À la lisière de la forêt interdite, sur la pelouse du vaste continent d'Haemmer, deux silhouettes échangent quelques mots, une dernière fois avant de se séparer.

Une demi-journée auparavant, un homme blond, des poches sous les yeux, la tête basse, sortaient de la Toile, se jurant de ne point oublier une seule des phrases prononcées à son égard.

Il examina à nouveau sa marque noire : un cercle tel un soleil avec des triangles autour représentant les rayons lumineux de l'astre en noir. Mais au milieu de l'étoile, un rond blanc faisait office de barrière à un point au milieu.

« Le sceau sur ton bras s'activera au moment même où tu tenteras de pénétrer la Toile »

L'homme cacha de sa manche longue, l'interdit. Et d'un pivotement, contempla une dernière fois, les ténèbres de la mystique forêt dont les portes ne lui furent point ouvertes. Pire encore, il avait sacrifié un soldat de valeur inutilement. Las de contrariété et de cuisants échecs, il se remet sur la route, direction, Prisma pour faire son rapport.

Aujourd'hui, ce sont deux amis qui se séparent. Le plein de vivre dans un sac, le prêtre embrasse une dernière fois, celle qu'il considère comme une pièce irremplaçable de sa vie, désormais.

L'homme a mûri. Il se sent investit d'une lourde tâche. Il sait dorénavant, ce qu'il doit faire. Il l'a compris sans rencontrer la créature qu'il s'était destiné à approcher.

Près d'eux, l'e-motio de la joie ainsi que l'e-motio d'élégance restent spectateurs de la scène. Plus loin, sous les ombres des arbres de la forêt, on ne compte pas moins de mille e-motios classiques venus assister au départ d'un familier à eux.

Alpha les a interpellés, mais eux, ont été subjugués par le prêtre qu'ils n'ont pas lâché d'une semelle. Allez savoir pourquoi. Dès son arrivée dans le district de l'antre de la honte, il avait attisé leur curiosité. Ceux qui l’avaient pris pour leur déjeuner se sont empressés de le pourchasser.

À la fin de son combat contre les agents de la fin à ses trousses, il a été approché par une foule de classiques fort curieux de sa personne.

Dès son retour dans la forêt, après le siège sur le vaisseau de la secte, quelque chose se distingua à nouveau. Aujourd'hui, ils ne veulent pas rater une miette de son départ.

La raison de cet intérêt jouissif, c'est la kerha. Sur Lodart, seule l'énergie spirituelle est plus importante que toute autre forme d'arme. Cette dite énergie est puisée dans son âme. Cela permet des prouesses, telle la manipulation avancée, la maîtrise de certaines matières par la pensée, le rallongement de son existence et même le talent de l'en dérober.

Oui, la guerre sur ces terres ne se réalise pas avec le glaive, mais avec son âme. Le but étant de séparer par tous les moyens, l'âme du corps. Et pour y arriver, plusieurs procédés sont mis à l'honneur.

Mais vous vous demandez pourquoi alors, Alpha et bien d'autres, dans l'histoire ont usé d'armes aussi bien blanches, qu'électriques ? Parce que les tvataks et les e-motios ne sont pas influencés par cela. D'où l'importance des aventuriers.

Mais je m'égare. Nous parlions de l'énergie spirituelle. Si l'énergie spirituelle de la majorité des Lodarois se puise dans l'inconscient enfermé en son sein, la kerha provient de la lumière. Cette dernière désigne un être unique et puissant, ayant offert à un certain groupe d'homme, la possibilité de puiser dans l'infini. Cela afin de prodiguer aux habitants de ce monde, une lueur d'espoir et guérir les afflictions l'y gangrenant.

En effet, les prêtres sont porteurs de bien des connaissances. Ils sont souvent cités comme les plus sages. Leur peau ayant reçu une forte pigmentation pour que l'on sache les reconnaître au premier coup d'œil.

Cette kerha attise l'intérêt des e-motios, car elle leur chuchote une mélodie que seules eux perçoivent. C'est celle-là même qui les lient encore plus intensément à l'infini création.

— Tu es sûre que tu ne veux pas venir te reposer au temple ? Tu y seras bien traité, insiste le prêtre.
— Je dois rester. Contre ma volonté, je me dois de suivre le règlement imposé par l'e-motio colossal. Je pourrai lui faire faux bond et m'enfuir, mais ils viendront hanter mon sommeil, au point que nos routes se croiseront à nouveau.
— Comment peux-tu en être aussi sûre ?
— Je suis un e-motio, à présent. Je sens ces choses-là.
— Penses-tu que tu pourras t'en sortir ?
— Selon le règlement, je dois être dans la Toile, pendant une durée de cinq mois avant de me permettre un déplacement autre part. Je suis la seule autorisée à quitter les lieux. Il me faudra cependant revenir, car, je suis la gardienne au chiffre unique le plus important.
— Après les colossaux, c'est maintenant toi qui commande !
— Je dois encore rassembler tous les évolués autour d'un même arbre afin de débattre sur la stabilité de la forêt et bien-sûr de ma présence. Je doute que tous apprécieront longtemps mon rang alors que je ne suis pas vraiment un e-motio à la base.
— Un e-motio ! J'avoue ne pas toujours y croire.
— Moi non plus. Mais…

Elle lève sa main et la contemple en continuant sa phrase :

— Je le sens en moi… je ne serai plus jamais la même.
— Espérons que tu trouves le juste milieu avec cette nature. Franchement, qui l'eût cru. Tu t'es introduite dans la Toile dans le but de récupérer tes émotions ainsi que tes souvenirs, quitte à taper sur les e-motios eux-mêmes. Et te voilà devenue l'une des leur… Et pas n'importe lequel… non… Madame a visé le top… Elle est e-motio dévoreur évolué à chiffre unique…
— Pire encore… on m'a assuré que le fait que je n'ai point perdu mes souvenirs, rajoute à ma nature, la caractéristique de déviant. Je suis une race nouvelle et certainement exclusive.

—Tu penses supporter ce groupe-là ? Nirvana et sa clique jusqu’au bout ?Remarque ! Je ne serai jamais loin pour te venir en aide si tu as besoin d’aide.
—J’exècre tous ces défauts dans le corps des e-motios. Ils étaient au départ des hommes sans foi ni loi. Devenu e-motio, ils ont affermi leur nature pernicieuse. Ils sont le comble de notre espèce. Nirvana représente tout ce qui est froid et laid… je n’ai point peur de le dire. Désolé, mais je suis certaine que je finirais par entrer en conflit avec eux. Tempérament oblige. Cependant, j’espère renverser la balance…
—La balance ?
—Soixante-dix pourcents des e-motios dévoreurs finissent par pérenniser leurs sombres émotions, au point d’en venir au désir d’en finir.
—La fausse, c’est bien cela ?
—Je vais renverser ce bilan. Je gagnerai la confiance des e-motios et générai une vague de dévoreur fort sensible à attirer des émotions agréables. Je viens de trouver ici une autre quête, j’imagine.
—Le voyage sans fin de l’aventurière Alpha. Cela sonne pas mal pour un récit d’aventure.

Un blanc s'installe. Au bout d'un quart de minutes, elle brise le silence :

— Et toi ? Que vas-tu faire ?
— Je vais rentrer dans mon temple, reprendre mon instruction. Mes étudiants doivent s'impatienter. J'ai de plus hautes aspirations, à présent. Je vais devenir un prêtre de premier ordre… et bien-sûr, je reste un protecteur de la Toile.

— Alors, nous sommes appelés à nous revoir.

Après un silence déchirant. L'heure du départ se lit sur le visage de l'homme.

— À une prochaine fois, Alpha.
— Au revoir, mon père.
Sur cet au revoir empli de nuance, le guide lui fait volte-face et marche à pas lourd, en direction de la verte vallée de Pallarya.

Alpha, qui n'avait cessé de le fixer pendant leur discussion, poursuit ce jeu jusqu'à un certain point, soulagée de le voir s'en aller sain et sauf.

Elle s'en retourne vers son nouveau chez soi. Un peu ténébreux, un poil barbare, la sauvagerie y est une loi et la terre joue au peintre chaque minute qui passe, mais c'est chez elle, dorénavant. Même partie, un rien restera attaché à ce monde.

Elle dépasse les vertes herbes écrasées par une foule de classiques la talonnant. Elle, gracieuse, belle et d'une démarche aux allures d'une déesse traversant sa forêt, elle se donne à fredonner le petit air de musique qu'elle avait entendu à Carthage. Les souvenirs des paroles du forgeur lui traversent l'esprit :

« Jeune étoile ! Tu as choisi d'être aventurière. C'est une noble profession, mais là où tu vas, il n'y a que ténèbres. Prends garde à toi ! Tu n'es pas la seule à le rechercher. »

Aujourd'hui, la voilà traversant les bois de la forêt interdite. Elle a rencontré, bien des obstacles, mais a retrouvé son précieux cadeau de vie.

Soudain, un son lui parvient dans la tête. C'est Emy. Elle se trouve dans un nouvel e-motio, on dirait.

— Emy ? lâche l'aventurière, en clignant des paupières.
— Tu me réponds enfin. J'ai cru que je ne pourrai plus jamais te parler.

Sa voix semble emplie d'une joie qu'Alpha ne comprenait pas avant.

— Tu te portes bien ?
— Tu sais… de nos jours, quand quelqu'un commence par cette phrase, c'est que la fin de la discussion n'est pas très loin… Un rire éloquent.
— Non, je plaisante… Je vais super bien et je suis contente de te parler. Tout s'est bien passé, j'ai cru commettre une ou deux fautes… mais l'on m'a assuré que je ne m'étais pas trompé... Dernièrement, un tas de choses sont arrivés dans ma vie… et c'est à toi que je dois de porter un sourire radieux.
— Ce n'est que le début du combat, n'est-ce pas ?
— En effet… C'n'est pas comme si j'avais réussi à maîtriser ma peur définitivement, mais c'est juste que je me sens prête à affronter… de nouveau défi.

Un soupire.

— Il y a quelque chose qui te tracasse, n'est-ce pas ? remarqu'Alpha.
— On ne peut rien te cacher… J'ai dit que j'allais bien… C'est vrai, moi, ça va… C'est pour Isa que j'm'inquiète. Bon, j'avoue que c'est pour cela que je voulais te parler… Mais, je tenais quand même à savoir comment tu vas ! À propos, toi, ça va, dans ton monde ? Tu as recouvré tes souvenirs ?
— C'est une sensation que je n'aurai pas décrit autrefois… mais maintenant, je crois n'avoir jamais été aussi perplexe de toute ma vie.
— Qu'entends-tu par-là ?
— Eh bien… il t'est déjà arrivée de souhaiter ardemment quelque chose et qu'en l'obtenant, t'as juste envie de souffler ?
— L'adrénaline a chuté… c'est tout, ma chérie.
— Et comment soignez-vous cela sur terre ?
— En cherchant de nouveau défi, je n'sais pas, moi… de nouveaux rêves… une nouvelle aventure… une nouvelle quête…
— Une nouvelle quête, hein ? Je crois savoir déjà ce que je veux.
— Eh bien, toi alors, t'es une rapide.
— Tu peux parler, toi.
Un rire sincère jalonne le sentier de l'évoluée. Elle se retrouve à présent, près de la cabane où elle avait passé sa première nuit dans la forêt. Elle considère chaque débris au sol. Au loin, son sac. Elle y distingue une bonne couche de poussière, alors que des toiles d'araignée le dévorent dans un style bien glauque.

Elle pose un pas sur le bois grinçant.

— Dis, Alpha ! J'ai passé une bonne demi-heure à y penser… remarque, je n’ai rien à faire… Mais… je voulais te dire… que t'es la plus belle chose qui me soit jamais arrivée… je veux dire… je n'aurai jamais imaginé que je pourrai parler un jour à quelqu'un de mes états d'âmes, autre qu'à un psychiatre.
— Ce sont des gens vraiment formidables, le sais-tu ? Des tas de gens cheminent vers une voie moins dangereuse que celle qu'ils allaient…
— Tu reprends encore ton jargon à s'en prendre une bouteille dans la face…
— Bref, il faut aller y faire un tour, lorsque tout va mal…
— Tu veux dire que lorsque tu ne seras plus disponible, il faudra que je me débrouille, c'est ça ?
— Toi, tu m'as, moi !
Un silence à nouveau palpable. Alpha a déjà atteint son sac. Elle y fait un peu de nettoyage, ouvre doucement l'étiquette et retrouve ses documents sur le monde des e-motios.

Un livre en particulier attire son attention : le livre des horizons, du philosophe Tenever, le barde. L'un des aventuriers les plus sages de son époque. Il a rassemblé les écrits des trois grands explorateurs ayant survécu lors de leur traversée dans la Toile.

Il raconte lui-même, comment il a rencontré ses trois hommes. Et son récit reste le manuel de référence pour tous ceux tenant à connaître les méandres de la forêt interdite. Aujourd'hui, notre jeune amie en connaît naturellement bien plus que ces quatre hommes. Et peut-être même, que ces renseignements sont-ils totalement faussés ?!

Elle tire le livre dont la couverture d'un vert citron appelle à la feuillette. Il y est écrit que le secret de la Toile ne peut-être révélé. Seul un seul homme est capable de déceler le langage derrière ses mots. Il s'agit d'Olaphiel le silencieux et écrivain de ces mythes et légendes.

Aujourd'hui, je puis vous dire, qu'Olaphiel s'en est allé avec un grand sourire aux lèvres, dans un autre monde. Et oui, le voyageur de Carthage n'a pas perdu son temps. Mais je vous assure que l'homme fait partie des rares Lodarois à être revenu dans notre temps et le cher monsieur vagabonde bien avec son secret dans les rues de Carthage, mais cela, bien-sûr, personne ne vous l'a dit, on est d'accord ?

Et non, mesdames et messieurs, je ne suis pas Olaphiel. Que cela se sache.