Chap X : Nsenga (4/4)
*
* *
— Comment se fait-il que tous nos vivres aient ainsi disparu ? s'écrie Eskiell de plus belle.
Que s'est-il réellement passé ? Comment toutes nos charges ont mystérieusement disparu ? « Comment », est-ce le bon terme ? La question serait plutôt de savoir pourquoi ? Pourquoi avoir attaché un quelconque intérêt à des babioles remplaçables ? Pourquoi ne pas nous avoir attaqués de nuit ? Quel but devait poursuivre le coupable ? Et qui ?
— Que se passe-t-il, mon père ? prononce une voix efféminée, que je reconnais en pivotant quelque peu de la tête.
— Ce qui se passe ?
Je me mets à expliquer la situation tout en profitant de cet instant pour concilier les différentes hypothèses.
— Avoue simplement que tu en es responsable... lance Eskiell, serrant les points.
Tout ceci est absurde. Le responsable n'est certainement pas parmi nous. Il est clair que l'on veut nous déséquilibrer. Juste à les observer, cherchant à s'empoigner, cela me dit long sur les mœurs des peuples, en dehors de Benedictus.
— Eskiell ! Si j'avais voulu vous nuire, il aurait été préférable de le faire quand nous serions plus en aval dans notre voyage, tu ne crois pas ?
— Possible également que tu ais décidé d’agir hâtivement, tout œil baissé... Personne ne t’aurait soupçonné.
Non, cela ne tient pas debout. Devrais-je en discuter avec elle ? Après tout, c'est un membre de l'équipe et bien plus ouverte d'esprit. Depuis que je l'ai observé, elle s'est gardée de s'écarter d'une ligne de conduite que je qualifierais d'irréprochable.
— Mais c'est curieux... débuté-je, en dérangeant mon faux bouc, tout en continuant à fixer nos trois acteurs. Voler un objet, c'est concevable... mais réussir à parcourir tout le cercle sans alerter le chef, cela demande le recours à la magie. Seulement, je m'y connais en magie et si jamais pareil
être s'était approché ou apparu en plein milieu de notre attroupement, je
l'aurai perçu, même entièrement endormi... Et si cela n'était point le cas, aube naissant, j'aurai décelé le point d'utilisation d'une magie quelconque...
Je continue à observer la scène, en me demandant si elle allait argumenter à son tour.
— En d'autres termes, notre voleur se serait fait prendre, en usant de la magie, ce qui amène à conclure que seul un x personnage, aurait tourné de sac en sac pour y retirer les affaires plus ou moins utiles... Et comme
Bordos était de garde et qu'il se trouvait assurément face au groupe, faisant son contour, cela amoindrit ses chances d'être disculpé.
— Tu as bien pensé... Mais restons sur l'hypothèse qu'il ne s'agisse pas de lui...
— Tu es aussi d'avis que cela puisse venir d'un x personnage ?
Cela me réconforte de savoir qu'elle en arrive à la même déduction. Tout cela devient de plus en plus mystérieux et je n'ai vraiment aucune envie que l'on traîne sur une pareille affaire. Un prédateur peut être entrain de
nous surveiller, depuis un moment. Il peut s'agir même du fameux personnage x.
— Selfor ! Rassemble tous les sacs, cela nous aidera à examiner les objets nécessaires sur le temps.
Le mercenaire obéit à l'ordre de l'explorateur, sans tarder. Nous le voyons se diriger vers le bagage restant et les petites bricoles. Je me retrouve à me reposer ces questions indigestes : faut-il vraiment se mettre sur la
défensive entre nous ? Nous séparer serait-il judicieux ? Ou est-ce...
Le temps d’assister à la sortie des sacs du trou, ma question prenait peu à
peu l’expression d’une blague.
— … Tu m'as bien piégé, trombe de dell !
Mais c'est quoi ce théâtre ? Pourquoi autant d'agressivité ? A-t-il quelque chose à se reprocher ?
Ridicule...
*
* *
Pas une seule réponse satisfaisante. C'est sans conteste un coup juvénile. Ne serait-il pas envisageable que le sournois plaisantin ait essayé de trouver quelque chose dans nos affaires, mais n'ait rien trouvé ? Il peut s'agir d'un des nôtres. Mais le trou n'a aucun sens, dans ce cas. Et vue la profondeur, c'est indubitablement une bête surgissant du sol qui l'a réalisé.
Nous traversons un fort accroissement d'arbres verts, dont l'humidité a vite fait de marquer les troncs striés. Nous allons bientôt nous arrêter afin de poser notre camp. Je ressens la tension qui circule entre nous. Nous devons forcement tous y penser.
Une pensée à mes plans personnels vient faucher l’affaire en cours. Un e-motio de premier ordre me pousse à avancer, il est vrai. Quand pourrais-je me lancer dans ma quête personnelle ? Je dois les accompagner jusque dans la partie Nord-ouest de la forêt. Après cela, je me taillerai ma propre route.
La flamme d'Atlanta nous permettrait-elle de pénétrer, même au plus profond des ténèbres ? Dois-je me préparer à aller à l'encontre de l'entente ? Je crois que j'en serai finalement obligé. Y a-t-il un moyen rapide de rencontrer l'e-motio ? Et Alpha ? Ne devrais-je pas faire route avec elle ?
*
* *
Aujourd'hui, nous nous sommes réveillés avant l'aube. Il fait encore nuit. Je suis à côté de mes frères d'armes, sous la chaleur du feu crépitant. Nous attendons que le tvarak cuise à point nommé. Lorsque le moment sera venu, j'irai réveiller Alpha.
Depuis notre arrêt, elle s'est endormie, l'esprit emporté par la fatigue de notre marche éreintante. Je me tourne mécaniquement vers l'arbre de la jeune fille.
Je fronce les sourcils tout en levant la main, pour attirer l'attention de mes camarades de fortune.
— Eh... les gars !
Je me presse de les rassurer en suggérant qu'elle peut être allée se refaire une toilette. Selfor se rapproche lentement de l'arbre de l’aventurière. Bordos baisse subitement la tête, cachant son sourire, doublé d'un pouf, frôlant presque l'ironie. Un je le savais attendu de partout.
— Haha... Je donnerai ma main à couper qu'elle s'en est allé accomplir sa quête.
— Tu n'en sais rien. Sa sainteté a dit qu'elle pourrait être entrain de se refaire une beauté. Il doit y avoir un lac dans les environs... Elle ne peut pas nous avoir fait faux bond.
Nous restons deux à trois minutes à contempler Selfor vérifier les traces de pas et les mouvements d'Alpha. C'est bien un chasseur. Juste à cette
action, on devine sa longue expérience des traques.
— Je rejoins sa réponse. Elle ne peut pas être partie comme cela. Elle va...
— C'est unanime ! Elle a pris ses jambes à son cou.
Eskiell pointe furieusement Selfor.
— Toi ! Tu la ferme, tout de suite. Tu n'as aucun droit de la traiter comme une traîtresse.
— Si tu tiens tant que ça à te défouler, sache que je suis en pleine forme pour un petit accrochage, rétorque le mercenaire, prêt à devenir violent.
À la fin de la rétorque de Selfor, l'aventurier écarquille des yeux. Il prend déjà le pas pour s'élancer vers son interlocuteur. Je me précipite pour bloquer Eskiell.
— Doucement, mon vieux. Ce n'est pas le moment, precisé-je.
— Écoutez ! intervient Bordos. Je suis désolé, Eskiell. Elle avait tous les droits de faire ce qu'elle a fait. Je suis certain que tu comprends.
— Toi, ne la ramène pas, s'énerve l'aventurier. Tu sais que c'est ta faute, tout ce qui arrive. J'aimerais bien te disculper de mes soupçons, mais il se trouve que tu es le seul de nous quatre à n'avoir pas utilisé tes pouvoirs,
lors de nos accrochages et en plus, tu étais présent lorsque nos charges ont mystérieusement disparues.
L'explorateur reste interdit. C'est bien un aventurier, se dit-il. Il incline nouveau son crâne et continue à écouter le reste des torts proférés par son camarade.
— Elle a sûrement mûrement réfléchi à la situation et a défini ses priorités. Et... Il incline sa tête... ou peut-être que c'est autre chose.
Bordos lance ses mots comme pour éluder le sujet tant sulfureux, introduit
par Eskiell.
Je sens que cela va continuer une bonne dizaine de minutes. J'essaie de placer un mot pour sauvegarder le peu de crédibilité que je peux accorder à Alpha. J'encaisse les retours de Selfor et le silence de Bordos.
— De toutes les façons, le repas est prêt... informe le meneur. Allez, venez ! Nous allons pouvoir profiter de notre matinée.
— En effet, pointille Selfor.
Je souhaiterai faire plus, j'ai bon espoir qu'Alpha revienne de sa petite ?affaire.
Je soupire du coup. Toutes ces histoires ridicules, ces disparitions sans queues ni têtes et maintenant, la supposée fuite d'Alpha, ont vite fait de me griller mon humeur. Je tourne mes pupilles vers un point qui m'interpelle. À la seule vue de la silhouette lointaine, un refus intérieur me bloque le temps d'accepter qu'une nouvelle menace se dessine peut-être à l'horizon.
— Les gars ! murmuré-je, les iris toujours pointés vers le point au loin. Vous voyez ce que je vois ?
Le chef s'arrête et se retourne en raclant sa gorge.
— Tout le monde... Préparez vos armes... nous n'allons pas dîner ce soir...
Les événements s'enchaînent. Je suis comme pris de spasmes virulents. Je précise la nature de la silhouette à Bordos.
— ... en position !
Je me ressaisis soudain et me presse à épeler les mudras nécessaires à l'appel de mon bâton. Il apparaît de suite dans ma main, m'offrant plus d'assurance. L'arousal, barrière des maîtres de la troisième division. Il se compose d'une forte pression provenant des cieux jusqu'au sol, sous une image enflammée. La barrière sert évidemment de défense, lors d'un combat. Mais il est souvent utilisé au temple pour isoler les élèves récalcitrants ou pour former une séparation entre deux camps.
Je dois me dépêcher de concentrer mon énergie spirituelle. Je n'en ai même pas le temps que je constate l'épouvantable. C'est un e-motio. Est-ce certain ? Il arrive à lever ma barrière de par ses deux mains. Je me creuse la tête — aucune réponse — comment se fait-il ? Je me trouble bien vite.
— On bouge !
Une peur me prend. J'ai la main qui tremble. Peut-être une angoisse, je ne saurais le préciser. Dois-je les sauver ? Cela va sans dire. Dois-je me sacrifier en les laissant prendre de l'avance ? Ou devrait-on espérer atteindre la pente ? Je l’ignore. Ou plutôt, je tente de ne pas y faire face.
— Couchez-vous !
Je dois le faire. Oui, mais... qu'il est difficile de prendre pareille décision au-devant du danger. Ne serait-ce point le funeste destin de ceux qui osent pénétrer dans ce royaume sauvage ? J'ai besoin de temps pour y arriver.
De creuser profondément dans la roche précieuse de ma mémoire pour y déceler un brin de fierté, outre celle qui m'est quémandé d'exécuter. Par qui ? Personne — Oui — C'est bien cela. Personne. Pourtant...
— ...Nsenga ! Projette une lumière éblouissante pour les aveugler une seconde. Je vais m'occuper du reste... A mon signal, on file sans se retourner... prêt ?
Suis-je prêt ? La réponse n'a point d’importance. C'est certain qu'un devoir
m'est sommé d'être accompli — un devoir.
— Vas-y !
Je me lève et génère de la lumière. Tout s'illumine. Je peux sentir mon sang bouillir juste en libérant la parcelle d'énergie de mes paumes de mains. C'est inéluctable ! Je n'ai pas le choix.
J'aperçois les e-motios de la tentation s'élancer, hors de mon champ de lumière. Ils s'y sont habitués comme je le craignais. Je ne dois pas traîner — C'est maintenant.
C'est cela, c'est ma tâche. Cela fait partie de nos commandements. Nous, les détenteurs de la kerha, où que nous soyons, quoi que nous fassions et quelles que soient les raisons, devenons le bouclier des faibles et brillons éternellement.
— Hall Imperia ! déclaré-je, en haussant le ton, le buste relevé.
Une massive aura s'échappe de mes pores. Je ressens une forte chaleur l'espace de quelques secondes. C'est le contraire d'un frisson. C'est tel u picotement. Un cercle se définit autour de moi.
Bien — Cela fonctionne. Je suis puissant. Je suis invincible. Je suis... sans limite.
— Qu'est-ce que... entends-je, derrière moi.
Ce doit être Eskiell. Ma transe est trop intense pour lui accorder toute mon attention. Un peu, je ne ressens presque plus le besoin de lui adresser la parole dans mon état, libéré d'une part émotionnelle. Seuls mes objectifs restent. Un prêtre reste un guide et de ce fait...
— Éloignez-vous, je vais les repousser... lâché-je, en espérant m'être fait entendre. Je suis le guide... Si je dois périr, ce sera en ayant protégé une âme en plus.
— T'essaye de jouer le héros ?
Le héros ? En sacrifiant sa vie ? Peut-être est-ce héroïque... mais, qui prend la charge de celui qui part ? C'est celui-là, le vrai héros. Vie vaut mieux que trépas — Oui — C'est ce que j'aurai dû dire à mon père afin de lui assurer que je valais plus que la simple place qu'il voulait que j'obtienne. J'aurai voulu le déclarer chaleureusement à ma mère, pour qu'elle grave elle-même mon nom dans la pierre des templiers. L'âme d'un soldat de la kerha. Je suis fier d'être un prêtre de Benedictus.
— Dieu soit avec vous...
C'est la dernière fois que j'entends leur voix, me dis-je. Mon assurance en est à son paroxysme. Je suis prêt à stopper nos poursuivants. La kerha m'enveloppe de sa douce chaleur. Je me sens comme dans un cocon où tous mes sens en éveil, me procurent une joie immense.
— La déchéance d'une âme... dis-je, avec un ton apaisé.
Je ressens une vive douleur à mon abdomen. C'est la blessure. Elle n'a pas encore complètement disparu. Elle a beau ne pas me gêner lors de mes déplacements, la trop importante libération de mes canaux spirituels me produit plus de mal que de bien. Mon incroyable puissance doit me jouer un tour.
C'est réellement une bête effroyable. Je n'ai jamais vu de tels exploits. Il arrive à s'introduire dans mon champ énergétique. Je le remarque par son pied dans mon cercle — Cela doit m'arriver maintenant — Mais quel est cet e-motio ?
J'ai juste le temps de faire fi de ma douleur, de me relever et encaisser un pesant coup de jambe de la créature dont la peau subit un carnage, à vue d'œil — C'est effarant.
Je fléchis genoux et abaisse paupières, en serrant les dents le plus fortement que je puisse. J'ai l'impression de perdre assurance. Serait-ce possible que je ne sois pas de taille, face à cet e-motio ?
« Non, non ! Tu ne m'auras pas. Je n'ai jamais été aussi sûr de moi. Je n'abandonnerai pas. Ils partiront et vous, vous brûlerez tous... jusqu'au dernier. »
— La déchéance d'une âme... se veut limpide... lorsque l'ennemi se trouve en son propre sein.
Je desserre mes mâchoires, laissant s'échapper une bouffée d'expiration — Allez, du courage.
— Mais elle devient déchéance du mal... lorsqu'elle se veut invulnérable face à l'adversaire... Kerha Maitreya !
Cela a le mérite de pulvériser instantanément toute la force, pesant sur mes membres et de brûler tout ce qui entoure ma position. J'observe ces bestioles zigzaguer, ne sachant pas où donner de la tête — Parfait.
Bizarrement, la terre tremble — non, non, pas ça — Que se passe-t-il ? Je n'ai pas le temps de bien détailler ce qui me tombe sur la tête. J'ai le réflexe de reculer quelque peu. Je n'entrevois plus la suite. C'est le noir total. Je suis livré à moi-même. Dans cette obscurité, j’arrive à sentir le poids de mon corps. Où suis-je ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro