Chapitre 9 - Léonard
Je pousse la porte de la véranda de la maison de mes parents, un verre de vin blanc à la main et Love sur mes talons. La météo reste maussade, même si quelques rayons de soleil parviennent à percer la barrière des nuages en projetant des éclats timides dans la pièce. Après m'être installé sur un des canapés, ma chienne se couche à mes pieds. Je caresse sa tête pour la féliciter de sa tranquillité. La longue balade, ce matin, doit avoir aidé à la fatiguer.
L'air embaume le sauté de veau que ma mère est en train de cuisiner, ce qui m'arrache un sourire nostalgique. C'est sa recette préférée lorsqu'elle reçoit et cela me ramène involontairement à mon enfance, à une époque où tout était plus simple pour tout le monde. Au loin, j'entends mon père crier qu'il part acheter du pain. Quelques instants plus tard, le bruit du moteur de sa voiture s'éloigne dans la cour. La même routine, jour après jour, année après année.
Je prends un moment pour apprécier l'ambiance qui contraste avec le rythme effréné de l'hôpital ces derniers jours. Par chance, je suis en congé aujourd'hui. Bien que je n'avais pas prévu de venir déjeuner ici, je suis finalement content d'avoir accepté l'invitation de ma mère. Les meubles en bois massif, la déco vieillotte, l'odeur du repas qui mijote : en fin de compte, tout cela m'apporte un certain réconfort. Un plongeon dans le passé pour un changement d'air bienvenu en milieu de semaine.
— Léonard ! Tu peux mettre la table, s'il te plaît ? s'exclame ma mère depuis la cuisine. J'ai tout préparé dans la salle à manger.
— Déjà fait ! lui indiqué-je.
Comme pour mon père et son pain, dresser la table est une routine que j'ai prise au fil des ans. Quand nous étions petits, Laura débarrassait et Léandre s'occupait de sortir les poubelles. Trente ans et des poussières plus tard, on dirait bien que rien n'a vraiment changé... ce qui est un peu déprimant maintenant que j'y pense.
— Ah, et ta sœur est censée venir, ajoute-t-elle d'un ton faussement désinvolte. Tu peux l'appeler pour lui demander à quelle heure elle arrive ?
Comme si je n'avais pas déjà deviné la présence d'un invité surprise en mettant quatre assiettes au lieu de trois. Au moins, c'est quelqu'un que j'apprécie. En plus, je n'ai pas vu Laura en chair et en os depuis quelque temps, alors c'est l'occasion. Le seul bémol, c'est qu'elle risque de rejouer le rôle de la conscience plus tôt que je ne l'avais prévu. Tout ça à cause de mes réponses moqueuses chaque fois qu'elle m'envoie un texto. Ce doit être le karma.
— Super... marmonné-je pour moi-même.
Puisque je ne peux rien faire à ce propos, je croise les doigts pour que la vie remplie de ma sœur lui fasse oublier le sujet des excuses pour aujourd'hui. Je lui envoie un message pour lui demander son heure d'arrivée, message auquel elle ne répond pas. Conclusion : elle est en chemin. Et voilà. Maintenant, laissez-moi siroter mon vin en paix.
Je m'enfonce plus loin dans le canapé et commence à savourer mon verre. Une fine pluie se met à tomber contre les carreaux de la véranda et apporte avec elle une odeur de terre. L'harmonie est néanmoins de courte durée. Quinze minutes plus tard, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir avec fracas. Ça, ce n'est pas mon père. Laura ne sait décidément pas être discrète quand elle arrive quelque part.
— Salut la compagnie ! lance-t-elle d'une voix enjouée.
Elle dépose son sac et un autre objet non identifié faisant un bruit étrange dans l'entrée, salue notre mère dans la cuisine, discute avec elle deux minutes, puis surgit dans la véranda comme une tornade, un verre de vin à la main. Cela me fait sourire intérieurement ; on se ressemble bien plus qu'on veut l'admettre, elle et moi. Cependant, je feins l'insouciance, levant à peine les yeux vers elle. Laura, habituée à mes simagrées après quarante ans, se penche pour me claquer une bise sonore avant de se laisser tomber à côté de moi. De sa main libre, elle tapote la tête de ma chienne avec affection, son visage tourné vers moi :
— Je ne savais pas que tu venais ce midi.
— Moi non plus, jusqu'à ce que maman m'appelle ce matin, répliqué-je.
— Elle t'a enfin fait céder. Le sauté de veau, je suppose ?
— Le sauté de veau, confirmé-je en rigolant.
Elle laisse échapper un rire elle aussi, suffisamment fort pour que ma chienne redresse les oreilles avant de réaliser que ce n'est pas le signal pour une friandise.
— C'est vrai que sa recette est excellente. En tout cas, ça me fait plaisir de te voir autrement qu'à travers un écran. Quoi de neuf depuis lundi dernier ?
Je sens déjà venir la suite. Laura n'a jamais été subtile — ce foutu trait de famille qu'on partage —, et on connait tous les deux le sujet qu'elle meurt d'envie d'aborder. Elle ne va pas pouvoir s'en empêcher. Alors pour retarder l'inévitable question, je dévie aussitôt sur ses enfants. Ça marche toujours avec les parents.
— Où sont tes monstres ?
S'ils avaient été là, je les aurais déjà entendus courir et crier à travers la maison. Laura, capable de faire autant de bruit en arrivant seule, a clairement transmis ce talent maudit à ses enfants.
— On est mercredi.
— Et ?
Elle secoue la tête avec un soupir, avant de boire une gorgée de vin.
— Et alors ils sont au foot et à la natation, répond-elle comme une évidence.
Mais elle ne développe pas plus. Ma sœur est trop tenace pour se faire prendre aussi facilement par mon hameçon. Fais chier. Elle m'observe avec un sourire neutre et une étincelle malicieuse dans le regard. Son visage annonce qu'elle ne va pas lâcher l'affaire. Je la vois venir de loin, pourtant, elle m'assène sa question avant que je n'aie pu trouver un autre sujet qui l'intéresse assez pour faire diversion.
— Léo, mon petit Léo... Tu as revu le gars que tu avais engueulé injustement ? lance-t-elle, beaucoup trop satisfaite d'elle-même. Tu sais, ton nouveau meilleur ami à qui tu fais des tresses. Celui à qui tu as composé un poème d'excuses et qui t'a dit que c'était la plus belle chose qu'il ait jamais entendue.
Je soupire, résigné. Je sais très bien où cette conversation va nous mener : une embrouille. Mon seul espoir réside dans le retour rapide de notre père avec le pain. Une fois à table, Laura n'osera pas poursuivre devant nos parents. On a beau se chamailler comme des gamins, elle ne me jetterait pas sous le bus pour autant. On se taquine, mais je reste son grand frère, et elle, ma petite sœur.
— Ouais, je lui ai dit « désolé » en morse. Mais je crois qu'il a compris « je déteste les brocolis ». Du coup, ça reste un peu tendu, tenté-je avec un sérieux redoutable.
Laura pousse mon épaule si fort qu'une goutte de mon vin tombe sur mon jean.
— Eh !
— Rappelle-moi, c'était avant ou après que vous « scelliez votre amitié avec un tatouage commun sur la fesse droite » ? se moque-t-elle en mimant des guillemets exagérés pour me citer.
Je lève un sourcil, impressionné par sa mémoire. Jusqu'à présent, elle a retenu toutes mes excuses bidon avec une précision redoutable.
— J'étais vraiment inspiré pour celle-là, concédé-je en haussant les épaules.
— Inspiré ou juste crédible ? Franchement, avec toi, on pourrait croire à toutes ces conneries.
Je m'arrête, mon verre suspendu à mi-chemin de mes lèvres. Elle n'a pas tort. Une part de moi sait très bien que « ces conneries » ont trop souvent été vraies par le passé pour être simplement des blagues aujourd'hui. Je suis parfaitement capable de proposer une folie comme un tatouage commun, juste pour éviter un moment de vulnérabilité. C'est mon mécanisme de défense. Détourner l'attention, utiliser le sarcasme avant qu'on puisse trop creuser.
— Si on veut, finis-je par révéler. On est allés boire un verre vendredi, mais il a dû partir à peine vingt minutes après être arrivé. Donc non, je ne me suis pas excusé verbalement, mais j'ai payé sa bière. On est quittes.
Ça fait cinq jours que je ressasse l'affaire. Après une trop longue réflexion, je me suis dit que régler l'addition équivalait à des excuses implicites. Pas besoin de plus. J'ai fait une connerie, j'ai payé un verre, fin de l'histoire. C'est pour cette raison que la manière dont Laura ramène le sujet sur le tapis me blase. À mes yeux, c'est terminé. Il n'y a plus rien à en dire.
Mais quand je tourne la tête vers elle, un pli barre son front. Son cerveau carbure de toute évidence à mille à l'heure, ce qui me fait hausser un sourcil. Qu'est-ce qu'elle va trouver encore pour me rendre dingue ? C'est sa spécialité.
— Attends... un verre ? répète-t-elle, avant d'éclater de rire. Je ne pige pas bien. C'était pour t'excuser, ça, ou bien un rendez-vous parce qu'il te plaît ?
Je me redresse, piqué par la suggestion. Émilien et moi ? Un rendez-vous ? Ah ! L'idée me paraît tellement absurde que je suis obligé de réagir.
— Ce n'était pas un rendez-vous.
Une remarque cinglante me monte à la gorge, prête à exploser, mais je l'étouffe en inspirant profondément. Rebondir serait admettre que la question me touche plus que je ne le voudrais. En optant pour l'indifférence, je garde le contrôle de la situation.
— Juste une façon de clore l'affaire, rien de plus.
— Mais tu ne me contredis pas sur le fait qu'il te plaise, me nargue-t-elle.
Mes efforts de paix s'envolent. L'agacement me fait serrer la mâchoire et je la foudroie du regard. Je ne rentrerai pas dans son jeu.
— Oh la la, monsieur est vexé ! ricane-t-elle, sa main libre en l'air.
— Absolument pas. On est quittes, donc pas besoin de se revoir vendredi. Maintenant, arrête. Je n'ai plus envie d'en parler.
Dès que les mots franchissent mes lèvres, je réalise mon erreur. Mon nez se fronce. Pourquoi je ne sais pas la boucler quand il faut ? Les yeux de Laura s'écarquillent et sa bouche s'ouvre sous la surprise. Je suis trop con parfois. J'entends la cloche d'alarme retentir dans ma tête. Pourtant... rien ne vient. À ma plus grande surprise, ma sœur se gratte simplement la joue avant de se lever du canapé.
— Tu as raison, vous êtes quittes, annonce-t-elle, comme si de rien n'était.
Je relâche mon souffle, que je ne savais même pas être en train de retenir. Au même instant, le bruit familier de la porte d'entrée retentit, signalant le retour de notre père. La délivrance est arrivée. Tant mieux, car je ne sais que penser de son attitude, elle qui adore pourtant me torturer dès que l'occasion se présente.
— Léonard ! Laura ! nous appelle notre mère depuis la cuisine.
— On arrive ! répond-elle.
Elle termine son verre cul sec pendant que je me lève à mon tour. Mais à peine ai-je fait quelques pas en direction de la salle à manger qu'une réplique fuse dans mon dos :
— De toute façon, on sait tous les deux que tu n'aurais jamais eu le cran d'y retourner vendredi si ce gars te plaît vraiment.
Je me retourne vers elle, à peine impressionné par sa tentative de me pousser à bout. Elle m'a eu une fois, pas deux.
— Quoi ? Tu essaies de faire de la psychologie inversée maintenant ? J'ai passé l'âge de ces conneries.
Elle éclate de rire, ce rire cristallin qui a le don de me faire bouillir en deux secondes depuis l'adolescence. Elle le sait et en joue. Je croise les bras, un pli irrité marquant mon front, tandis que je marmonne dans ma barbe qu'elle est toujours aussi insupportable. Mais bien sûr, cela ne fait qu'amplifier son hilarité.
— Allez, arrête de bouder, plaisante-t-elle en me tapotant l'épaule. C'était une blague, tu fais bien ce que tu veux. Ce n'est pas de ma faute si tu réagis toujours au quart de tour. C'est presque trop facile à force.
Elle me dépasse, un sourire d'excuses aux lèvres, et je secoue la tête, exaspéré.
— Je ne boude pas, ton humour est juste nul, grommelé-je avant de la suivre d'un pas traînant.
— Ça nous fait un point commun !
Ma mère arrive alors de la cuisine, portant un plat fumant. Mon père, déjà installé au bout de la table, est en train de découper le pain avec une précision quasi militaire. Chaque tranche tombe avec un bruit sec dans le panier en osier.
À table, tout semble bien commencer. Le veau est délicieux, comme toujours, et l'ambiance se détend petit à petit. Ma mère partage des nouvelles de la famille éloignée, mon père glisse quelques commentaires laconiques sur la politique actuelle du pays. Comme d'habitude, ses interventions sont brèves et ponctuées de silence. Il n'a jamais été du genre loquace. Ma sœur nous parle de problèmes avec son voisin et je mentionne quelques anecdotes sans intérêt à mes yeux. Un repas on ne peut plus classique.
Malheureusement, l'ambiance sereine ne perdure pas. Lorsque nous attaquons le dessert, une seule phrase suffit pour rompre la monotonie qui s'était créée.
— Au fait les enfants, vous êtes au courant pour Léandre ? s'enquiert notre mère avec un enthousiasme rayonnant. Il va être promu ! C'est tellement mérité, vous savez comme il bosse dur depuis Noël.
Laura et moi échangeons un regard de connivence. Parce que nous, on se tourne les pouces peut-être ? Peu importe. Nous savons tous les deux ce qui va suivre : l'éloge complet de la vie parfaite de notre frère ainé. L'enfant modèle qui ne crée pas de problèmes et à qui tout réussi. À force, ce n'est même plus fatigant, seulement lassant.
— Il m'en a parlé, ouais, confirme ma sœur d'un ton décontracté. On s'est appelé ce weekend. C'est chouette pour lui et Annie.
Elle joue le jeu sans avoir besoin de se forcer. Laura, en tant que benjamine de la fratrie, est bien plus sociale que moi. Je ne fais pas autant d'efforts qu'elle. J'ai aussi reçu un message de Léandre, mais je me fous de savoir s'il monte encore un échelon dans sa boîte. Tant que tout le monde va bien, le reste me passe au-dessus.
— Oh oui, et c'est super pour les filles aussi, reprend ma mère, incapable de s'arrêter maintenant qu'elle a été encouragée à poursuivre. Olivia et Dalia vont pouvoir commencer le piano, elles en parlent depuis des semaines. Et pour Julia, elle n'aura pas à s'inquiéter de quoi que ce soit quand elle entrera en prépa l'année prochaine.
Je lève les yeux au ciel. C'était déjà le cas avant la promotion, mais bon, ma mère a tendance à retenir ce qui l'arrange. Laura profite de l'occasion pour vanter les exploits récents de ses propres enfants, une habitude bien ancrée dans la dynamique familiale. Et après, on s'étonne que je ne vienne pas leur rendre visite plus souvent.
— Nathan a gagné sa première compétition de natation, et Enzo s'est pris d'affection pour le chat du voisin, blablate-t-elle. Il dévore des livres sur les animaux pour apprendre à bien s'occuper de lui. Un vrai petit vétérinaire en herbe, je vous jure.
Ma mère hoche la tête, le regard pétillant, comblée par le simple fait que la conversation mette en lumière ses petits-enfants. Ils sont sa plus grande joie, sa fierté incontestable. Ironiquement, cette même étincelle n'a jamais brillé pour ses propres enfants. Même Léandre, l'enfant modèle, n'a jamais suscité autant d'enthousiasme dans notre jeunesse, ce qui est dire.
— Préviens-moi pour la prochaine compétition de Nathan, j'aimerais venir.
Laura acquiesce, tout sourire. Puis, comme je m'y attendais depuis mon arrivée, ma mère tourne son attention vers moi, me rappelant plus ou moins subtilement que je ne suis pas mon frère.
— Et toi, Léonard, il y a du neuf dans ta vie, ou tout roule comme d'habitude ?
Je sens la tension grimper en moi malgré mes efforts pour la contenir. C'est toujours la même rengaine. Qu'est-ce que je suis censé dire ? Je n'ai pas d'enfants prodiges à exhiber. Niveau promotion, ça ne marche pas comme pour Léandre. Donc oui, tout est toujours « comme d'habitude ». Fidèle à moi-même, je m'abrite derrière l'ironie.
— Eh bien, Love a réussi à ne pas manger de trucs crevés depuis deux semaines, lancé-je après avoir avalé ma dernière part de tarte aux pommes. J'ai bon espoir de la faire arrêter.
La langue de ma mère claque contre son palais, clairement exaspérée par ma réponse qui ne la satisfait pas. En toute sincérité, je ne sais pas ce qu'elle attend de moi quand elle me pose ce type de questions. Si j'avais eu quelque chose à leur annoncer, je l'aurais déjà fait. Ils restent ma famille.
— Tu essaies toujours de faire le malin. Pourquoi tu ne prends jamais rien au sérieux ? soupire-t-elle. Prends un peu exemple sur ton frère ou ta sœur.
Je sens la colère monter d'un cran, mais je tente de la maitriser. Ce n'est pas la première fois qu'on me fait ce genre de remarque. J'y suis habitué. Mais aujourd'hui, je suis déjà sur les nerfs à cause de la « blague » de Laura et du stress en général. Je n'ai pas envie de jouer les diplomates tout l'après-midi.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise, hein ? m'entends-je répondre d'un ton plat. Je n'ai ni enfants ni copain, mon boulot ne vous intéresse pas, mes dernières vacances remontent à plus d'un an et j'ai fini tous les travaux de la maison. On a vite fait le tour des sujets potentiels de ta liste. Tu veux peut-être savoir à quelle heure je vais pisser peut-être ?
— Léonard, intervient mon père. Langage.
Je l'ignore. De ses deux fils, j'ai toujours été le plus rebelle et il le sait. Je me rends compte que je suis allé trop loin, trop vite, mais je ne peux plus faire marche arrière maintenant. Autant assumer jusqu'au bout. Ma mère me fixe, choquée par mon ton sec et mes mots crus.
— Ce n'est pas que ton boulot ne nous intéresse pas, reprend-elle durement. C'est juste que tu entres toujours dans les détails dégoûtants exprès, alors que tu sais que ça me met mal à l'aise.
Je me redresse dans ma chaise, indigné. C'est arrivé une fois, pendant mes études. J'étais encore un petit con externe qui ne connaissait rien, et le cas sur lequel je travaillais était incroyablement intéressant à mes yeux. Quand j'ai vu les réactions de ma famille, j'ai rapidement compris que ce n'était pas pour eux et j'ai arrêté. Deux décennies ont passé depuis mes études, mais il faut croire que le temps n'efface pas tout. Hors de question que je lui rappelle que c'était il y a vingt ans cependant.
— C'est juste la réalité de mon quotidien, c'est comme ça, c'est tout ! J'ouvre des ventres, et je recouds des organes. Le problème, c'est que tu es tellement obsédée par ton fils parfait que tu ne te soucies pas du reste. Tu te rappelles que Laura a eu une promotion elle aussi ? Elles étaient où tes félicitations l'année dernière ? Cachées derrière tes remarques sur son divorce ?
Je vois la surprise passer sur son visage. Mon père reste silencieux, comme toujours quand il sait qu'il n'arrivera pas à me faire taire. Je me demande bien d'où je tiens mon entêtement, car ce n'est clairement pas de lui.
Laura ne dit rien non plus, mais je sens son regard sur moi, un mélange de compassion et de tristesse. Ma mère ouvre la bouche pour répliquer, mais je n'ai plus envie d'entendre quoi que ce soit. Quand je me lève, ma chaise racle sur le sol en carrelage.
— Léonard... tente ma sœur, mais je l'ignore.
— J'ai assez entendu pour aujourd'hui. Merci pour le repas. C'était très bon.
Je sens les regards de ma famille alors que je me dirige vers l'entrée. Love me suit sans un bruit, la queue basse, sentant probablement ma colère. Je sors mes clés de voiture de ma poche de pantalon, enfile ma veste et mes chaussures en deux temps trois mouvements puis quitte la maison de mes parents.
Le claquement de la porte fait vibrer l'air derrière moi, mais je n'y prête pas attention. J'inspire profondément afin de chasser la tension qui m'oppresse. Ma chienne me regarde, ses grands yeux bruns pleins de loyauté, comme si elle comprenait tout ce qui vient de se passer. Un sourire amer m'échappe en la caressant.
— C'est rien. Tu veux retourner te promener ?
Elle a l'air partante, ce qui n'est pas étonnant. Après avoir attaché Love à l'arrière, je monte en voiture, allume le moteur et prends la route, laissant derrière moi la maison avec le même goût de déception ambulante que je ressens trop souvent quand je viens ici. Mon téléphone vibre, sûrement un message de ma sœur pour me demander de revenir, mais je ne le regarde pas. Je ne sais pas quoi lui répondre de toute façon, hormis le fait que je suis fatigué d'entendre les mêmes reproches année après année.
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