Chap XII : Bordos I (2/4)
*
* *
Une âme ne doit sa fourberie qu'à la naïveté d'une autre.
— Oyphul... Je suis content que tu sois venu, déclaré-je, sans trop de peine, le sourire en coin.
— Tu as parlé de pactole, non ? Il va de soi que je ne pouvais pas manquer cela... rétorque le nouvel arrivé.
Nous avons pris place dans une taverne aux environs de Pallarya. Extravagante buvette que celle-ci. Le bois se veut de qualité, les murs qui la composent sont en marbre blanc très soigné sur lequel se dessine à chaque intervalle un fleurage, prêtant allusion au passé de la famille Icandar. Cette dernière tient ce petit commerce depuis bien le tour de leur grand-père. Ce petit lopin de terre aussi d'ailleurs.
C'est bien un havre de paix pour tous ceux qui tiennent à se laisser traîner dans la paresse. Pourquoi cela ? Il suffit d'observer ses serviteurs d'une propreté et d'un dévouement aberrant — Ah, Lodart sait museler ses proies.
— Alors... reprend le mercenaire, plaçant ses outils près de lui. De quoi s'agit-il exactement et de combien est-il question ?
— Tu t'es quelque peu ramolli, mon petit monsieur... observé-je, d'un ton narquois.
— N'élude pas la question et viens-en à l'essentiel, veux-tu ?
Ah ! Toujours aussi pressé, celui-là. Selfor est à quelques mètres. Il est accoudé au bar, examinant les gestes d'Oyphul. Il est bien dangereux de porter foi en un seul homme, sur ce continent. Surtout, ne pas paraître plus loquace avec lui. Il aurait la fâcheuse idée de se dégonfler.
— Un trésor...
— Quelle proportion ?
— Exorbitant...
— Où et pour quand ?
— J'organise une petite équipe... Une plongée dans la forêt mystique.
— Tu délires ?
— Nous partons dans deux semaines, le temps de rassembler tout le monde.
— Tu crois que je vais m'aventurer dans une telle expédition ?
— C'est le pactole du siècle...
— Non, c'est de la folie... et puis, ce serait exactement où dans la forêt ?
— Si tu ne veux rien gagner, tu peux encore partir...
— Tu ne veux rien me dire, c'est ça ? Vieux serpent !
— Allez, tu as cinq minutes pour te décider. Demain, nous partons pour la province de Benedictus.
*
* *
Mettez-vous une seconde à réfléchir sur ce que vous désirez... À présent, placez les pions et laissez la magie de la vie assembler les pièces.
— Je viens à une condition... Que vous m'assuriez qu'il n'y aura pas de messes basses.
Je confirme au prêtre notre sérieux et notre assurance, que nous en sortirons plus heureux que les rois dans leurs lourdes étoffes.
J'ai obtenu tous mes pions. Oyphul s'est occupé d'inviter un autre membre. D'après ce qu'il m'a décrit, ce dernier de la liste possède toutes les caractéristiques à rajouter sur mon échiquier. Mon premier objectif était de m'entourer de voyageurs avides de richesse et pouvant donner le meilleur d'eux-mêmes pour l'obtenir.
Il me fallait aussi quelqu'un de réservé, capable de résister à la corruption. Le prêtre est le candidat idéal. Ils servent les populations d'Haemmer en leur montrant la voie de la paix, sans pour autant rechercher le moindre intérêt matériel. Nsenga répond à cette caractéristique.
Selfor me servira de bouclier au cas où les choses tournent mal. Et le prochain combattant sera le plus renversant des quatre. Il devra jeter le trouble parmi les membres.
La lisière de la forêt se veut déjà inquiétante. Je ne m'attendais pas à ressentir une telle torpeur en mon sein. C'est le moment d'expliquer mon plan et de me présenter. Tout le monde me fixe, c'est bien ! Toutes les provisions et les munitions ont été rajoutées. Nous sommes parés à toute éventualité.
Je me surprends à tarder de prononcer mon discours d'ouverture — illogique — serais-je stressé ?
— Bien, messieurs... débuté-je. Nous voici face à la Toile, siège de toutes les craintes de Lodart... continué-je, en jetant un regard furtif vers la sombre forêt. En plein midi, pas une seule once de lumière ne se distingue.
« Nous allons pénétrer dans la forêt d'ici quelques minutes... Je ne vous apprends rien en vous assurant déjà qu'il risque bien de nous apparaître des créatures jamais observées par les précédents explorateurs de la Toile... »
— Tu philosopherais presque, mec ! Je pose mes iris sur le fameux aventurier qui me prouve déjà avoir une langue bien pendue, par Bivrius ¹.
— Tu as raison... acquiescé-je, en affichant un sourire masquant mon malaise.
« Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis Bordos Durentlas, je suis explorateur et prêt à assumer l'entière responsabilité de nos vivres durant notre voyage dans le but, bien-sûr, d'arriver vivant à destination... et naturellement, que nous en revenions. »
— Tu es bien sûr de toi... commente Oyphul, toujours aussi dubitatif.
Je ne peux m'empêcher d'afficher un regard courroucé.
— Alors, je me donne tout le mal du monde, en offrant aux rois des babioles intéressantes, pour rien, c'est ça ? Les raisons qui vont me pousser à pénétrer cette forêt sont dérisoires pour vous, mais sans égal, me concernant. Réfléchissez à nouveau au pourquoi de votre marche... car à l'intérieur, je ne veux entendre personne couiner.
— Attendez, interrompt le prêtre. Vous êtes au moins conscients que nous risquons d'y rester ?
— C'est ta première expédition, le détenteur ? balance Eskiell, la tête haute.
Le guide aux cartes dévisage un instant son interlocuteur, l'air étonné. Je sens que l'aventure va me prendre le pied, pendant longtemps.
— Bien, messieurs... Il est temps. Oyphul, tu seras en charge des armes et du soutien. Tu garderas aussi les tentes, donc, tu seras en quatrième position pendant la marche.
— Pourquoi commencer par me citer, moi si je n'suis que le quatrième ? s'indigne l'intéressé avec une grimace.
Je lui lance un regard qui se veut clair et menaçant. J'ai bien envie de lui arracher quelque chose. J'avoue être irrité lorsque quelqu'un me coupe la parole. Je garde le silence une trentaine de seconde, de façon à graver mon autorité dans sa cervelle. Cela a le mérite de m'ouvrir la voie.
— Nsenga ! Tu te concentres sur l'ouverture. Nous guider est de ton ressort. Les cartes t'appartiennent. J'en possède une, au cas où. J'en distribuerai à chacun d'entre vous... Eskiell, tu seras en troisième position, tu conserveras tes affaires. Tu auras pour tâche de supprimer les e-motios qui tenteraient de nous faire obstacle.
— Ce sera une partie de plaisir, répond celui-ci avec assurance.
— Selfor, tu fermeras la marche. Tu auras pour rôle de protéger l'arrière garde, cela va sans dire.
Les trois autres se mettent à étudier mon compagnon.
— Et enfin, moi. Je serai en charge des vivres. Je m'occupe de la révision de notre position, à chaque instant. Si personne n'a quelque chose à déclarer, lançons-nous, voulez-vous ?
*
* *
Le pas d'un homme dans l'inconnu se doit d'être suivi d'une certaine assurance. Mais suis-je certain que nous ne risquons pas de nous tromper en chemin ?
Je souffle de tout mon corps. Le dernier e-motio nous a bien lessivés. Contre toute attente, la fin de notre voyage est bien loin — Tiens, qu'est-ce que c'est ? — Que font-ils ?
— Allons, allons ! Pourquoi perdez-vous votre temps ?
Une jeune fille ? Et armée ? C'n'est pas bon signe, ça. Qui est-ce ? Nous aurait-elle suivies ?
— Je suis le chef de ce petit groupe... mais... dîtes moi... Que faites-vous dans cette dangereuse et impitoyable forêt ?
— Ce que je fais ici ne regarde que moi... tout comme vous.
Il est possible qu'il s'agisse d'une espionne — Oui — Une espionne, sans conteste. Je me sens muselé entre deux tvaraks. Faut-il que je la fasse abattre sans attendre ? Je suis forcé de reconnaître que sa dextérité et sa témérité nous serait fort utile. Caractère révulsant, mais nous pourrions nous y accommoder.
— Écoutez ! Nous ne cherchons pas à vous faire de mal, reprends-je. Nous voulons juste savoir si vous êtes là à la recherche d'une babiole égarée. Je n'sais pas moi, un lapin ou un collier... À moins que ce soit, vue votre caractère, un couteau ou une matraque...
Je me mets à rire à gorge déployée. Une larme perle mon œil gauche. Dans mon relâchement, je me donne à penser que lui présenter une mine détendue, peut lui prêter des illusions. Je m'arrête net de m'afficher ainsi et lui lance un regard qui se veut menaçant :
— Ou vous êtes ici pour nous espionner !?
L'expression de son visage n'a point changé. Elle me semble bien réservée ou tout simplement étourdie. Je fais signe à l'aventurier de laisser respirer l'inconnue. J'observe la jeune fille en espérant qu'elle comprenne de suite, que redevance oblige pour cette action.
— Je suis ici pour mon propre compte... Vos affaires ne me concernent pas.
Mais bien-sûr — Comment ne l'ai-je pas vu venir, ce coup ? Je ne sais pas si je dois m'inquiéter de ce qui se trame déjà dans ma tête. Je me sens chaud, tout à coup. J'ai envie de serrer les dents, supprimant ainsi le sourire que j'arbore, en ce moment. Appâtons-là d'une autre manière.
— Mademoiselle... Comment vous appelez-vous ?
— Alpha !
— Mademoiselle Alpha... Je m'appelle Bordos Durentlas, je suis le chef de cette expédition. Excusez notre petit échange du début, nous sommes sur les nerfs depuis notre arrivée dans cette forêt.
Elle ne répond pas à ma phrase et continue de me fixer de son bleu saisissant. Cela me désappointe.
— Nous avons connu récemment pas moins de trois attaques d'e-motios prêts à en découdre, alors vous comprenez. Nous sommes un peu sur les nerfs... Je suppose que vous en avez bavé, vue votre état, vous aussi ?! Que diriez-vous de faire cavalier avec nous ? Cela augmenterait vos chances de parcourir cette forêt deux fois plus vite et en sécurité.
— Qu'est-ce qui vous fait croire que je veux vous suivre ?
Alors celle-là a le mérite d'être directe.
— Absolument rien. Mais... si j'étais aussi forte que vous, je me dirais qu'il vaudrait mieux en apprendre plus sur cette forêt, en compagnie de soldats du même calibre que moi.
— Je me suis lancée dans cette mission en toute connaissance de cause. Et je ne crois pas changer ma vision des choses.
— Ne faites pas la revêche, vous y gagnerez au change d'être aux côtés d'un explorateur d'expérience, tel que moi.
Une espionne ? Possible. Mais nous le saurons si jamais nous la recroisons. J'aurai voulu en savoir plus sur l'usage de son équipement. Au moins, je sais qu'elle voyage seule et ne possède aucun autre attirail que ses armes noires, pendues à son uniforme.
— Quelle est votre destination ?
Je me retourne, surpris. Elle vient. C'est presque troublant sur le moment, mais je récupère bien vite mon sourire et fait face à la jeune Alpha. Le changement me pique d'un coup.
— Changé d'avis ? déclaré-je, un poil cynique.
— Quelle destination ? insiste-t-elle. C'est un tantinet effrayant, sa froideur.
Elle a une façon de poser ses iris dans ceux de ses interlocuteurs, que c'en est presque grisant. Qui est cette jeune pousse ? Où va-t-elle ? Et surtout, que cherche-t-elle ?
Je ne demande rien d'autre qu'une assurance que notre périple se fera sans incident coûteux. Un dévoreur ou deux, c'est encaissable. Mais un déviant sera une véritable affaire. Je lui fais volte-face, en lâchant quelques mots à son intention :
— Versle Nord-ouest.
* Bivrius : référence à un des trois grands dirigeants de Prisma.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro