-« Plagg, la prochaine fois que tu me mets dans un tel pétrin, je te prive de fromage pendant bien une semaine. » Je réprimande mon kwami.

Alors que mes amis du collège se répartissent les lits pour la nuit, j'ai feint de devoir vérifier la salle de bain pour y déloger Plagg. Heureusement que Marinette ne connait pas l'existence des kwamis, j'aurai pu y laisser mon secret.

-« Tu aurais bien pu rester dans ta chambre avec ton « amie ». » Répond-t-il en levant les yeux au plafond.

-« Je peux savoir ce que tu insinues? »

-« Que je ne savais pas les humains capables d'entretenir deux relations avec deux filles différentes sans être aptes à les garder pour autant.»

Bon, j'avoue que j'ai un peu merdé sur le coup. D'autant plus que je n'étais pas supposé révéler à Marinette ma relation avec Ladybug. Au fond, je me suis juste dit qu'elle pourrait me rendre service pour me rapprocher de ma belle - ce que j'ai obtenu.

-« Quoiqu'il en soit, tu restes sagement ici ce soir. Je ne veux pas apprendre que mes amis ont fait connaissance pendant la nuit avec mon fameux chat qui miaule aussi bien qu'une porte. »

J'ai littéralement failli mourir en l'entendant miauler. Craignant d'attirer la curiosité de mes amis, je ferme la porte de la salle de bain et intime Plagg de se cacher autre part dans la maison et de ne pas en sortir avant demain. Je regagne ma chambre où Nino et Alya ont décidé de déplacer les meubles pour installer mon ordinateur devant le lit.

-« Alors, vous avez décidé pour les chambres? » Je demande en m'asseyant à côté de Marinette.

-« A vrai dire, on t'attendait pour en parler. » Répond Alya, vêtue d'une chemise rentrée dans un pantalon noir taille haute.

Moi? Marinette et moi échangeons un regard surpris. Nino lui ne s'inquiète pas le moins du monde. Nos deux amis au teint bronzé s'installent à l'autre bout du matelas, puis la jeune femme nous fixe, l'air solennel.

-« On voulait vous l'annoncer en premier. Nino et moi sommes en couple depuis peu. »

Eh bah...Ce n'est pas trop tôt j'ai envie de dire!

-« Félicitations à vous deux! » S'écrie Marinette en enlaçant sa meilleure amie.

-« Félicitations. » Je surenchéris à mon tour. « Ce n'est pas comme si on attendait ça depuis plusieurs années. »

-« C'est l'hôpital qui se fout de la charité. » Rétorque Nino en me faisant un signe discret vers Marinette.

Je rigole de bon cœur. Mon meilleur ami m'a confié quelques années auparavant essayer de me rapprocher de Marinette. Une initiative approuvée par Alya d'ailleurs. Malheureusement pour eux, je n'avais pas de vue sur Marinette donc ça n'aurait abouti à rien du tout.

-« Ça ne te dérange pas Mari si je dors avec Nino dans la chambre d'amis? »

-« Bien sûr que non! Je comprends mieux, je prendrai une autre chambre. »

Sur ce, nous décidons de regarder ensemble les premiers épisodes de Black Mirror disponibles sur Netflix, accompagnés de nombreux paquets de chips et autres nourritures malsaines que j'ai piqué dans la cuisine en évitant Nathalie. Depuis que j'enchaîne les shootings photos et les tournages, Nathalie a moins d'emprise sur mes faits et gestes. J'ai ainsi pu découvrir le plaisir de m'empiffrer un nombre incalculable de hamburgers, le même repas aux Etats-Unis. C'est le deuxième meilleur jour de ma vie après celui où j'ai embrassé Ladybug.

Au bout de la troisième heure de visionnage, je me rends compte que la nuit est tombée sur Paris. Nous sommes tous les quatre si hypnotisés par les images à l'écran que je me demande si nous avons changé de place une seule fois en quatre épisodes. Nino maintient Alya couchée dans ses bras. Tous les deux semblent éreintés de la journée et se coucheront probablement à la fin de cet épisode. Marinette est allongée sur le ventre, les bras en avant pour soutenir sa tête. Quant à moi, de simplement assis sur le bord du matelas, je décide d'imiter mon amie aux cheveux bleutés. Alors que le générique défile, je me penche légèrement vers son oreille.

-« Tu étais au courant? » Je lui chuchote.

Marinette secoue doucement la tête.

-« Non, mais je m'en doutais, Alya n'a jamais parlé d'un autre garçon que Nino. »

Je ne peux m'empêcher de trouver cela adorable. Aimer une seule personne depuis le collège est agréable quand on sait que c'est réciproque. Tout le long de l'épisode, je lance des petits regards en direction de mon amie. Parfois, nous nous croisons, nous jaugeons pendant deux secondes avant de relever le visage vers l'écran. Je ne pourrai pas expliquer de quoi parlait l'épisode mais lorsque le générique de fin apparaît. Alya bondit du lit pour prendre sa douche.

-« J'y vais ensuite. » Proclame Nino avant de bailler. « Les cours m'ont tué aujourd'hui. »

A les écouter, on croirait entendre des vieux qui se couchent en même temps que les poules. Soudain, mon téléphone émet un léger son, différent que d'habitude. En réalité, il s'agit d'une alarme provenant d'une application.

-« Excusez-moi. » Je souffle en déguerpissant de ma chambre pour déverrouiller le portable.

Bordel, c'est la police. Des échanges étranges auraient été aperçus près du Pont des Arts. Pas plus d'informations. C'est inquiétant...Mais je ne peux pas partir d'ici sans raison, surtout que ce n'est pas à côté. Peut-être que Ladybug peut y aller sans moi...

-« Mais qu'est-ce que je raconte, elle va avoir besoin de moi! » Je grogne entre mes dents.

-« Adrien? » M'appelle une petite voix fluette dans mon dos.

Ce n'est que Marinette, je m'empresse de verrouiller mon téléphone par sécurité.

-« Oui Marinette? »

-« Je vais prendre un peu l'air, il faut que je passe un coup de fil important. »

J'acquiesce et l'observe s'éloigner en direction des escaliers. En voilà une excuse qui aurait pu me servir à moi aussi. Bon, je perds plus mon temps qu'autre chose là.

-« Nino, je reviens vite, j'ai une petite urgence! »

Mon ami arque un sourcil, étonné du soudain remue-ménage. Je dévale les escaliers à toute allure et franchis la porte d'entrée, cherchant Marinette du regard. Elle n'est pas là.

-« Miaou. »

Par contre, Plagg a reconnu mon alarme lui.

-« Je ne sais pas ce qui se passe mais le temps presse. Plagg, transforme-moi! »

A peine ai-je enfilé mon costume de Chat Noir en cuir que j'étends mon bâton en direction du lieu indiqué par la police. Je ne suis pas surpris lorsque mon accessoire se met à vibrer sous mes griffes. Je me pose sur un doigt et continue en courant.

-« Ladybug? »

Le visage de ma belle s'affiche à l'écran, elle est visiblement en pleine course elle aussi.

-« J'ai reçu l'appel mais je suis un peu loin. On se rejoint au Pont des Arts! »

-« Ça marche, ma Lady! »

Elle raccroche la première. Faites qu'Alya et Nino prennent leur temps pour se doucher et que l'appel de Marinette s'éternise. Comme ça, j'aurai suffisamment d'avance pour revenir sans que personne n'ait noté mon absence.

Le fameux pont rempli de cadenas se profile à l'horizon. Pourtant, rien ne prouve que l'endroit soit le lieu d'échanges d'une quelconque forme. Au contraire, les touristes continuent de le traverser en prenant des photos. Je ralentis la cadence jusqu'au versant de la Seine, histoire que personne ne me remarque. Un long soupir las s'échappe de ma bouche. Ne me dites pas que j'ai parcouru tout ce chemin depuis chez moi pour rien. Je suis sur le point de téléphoner à Ladybug quand celle-ci atterrit quelques mètres devant moi, accrochée à son yo-yo.

-« J'ai gagné. » Je chantonne en marchant jusqu'à elle. « Malheureusement, c'est une fausse alerte, on dirait. »

Elle a l'air autant déçue que moi.

-« Sérieusement? Tu es sûr qu'ils ne se sont pas trompés d'endroit? »

Je hausse les épaules, jouant d'une main avec ma ceinture faisant office de queue.

-« Si nous nous tenons au même endroit, c'est soit le destin, soit que nous avons lu la même adresse. »

Face à moi, elle dépose ses mains sur ses hanches, l'air amusée.

-« Oh ça tombe bien, je ne crois pas au destin! »

Ses yeux moqueurs aspirent les miens. Ma tête me crie de rebrousser chemin pour retourner chez moi mais je me sens inéluctablement attiré par son être. Je réprime ardemment l'envie de la prendre dans mes bras, de plonger mes mains dans sa chevelure et défaire ses couettes pour enrouler ses mèches autour de mes griffes.

-« Bon et bien...Je vais y aller s'il n'y a rien. » Déclare-t-elle en serrant d'une main son yo-yo.

-« Tu es magnifique ce soir. »

Mes paroles ont dépassé mes pensées. Ladybug me dévisage, crispée puis se détend progressivement.

-« Merci Chat Noir. »

Je suis un idiot, elle est mal à l'aise à accepter des compliments venant d'un autre garçon.

-« Désolé. » Je bredouille en me reculant de deux pas.

Le fait que je me ravise la surprend davantage. Elle comble mon recul en s'avançant dans ma direction.

-« Pourquoi tu t'excuses? » Demande-t-elle d'une voix douce et rassurante.

Je baisse mes oreilles de chat, préférant ne pas la regarder dans les yeux pour ne pas craquer.

-« Tu aimes un autre homme et je ne devrais pas t'embêter. Je te trouvais juste...resplendissante ce soir mais ce n'est peut-être pas une bonne idée de le dire. Je dois filer, au revoir Ladybug! »

J'étends mon bâton jusqu'à l'immeuble le plus proche. Il est possible qu'elle m'ait appelé mais je ne l'ai pas entendue, trop occupé à chasser son visage de mon esprit. Pour une fois, j'apprécie le vent frais de la nuit, glissant sur le peu de peau nue qu'offre ma combinaison. A chaque fois que je la vois, je sens mon cœur bondir dans ma poitrine, mes entrailles se serrent, mes griffes trembleraient si je m'arrêtais de bouger.

Sur le chemin du retour, je songe à la veille, aux lèvres de Marinette sur les miennes, à son odeur parfumée emplissant mes narines alors que ses mèches frôlent mon visage. J'ai aimé ces baisers, je les ai voulus. Pourquoi aurai-je continué à l'embrasser si ce n'était pas le cas? Les sensations étaient certes moindres qu'avec Ladybug mais elles étaient plus...Non, je me berne d'illusions.

C'était différent.

Mais j'ai aimé.

Est-ce si mal? Qu'est-ce que je raconte, évidemment que ça l'est. Je ne peux pas aimer deux femmes, même si elles sont à la fois similaires et différentes. Je dois aimer les demoiselles aux cheveux sombres et aux yeux bleus.

Je parviens finalement au manoir. Je m'assure de contourner les fenêtres et de me poser dans le jardin. Un coup d'œil à gauche et à droite, personne en vue? Alors c'est le moment de...

-« Il y a quelqu'un? »

Je sursaute, ce n'est pas passé loin. Caché derrière une haie, je décèle une silhouette longer le manoir. Un intrus? Je grimpe par dessus les plantes et m'avance à pas de chat de ma cible. L'ombre s'efface pour laisser place à un profil féminin, fin, mesurant une tête de moins que moi.

-« Marinette? »

La prétendue intruse s'avance dans la lumière et confirme mes doutes. C'est bel et bien Marinette qui se promenait dans les jardins de la demeure pour une raison inconnue.

-« Chat Noir? Qu'est-ce que tu fais chez Adrien? »

« Mais je suis Adrien. » Ce serait trop beau pour être vrai. Je souris bêtement et me courbe devant elle.

-« Rien de spécial, je me baladais dans les environs à la recherche de personne à aider. Et le destin m'a fait tomber sur toi. »

La jeune femme me toise du regard, ses grands yeux bleus...Mon ventre se serre légèrement, ça recommence. Sans m'en rendre compte, je dévie mon attention de ses yeux pour ses lèvres, tenté de reproduire le dérapage d'hier.

-« Je ne crois pas au destin. » Déclare-t-elle en haussant les épaules.

Les bras croisés sous sa poitrine, je me sens dans une position inconfortable. Il faut que je parte, Alya et Nino nous attendent sûrement à l'intérieur. Je dois trouver un lieu à la fois sûr et dans l'enceinte du manoir pour me détransformer.

-« Tout va bien? » Poursuit-elle...inquiète?

Je déglutis, son visage est faiblement éclairé par la lumière provenant des fenêtres mais ma nyctalopie découvre l'entièreté de sa silhouette. Elle, au contraire, plisse les yeux.

-« Chat Noir? »

Elle répète une nouvelle fois mon nom devant l'absence de réponse. Instinctivement, je m'avance d'un pas dans sa direction puis me ravise et recule aussitôt.

Qu'est-ce que j'étais sur le point de faire?