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Chapitre 12 - Léonard

— On se prend un café avant que j'aille récupérer Théo ? propose Sarah en sortant du cinéma.

— Si tu veux.

— Wow, quel enthousiasme, se moque-t-elle. Dis-moi si je te fais chier, hein.

Je secoue la tête tout en levant les yeux au ciel. Pour ce premier weekend de juin, nous sommes allés voir un film pendant que son fils se trouve à un anniversaire. Mais aujourd'hui, il faut admettre que mon esprit est ailleurs. Depuis quelques jours, il flotte entre souvenirs récents et pensées qui s'accumulent. Heureusement, mon amie n'est pas du genre à creuser trop loin. Elle est déjà passée à autre chose, nous entraînant d'une démarche assurée dans les rues du centre-ville.

Quand elle a enfin trouvé un café qui lui plaît, je m'affale sur une chaise de la terrasse, un peu à l'écart du flot de la rue. Je ne peux m'empêcher de penser que nous ne sommes pas très loin du bar où Émilien et moi avons eu notre dernière entrevue avortée, près de trois semaines plus tôt. Le souvenir amer me pique encore l'esprit, mais je le chasse d'un mouvement de la tête.

Le soleil, haut à cette heure, se cache derrière les immeubles et plonge l'endroit dans une fraicheur agréable. Un peu plus loin, j'observe le serveur qui traîne des pieds. Il a l'air plus occupé à rigoler avec ses collègues qu'à servir, ce qui me tire une moue blasée.

— Tu sais que tu pourrais faire semblant d'être content, s'amuse Sarah en s'asseyant en face de moi. Juste un peu.

Je me tourne vers elle, délaissant le gamin fainéant.

— Et risquer ma réputation de misanthrope ? répliqué-je, feignant l'innocence en battant des cils.

— Est-ce que c'est seulement une réputation quand c'est la vérité ?

— Voilà. Et je tiens à ce que tout le monde, toi y compris, se rappelle que je déteste les gens.

Elle secoue la tête de dépit avant de relever ses lunettes de soleil dans ses cheveux. Je garde les miennes sur mon nez. Malheureusement Grenoble, avec ses montagnes oppressantes, n'a jamais été tendre en été. C'est une fournaise, et malgré un mois de mai pourri, cet après-midi de juin ne déroge pas à la règle. Il doit faire au moins trente-quatre degrés à l'ombre. La sueur perle sur ma nuque et me donne envie de rentrer chez moi pour me baigner. L'air est chargé de chaleur humide, ce qui n'améliore pas mon humeur, mais je décide de faire un effort.

— Eh, c'est pas une de nos anciennes patientes là-bas ? s'étonne ma collègue après quelques minutes.

Sans la moindre discrétion, elle pointe du doigt quelqu'un sur ma droite. Je suis surpris de découvrir Victoire Payet assise trois tables plus loin. À cause de Sarah, qui a presque beuglé, son regard croise le nôtre. Elle nous adresse un signe de la main, accompagné d'un sourire chaleureux. Je réprime un soupir. En face d'elle, deux hommes : l'un, inconnu, que je suppose être le père du bébé dans la poussette et dont j'ai oublié le prénom, et l'autre, que je reconnais un peu trop bien. Évidemment, son foutu frère est avec eux, en train d'aider sa nièce à boire à la paille. Au moins lui ne peut pas nous repérer, c'est déjà ça.

Je renvoie un bref signe de tête à mon ancienne patiente officieuse, puis me tourne vers Sarah. Tout ceci ne me concerne plus. La semaine suivant l'excuse foireuse d'Émilien, je suis repassé au bar vers vingt heures, espérant qu'il se pointerait lui aussi. Je ne sais pas comment je me suis convaincu qu'il pourrait revenir après son mensonge. Peut-être parce j'avais besoin de savoir ce qui l'avait poussé à partir si brusquement le vendredi précédent. J'ai voulu croire qu'il y avait une autre explication, une qui n'avait rien à voir avec ma personne. J'imagine qu'une part de moi, toujours aussi réticente à l'admettre, souhaitait lui accorder le bénéfice du doute. En fin de compte, il n'a jamais montré le bout de sa canne. J'ai attendu, la frustration s'installant peu à peu, renforcée à chaque minute passée seul à ma table. Finalement, je suis reparti avec un goût amer et la certitude désagréable que mes instincts initiaux étaient justes : ses « responsabilités » n'étaient que des prétextes pour partir sans avoir à s'expliquer.

— Erf, j'espère qu'elle ne va pas venir, râle ma collègue, me sortant de mes souvenirs. Je déteste croiser des patients en dehors du service. J'ai l'impression de savoir trop de trucs sur eux.

Elle frissonne ; je ricane.

— Peut-être qu'ils ont autant envie de t'éviter que toi de ne pas les voir.

— Ah, ah, incroyable ! Le film t'a transformé en humoriste, dis donc.

Je fais danser mes sourcils, ce qui la fait rire. Heureusement pour Sarah, Victoire ne semble pas décidée à quitter sa famille pour nous rejoindre. Je ne l'avouerai pas, mais je me détends aussi.

Alors que nous discutons, mes yeux, cachés par mes lunettes, ne peuvent s'empêcher de glisser de temps en temps vers la table des Payet. Ils échangent des paroles que je n'entends pas, l'air serein comme on peut l'être un samedi après-midi normal. À un moment, Émilien sort une cigarette, et Victoire lui assène une tape sur le dessus de la main. Un rire discret m'échappe avant que je ne me reprenne, agacé de m'être laissé distraire. Ça ne me regarde pas. Je me fiche d'Émilien et ne devrais même pas lui accorder la moindre seconde d'attention. Pourtant, une question me taraude : pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il m'occupe autant l'esprit depuis trois semaines alors que je fais tout pour l'en chasser ? J'ai même accepté d'aider ma sœur à monter un meuble le weekend dernier pour me distraire. Et sans râler avant de céder ! Mais rien n'y fait, il reste ce petit point d'interrogation dans ma tête. Pourtant, nous n'avons rien en commun, lui et moi. La moitié du temps, nos échanges se réduisent à des joutes verbales qui me laissent plus agacé que satisfait. Qu'il continue à se faufiler dans ma tête n'a donc aucun sens.

— Tu récupères Théo à quelle heure déjà ? l'interrogé-je, plus pour prouver que je suis encore là que par réel intérêt.

Si Sarah est surprise par mon ton devenu soudain grognon, elle n'en montre rien. Fidèle à elle-même, elle ne cherche pas à gratter sous la surface, tout comme je ne l'ensevelis jamais de questions privées, et c'est précisément pour ça que nous sommes amis.

— Pourquoi ? Tu veux venir avec moi ? me provoque-t-elle.

Je laisse échapper un ricanement sec. Même pas en rêve.

— Et écouter ton mioche me parler d'Uranus pendant deux heures ? Merci, mais non merci. J'ai des trucs à faire.

— Tu n'y couperas pas, me prévient-elle. Je lui ai acheté un nouveau bouquin sur le système solaire, et il a hâte de pouvoir en parler avec toi. Viens dîner à la maison ce soir.

— Non.

— Roh, allez.

— Non, je suis occupé.

— À t'envoyer en l'air, j'espère ! Ce serait temps...

— Exactement, répliqué-je, juste pour la faire chier. Et avec ton père, si tu veux tout savoir.

Un couple âgé à la table voisine tourne la tête dans notre direction, un mélange de choc dans le regard pour l'un et d'amusement pour l'autre. Je les ignore. Qu'ils pensent ce qu'ils veulent, ce n'est pas mon problème. S'ils se sentent offensés, il ne fallait pas écouter nos conneries.

— Vu ce qu'en dit ma mère, ne t'attends pas à des miracles, me taquine mon amie. Mais bon, te concernant, ça commence à devenir nécessaire de dépoussiérer le matériel alors ça devrait le faire.

— Oui, maman. C'est bien comme ça que ça marche, hein ? Je me tape ton père, tu deviens ma belle-mère ?

Elle rigole.

— T'es con. Bref, demain midi alors ?

— Sérieusement, on se voit déjà cinq jours par semaine. Je te manque à ce point ?

— Si tu ne viens pas, c'est moi qui débarque chez toi avec Théo. Choisis.

Je soupire une seconde fois, exaspéré. Les femmes de ma vie sont toutes décidées à me rendre la vie dure ou quoi ? Entre Laura et ses méthodes de psychologie inversée, ma mère qui ne cache pas la déception que je suis à ses yeux, et maintenant Sarah qui s'y met, je crois que je vais finir par m'exiler dans un monastère loin de tout et tout le monde.

— Très bien, je viens. Mais pas plus de deux heures, cédé-je. Donc tu préviens ton fils d'être concis. Et je veux que le repas soit déjà prêt quand j'arrive.

— Bien, chef.

Satisfaite, Sarah termine sa boisson et reprend ses bavardages. Je fais mine de l'écouter, hochant parfois la tête, mais mon attention dérive à nouveau vers la droite. Les Payet se lèvent, prêts à partir. Je croise les doigts pour que Victoire n'ait pas l'idée de venir nous saluer en passant. Par chance, ils partent dans l'autre direction. Je détourne le regard et me force à retourner à la conversation.

— Merde ! Je file sinon je vais être à la bourre, annonce Sarah en voyant l'heure sur son portable. N'oublie pas, demain midi. Et je ne t'attends pas les mains vides, hein !

— Ouais, ouais, grogné-je avec un vague signe de la main. Je ramène le dessert.

Elle me fait la bise avant de s'éclipser, déjà en train de râler à l'idée que son fils soit intenable toute la soirée à cause du sucre ingéré durant la fête.

— Chacun ses problèmes ! lui lancé-je de loin, un sourire moqueur aux lèvres.

Je reste assis un moment pour terminer mon café. Alors que le serveur s'approche avec l'addition, je lui indique que je vais en reprendre un. Après tout, rien ne presse. Ma soirée est aussi vide que le ciel, sans un seul nuage à l'horizon. Il faudrait que je tonde ma pelouse, mais ça peut attendre demain. En plus, ça me donnera une excuse pour partir plus tôt de chez Sarah.

— Je vous apporte ça, répond le jeune homme avant de repartir avec ma première tasse vide.

Je m'adosse à ma chaise, laissant mon regard se perdre dans la rue animée. Sarah et ses idées à la con... qu'elle a réussi à me planter dans le crâne. Elle n'a pas tort, ça fait un bail que je ne me suis pas envoyé en l'air, mais franchement, rien que l'idée de socialiser me gonfle déjà. Comme si j'avais l'énergie de supporter quelqu'un juste pour ça. Les passants se croisent, les éclats de rire fusent. Ouais, définitivement pas la motivation, même si ma libido s'en plaint.

Deux minutes plus tard, le serveur revient avec mon expresso, mais au lieu de disparaître, il reste planté devant moi, l'air incertain. Je lève la tête, intrigué.

— Un problème ?

— Euh... Excusez-moi, il y a un gars qui vous cherche, j'crois, balbutie-t-il.

— Moi ? m'étonné-je.

— Bah il m'a dit qu'il voulait parler à un homme blond avec un polo à rayures. Il m'a aussi dit qu'il s'appelait... euh, Émile ? C'est possible ou pas ?

Mon cœur rate un battement. Je ne m'attendais clairement pas à ça. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'Émilien me voudrait ?

J'acquiesce d'un simple signe de tête pour confirmer que je le connais, et le serveur paraît satisfait d'avoir trouvé le bon destinataire.

— Cool. Je vous l'apporte alors ! Il attend à l'intérieur vu que... bah il est aveugle, quoi.

Je plisse les yeux, agacé par sa formulation. Même s'il est jeune, ce n'est pas une excuse pour sa mauvaise façon de s'exprimer.

— Me l'apporter ? grincé-je. Ce n'est pas une bouteille de vin que j'ai commandée, bon sang. Dites-lui simplement que je suis sur la terrasse. C'est un grand garçon, il saura se débrouiller.

Le jeune homme rougit, marmonne un « pardon » et s'éclipse à l'intérieur. Quelques instants plus tard, Émilien apparaît dans l'encadrement de la porte séparant le reste du café de la terrasse. Je l'interpelle pour qu'il sache où je me trouve, et il tourne la tête vers moi. Je pourrais presque jurer voir le coin de ses lèvres s'étirer. Peut-être que les ombres me jouent des tours, mais je choisis de croire que ce sourire est bien réel. En revanche, je ne sais comment interpréter le mien, tout aussi discret.

— Léonard, qu'est-ce que vous avez dit à ce pauvre serveur ? s'amuse-t-il en guise de salutations.

Ses mains tâtonnent à la recherche de la chaise en face de moi. Mon sourire s'agrandit à la vue de ce geste familier. Il a fait exactement la même chose la première fois. C'est étrange de réaliser à quel point ces petits détails se sont imprimés dans ma mémoire.

— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il a dit ?

— Je ne pense pas que j'étais censé l'entendre, mais après m'avoir indiqué qu'il avait trouvé la personne que je cherche, il a marmonné « quel connard ».

Un rire bref m'échappe, et je secoue la tête.

— Alors ? Que s'est-il passé ?

— Rien de palpitant. Juste un gamin qui a fait une erreur. Comment tu vas ?

Nous marquons tous les deux un temps d'arrêt. Malgré nos deux rencontres et autres échanges houleux, nous n'avons jamais franchi le cap du tutoiement. Que cette barrière tombe me surprend autant que lui.

— Je...

Les mots me manquent, mais cela n'a pas d'importance, car Émilien m'épargne l'effort de les trouver en répondant avec sa nonchalance habituelle :

— Je vais bien, et toi ?

— Semaine compliquée, avoué-je en me frottant la nuque. Les gardes, tu imagines comment c'est.

— Long ?

J'acquiesce tandis qu'il tapote distraitement le dossier de la chaise du bout des doigts. Les reflets du soleil donnent à ses cheveux bruns un aspect presque cuivré. La lumière adoucit ses traits, et pendant un instant, je me surprends à ressentir un trouble inattendu dans mon estomac.

— Tu ne t'assieds pas ? demandé-je pour briser le silence et dissiper l'étrange sensation qui s'installe. Qu'est-ce qui t'amène ici d'ailleurs ? Je t'ai vu partir avec ta famille.

Il hésite une fraction de seconde, comme s'il cherchait ses mots, puis incline la tête avant de se glisser sur la chaise en face de moi.

— Victoire m'a dit que tu étais là, mais je ne savais pas trop si je devais venir te voir ou pas, reconnaît-il enfin, une expression incertaine sur le visage.

— Mais tu es venu.

— Oui. Je me suis dit qu'il valait mieux clarifier certaines choses.

Je hausse un sourcil, surpris par sa réponse rapide quand, habituellement, il aime me faire languir. Mon esprit divague un instant. Où veut-il en venir ? Je m'étais convaincu que notre jeu était terminé, pourtant le voilà assis en face de moi, comme si de rien n'était.

— C'est maintenant que tu veux clarifier ? lancé-je, une pointe de sarcasme dans la voix. Je pensais que tout était déjà très clair entre nous.

— Oh, arrête ta comédie, Léonard. On sait tous les deux que ce n'est pas le cas. Je suis parti la dernière fois sans rien expliquer et ça t'a énervé. C'est évident.

Il esquisse un sourire, mais je remarque que ses doigts replacent ses lunettes de soleil. Ce geste me laisse penser qu'il n'est pas aussi à l'aise qu'il essaie de me le faire croire.

— Et alors ?

— Et alors, je ne veux pas que tu penses que je t'ai laissé en plan deux fois de suite sans véritable raison. Ce n'est pas mon genre.

Je le fixe, tentant de lire au-delà de ses paroles. Émilien est généralement aussi impénétrable qu'une forteresse, mais aujourd'hui, il semble différent, moins méfiant, plus accessible. Peut-être que notre jeu est bel et bien terminé, et que c'est quelque chose de nouveau. En revanche, il a tort. Je n'étais pas énervé de le voir partir. J'étais simplement... déçu ? Néanmoins, je préfère encore qu'il pense m'avoir agacé plutôt qu'il sache la vérité.

— Je vois, dis-je, même si je ne suis toujours pas certain de comprendre. Donc tes départs précipités n'étaient pas juste des prétextes pour te venger ?

Son sourire s'élargit. Je ne sais pas s'il atteint ses yeux à cause de ses lunettes de soleil, mais lorsqu'il reprend, sa voix est mesurée, presque détachée.

— Non. Si tu veux tout savoir, je passais un bon moment. Mais disons que j'avais mes raisons de partir aussi vite, et qu'elles étaient valables.

Mes doigts jouent avec ma tasse presque vide tandis que je l'observe. Il passait... un bon moment. Avec moi. Franchement, je n'en avais aucune idée. Il est si difficile à lire. Je pensais sincèrement qu'il le faisait exprès.

Je pourrais insister, chercher à creuser pour découvrir ce qu'il cache derrière ses phrases mystiques qui ne donnent aucune information utile. Quelque chose dans sa posture m'en dissuade. En fin de compte, sa présence ici suffit à apaiser une partie de la frustration qui m'a rongé ces dernières semaines. J'ai beaucoup de défauts, mais la rancœur n'en fait pas partie.

— OK.

— Tu ne vas pas me demander de développer ?

— Non.

Son expression trahit sa surprise. Pourtant, je suis sérieux. Je n'insisterai pas parce que s'il refusait de répondre, ça m'énerverait inutilement. Autant l'éviter. Et puis, il ne m'a jamais poussé à révéler plus que je ne le voulais, alors cette fois, je peux bien lui rendre la pareille.

Émilien laisse échapper un soupir discret, suivi d'un rire bas qui brise la tension de ce moment étrange. Le silence qui suit reste intense, mais il est loin d'être inconfortable. Ni lui ni moi ne faisons mine de le rompre, comme si nous savions qu'il était nécessaire avant de pouvoir officiellement passer à autre chose.

— Et maintenant ? demandé-je après deux bonnes minutes. Tu comptes rester cette fois ?

Mes yeux fixent ses mains qui ont cessé de tapoter la table. Il incline la tête, un mince sourire habillant son visage détendu, sans pour autant donner de réponse directe. Un moyen contourné de me faire comprendre qu'il est de nouveau lui-même. Ses intentions restent un mystère pour moi, mais je lis dans son attitude décontractée qu'il est... heureux ? Satisfait ? Quelque chose entre les deux.

— Tu voudrais que je reste ?

Oui, je crois. Mais qu'est-ce qu'il est chiant à ne pas répondre.

— Tu fais comme tu veux.

— Très bien. Dans ce cas, on pourrait aller manger quelque part ? propose-t-il avec un haussement d'épaules. Repartir de zéro.

— Je n'ai pas envie de repartir de zéro, bougonné-je, simplement pour le contredire.

— Mais tu ne dis pas non à un repas avec moi.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Payet ? J'ai faim.

Ma façon d'accepter son invitation le fait rire. Nous décidons rapidement de retourner dans la brasserie où nous nous étions retrouvés en mai. Émilien mentionne qu'il préfère les lieux qu'il connaît aux nouveaux endroits. Ça me va. Je règle mon addition sans commentaire, puis nous quittons le café.

Est-ce que ça pourrait être aussi simple que ça ? Quelques mots échangés, et on efface tout ? Une part de moi aimerait y croire, mais l'autre, celle qui ne s'emballe jamais, reste prudente. Émilien n'a aucune raison de vouloir dîner en ma compagnie. Pas après tout ce que je lui ai sorti. Pourtant, il est là... et je n'ai aucune idée de ce qu'il attend de cette soirée. Mais, pour être honnête, je ne sais pas non plus ce que je souhaite. Peut-être juste qu'il continue à m'envoyer chier. Ça me change. J'aime sa manière d'être, même si je ne l'admettrai pas devant lui. C'est peut-être aussi pour ça que je le laisse autant me surprendre.

Alors que nous marchons côte à côte, Émilien avec sa canne, moi les mains dans les poches de mon short, la chaleur étouffante de l'après-midi s'atténue enfin, remplacée par une brise agréable pré-orageuse. Les bruits de la rue se mêlent au bourdonnement du tram qui passe à côté de nous. Émilien nous impose un rythme plus lent que celui auquel je suis habitué. J'en profite pour observer ses gestes, sa façon de naviguer dans cet environnement compliqué. Ça paraît facile alors que je me doute que ça ne l'est pas.

Nous discutons de tout et de rien. Durant les dix minutes que dure le trajet entre le café et la brasserie, les sujets changent sans transition marquée. Cela passe par le film que j'ai vu avec Sarah à une anecdote absurde sur l'un de ses élèves. Rien d'important, mais parler avec lui est agréable pour une fois.

Arrivés au bar, je choisis de nous installer à nouveau en terrasse. Le bruit des conversations y est plus faible qu'à l'intérieur. Je me dis que ce sera plus pratique pour lui puisqu'il a l'air d'énormément se fier à son ouïe.

— Ça te dérange si je fume ? me demande-t-il une fois notre commande passée.

Je hausse un sourcil, surpris.

— Je ne suis pas ton père, fais ce que tu veux.

Malgré la rugosité de mon ton, ma voix reste douce, presque sans le vouloir. Émilien secoue la tête, peut-être par amusement, avant d'allumer sa cigarette. L'extrémité rougeoyante brille un instant. Il inspire et relâche la fumée en un long souffle, dans la direction opposée à la mienne.

— Tu sais, je ne fais pas ça souvent, annonce-t-il soudainement.

— Fumer ? ironisé-je.

Je plisse les yeux, sceptique, tandis qu'un sourire en coin effleure ses lèvres à cause de ma réponse, avant de s'effacer rapidement lorsqu'il retrouve son sérieux.

— Non. Inviter quelqu'un qui trouve toujours un moyen de m'insulter, ou qui me tape sur les nerfs. Je ne suis pas maso.

La fumée danse dans l'air chaud et humide avant de s'évanouir. Un frisson me parcourt, mais je ne sais pas si c'est dû à la brise ou à ses mots. J'essaie de déchiffrer un indice dans sa posture, mais Émilien reste impassible, presque énigmatique. Foutue statue.

Alors, comme à mon habitude, je fais ce que je fais toujours quand je ne sais pas quoi dire :

— Ravi de te faire sortir de ta zone de confort. Et d'apprendre que c'est toi qui paies.

— Hmm, hmm, s'amuse-t-il.

L'agitation qui m'a traversé plus tôt revient, plus intense cette fois. Nous restons là, tous les deux. Le cliquetis des verres autour de nous semble disparaître, et lorsque nos tapas arrivent, je réalise à quel point je savoure cette incertitude entre nous. La tension est toujours là, mais elle a changé de nature. Ce n'est plus une bataille pour avoir le dernier mot, mais un terrain inconnu où je ne sais pas ce qui pourrait se passer ensuite. Ma soirée, qui aurait pu être banale, prend une tournure inattendue, et je me surprends à espérer qu'elle dure un peu plus longtemps.

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