Salut... J'suis revenu de Dakar. J'espère que tu vas ienb car c'est le cas pour oim. J'ai revu mon grand-père, on a passé pas mal de moments ensemble et j'crois que cette pause était indispensable après ce que j'ai fait. Crois-moi que j'ai ienb réfléchi et je me demandais si t'étais d'accord pour lire mes textes et m'dire ce que t'en penses, avant qu'on fasse un premier enregistrement., Lorenzo aurait voulu conclure ce message vocal pour Giovanna par une formule qui traduirait au moins une amitié basée sur l'affection, mais il ne put aller au-delà de ce qu'il avait dit.

Lorenzo rabattit son bras pour lire le cadran de sa montre, qui indiquait trois heures du matin. Il était de retour chez lui, là où tout a commencé. Les Lilas : il fumait l'une de ses dernières cigarettes sur les marches de son bâtiment. Il avait retrouvé le plaisir autre part, c'est-à-dire dans l'écriture.

Lorenzo soupçonnait sa grand-mère d'avoir volontairement laissé ce petit carnet neuf sur la table de la salle à manger, pour qu'il commence à noter des mots, puis des idées qu'il transforma finalement en phrases.

Lorenzo était à présent impatient de les présenter à Giovanna, afin qu'elle lui donne ses premières impressions. Il fut subitement parcouru d'un frisson lorsque la liste automatique choisit l'instrumental de R.I.P Pop Smoke. Lorenzo ne voulant plus du tout finir comme Mac Miller, il changea immédiatement de production musicale. Il voulait désormais s'immerger dans les valeurs du rap français des années 90 : un instrumental brut, des paroles saccadées... Et le souvenir de ce temps qui lui rappelait Giovanna.

Le portable de Lorenzo vibra :

On se voit quand tu peux et surtout quand tu veux. Je bosse en ce moment beaucoup dans mon jardin, ma porte te sera toujours ouverte., Il cligna des yeux plusieurs fois pour réaliser qu'il ne rêvait pas. Lorenzo savait en effet que Giovanna ne se réveillait jamais la nuit sauf en cas... D'urgence. Le considérait-elle alors comme un proche intime qu'elle restait en état d'alerte constante ? Il ressentit pour la première fois, et à sa surprise, une certaine culpabilité. Il avait l'impression que Dieu et son destin irrévocable avaient déjà décidé pour lui... Il scruta alors le ciel d'un regard à la fois complice et agacé, puis écrasa son mégot.

Lorenzo ne ressentait pas le sommeil malgré la fatigue accumulée, parce qu'il sentait cette bonne adrénaline qui apparaissait lorsqu'il effectuait ses premiers pas sur le chemin de la réussite. Écrire était bénéfique et cathartique.

***

Se sentir si mal dans sa peau doit être une torture., Giovanna retourna une des nombreuses copies posées sur sa petite table extérieure. Elle lisait les mots de Freeze, mais également ceux de Nekfeu, Népal et Georgio sans pour autant connaître l'origine de ces écrits. Lorenzo lui avait proposé de deviner ses nouveaux textes d'une manière originale.

Lorenzo leva la tête du manuel de grammaire de Giovanna. Elle ouvrait souvent ses livres de conjugaison et ses dictionnaires d'orthographe afin de vérifier ses connaissances déjà bien acquises de la langue française. Lui découvrait des règles dont il n'avait encore pas entendu parler, mais ces révélations lui permettaient de s'accorder une pause dans son écriture. Il rendait visite à Giovanna trois à quatre fois par semaine.

C'est aps oim j'te jure !, Lorenzo leva les paumes de ses mains vers Giovanna qui en même temps observait d'une motivation peu flagrante le tas de dossiers traînant sur son petit tabouret en bois. Il savait que des encouragements lui seraient nécessaires pour qu'elle se plonge et finisse ses corrections. Il n'attendit même pas la permission de Giovanna et ouvrit la pochette orange.

Les témoignages de Giorgiana, Giulia, Tonia et bien sûr Giovanna étaient rassemblés par Iolanda dans le cadre d'un projet considérable expliquant la place, l'importance et l'influence du rap dans le quotidien de ces femmes.

Giorgiana parlait d'une opportunité professionnelle inattendue et donc d'autant plus plaisante, Giulia expliquait cette chance de vivre avec un rappeur dont l'amour était réciproque et Tonia racontait aussi les difficultés subies lorsque l'image publique de son homme pouvait être bafouée.

Lorenzo arriva au bout de la lecture essoufflé mais resta malheureusement sur cette sensation désagréable du manque d'un dernier contenu. Il dévisagea Giovanna comme si elle... Puis un mot manuscrit de cette dernière tomba sur les genoux de l'artiste.

Giovanna savait qu'elle possédait un bien précieux, parce que ce dernier réunissait toutes les raisons écrites pour lesquelles ses amies aimaient le rap. Les écritures variaient et exprimaient des interrogations comme : "Est-c'que le rap m'a sauvé ?", "Qui aurait pu prévoir que le rap me sauverait ?" Le regard de Lorenzo s'arrêta cependant sur l'unique raisonnement de Giovanna : « Pardonner, c'est rendre sa liberté à un prisonnier. Et se rendre compte que le prisonnier, c'était vous. ». Lewis Smedes