Chapitre 13 - Émilien
Nos tapas terminées, j'allume une nouvelle cigarette. J'en profite pour ranger mes lunettes de soleil dans mon sac puisque la luminosité est assez basse désormais pour éviter de me filer une migraine.
— Tu as des épaules plus larges que je pensais, remarque soudain Royer en posant sa bière sur la table. Pour un prof, je veux dire.
Le grincement d'un énième tram résonne dans la rue voisine, mêlé au bourdonnement des conversations environnantes. J'esquisse un sourire, amusé par le fait qu'il ne se cache même pas de m'observer. Ou alors, il n'est pas conscient de l'aveu qu'il vient de faire.
— Prof ou non, j'ai fait, et fais encore, du sport, hein, répliqué-je. J'ai même failli passer pro quand j'étais jeune.
Pas besoin d'être voyant pour deviner la surprise qui traverse ses traits. Son rire bref et spontané me le confirme deux secondes après :
— Sérieusement ? Lequel ?
Je prends mon temps pour répondre et avale une gorgée de ma boisson. Royer est impatient, et c'est précisément pour cette raison que j'aime le faire attendre. Il déteste ça, mais ce n'est pas parce que nous avons enfin réussi à trouver un terrain d'entente tous les deux que je ne peux pas continuer de m'amuser. Tout à l'heure, lorsque Victoire m'a informé que le docteur qui l'avait aidée à accoucher se trouvait à quelques tables de nous, une vague de nervosité m'a submergé. Ces trois dernières semaines ont été marquées par des moments de doute. Je ne savais pas si j'avais envie de le revoir ni ce que j'espérais trouver si le hasard le remettait sur mon chemin.
Quand ma sœur et David ont dû partir, j'ai... décidé de rester. Quelque chose, peut-être l'ombre d'un désir que je commence à définir, m'a retenu. Royer a prouvé qu'il pouvait être plus qu'un homme grognon, et je crois que cette idée a suffi à éveiller une envie irrationnelle d'aller lui parler.
— Je faisais du hockey, finis-je par révéler, revenant au présent. Dans la U20 Élite, mais je suppose que le nom ne te dit rien.
Son rire se prolonge, franc et incrédule, et éloigne brièvement le flot des conversations voisines de mon esprit.
— Professeur Émilien Payet, en train de courir après un palet sur la glace ? rigole-t-il. J'imagine mal.
J'apprécie qu'il nous ait guidés jusqu'à la terrasse plutôt qu'à l'intérieur. Malgré le vent qui souffle de plus en plus fort, cela reste plus facile de déterminer ses gestes dans un environnement moins bruyant. Et là, quand je l'entends jouer avec sa bouteille et se marrer comme un idiot, je comprends qu'il doute de ma sincérité.
Je secoue la tête, un sourire discret aux lèvres.
— Courir ? Tu ne connais vraiment rien au hockey, toi.
— Pas ma tasse de thé, confirme-t-il sur le même ton joueur. Trop de règles pour pas grand-chose. Jamais compris l'intérêt des sports d'équipe de toute façon.
Son rire bas et détendu m'interpelle. Quelque chose dans sa réaction me pousse à me demander s'il imagine que je mens. J'inspire une dernière bouffée de cigarette avant de l'écraser dans le cendrier. Peut-être qu'il pense que je n'ai jamais vu de ma vie, que mes yeux sont défectueux depuis ma naissance. Si seulement il savait. Ma maladie m'a coûté plus que des années d'études.
— C'est marrant, lancé-je avec un soupçon de provocation. Le hockey est justement l'un des sports les plus techniques qui soient. Mais bon, j'ai bien compris que la subtilité n'était pas ton fort. N'est-ce pas, Léonard ?
Ma remarque le calme en un instant. Je devine néanmoins qu'il n'est pas vexé, simplement qu'il s'apprête à saisir l'opportunité de me rendre la monnaie de ma pièce. Je n'en attends pas moins de sa part. Peut-être que dans le fond, c'est exactement ce que je cherche en sa présence. Cette dynamique de défi, ce jeu où chacun essaie de prendre l'ascendant tout en acceptant, parfois, de céder la victoire. J'ai beau lui affirmer que je ne suis pas masochiste, je ne pensais pas que passer du temps avec lui pouvait être aussi rafraîchissant.
— Ah, parce que le hockey, c'est subtil maintenant ? raille-t-il. Il faut juste patiner, tirer, et essayer de ne pas se casser les dents... Ce que tu as apparemment raté au cours de ta superbe carrière.
Le fait qu'il ait remarqué qu'une de mes incisives était ébréchée — un détail qui se voit à peine — me surprend tout en confirmant mes soupçons : docteur Casse-Burnes me regarde avec plus d'attention qu'il ne le laisse paraître dans ses mots. Et ça me plaît de le savoir. Ça me plaît un peu trop, même. Est-ce qu'il se pourrait que...
Un souffle amusé lui échappe et me coupe dans mes réflexions. Je hausse une épaule, tout de même bien décidé à vérifier mes hypothèses :
— En effet, il faut savoir faire tout ça à la fois, et plus encore. Mais j'imagine que tu es plus à l'aise avec des activités qui demandent moins de technique. Et surtout moins d'endurance.
Je laisse volontairement peu de place à l'interprétation de mes mots : ma voix traîne juste assez pour appuyer le sous-entendu. La nonchalance que j'affiche a le don de le frustrer, et son grognement blasé déclenche un agréable frisson dans mon ventre. Royer déteste perdre la face. Cette réaction, aussi minime soit-elle, alimente la douce tension qui grimpe en moi.
Pourtant, alors que le silence s'installe, une prise de conscience me frappe. Je savais très bien ce que je faisais en le testant, mais... est-ce que je viens d'apprécier flirter avec lui ? C'est une chose d'échanger des mots ambigus pour le pousser à bout, mais là, je ne peux plus prétendre que ce n'était qu'une envie de découvrir sa réaction. J'ai aimé ça et... je réalise que ça me va. Certes, Royer est un con, mais ce tiraillement subtil qui me pousse à tester ses limites me semble soudain être la chose la plus naturelle au monde. Reste à savoir s'il ressent la même attraction à mon égard, ou si je suis le seul idiot à m'être laissé avoir par notre dîner...
— Endurance, hein ? répète-t-il avec défi.
— Hmm, hmm.
Je marque une pause pour tenter de lire entre les lignes, mais c'est peine perdue. Il m'est impossible de savoir ce qu'il pense. Le seul indice, c'est cet aveu indirect qu'il m'observe de temps en temps. Néanmoins, rien ne garantit que cette attention soit d'une nature qui m'intéresse ce soir.
Royer inspire lentement, comme s'il pesait ses mots, puis souffle dans une tentative à peine voilée de reprendre l'avantage :
— Mouais. C'est facile à dire maintenant que tu ne joues plus. Mais rien ne prouve que tu ne t'es pas ramolli avec les années.
— Si tu veux une démonstration, il faudra que tu la mérites. Et pour l'instant, tu as encore quelques efforts à faire.
Il se redresse, probablement pour adopter une posture plus affirmée, et sa voix baisse d'une octave.
— Fais gaffe à ce que tu souhaites, Payet. Je ne joue jamais pour perdre, alors assure-toi de pouvoir encaisser.
Ses paroles envoient une chaleur inattendue parcourir ma peau. Pas de feinte, pas de demi-mesure. Mais est-ce encore ce jeu entre nous, ou est-ce que, cette fois, il flirte lui aussi ? Mes doutes persistent. Pourtant, je garde un masque de neutralité. Pas question de lui laisser croire qu'il a pris les rênes. Ce moment partagé entre nous semble avoir basculé dans quelque chose de plus intime, cependant j'ai besoin de plus de clarté. Je sens l'excitation monter, le genre qui laisse un goût d'adrénaline sur la langue et me pousse à la provocation.
— Encaisser quoi, Léonard ? Ton ego ou ton sarcasme ? Ça va, je crois que je gère.
Je laisse ma remarque en suspens juste assez longtemps pour le faire bouillir. Puis, d'une voix aussi basse que la sienne, presque comme une confidence, j'ajoute :
— Si tu veux vraiment tester mes limites, il va falloir être un peu plus créatif que ça.
Royer ne répond rien. Je sais qu'il m'étudie, qu'il cherche à lire entre les lignes. Tout comme moi, il essaie de déterminer si nous sommes sérieux. Après tout ce qu'il s'est passé, tout ce que nous nous sommes balancé depuis notre rencontre, est-ce vraiment là où on en est arrivés ?
Je bois une gorgée d'eau pour dissimuler mon agitation interne, puis me penche en avant, comme si je m'apprêtais à lui révéler un autre secret.
— Admets que ça t'énerve que je te pousse autant. Que je te surprenne avec mes réponses, mon métier, le sport que je faisais... Que je ne sois pas exactement l'imbécile que tu penses que je suis.
Un tic familier brise le silence : le claquement de sa langue contre son palais. Je l'ai déjà entendu plusieurs fois le mois dernier. Je sais que ce son trahit ses moments d'hésitation, quand il ne sait pas s'il doit opter pour une raillerie ou laisser couler. Mon sourire s'étire. Je suis persuadé que le sien aussi, même si je n'en ai aucune preuve. Le déplacement de sa chaise ainsi que le bruit de ses avant-bras se posant sur la table m'indiquent qu'il s'est rapproché à son tour. Je ressens sa présence plus proche que jamais.
— Pas du tout, admet-il enfin. Tu es exactement l'imbécile auquel je m'attendais. Le genre à tout analyser, à donner l'impression qu'il a toujours le contrôle. Mais te voir, ou plutôt t'imaginer, dans un rôle de sportif sans cervelle, en train de foncer sur quelqu'un... c'est presque drôle. Tu es bien trop raisonnable pour ça.
Les voix autour de nous s'effacent, comme si le monde entier avait décidé de nous laisser seuls dans cette bulle invisible, prête à éclater au moindre écart. Royer inspire. Je capte son impatience dans ce simple geste. Une note boisée me parvient. Il m'analyse, cherche à trancher. À déterminer si je joue encore ou non. Mais je ne joue pas. Je ne joue plus.
Malgré son tempérament fougueux, ou peut-être à cause de ça, je dois reconnaître qu'il me plaît. Alors doucement, je m'avance un peu plus.
— Ne t'inquiète pas, susurré-je, je ne te foncerai pas dessus.
Un ricanement lui échappe, grave et rauque.
— Oui, enfin, de nous deux, je pense que tu as plus de chance de me rentrer dedans que l'inverse, non ?
Sa réplique moqueuse me fait ricaner. Il essaie de reprendre le dessus, de garder le contrôle. Je pourrais répondre par une autre plaisanterie, mais une idée me traverse et je la saisis au vol, avant même de peser le pour et le contre :
— Sûrement. Mais qui sait, tu apprécierais peut-être...
Sa respiration se fige trop longtemps pour passer inaperçue. Ma remarque l'a pris par surprise, je le sens. La chaleur dans mon estomac se décuple, aussi agréable qu'incontrôlable. Mon rythme cardiaque accélère. Je viens de franchir une autre frontière subtile, mais irréversible. Va-t-il traverser avec moi ?
Je m'approche encore, réduisant l'espace entre nos corps à quelques centimètres. Il est difficile de juger de la distance exacte qui nous sépare, mais je sens son souffle tiède effleurer mon visage lorsque, frustré, il laisse échapper un soupir.
— Tu m'énerves, Payet.
Mon sourire s'adoucit. Lentement, je me recule, et savoure la réaction que j'ai suscitée, cette frustration qu'il tente de masquer sans grand succès. Peut-être qu'il est autant attiré par moi que je le suis par lui.
— Tant mieux.
J'avale une autre gorgée. Mes doigts jouent distraitement avec ma serviette. L'air entre nous s'électrifie. Je me demande où cela va nous mener, même si j'ai déjà une petite idée de ce dont j'ai envie.
— Tu sais que je peux sentir quand tu me regardes, murmuré-je, un sourire en coin.
— Ça te dérange ?
Son ton est serein, presque détaché, et laisse sous-entendre que si c'est le cas, ce n'est pas son problème. Le vent s'élève, porteur d'un parfum de fleurs que je n'avais pas encore remarqué tant je suis concentré sur notre discussion.
— Non, ça ne me dérange pas. Ça m'intrigue, en fait.
Nos mains, posées sur la table, ne sont séparées que de quelques centimètres. Je le sais, parce que la chaleur qui émane de Royer caresse ma peau. Le frottement presque imperceptible de sa bière contre la table m'indique que ses défenses ont presque disparu.
— C'est rare que j'intrigue qui que ce soit, marmonne-t-il, bougon.
J'incline la tête, un geste qu'il ne peut manquer, à peine surpris par sa tentative de minimiser l'évidence.
— Je t'ai déjà dit que je n'étais pas comme les autres, lui rappelé-je.
Lorsqu'il déglutit, je devine que sa lutte intérieure reflète la mienne. Comme moi, il ne sait pas s'il doit céder à cette tension ou s'en détourner complètement.
— Alors prouve-le.
Je ne suis plus tout à fait sûr d'être maître de mon corps, mais s'il veut de l'honnêteté, je peux lui en offrir.
— Tu m'insupportes autant que tu m'intrigues, Léonard. Et ne prétends pas que ce n'est pas réciproque, je ne te croirais pas. Si j'ai accepté ta première invitation, même en sachant qu'elle était fausse, c'était pour t'agacer. Mais si je suis venu te parler aujourd'hui, c'est parce qu'il y a quelque chose en toi que je ne m'explique pas, mais que j'ai envie de découvrir. Et je crois que c'est la même chose pour toi.
Son souffle se suspend, comme si mes paroles avaient atteint une partie de lui qu'il préfère garder cachée. Avec lenteur, je prends l'initiative de glisser ma main pour attraper la sienne. Le contact est assuré, mes intentions assumées. Je le désire. Mais même là, Royer ne bouge pas. Cependant, il ne se libère pas non plus, ce qui est une réponse en soi. Un aveu silencieux que pousser ses limites est une invitation, pas une intrusion.
— On ne va rien graver dans le marbre, ajouté-je, et je ne vais certainement pas te supplier, si c'est ce que tu espères. Mais soyons honnêtes, tu me veux autant que je te veux.
D'un acte réfléchi ou inconscient, je ne sais pas, son pouce caresse alors ma peau. Le geste est doux, mais chargé de quelque chose que je ne peux pas ignorer : la certitude d'une envie similaire à la mienne.
Le temps se suspend. La brasserie disparaît complètement. Je veux franchir cette ligne, plus que je ne l'aurais cru en venant lui parler tout à l'heure. Je me penche pour chercher un signe dans sa respiration, une indication quelconque. Je sais que Royer le voit, qu'il comprend cette question silencieuse. Sans attendre davantage, la distance qui nous sépare se réduit.
— Tu fais chier, Payet, murmure-t-il, juste avant que ses lèvres ne rencontrent les miennes.
Le monde bascule. Bien que notre baiser reste tendre, il n'y a pas la moindre hésitation de sa part. Le contact est aussi court qu'intense. Il porte en lui un poids que je n'avais pas anticipé. Celui de l'envie de découvrir plus. Plus que ses lèvres chaudes, plus que le goût subtil de la bière qu'il laisse derrière lui. Malheureusement, nous sommes toujours dans un lieu public.
Alors je recule. Je m'imprègne de cette chaleur qui gronde en moi depuis plusieurs minutes. C'est la caresse de ses doigts sur ma main qui me ramène sur Terre. Son pouce n'a jamais cessé de glisser sur ma peau et continue de le faire. Je ne suis pas persuadé qu'il en soit conscient, mais je ne m'en plains pas. C'est agréable.
— Je suppose que ça répond à ta question, grommelle-t-il.
La même vulnérabilité perçue il y a trois semaines refait surface. Elle est délicate, cachée derrière sa fausse mauvaise humeur, mais bien présente. Un écho que seuls ceux qui savent écouter peuvent entendre.
— Je n'ai posé aucune question, répliqué-je avec malice. Mais j'aime cette nouvelle façon de t'exprimer.
Il éclate d'un rire franc et dépourvu de nervosité. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai envie de me laisser aller, d'accueillir l'inconnu sans chercher à le contrôler. Même si l'inconnu en question est la personne la plus irritante que j'aie jamais rencontrée.
Cette prise de conscience me libère. Une légèreté m'envahit, et avec elle une décision que je prends sans la moindre hésitation. Je m'écarte de la table, le cœur battant encore vite dans ma poitrine. Je refuse de laisser ce moment s'évanouir sans agir.
— On devrait marcher un peu, suggéré-je avec assurance.
Je suppose que Royer acquiesce puisque j'entends le crissement de sa chaise lorsqu'il se lève. C'est amusant de constater qu'il oublie si facilement que je ne peux pas le voir me répondre.
— En direction de chez toi ? souffle-t-il, près de mon oreille.
Je ne l'ai pas entendu bouger, mais l'effet reste le même : je frissonne.
— On perd du temps à discuter. À moins que tu ne veuilles justement parler toute la nuit.
Ses doigts effleurent mon poignet. Le message est clair : le temps pour les conversations est passé.
Une fois l'addition réglée, je cherche son bras au lieu de sortir ma canne comme à notre arrivée. Ses muscles se tendent brièvement sous ma main, mais Royer ne proteste pas pour une fois. Sans un mot, il me guide dans la rue. Ses pas sont plus pressés que je ne m'y attendais. Un sourire naît sur mes lèvres alors que je le force à ralentir, au risque de finir par trébucher.
Il s'en plaint, mais obtempère et ajuste son rythme au mien. La moiteur de la soirée nous enveloppe jusqu'à ce que nous atteignons sa voiture, garée non loin. Assis côte à côte, les fenêtres ouvertes, le silence qui nous entoure est apaisant.
— Adresse ? demande-t-il distraitement.
— S'il te plaît, rétorqué-je.
Un instant d'incertitude. Une réticence. Un soupir exaspéré.
— S'il te plaît.
Je lui donne le nom de ma rue et il se met en route. Le trajet ne dure que cinq minutes. Cinq minutes où je m'interroge de ma propre audace. Ce n'est plus dans mes habitudes d'être aussi impulsif. Avant, oui, quand j'avais dix-huit ans, que je fonçais sans réfléchir. Mais depuis... les choses ont changé. J'ai changé. Pourtant, ce soir, je ne regrette pas. Royer semble réveiller en moi une flamme que je pensais éteinte. J'ai hâte de voir où elle va me mener.
— Tu sais, avoué-je après être descendu de la voiture, en allant te voir tout à l'heure, je n'aurais jamais pensé que je finirais par te ramener chez moi.
Son sourire narquois transparaît dans sa voix :
— Techniquement, c'est moi qui te ramène chez toi.
— Et je suis censé te remercier en me prosternant devant toi, c'est ça ?
— Eh bien, si tu tiens à te mettre à genoux, ne te gêne pas...
— Crétin prétentieux, marmonné-je.
— Oh, oh... Tu regrettes déjà ? se moque-t-il. Parce que je peux encore repartir.
Je pourrais presque le croire... s'il ne me rejoignait pas aussi vite de mon côté de la voiture. Royer referme la porte pour moi avant de saisir ma main, son geste à la fois abrupt et chargé d'intention, tout comme lui. Je serre légèrement ses doigts et tire sur sa main pour le rapprocher jusqu'à ce que nos torses s'effleurent.
— J'ai l'air d'hésiter ? murmuré-je, aussi impatient que lui.
— Tu as l'air beaucoup de choses, mais certainement pas hésitant.
Il avance dans la cour, mais je l'oblige à s'arrêter à nouveau, cette fois car je dois sortir mes clés.
— Je me demande combien de temps tu vas tenir avant de reconnaître que c'est ce que tu voulais depuis le début, le taquiné-je.
Royer pose sa main sur la mienne, ce qui m'empêche de déverrouiller la porte. Il se place près de moi et réduit l'espace entre nous jusqu'à ce que je sente la chaleur de son souffle.
— Rêve, Payet.
— Je ne vois peut-être pas, mais ce genre de chose se sent, insisté-je avec un sourire suffisant.
Je relève ma main libre et effleure ses lèvres de mon pouce. Le contact est à peine une caresse, néanmoins il ne bouge pas. J'ai envie de l'embrasser, ici et tout de suite, mais ce serait trop facile. Mon geste se prolonge, glissant contre sa fine barbe jusqu'à sa nuque. Sa respiration se suspend, et avant qu'il n'ait le temps de réagir, mes doigts s'aventurent dans ses cheveux courts.
— Comme maintenant, où tu ne peux pas détacher ton regard de moi...
— Et alors ? Tu m'as dit toi-même que tu aimais être observé, répond-il.
Je laisse un sourire énigmatique se dessiner sur mon visage.
— Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit, mais si ça te rassure.
L'atmosphère électrique est saturée d'un désir brut qui menace d'éclater. Je comble le peu de distance entre nous ; mon torse contre le sien, ma seconde main sur son bras. Sous mes doigts, ses muscles se tendent d'anticipation, mais il reste immobile. Je m'arrête là, à ce geste calculé, afin de lui laisser la liberté de choisir la suite.
Je veux le voir céder, autant grâce à mon corps qu'à cause de mes mots, mais je dois être sûr que ce sera sa décision. Puisque je ne peux pas lire son visage, je m'en remets à ce que je peux percevoir autrement. Royer semble comprendre ce que j'attends de lui — une réponse vocale — lorsqu'un soupir échappe à ses lèvres :
— Très bien. Si je te dis que... tu as ce truc insupportable qui me donne envie de t'envoyer chier et de t'embrasser en même temps ?
Le timbre de sa voix laisse transparaître un désir assumé. Mon cœur accélère avec le sien, porté par l'anticipation d'un jeu dont nous connaissons déjà l'issue, mais qui promet plus que jamais d'être captivant.
— Alors pousse-toi, et tu pourras trancher.
Il s'exécute et je déverrouille la porte. Dès que nous franchissons le seuil, je laisse mon sac tomber dans un coin et pose mes clés sur le buffet de l'entrée. Comme d'habitude, je n'allume pas la lumière. L'obscurité ne semble pas déranger Royer. De toute manière, je sais qu'il ne trébuchera pas ; ma maison est épurée pour me simplifier la vie. Chaque objet se trouve à sa place.
Quand sa main retrouve la mienne, il nous guide sans hésitation jusqu'au canapé.
— Bienvenue chez m... commencé-je, mais il ne me laisse pas finir.
Ses doigts trouvent ma nuque et m'attirent à lui. Nos lèvres se rencontrent dans un baiser chargé d'une intensité qui balaie tout doute. Oubliant le reste, je réponds avec la même ardeur. Mes mains glissent sur ses hanches pour le rapprocher davantage. Chaque seconde gomme la distance et laisse place à une urgence que nous ne cherchons même plus à contenir.
Nos respirations n'en deviennent qu'une, entrecoupées d'envies à peine dissimulées.
— Ça ne change rien entre nous, tu m'agaces toujours autant, croit-il nécessaire de préciser entre deux baisers.
— Ça tombe bien, parce que je n'ai pas l'intention de te rendre la vie plus facile.
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