Prologue
Fin mars
Il y a longtemps que je n'ai pas pris le temps de lire pour le plaisir. Pourtant, il me semble qu'un élément revient toujours : la présence d'un héros. Bienveillant, altruiste, façonné pour incarner un équilibre parfait entre humanité et grandeur d'âme. Mais au final, qu'il sauve le monde ou surmonte un défi personnel, on s'en fout un peu. Ce qui compte dans le fond, c'est qu'il corresponde à ce que les gens attendent d'un héros. C'est ainsi que ça fonctionne dans les bouquins.
Alors que j'attends comme un con après m'être mis à nu, j'aurais aimé que cette image puisse s'appliquer à ma propre vie. Être le « héros » de mon histoire. Être décrit par mes amis, peu nombreux certes, avec ces mots qui évoquent la grandeur d'âme : « Oui, Léonard est sensible, doux, bienveillant, presque une perfection incarnée ». La vérité est tout autre : si je fais le récit de ma vie, je suis celui qui joue le rôle de l'antagoniste. Je suis le méchant. C'est une évidence de plus quand mon ex se lève, exaspéré après ce que je viens de lui sortir ; je veux une seconde chance. Il a beau ne pas me croire, je ne mens pas. Tout ce que je désire, c'est de lui demander de rester là, avec moi, dans ce bar, alors que je sais qu'il n'en éprouve aucune envie. Et le simple fait de nourrir une telle pensée, un truc aussi irréalisable, aussi égoïste, me transforme inévitablement en « vilain ». À ses yeux, c'est tout ce que je représente désormais : le méchant qui l'a fait souffrir au point qu'il me quitte neuf mois plus tôt.
— Cam, attends, insisté-je une dernière fois.
J'enroule mes doigts autour de son poignet et caresse sa peau de mon pouce. Celle-ci est aussi douce que dans mes souvenirs. Durant une seconde, mon cœur se serre face à la nostalgie qui l'étreint. Comme le reste de notre relation, je fais tout de travers avec lui, à commencer par le fait de le toucher alors qu'il est misophobe. Ce soir ne déroge pas à la règle, mais aucune importance, je ne suis plus à une erreur près avec lui.
Bien que mon geste soit innocent, il ne lui plaît visiblement pas. Je le comprends à son visage verrouillé, à ses lèvres pincées. C'est d'ailleurs la seule expression qu'il laisse transparaître en ce moment. Je suis conscient que, si Camille ne me déteste pas, il ne m'aime pas non plus. Il ne m'aime plus. Et ce constat pique toujours autant. Même si je me refuse à l'admettre ou même à le montrer à qui que ce soit.
Mon ex baisse le regard sur mes doigts, mais aucune réaction ne vient. Pas même un tressaillement. Rien. Sur les deux ans qu'a duré notre relation, il lui a fallu huit mois pour passer au-delà de sa phobie des germes avec moi. Ce soir, alors que je tente une dernière fois de m'excuser pour ce qu'il s'est passé, son absence de réponse physique est un énième coup dur à encaisser. Est-ce que cela m'empêche d'essayer de le récupérer quand même ? Absolument pas. Comme je l'ai dit, je ne suis pas le héros ici, et j'assume pleinement mon rôle de connard.
— Pardonne-moi, m'excusé-je. Je me suis laissé emporter par mes émotions. Reste, s'il te plaît. Je désire sincèrement que tu sois heureux.
Je ferai plus d'efforts, je ferai mieux à partir de maintenant, ai-je envie d'ajouter. Je ferai tout pour me rattraper, même si je ne sais pas par où commencer. Malheureusement, Camille n'est pas télépathe et comme d'habitude, je n'ouvre pas la bouche pour révéler le fond de ma pensée. Partager mes sentiments a été, sans aucun doute, un motif de discorde dans toutes mes relations passées.
Dans ses yeux marron, j'aperçois un éclair de pitié qui me file la nausée. Camille, avec son grand cœur et ses vingt-cinq ans, a toujours été le plus mature de nous deux. Ce soir, il fait encore preuve d'assurance alors que je me comporte comme un gamin malgré mes dix-sept années de plus au compteur.
— Alors laisse-moi partir, Léonard, murmure-t-il d'une voix à la fois peinée et suppliante. Arrête de prendre des nouvelles de mes parents, de discuter de notre intimité avec tes collègues ou de me dire de qui je peux tomber amoureux ou non. Si mon bonheur est vraiment ce que tu souhaites, laisse-moi vivre ma vie sans que tu en fasses partie.
Avec une douceur qui lui est propre, il tire sur son bras pour se dégager de mon emprise. Ma main retombe mollement sur la table et je n'entends pas le bruit qu'elle fait lorsqu'elle rencontre le bois. À vrai dire, je n'entends rien de plus que l'écho de ses mots. Tout disparaît.
Laisse-moi vivre ma vie sans que tu en fasses partie.
Un nœud se forme dans le fond de ma gorge, mais pour une fois, j'accepte cet échec et n'essaie pas de retenir mon ex. De le faire revenir. J'ai compris que j'ai perdu la guerre, peut-être même depuis plus longtemps que je le pensais en arrivant ce soir.
Camille récupère sa veste en silence. Lorsqu'il quitte le bar, je l'observe sans bouger. Le frisson qu'il n'arrive pas à réprimer est la dernière chose que je vois avant qu'il disparaisse hors de ma vue. Hors de ma vie. Je reste là, assis à une table au milieu d'inconnus, avec ma bière à demi consommée et mes regrets pour seule compagnie.
Est-ce qu'ils dureront ? Me connaissant, probablement pas. Mais c'est sûrement la claque qu'il me fallait pour enfin accepter que les relations ne sont pas mon truc. Certes, j'aurais aimé être le héros de ma propre histoire parce que tout semble plus facile pour eux. Mais au final, est-ce si grave que je ne le sois pas ? Dans le fond, le rôle du connard antagoniste me convient parfaitement.
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