Chapitre 16 - Léonard
Clément foutu Aubert. Le nouveau mec de mon ex. Non que j'ai une dent contre lui. À vrai dire, je m'en fiche pas mal, et je suis content que Camille soit passé à autre chose. Il avait raison, on n'était pas fait pour rester ensemble. Trop différents. Il est la bonté incarnée et moi, je suis... eh bien, moi. Mais de là à devoir me taper son copain hyperactif dans mon service toute la nuit ? Ouais, non merci. Je passe mon tour.
— Alors ? me balance Sarah, sur le départ.
Assis derrière mon bureau, je lève à peine les yeux vers elle. Je sais qu'elle n'y est pour rien, mais je la blâme un peu pour son enthousiasme malsain. Elle est bien trop heureuse de savoir que Camille va « forcément apprendre que je suis passé à autre chose moi aussi ». Ses paroles, pas les miennes. À mes yeux, il le savait déjà plutôt bien quand on s'est revus il y a trois mois, mais bon, une petite partie de moi est quand même fière qu'elle m'accorde un soutien indéfaillible.
— Je ne sais pas de quoi tu parles, éludé-je, sachant très bien de quoi elle parle en réalité.
Ce foutu suçon mal placé. Tout ça, c'est la faute d'Émilien Payet. Quelle idée de se prendre pour un vampire assoiffé aussi ! À tous les coups, il l'a fait exprès pour me faire chier. Dès que je suis retourné à ma voiture hier, j'ai sauté sur le miroir de mon pare-soleil. Il n'y a pas de doute, je ne peux pas faire passer cette monstruosité pour une piqûre de moustique. Pile à la limite de mon col de blouse se trouve la preuve de ce qu'il s'est passé entre Émilien et moi. En hiver, j'aurais pu m'en sortir avec un col roulé, mais avec la chaleur actuelle, ce serait ridicule.
Malgré les ennuis que ça a pu me créer aujourd'hui — ce que les gens en pensent, je m'en fous, mais ça n'est pas professionnel pour autant — je ne regrette rien. Quand je lui ai dit que c'était fun hier matin, je n'ai pas menti. Ça l'était. Et terriblement sexy aussi.
Avant que mon esprit ne dérive trop et ne se mette à envisager de recommencer, je hausse un sourcil en direction de Sarah, qui ricane toute seule.
— Tu ne l'as vraiment pas croisé ?
— Ton silence ? Non, malheureusement.
Sarah comprend que je ne vais pas lâcher l'affaire et abandonne. J'ai eu de la chance d'être en commission PMA tout l'après-midi, ce qui m'a évité de croiser Clément, au plus grand regret de Sarah apparemment. Cela ne l'empêche pas de me faire chier avec son autre sujet favori :
— Ton suçon est encore plus moche qu'hier. C'est tes patientes qui ont dû être déçues en te voyant aujourd'hui.
— Tu ne vas pas recommencer avec ça. Je ne donnerai pas mon sperme !
Ma voix a probablement été plus forte que prévu, car j'entends des pas s'arrêter net dans le couloir avant de reprendre précipitamment. Fuite ou hésitation, peu importe, je m'en fous.
Accoudée à mon bureau, elle lève sa main pour déplacer un stylo puis hausse les épaules.
— Non, je me suis fait une raison là-dessus, répond-elle d'un ton égal. Je voulais juste souligner le fait qu'on ne peut pas passer à côté, c'est tout.
— Et ça te fait un peu trop plaisir, je trouve.
— Évidemment que ça me fait plaisir, réplique Sarah en tapotant le bureau avec mon stylo. Toi, monsieur Misanthrope, regarde un peu : quelqu'un t'a apprécié suffisamment pour passer la nuit avec toi. C'est presque touchant, non ?
— Qu'est-ce qui te fait croire qu'on a eu le temps de parler ? éludé-je.
— Ah oui, pardon, répond-elle en feignant une réflexion profonde. C'est vrai qu'avec une marque pareille, ça a dû être compliqué de placer deux mots entre vos démonstrations de talent buccal.
Elle m'adresse son fameux regard sérieux, celui qui ferait frémir n'importe qui. Moi, il me fait rire. Je secoue la tête, ravi de la distraction qu'elle vient de m'offrir, même si celle-ci est temporaire.
— Bref ! s'exclame-t-elle. Sur ce, j'ai un fils à nourrir, moi. Bonne soirée, et bon courage avec Clément !
— À demain. Et ramène le petit-déj' pour te faire pardonner ! lui lancé-je avant qu'elle ne passe la porte.
Pour toute réponse, elle me gratifie d'un doigt d'honneur par-dessus son épaule.
Les derniers patients s'enchaînent jusqu'à ce que, enfin, mon emploi du temps se vide. En jetant un coup d'œil à ma montre, je découvre qu'il est plus tard que je ne le pensais. Parfait. Ça me laisse le temps d'aller manger avant d'attaquer officiellement ma nuit. De toute manière, à moins d'une urgence vitale que le reste du personnel ne peut pas gérer, je ne suis pas indispensable.
Je mange tout de même rapidement, par habitude, laissant mes pensées s'égarer vers mon week-end à venir. Rien de prévu, et c'est exactement comme ça que je l'aime. Une fois mon plateau déposé et mes mains lavées, je me dirige vers le bureau d'accueil pour m'assurer que tout est sous contrôle.
En arrivant, je remarque qu'il n'y a pas grand monde ce soir. Une infirmière parle au téléphone, sa voix basse remplissant à peine l'espace, tandis que deux sages-femmes discutent près des portes. Pas de trace de mon interne. Probablement en train de faire une ronde quelque part ou un bilan d'entrée.
Alors que j'envisage d'aller le trouver, une silhouette assise à l'autre bout de la pièce attire mon attention. La chaise pivote, et je me retrouve face à un sourire rayonnant. Trop rayonnant pour cette heure-là. Mon envie de faire demi-tour est immédiate.
Clément foutu Aubert.
— Bonsoir docteur Royer ! Je suis...
— Je sais qui tu es, le coupé-je. C'est non.
Mes yeux roulent déjà alors que je tourne les talons pour repartir d'où je viens. Mais bien sûr, comme je m'y attendais, l'externe que j'ai le moins envie de croiser se lève et trottine derrière moi pour me rattraper. Quelle ironie que ce soit justement lui qui se trouve sur ma garde ce soir. Le karma doit être en pleine crise de rire. Au moins, l'autre idiot ne fait que marcher à mes côtés. Peut-être qu'il cherche l'interne, lui aussi.
— C'est fou comme vous ressemblez à un acteur d'Hollywood quand même, balance-t-il avec une énergie qui me fatigue d'avance. Trésor ne veut pas le reconnaître, mais c'est encore plus flagrant de près.
— Qu'est-ce que tu racontes ? grincé-je, déjà blasé. Quel trésor ?
Il sifflote d'un air innocent, les mains dans les poches, comme si ça allait effacer l'absurdité de sa déclaration. Pourquoi je demande, de toute façon ? Je m'en fous.
— Rien, répond-il, un sourire optimiste collé sur le visage. Mais si vous êtes sérieux avec cette histoire de don de sperme, vous devriez vraiment y aller.
Hein ? Mon cerveau gèle une seconde, tentant de décrypter le lien tordu entre cette remarque et les stars d'Hollywood. Puis ça fait tilt. La seule raison pour laquelle il déballe un tel ramassis de conneries, c'est s'il était présent dans le couloir tout à l'heure, quand Sarah est passée me dire au revoir.
— C'est toi qui traînais devant mon bureau il y a trois heures ? demandé-je avec un soupçon de menace dans la voix.
Clément hausse les épaules, l'air de rien, et je décide de ne pas insister. L'ignorer. Plus simple. Plus efficace. Plus sain.
— Vos enfants... qui ne seraient pas les vôtres, bien sûr, se corrige-t-il sans même ralentir. Disons votre descendance ? Bref, ils partiraient avec une bonne base. Après, je ne sais pas, vous avez peut-être des gènes récessifs ? J'ai toujours bien aimé la génétique, même si je préfère la réa, ou la pédiatrie. Les urgences aussi. Enfin, tout ce qui est un peu intense, quoi.
Oh mon Dieu.
Je n'arrive pas à croire que je vais devoir le supporter toute la nuit. Enfin, techniquement, c'est l'interne qui va se le coltiner, mais par principe. Rien qu'entendre sa voix me donne envie de vérifier si mes tympans fonctionnent encore. Chaque mot qui sort de sa bouche me donne envie de l'enfermer dans un placard.
Je m'arrête et me tourne vers cet énergumène hyperactif. Est-ce que ce serait mal de le bâillonner ? Oui, clairement. Mais bon sang, ce que ça ferait du bien à mes oreilles !
— Qu'est-ce que tu fous là ?
— Votre externe est malade, explique-t-il. La pauvre, elle avait quarante de fièvre quand elle m'a dit ça hier matin.
— Et ? On ne remplace pas les externes malades d'habitude.
— Je sais, mais vu que vous aviez une place vacante, je me suis porté volontaire. Mes résultats de concours arrivent bientôt et je veux être sûr de faire le bon choix. Si ça se trouve, je vais choisir l'obstétrique, comme vous.
Par pitié, non. Impossible que je parvienne à tenir six ans avec un interne aussi bavard que lui. Je soupire en accélérant vers mon bureau, comme si je pouvais le semer dans les couloirs.
— Quelle chance que tu aies été dispo, raillé-je. Ne tue personne.
Je claque la porte derrière moi sans attendre de réponse et pars m'effondrer dans mon fauteuil. Enfin un semblant de tranquillité. Le stylo déplacé par Sarah un peu plus tôt traîne à la même place sur mon bureau. Je le fais tourner entre mes doigts et le bruit régulier finit de m'apaiser. Ce répit est néanmoins de courte durée. Après un coup contre la porte, la poignée glisse, et je retiens un juron. Clément, l'incarnation du culot, s'invite à l'intérieur de la pièce puis tire la chaise en face de moi.
— Ça va, je ne te dérange pas trop ? l'apostrophé-je.
— Non, non, ne vous inquiétez pas.
Son audace me laisse sans voix. Je le fixe, les sourcils froncés, alors qu'il croise les jambes, puis laisse tomber mon stylo sur le bureau dans un claquement sec, sans dissimuler mon agacement. Mes avant-bras appuyés sur le bord, je plante mes yeux dans son regard vert. Un avertissement clair de mon humeur actuelle qu'il ferait bien de ne pas ignorer.
— Au risque de me répéter : qu'est-ce que tu fous là ? lancé-je.
— Là, dans votre bureau ? C'est pas évident ?
L'insolence tranquille qui émane de lui me prend à nouveau de court. Je serre la mâchoire, me contentant de le fixer, le regard dur. Pas de réponse, pas de mouvement. Juste un silence menaçant. Il va bien finir par comprendre.
— Je pensais qu'on pourrait discuter, reprend-il comme si ma patience n'était pas déjà en miettes, mettre les choses à plat entre nous, histoire de passer une nuit tranquille. Je sais que ça doit être bizarre pour vous, mais ça n'a pas à l'être.
Je pince l'arête de mon nez, cherchant un soupçon de self-control. Bon sang. Comment Camille peut-il supporter un tel moulin à paroles ? Cinq minutes à ses côtés, et j'ai envie de lui mettre du ruban adhésif sur la bouche.
— Ça ne l'est pas, répliqué-je froidement. Maintenant, retourne bosser.
— Mais il n'y a personne en ce moment. Tout est calme.
— Et bien va retrouver l'interne, qui qu'il soit, et faites une ronde. Remplis des dossiers. Je ne sais pas. Tant que ça ne m'implique pas.
— Pierre ? Oui, je pourrais, mais il...
— Aubert, le menacé-je. Tu sors.
Il lève les mains en signe de capitulation, son sourire effronté vacillant légèrement. L'ombre de mon expression suffit à briser son entêtement. Clément se lève, le pas traînant, mais sans oser protester davantage. Sans un mot de plus, il quitte la pièce, ses épaules affaissées et ses yeux affichant une touche de déception, comme un chiot qu'on aurait repoussé.
Je ne ressens aucune compassion. Pas ce soir. Même ses fossettes n'ont aucun effet. Je suis son supérieur, et la patience ne fait pas partie du programme.
Après son départ, je prends une profonde inspiration, laissant la quiétude de la pièce apaiser mes nerfs. Mon regard s'attarde sur le stylo abandonné avant de se détourner vers mon portable. Non, m'intimé-je. Je ne sais déjà pas quoi écrire à Émilien sans que ça ne ressemble à un reproche pour son foutu suçon. Alors, si je cède dans cet état d'esprit, ça risque d'être un désastre. Il peut attendre. Ou mieux, il n'a qu'à commencer, tiens ! Je ne suis pas le seul à pouvoir envoyer des messages.
Je balaie donc quelques emails à la place, et vérifie mes chirurgies à venir, avant de m'étirer, les bras tendus au-dessus de ma tête. Ma montre indique presque vingt-trois heures. Je passe voir l'interne, Pierre donc, qui gère une nouvelle entrée. Puisque tout fonctionne dans une mécanique bien huilée, je pars me coucher. Hormis un cri de douleur pour un accouchement en cours, les couloirs sont silencieux, le rythme nocturne de l'hôpital s'étant mis en place.
Lorsque j'atteins la salle de garde réservée aux médecins, je m'effondre sur le lit avec un soupir. Je récupère mon portable dans la poche de ma blouse pour jeter un dernier coup d'œil à l'écran. Rien. Une frustration sourde s'installe, mais je me force à l'écarter. Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, non ?
Je repose l'appareil sur la table de chevet, le regard fixé dans le vide. Un jour n'est pas si long. Peut-être que j'aurais dû écrire en premier finalement... Mes paupières deviennent lourdes malgré moi, et l'épuisement finit par m'emporter avant que je puisse me perdre davantage dans mes pensées.
J'ai l'impression de dormir depuis cinq minutes lorsqu'un bruit strident me réveille en sursaut. Je me redresse, désorienté, avant de reconnaître le son de mon téléphone de garde. Je frotte mes yeux en l'attrapant à côté de mon portable.
— Royer, grogné-je. Quoi ?
La voix de Pierre me répond à l'autre bout du fil :
— Désolé de vous réveiller, on a besoin de vous en salle d'accouchement numéro deux.
Il me transmet divers détails sur les patients, tandis que je passe une main sur mon visage, tentant de chasser la torpeur. Un coup d'œil rapide à ma montre m'indique qu'il est deux heures du matin.
— OK. J'arrive, dis-je avant de raccrocher.
Je me lève, mes gestes automatiques malgré la fatigue. En moins d'une minute, je suis dehors, traversant les couloirs avec une énergie retrouvée jusqu'à arriver au bureau où plusieurs collègues se trouvent déjà.
— Qu'est-ce qu'on a ?
Le visage d'Amélie, l'une des sages-femmes en poste cette nuit, est marqué par la concentration.
— Rythme fœtal irrégulier, mais pas encore préoccupant. En gros, les contractions ne sont pas efficaces, même en la changeant de position plusieurs fois. Probablement parce qu'on est sur une grossesse tardive, relate ma collègue. On aimerait bien savoir ce que tu en penses.
Je hoche la tête pendant qu'elle me donne les valeurs de pression artérielle et autres données, puis me tourne vers Pierre, futur médecin généraliste qui vient de commencer son avant-dernier stage dans notre service. Le téléphone est collé contre son oreille. Cependant, il nous écoute et ne parle pas. Je relève un sourcil dans sa direction pour qu'il m'explique ce qu'il fout à attendre comme un idiot. Il comprend ma question muette sans problème et précise aussitôt :
— J'essaie de presser le labo pour le résultat des protéines urinaires.
— OK. Je te laisse me les transmettre dès que tu les as, ordonné-je en reculant dans le couloir. Amélie, maux de tête, œdèmes ?
— Non, répond-elle, marchant à côté de moi. On a percé la membrane il y a une heure et demie, pas de progression significative du travail. Je comptais stimuler les contractions juste avant que tu arrives.
— Bien. Pas d'anomalies utérines, de mauvaises positions, ni d'autres blocages apparents ?
— Non.
— Bon, ce n'est pas si catastrophique alors. On va aller voir ça.
Lorsque nous arrivons, le bip des moniteurs envahit la salle. À force, je ne l'entends presque plus. En revanche, l'odeur de désinfectant est bien présente. Je sais que pour certains patients, elle peut déclencher de mauvais souvenirs, mais pour à mes yeux, elle est réconfortante. Ici, c'est mon terrain. Peu importe ce que les autres pensent de moi ou comment je m'exprime, je me sais utile et compétant. C'est tout ce qui compte.
Je capte le regard paniqué du futur papa, debout dans le coin de la pièce. Sa peau manque de couleurs, mais pour le moment, seules deux personnes m'importent, et il ne fait pas partie de la liste.
Après un rapide coup d'œil aux moniteurs, mon attention se porte sur la mère. Ses yeux sont écarquillés, ses doigts agrippent les draps comme si sa vie en dépendait. C'est triste à dire, mais c'est un peu le cas. Chaque grossesse comporte des risques, et ceux-ci augmentent avec l'âge. Par chance, nous vivons à une époque où nous pouvons les limiter. Cette nuit en fait partie, et je compte bien m'en assurer.
— Bonsoir. Je suis le docteur Royer.
Elle secoue la tête presque immédiatement, comme si elle voulait rejeter tout ce que ma présence implique. Je comprends son réflexe : si le médecin est là, à la place de la sage-femme, c'est que quelque chose n'avance pas comme prévu.
— Je sais que la situation est effrayante, mais je suis là pour m'occuper de vous et de votre bébé, d'accord ? tenté-je de l'atteindre.
— Non. Pas de césarienne, parvient-elle à dire entre deux contractions. Pas de péridurale. Rien. Je veux...
La douleur l'interrompt, et j'en profite pour glisser un regard à Amélie. Son expression résume tout : ça ne va pas être simple de lui faire entendre raison.
— Je veux un accouchement le plus naturel possible, reprend notre patiente. C'est écrit dans notre... plan de naissance.
Je capte une étincelle de peur dans ses iris sombres, et je la comprends. Rien ne se passe comme prévu. Entre l'idée d'un accouchement par voie basse qu'elle a minutieusement planifié, et celle d'une césarienne d'urgence, il y a tout un monde. Et c'est terrifiant. N'importe qui paniquerait. Mais s'accrocher à ce plan plutôt que de penser à la sécurité de son bébé ? C'est là que ma réalité médicale s'impose.
Je prends une inspiration, cherchant à canaliser mon sang-froid, qui commence à s'étioler. Mon regard revient brièvement sur les moniteurs avant de se fixer sur la jeune maman. Mon ton reste professionnel, pourtant, rien n'y fait : elle s'obstine, répétant pour la énième fois qu'elle refuse une césarienne, alors que je n'ai même pas mentionné cette option pour l'instant.
— Écoutez, je comprends que vous vouliez suivre votre plan, finis-je par m'impatienter. Mais les plans, ça fonctionne seulement quand tout va bien. Ce n'est pas le cas ici ; vos contractions ne fonctionnent pas et votre bébé commence à montrer des signes de détresse. Mon boulot, c'est de m'assurer que vous sortiez d'ici en un seul morceau tous les deux, pas de vous donner ce que vous voulez au détriment de ce que vous avez besoin. Alors, on va faire ce qu'il faut, pas ce que vous aviez prévu.
La patiente secoue la tête une fois de plus. Ses doigts se crispent davantage sur les draps, et elle murmure de façon presque inaudible :
— C'est... c'est pas ce que j'avais imaginé...
Amélie, toujours à côté, pose une main légère sur son épaule, son ton plus doux que le mien :
— Je sais. Et c'est normal d'être effrayée. Mais vous avez une excellente équipe ici, et on est tous là pour vous. Faites-nous confiance.
— D-D'accord.
Le père, toujours aussi pâle qu'un drap, hoche mécaniquement la tête sans dire un mot. À l'instar d'Émilien avec sa sœur, il a l'air dépassé, mais au moins, il ne proteste pas. Mon regard tombe alors sur Clément, qui s'est glissé dans la pièce comme une ombre. Tiens, je ne le pensais pas capable de discrétion. Ses mains jouent tranquillement avec le stéthoscope autour de son cou. Mes yeux roulent avant que je ne repère le signe de tête d'Amélie. Elle sait qu'il faut avancer.
— OK. Amélie, on passe l'ocytocine comme tu avais prévu pour tenter de stimuler les contractions et on se donne trente minutes après ça. Monsieur, si vous voulez être utile, tenez la main de votre femme. Aubert, tu es là pour apprendre, pas pour décorer la pièce. Mets-toi au travail. Et vous, madame... respirez, lui dis-je avec plus de douceur que pour les autres. On s'occupe de tout.
Malgré sa surprise d'être inclus, Clément assiste Amélie avec l'énergie presque excessive qui semble lui être propre. Je les laisse gérer la surveillance pendant que je retourne au bureau principal, où Pierre attend encore les résultats. Il lève les yeux vers moi en me voyant m'asseoir.
— Ils rappellent dans dix minutes, m'indique-t-il.
Durant l'attente, le rythme fœtal oscille entre cent dix et cent trente battements par minute. Rien d'alarmant pour l'instant, mais quelques décélérations sporadiques suffisent à me maintenir sur mes gardes. Quand mon interne reçoit enfin les résultats des protéines urinaires, je grimace : taux élevés. Mauvais signe. Je n'aime pas la direction que cet accouchement prend. Ou ne prend pas, en l'occurrence.
— Bon, on se prépare pour une césarienne, déclaré-je. Fais les vérifications nécessaires pour le bloc. On y va dès que l'équipe est prête.
Amélie, revenue entre-temps, acquiesce sans surprise. Tout comme moi, elle s'en doutait.
Puisque je serai le chirurgien qui va l'opérer, je retourne près de notre patiente pour l'informer de ma décision.
— Je sais que ce n'est pas ce que vous aviez imaginé, mais c'est la meilleure option pour la sécurité de votre bébé et la vôtre, terminé-je après avoir détaillé la procédure.
Bien qu'elle hoche la tête, une larme roule sur sa joue. Le futur père serre sa main, visiblement plus perdu que jamais. À ma surprise, c'est Clément qui s'approche pour ajuster l'oreiller derrière la tête de la patiente avec une délicatesse inattendue.
— Ça va aller, murmure-t-il d'un ton apaisant. Vous êtes entre de très bonnes mains. C'est plus effrayant qu'il n'y parait.
Je ne commente pas, mais ne peux m'empêcher de noter sa manière de rassurer le couple sans leur offrir de faux espoirs. Ses paroles semblent apaiser l'atmosphère tendue. Je détourne le regard et retourne aux préparatifs. Ce n'est pas le moment de m'attarder sur l'effet calmant d'un foutu externe.
Quelques instants plus tard, notre patiente est transférée en salle d'opération, suivie de son mari, habillé comme le reste du personnel médical, mais avec un air perdu. Puisque tout porte à croire que la chirurgie va bien se passer, je l'ai autorisé à rester. Et puis, je préfère éviter d'ajouter du stress inutile à la patiente.
Je salue l'anesthésiste d'un bref signe de tête sans engager la moindre conversation. Ma concentration est totale, je n'ai pas l'intention de la disperser.
Contre toute attente, j'ai décidé d'inclure Clément également. Même si je ne le porte pas dans mon cœur, il m'a prouvé durant l'heure écoulée qu'il était capable d'être un atout plutôt qu'un poids. Il montre une curiosité et une attention qui jouent en sa faveur.
— Ne me fais pas regretter de t'avoir autorisé à être là, le préviens-je d'un ton sec lorsqu'il se place à côté de Pierre.
Pour une fois, il ne répond pas. Pas une blague, pas un sourire derrière son masque. Juste un hochement de tête. Je crois que je commence à comprendre ce que Camille a pu lui trouver. Quand il veut, il sait être à la hauteur. C'est rassurant.
— Scalpel, annoncé-je enfin.
L'opération se déroule dans un silence rythmé par le bruit des moniteurs et les demandes brèves de l'équipe. Enfin, après ce qui doit sembler une éternité pour le couple, mais ne dure en réalité que quelques minutes, un cri résonne dans la salle.
— Félicitations, c'est une petite fille, déclare Pierre avec un sourire ravi derrière son masque.
Une fois le cordon clampé et coupé, je tends le nouveau-né à l'équipe néonatale, qui s'empresse de prendre le relais. Mon attention revient à la mère. Je m'assure que le placenta est expulsé sans complication et que l'utérus commence à se contracter correctement. Puis j'inspecte la cavité utérine pour m'assurer qu'aucun problème ne subsiste avant de laisser Pierre prendre en charge les sutures sous ma supervision.
Pendant ce temps, l'infirmière de bloc compte les compresses et les instruments avec minutie, aidée par Clément.
— Tout est bon, me fait-elle savoir.
Je hoche la tête et retire mes gants ensanglantés avant de contourner le champ opératoire. À quelques pas de là, le bébé est examiné par l'équipe néonatale, tandis que ma patiente, soulagée, commence à se détendre.
— Vous avez fait un excellent travail, la félicité-je.
Ses yeux s'emplissent de larmes, et elle murmure un « merci, docteur » rauque, chargé d'émotion. Son mari, debout à ses côtés, me tend une main tremblante que je serre avant de les laisser à leur nouveau bonheur. Ma part du travail est terminée. Désormais, c'est à l'équipe post-chirurgie de veiller sur eux.
~~~
Hey,
Je voulais juste vous prévenir qu'il y aura deux semaines de pause (les vendredis 28/02 et 07/03) car les dernières semaines sont devenues assez difficiles pour moi, pour raisons personnelles, et je n'ai pas l'énergie nécessaire pour relire mes chapitres et pouvoir vous proposer quelque chose de propre. Je préfère donc prendre une semaine et demie sans relecture afin de prioriser ma santé, et pouvoir répondre à vos commentaire comme il se doit dès mon retour.
Puisque le chapitre de la semaine prochaine fait suite à celui-ci, je le publierai comme prévu, et ce sera les deux suivants que je repousserai. Peut-être que je ne sauterai qu'une semaine, on verra.
En tout cas, j'espère que l'histoire vous plaît toujours. N'hésitez pas à partager vos théories pour la suite.
XoXo,
Amara
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