelques personnes s'arrêtent devant les guichets, ou achètent à boire aux distributeurs, mais il n'aperçoit pas la longue silhouette qui l'intéresse.

— Le train arrive dans douze minutes.

— Oui. Douze minutes, réplique Alex avec un petit rire. Il a encore le temps.

Louis grommelle et se détourne, les laissant pour aller marcher le long du quai. D'ici, il peut voir les montagnes sans qu'elles soient à moitié dissimulées par des toits de maison. Dans la lumière pâle du petit matin, elles semblent grises et roses, délicates et paisibles. Il s'immobilise, inspirant lentement. Il aimerait bien aller tout là-haut, au sommet, et se rouler dans la neige qui doit y rester en permanence. Il aimerait bien aller visiter le Mont Fuji, aussi, et se perdre dans la campagne japonaise. Peut-être plus tard... Même si ce « plus tard » commence à être problématique. Hier soir, Louis a eu un appel de son éditeur qui a menacé de le mettre à la porte s'il ne lui envoyait rien de concret avant deux semaines. Enfin, peu importe.

Parce que quand Louis se retourne en entendant Emma l'appeler depuis l'autre bout du quai, ses yeux trouvent immédiatement ceux de Harry, à quelques mètres. Harry qui ressemble à un bébé girafe particulièrement attirant dans son jean slim noir qui élance ses jambes, et son sweat à capuche extra large. Louis a déjà beaucoup trop envie de se blottir contre lui.

Il s'approche en essayant d'être le plus naturel possible, mais Emma ruine immédiatement ses efforts :

— Louis était en train de tourner comme un lion en cage. J'ai cru qu'il allait mourir d'anxiété en ne te voyant pas arriver...

Harry se tourne vers lui, un air amusé sur son visage. Louis n'arrive même pas à répliquer quelque chose de pertinent, parce que, eh bien, Harry est cruellement beau avec ses yeux encore un peu gonflés de sommeil et les mèches folles de ses cheveux qui s'échappent du bonnet noir qu'il a sur la tête. Louis ne veut pas seulement se blottir contre lui. Il veut aussi embrasser chaque recoin de son visage, et lécher le bout de son nez. Parce que... Pourquoi faudrait-il une raison ?

— Louis ?

— Oui ?

Il cligne des paupières, remarquant enfin que Emma le fixe en fronçant les sourcils.

— J'étais en train de dire, est-ce que tu as bien le billet d'Harry ?

— Évidemment.

Il le sort rapidement de la poche de sa veste, le tendant à l'intéressé. Louis essaye d'ignorer la façon dont leurs doigts se frôlent pendant la transaction, et à quel point ce simple détail allège le poids flottant dans son ventre.

Harry est là.

Pendant un week-end entier.

Harry a dit qu'il avait envie de passer du temps avec Louis.

Il est venu, ne lui a pas posé de lapin, et à l'air vraiment heureux d'être sur le quai de la gare, malgré son air un peu endormi. Si au début il semble un peu embarrassé face à Axel et Emma, ceux-ci arrivent vite à l'inclure dans leur conversation. Louis se souvient à quel point Harry détestait les groupes. Il avait toujours cette angoisse que quelqu'un fasse une remarque, ou dise un mot de trop, et rentrait sans arrêt les épaules, baissait la tête. Louis détestait le voir comme ça. Aujourd'hui, il observe Harry du coin de l'oeil, et se sent stupidement fier en le voyant bavarder — certes un peu timide — mais réellement à l'aise.

Lorsqu'il croise le regard d'Emma, celle-ci lui décoche un sourire rapide, et Louis pense au fait qu'elle avait bien raison. Harry a grandi. Tout a changé, et même si leur passé commun les rapproche indéniablement, il ne peut pas attendre de lui qu'il agisse comme il le faisait avant. Une chose est sûre, en tout cas : Louis est peut-être encore plus sous le charme du Harry-du-présent que de celui-du-passé. Il espère seulement que ce soit réciproque...

*

*

*

Kanazawa est à trois heures de Kyoto en train. Louis s'endort pendant le trajet, bercé par le mouvement lent des rails. Lorsqu'il se réveille, sa tête est appuyée contre l'épaule d'Harry, occupé à feuilleter un magazine appartenant à Emma.

— Oh, excuse-moi, murmure immédiatement Louis en se décalant.

Son cou lui fait un peu mal, et il se frotte machinalement la nuque. Harry repose le magazine sur ses genoux et lui sourit.

— Tu ne me dérangeais pas.

Louis jette un coup d'oeil à Emma et Axel, qui dorment également sur les sièges en face d'eux, enlacés. Il détourne le regard et fixe à nouveau son attention sur Harry.

— Comment tu fais pour rester éveillé, toi ?

— Il faut bien que quelqu'un surveille les arrêts... D'ailleurs on arrive dans dix minutes.

Harry a l'air vraiment détendu. Louis ne peut pas s'empêcher de remarquer que ses yeux ont une teinte très claire, encore plus claire que d'habitude. Deux lacs verts et paisibles, particulièrement limpides.

— Tu as déjà visité cette ville ?, il demande pour éviter de rester trop longtemps plongé dans sa contemplation.

— Non, jamais. Mais j'avais envie d'y aller alors ça tombe bien.

— J'espère que tu n'as pas bousculé tes plans pour nous... Je veux dire, si tu devais voir tes ami.e.s, j'aurais compris que tu refuses et-

— Louis.

Harry penche légèrement la tête vers lui, un demi-sourire sur les lèvres.

— Oui ?

— Depuis quand est-ce que tu es aussi peu sûr de toi ?

Louis reste un moment muet face à la question. Il sent ses joues s'empourprer légèrement parce que, mince, c'est vrai ça. Louis n'a jamais été aussi qui hésitait, dans leur relation. Il était plutôt celui qui poussait Harry à accomplir des choses, sans regarder derrière lui. Mais peut-être que c'est à cause de ça qu'il n'a pas été capable de remarquer que Harry ne suivait pas son rythme... Alors. Voilà. Il ne veut pas faire deux fois la même bêtise. 

— Ce n'est pas que je suis pas sûr de moi, il finit par expliquer doucement. Je sais très exactement ce que je veux... Mais je ne veux pas te forcer, ou entrer dans ta vie comme une tornade et tout bouleverser.

Harry sourit davantage. Ses yeux brillent et Louis sait que ce n'est pas seulement à cause du soleil qui tape sur les vitres du train.

— Pourtant, c'est ce que tu fais de mieux, arriver dans ma vie sans prévenir et lui donner des couleurs qu'elle n'avait jamais eu avant.

— Est-ce que c'est... Un compliment ?

Harry ouvre la bouche pour répondre mais soudain, un petit cri les sort de leur bulle. Emma vient de se réveiller, et, le visage tourné vers le paysage qui défile derrière eux, elle s'exclame :

— Regardez, c'est la mer !

Louis se retourne. Il avait oublié que Kanazawa était une ville côtière... Pourtant, c'est le cas. Le train est en train de longer la côte avant d'entrer en gare, et la mer du Japon s'étale à quelques mètres d'eux, immensément bleue. Sa surface, lisse malgré quelques vagues blanches et écumeuses, scintille au soleil. Louis doit plisser les yeux pour fixer l'horizon. Il aperçoit quelques bateaux de pêcheurs, et des gens se promenant au bord de l'eau, jetant des petits galets ronds dans la mer. Le spectacle est si beau qu'il met quelques secondes encore à réaliser que Harry s'est rapproché de lui pour mieux voir, et que tout son corps est appuyé contre le sien, chaud et familier. Louis ne sait pas si c'est son coeur ou celui d'Harry qui résonne aussi fort dans sa cage thoracique. Peut-être les deux en même temps.

*

*

*

Ils passent la journée à se balader. La ville est moins grande que Kyoto, et Harry leur explique qu'elle est pourtant la capitale de la préfecture d'Ishikawa et qu'elle est surnommée « La petite perle d'Ishikawa » tant sa vieille ville, toute petite, est magnifique.

Après avoir marché des heures sous un soleil de plomb, Louis ne peut pas le contredire. Il est surtout fasciné par le château de Kanazawa, ses toits blancs et pointus, ses volets de bois sombres et ses douves remplies d'une eau grise.

— Ça ne ressemble vraiment pas à nos châteaux forts. On dirait un temple..., il constate alors qu'ils sont tous les quatre installés à l'ombre d'un grand arbre, en face du château. 

Harry rit un peu mais acquiesce.

— C'est vrai. J'aime beaucoup l'architecture des bâtiments japonais... Ils sont toujours très élégants et simples à la fois.

— De quand date celui-ci ?, demande Emma à côté d'eux.

— 1583 d'après les panneaux, répond doucement Harry. Il a été fondé par le clan Maeda, mais il a été détruit plusieurs fois et toujours reconstruit.

— Détruit par quoi ?

— Les guerres, les incendies, les séismes... Vous voyez les tuiles blanches du toit ? Elles sont faites en plomb.

— Pour résister au feu ?

— Oui ! Et aussi — selon la légende — pour qu'en cas de siège, les soldats dans le château puissent les faire fondre et les mouler en balles.

— On a vraiment bien fait de te choisir comme guide, fait Emma après un petit silence.

Harry sourit. Il se tourne vers Louis, un sourcil arqué.

— Je croyais que tu ne m'avais pas invité seulement pour ça ?

— C'est le cas, idiot... Tu es aussi très pratique pour me porter mon sac.

— Je ne le porte que parce que tu me laisses mettre mes affaires dedans. Et aussi parce que je suis plus costaud.

— Qu-Quoi ?, s'offusque immédiatement Louis. Ce n'est pas parce que tu fais deux mètres dix que tu es le plus musclé de nous deux. Ça ne veut rien dire.

Harry lui renvoie un sourire narquois et se retourne, suivant Emma et Axel qui se dirigent vers les jardins. Louis reste quelques secondes en arrière, à observer le balancement lent des hanches d'Harry, avant de secouer la tête et de les suivre à son tour. Quel idiot. 

*

*

*

Dans le vieux quartier d'Higashi, les panneaux de papier des maisons traditionnelles laissent à peine filtrer les sons. La nuit qui tombe sur la ville est un peu moite, chargé du sel épais de la mer et du bruit rassurant des suzumushi — ces grillons typiques du Japon — dans les arbres. Les rues sont presque vides, hors du temps. Le ciel ici n'est pas strié par les câbles électriques. Sur les murs des maisons et des boutiques, aucun néon clignotant. Au sol, sur les dalles blanches et lissées par les siècles se reflète la lumière d'une lune épaisse et laiteuse.

Louis et Harry marchent en silence, leurs silhouettes sombres se découpant au milieu de la nuit bleue. Leurs épaules se frôlent parfois, indéniablement attirées. Ils tournent dans la rue principale, s'arrêtent devant la maison de thé Shima, dont l'intérieur semble toujours illuminé.

Ils entrent. Une jeune femme en kimono bleu et rouge, les cheveux tirés par des épingles, s'incline vers eux. Elle ne sourit pas mais leur indique un couloir, et ils s'y engouffrent, le souffle retenu. Le lieu est silencieux, plongé dans une lumière tamisée et apaisante. Le bois a une odeur de cire fraîche et Louis laisse glisser ses doigts sur la surface tendre des portes de papier. Harry enroule doucement sa main autour de son poignet, chuchotant à son oreille :

— Elle n'a pas changé depuis 180 ans.

Louis acquiesce. Harry n'enlève pas sa main, et ils continuent de déambuler dans la maison de thé, l'un à côté de l'autre.

Dans une pièce, entre des murs rouges et blancs, dissimulés dans une alcôve, de curieux instruments de musiques sont disposés. Louis s'approche. Il sent une drôle d'émotion l'éteindre en imaginant ce que devait être cette maison de thé en 1820, en pleine époque Edo. Comment étaient habillés les gens, alors ? Et quels sont les sons que produisent ces drôles de luths vernis ? La vie était-elle plus douce ? Les fantômes des habitués du salon de thé flottent-ils toujours au-dessus des tatamis brodés d'or qui recouvrent les sols ?

Il se retourne. Harry l'a lâché pour rejoindre l'autre côté de la pièce, le nez levé vers une estampe aux couleurs très douces. Lorsque Louis s'approche de lui, il lui sourit.

— Tu veux voir la cour ? On peut y boire du thé.

Louis hoche la tête. Il suit Harry dans les petits couloirs imprégnés d'une discrète odeur musquée. Ils sont en chaussettes, comme le leur a demandé la jeune femme à l'entrée du salon de thé, et Louis frissonne un peu lorsqu'ils sortent dehors, pour pénétrer dans la petite cour de l'établissement. Deux personnes sont déjà là, accroupis sur un tatami, un bol de thé entre les mains. Ce sont deux japonais. Louis hésite un peu en avançant vers eux, se demandant s'ils ne dérangent pas quelque chose. Mais Harry a l'air sûr de lui.

Il l'imite, s'installant sur un tatami un peu éloigné des deux autres clients, et attend, les mains sur ses cuisses. Harry a l'air serein, le visage levé vers le ciel. Sa mâchoire semble très douce sous cette angle, arrondie par les ombres de la nuit. Dans ses yeux se reflètent les étoiles, petites tâches brouillées et lumineuses.

Soudain, une jeune femme arrive près d'eux, et dispose sur leur tatami deux petits plateaux avec des tasses de thé vides et un petit biscuit. Elle aussi porte un beau kimono, aux teintes roses et brodé de petites fleurs. Harry lui murmure quelque chose en japonais et la jeune femme s'incline avant de disparaître.

— Qu'est-ce que tu as demandé ?, demande Louis.

Sa nervosité a totalement disparu. Il se sent bien ici, dans la lumière rare et l'écho lointain des bruits de la nuit. La discussion paisible des deux japonais a sa droite l'apaise, tout comme la façon dont Harry lui sourit. Louis est vraiment content que Axel et Emma aient voulu passer la soirée en amoureux, dans un restaurant de la ville. Lui n'aurait pas rêvé plus beau moment que celui-ci.

— Du thé vert hojicha. Il est très bon avant d'aller dormir.

— Est-ce que cette femme était une geisha ?

— Non... Il n'y a presque plus de geisha au Japon. 200 je pense... Tu aurais reconnu une geisha à son visage maquillé de blanc.

— Tu en as déjà vu ?

— Oui, à Kyoto. Dans le quartier de Gion... On en aperçoit souvent. On pourra y aller si tu veux.

Louis hoche la tête. À ce moment, la jeune femme revient avec un grosse théière noire. Elle s'agenouille près d'eux et avec une délicatesse infinie, verse le thé dans leurs bols. L'eau est brune et fumante. À nouveau, Harry la remercie en japonais et la jeune femme s'incline avant de disparaître avec la théière.

Louis reste silencieux un moment, respirant l'odeur agréable du thé. Finalement, c'est Harry qui se remet à parler, les yeux plongés dans ceux de Louis.

— J'ai lu ton livre, l'autre jour.

Louis ne cille pas, même si son coeur se met à battre un peu plus vite :

— Vraiment ?

— Oui.

— Tu as... Est-ce que tu as aimé ?

— Je crois. Oui, c'était... C'était beau.

Il y a quelque chose de plus, Louis le sait. Il le voit dans la façon dont les joues d'Harry se colorent, et dont ses lèvres tremblent un peu.

— Mais ?, il souffle.

— Il n'y a pas de mais. C'est juste...

Harry baisse la tête, ses doigts s'enroulant lentement autour du bol de thé. Il a l'air de chercher ses mots, et Louis le laisse faire. Il y a des semaines maintenant qu'il a remarqué que le français ne venait plus aussi naturellement avant qu'à Harry, comme s'il avait oublié une partie de son vocabulaire, remplaçant tout par le japonais. Louis trouve ça mignon, cette façon qu'a Harry de s'arrêter au milieu de ses phrases, d'hésiter, et de chercher son approbation.

— C'est juste que ce que tu as écris, c'est... nous. Et au début, j'étais un peu mal à l'aise. J'avais l'impression d'être dans ton esprit, de tout revoir à travers tes yeux. Et puis après... Après j'ai réalisé que c'était plus que ça. Ce n'était pas seulement toi, c'était moi aussi, dans toutes les phrases. Et... Et je n'avais jamais réalisé à quel point tu m'avais compris, sans même que je t'explique clairement ce que je ressentais à l'époque.

— Je ne pense pas avoir réellement compris quand nous avions seize ans, murmure Louis. Ça n'a été le cas qu'après, avec le recul. Et quand j'ai su... Quand j'ai parlé avec Romain.

— Est-ce que vous vous parlez encore ?

Louis secoue lentement la tête. Il éprouve toujours une pointe d'amertume en pensant à Romain, même si le visage de son ancien meilleur ami est de plus en plus flou dans ses souvenirs. Parfois, il rêve de lui. Ce n'est jamais très agréable...

— Je suis désolé si c'est à cause de moi que votre amitié s'est terminée, souffle Harry.

Sa voix a une intonation triste que Louis ne supporte pas d'entendre, et il se dépêche de le contredire :

— Ce n'est pas à cause de toi ! Nous n'étions plus sur la même longueur d'onde et... Je n'aurais jamais pu lui pardonner ce qu'il a fait.

— D'accord.

Ils se taisent à nouveau, mais le silence entre eux est agréable. Louis porte son bol à ses lèvres, soufflant sur la surface lisse du breuvage. Il avale une petite gorgée, le liquide brûlant glissant dans son estomac comme de la soie épaisse. Il ne sait jamais senti aussi serein et calme, toutes les voix dans sa tête semblant s'être tues, noyées sous le thé et son goût de fleurs. Lorsqu'il croise le regard d'Harry, il réalise que cela doit être pareil pour lui. Ils reposent leurs bols et se sourient, avant de se remettre à contempler le ciel noir, brillant au-dessus de leurs têtes comme un tableau impérissable.

Derrière eux, les deux japonais sont partis depuis longtemps, sans faire un bruit.

*

*

*

Il est minuit à présent. L'air est moins chaud, mais toujours un peu humide. Le couloir du ryokan est vide et plongé dans l'obscurité lorsqu'ils y pénètrent, et Harry retient un petit rire lorsque Louis se prend les pieds dans un chausson abandonné devant une porte.

Ils se glissent jusqu'à leur couloir, et s'arrêtent devant leurs portes respectives. Louis sent que Harry, tout comme lui, n'a pas envie de mettre fin à leur soirée.

— Est-ce que... Qu'est-ce que tu dirais d'aller te baigner, avant de dormir ?, il propose.

Harry n'hésite pas très longtemps. Il hoche la tête et souffle qu'ils n'ont qu'à se retrouver devant le onsen dans cinq minutes. Louis sourit.

Dans sa chambre minuscule, un futon a été déroulé. Pourtant, il n'y fait pas attention, se dévêtissant rapidement pour enfiler à la place un yukata, plié sur une chaise. Le vêtement de lin est doux et fin sur sa peau. Il sort à nouveau dans le couloir. Harry n'est pas là, et pendant un moment, Louis se dit qu'il ne viendra peut-être pas au onsen. Tant pis. Dans tous les cas, Louis a envie de se baigner après la longue journée qu'il a eu.

(ndla : je me suis dit que vous ne visualisez peut-être pas très bien ce qu'est un onsen (?) donc voilà un exemple ! celui dans lequel va se baigner louis est plus petit. :p) 


Il fait le tour de l'établissement, jusqu'à trouver la porte menant au onsen. Celui-ci donne sur le jardin. Autour du bassin, de hautes verbes poussent dans tous les sens entre de larges pierres plates. De la vapeur s'échappe de l'eau, donnant à l'endroit une atmosphère irréelle. Louis reste un moment immobile, à observer les lueurs douces de la nuit sur le petit jardin, puis il enlève son yukata et se glisse nu dans le onsen. Immédiatement, un nuage épais de chaleur l'envahit. Il sent son corps se délasser, ses muscles s'amollir. Il aime la façon dont la vapeur blanche l'enrobe et le coupe du reste du monde. Il s'appuie contre les pierres, sa nuque reposant sur leur surface froide. Il ferme les yeux. Autour de lui, les suzumushi chantent toujours.

Il n'entend pas les pas d'Harry lorsque celui-ci descend dans le jardin. Il n'entend pas non plus le froissement de son yukata lorsqu'il le laisse tomber au sol, près du sien. Ce n'est que le mouvement de son corps entrant dans l'eau qui l'alerte, et lui fait ouvrir les yeux. Il aperçoit seulement la blancheur de ses jambes, la longueur de son torse. Puis, Harry est près de lui, ses yeux verts comme deux lumières incertaines au milieu du brouillard. Louis sourit et tend les mains. La chaleur ralentit ses mouvements. Il se sent si bien, dans l'eau brûlante. Le monde n'a plus aucun contour. Il n'y a plus de bruit dans sa tête. Seulement ça, les yeux d'Harry et son visage pâle, les boucles humides de ses cheveux comme un halo flou autour de ses joues. Et Louis veut le toucher. Ses mains se posent sur ses joues, son pouce dévale lentement la courbe de sa mâchoire. La peau d'Harry est douce, fraîchement rasée.

Harry s'approche. Son corps en avançant fait de minuscules vagues autour d'eux, des vagues qui soupirent et viennent s'épuiser contre la poitrine de Louis. Lui aussi, avance ses doigts vers le cou de Louis. Il ne le touche qu'à peine. Le mouvement est doux. Louis sent sa paume le frôler. Il sourit dans la brume humide qui les entoure.

— J'ai l'impression que le temps n'a plus aucune substance, ici.

Harry hoche lentement la tête. Il ne lâche pas Louis des yeux, et son regard semble plus profond que la nuit.

— Il n'en a plus.

Leurs voix ne sont qu'un murmure doux. Ils s'enlacent. Tout semble évident, alors. Louis ne pense plus aux six qui les ont séparés. Le monde dans ce bassin d'eau chaude a disparu. Il n'y a qu'eux deux, seuls survivants au milieu d'un univers disparu. Ses doigts redessinent les tempes et les pommettes d'Harry, avant d'aller se perdre dans ses cheveux. Il a envie de gémir, à la simple sensation de toucher à nouveau ses boucles épaisses, d'en sentir la rondeur sous ses doigts. Et le regard immense d'Harry ne le lâche pas. Tous leurs mouvements sont décuplés, dans le silence vaporeux. Tous leurs mouvements semblent être les derniers avant la fin du monde. Pourtant, rien ne vient jamais briser le calme qui les environne.

Lorsque la poitrine d'Harry rencontre la sienne, lorsque leurs jambes s'emmêlent dans l'eau sombre, lorsque les doigts d'Harry se crispent dans sa nuque, lorsque leurs bouches se rencontrent, rien ne change. Les suzumushi chantent. Les grenouilles aussi, dissimulées dans les hautes herbes. La vapeur ne désépaissit pas. Le soleil ne se lève pas. La nuit continue de peindre leurs regards, et Louis retrouve sur la langue d'Harry le goût d'un thé vieux de plusieurs siècles, dont jamais la couleur n'a changé.

Il ressent tout. Il ressent tout comme si toutes ses terminaisons nerveuses n'étaient capables que de réagir au corps d'Harry appuyé contre le sien, comme si son corps s'était vidé de tout ce qui le composait, et attendait seulement que Harry pose ses mains partout pour lui redonner vie. Il ressent tout, et le vertige qui le prend lorsque la cuisse d'Harry se glisse entre ses jambes n'a jamais été aussi fort. Louis frissonne. C'est dans son dos, le long de ses bras, dans son estomac, le long de sa nuque. Une nuée d'étincelles qui parcourent sa peau en quelques secondes, comme celles qui dévorent la mèche d'une bougie.

Harry l'embrasse comme jamais il ne l'a fait auparavant, avec sa langue et ses dents et son souffle qui s'épuise dans celui de Louis. Harry l'embrasse avec ses doigts enroulées autour de sa nuque, avec sa cuisse brûlante le long de son sexe, avec son ventre qui respire contre le sien. Harry l'embrasse les yeux ouverts, et Louis ne voit plus rien d'autre que la profondeur brouillée de son regard vert, que ses cils immenses comme un éventail de soie, que la vapeur blanche déposée le long de ses joues. Harry l'embrasse et Louis sait que jamais de sa vie il ne sera aimé comme à cet instant présent, et peu importe si, lorsque la brume se dissipera, tout s'effacera. Le temps n'a plus de substance. Le monde ne tourne pas. La nuit est infinie. Le silence ne meurt pas.

Ici, dans la chaleur vaporeuse du onsen, Louis se sait être tombé dans un morceau d'éternité.

Lentement, comme ne pour ne rien briser, il laisse ses mains glisser le long du dos de Harry. Celui-ci se creuse délicatement, et Louis redessine de ses doigts la rondeur des petits os de sa colonne vertébrale. Il connait ce corps. Il le connait si bien. Et pourtant, il se rend compte qu'il a changé. Il est plus fin, plus long, plus mince, plus élancé. Au niveau de ses hanches, la chair est plus épaisse, pourtant, et Louis reconnait le corps d'adolescent qu'il embrassait. Il appuie ses mains sur ses fesses, et Harry gémit dans sa bouche. Louis sent son corps entier vibrer, et le baiser se fait plus lent encore.

Est-ce de la sueur ou de la vapeur qui colle le corps d'Harry ? Louis n'en sait rien. Il a envie de passer sa langue partout, sur son torse et son cou. Il a envie de sucer la forme dure de sa pomme d'Adam, mordre un peu le coin coupant de sa mâchoire. Mais les hanches d'Harry bougent lentement contre les siennes, et il se laisse aller, perdu dans la moiteur de leur baiser et dans la friction liquide de leurs sexes.

Tout est lent et intense à la fois, et Louis n'a jamais fait l'amour de cette façon là, comme s'il voulait se fondre entièrement dans le corps de l'autre, comme s'il voulait ne plus jamais respirer. Les lèvres et la langue d'Harry ne se détachent pas des siennes, et il remonte une de ses mains pour pouvoir toucher sa joue, tandis que l'autre appuie sur ses hanches, le rapprochant encore de lui.

Louis sait qu'il va être capable de venir comme ça, sans même qu'Harry le prenne entre ses doigts, sans même qu'il bouge ses hanches plus rapidement. Leurs bassins sont ancrés l'un dans l'autre, presque immobiles et Louis soupire de plaisir. Les lèvres d'Harry glissent soudain, et viennent caresser le bout de son nez. Louis sent sa poitrine se soulever lorsque le jeune homme se met à déposer des baisers lents sur son visage. Il ferme les yeux. Ses doigts s'enfoncent dans les cuisses d'Harry, et il gémit lorsque celui-ci se met à mordiller le lobe de son oreille. Louis a envie de pleurer, incapable de soutenir le flot de sensations qui l'envahit à cet instant. Tout est trop, trop doux et trop lent et trop tendre et peut-être va t-il mourir ici, dans la buée artistique du onsen, entre les bras d'Harry, avec sa langue dévalant le long de son cou.

Louis balance doucement sa tête en arrière, lui laissant l'accès à sa gorge, et Harry y dépose mille baisers, aussi légers que les caresses d'une aile de papillon. Ses hanches se remettent doucement à bouger contre les siennes, cercles lents et appuyés, et Louis sait qu'il commence à sangloter quand les mains de Harry se posent sur sa taille. Il ouvre à nouveau les yeux. Entre les nuages de vapeur, il aperçoit le ciel, immense et sombre. Son corps n'est plus vide. Son corps vibre entièrement, rempli d'une chaleur incandescente qui dévale le long de ses veines. Toute sa peau a l'odeur de celle d'Harry. Dans sa bouche, il n'y a que le goût de sa salive. Et lorsque Harry attrape délicatement son menton entre ses doigts, pour l'embrasser à nouveau, langue humide et chaude, Louis ne peut pas retenir la vague blanche et épaisse de l'orgasme envahir son esprit entier.

Il jouit, le corps secoué de soubresauts lents, et Harry le tient serré entre ses bras, sans jamais arrêter de l'embrasser.

Longtemps après, lorsque Harry sera venu à son tour entre les doigts de Louis, le front appuyé contre le sien, et le souffle au bord des lèvres, ils s'embrasseront sous l'eau. En ressortant, Harry se mettra à rire, un rire léger et heureux. Toute sa peau sera couverte de frissons. Il attrapera la taille de Louis, frottera son nez contre le sien, et soufflera contre ses lèvres :

— Le temps peut se remettre à passer, je n'ai pas peur de lui. 



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notes : 

heya. ♡

Que dire de ce chapitre ? J'ai beaucoup beaucoup aimé l'écrire. Surtout la fin. Je suis très fière du lemon, il est exactement comme ce que j'imaginais dans ma tête. J'espère qu'il vous a plu ? 

Concernant la ville de Kanazawa, elle a l'air très jolie ! Si vous allez au Japon, je vous conseille vraiment de visiter le quartier des geishas comme ce que font H et L. Par contre je ne sais pas si la maison de thé Shima est vraiment ouverte le soir ahah. En plus, c'est une ville très touristique donc ce ne sera pas aussi tranquille que dans le chapitre mais bon, moi j'avais besoin d'une ambiance comme ça. :p 

Merci (comme toujours) pour vos commentaires... Vous me donnez vraiment envie de me surpasser chaque semaine ! 😭 

Amour & thé. 

#CAPfic 


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