Chap V : Les maux de l'humanité (4/4)
Un aventurier possède trois modes opératoires afin de maîtriser un e-motio : le dressage, la manipulation et la projection.
Un aventurier doit exceller dans au moins l'un des trois, tout en pouvant procéder basiquement dans les différents modes opératoires. L'éducation d'un aventurier se donne dans les palais d'Alarius, le royaume de la justice. On y enseigne les formes générales et les styles utilisés par des aventuriers expérimentés, lors de leurs altercations avec plusieurs catégories d'e-motios. Les aventuriers qui en sortent sont fin prêts à voyager et à réussir tout ce qu'ils entreprennent.
Pour ma part, j'ai été élevée et entraînée à Éris. Les archanges qui observent les batailles depuis leur ville flottante, m'ont forgé plus que ce que j'aurai pu espérer.
Je ne suis pas bonne dans les trois modes opératoires. Je suis maître dans tous les trois.
Son large corps sert à délimiter l'intensité du sentiment. Ses deux membres en cônes ainsi que les aiguilles sont là pour repousser les opportuns. L'œil en larme sur son masque marque la colère d'une peur de perdre quelque chose ou quelqu'un. L'œil aux cernes précise sa crainte, une peur viscérale l'empêchant d'être stable. Ses dents à nu expriment ses cartouches verbales et son désir de mordre le problème par le conflit.
La jalousie n'est pas une mince affaire. Contrairement aux autres sentiments, il est difficile de la soigner en recourant à des contrecoups même sophistiqués. Plus on essaye de l'extirper, plus elle s'ancre.
Pour quel mode vais-je devoir opter ?
Le dressage consiste à affronter l'e-motio en employant la force pure et simple. Pour ce faire, un aventurier possède une agilité et une résistance hors du commun. Dans ce genre de cas, il est tentant d'abattre sa cible. Ce qui ne me correspond pas et encore moins maintenant que nous sommes en désavantage face à cet e-motio.
La manipulation consiste à se lier aux canaux d'émotions et de par cet intermédiaire, couper, déplacer ou réduire le flux d'émotions. Ce procédé est tentant. Seulement, cela requiert toute la concentration psychique de l'aventurier le rendant très vulnérable. Il ne peut d'ailleurs revenir à lui que si l'opération est une réussite. Si la situation s'envenime et que l'émotion triple d'intensité, le dompteur risque de ne pas en revenir tout à fait sain d'esprit. Au pire, il ne retrouvera plus son corps.
Je l'ai réalisé sur la voracité. Cependant, cela ne pourra pas fonctionner avec ce colosse et cela présente plusieurs inconvénients. Je devrais alors me cambrer sur la protection.
Je n'ai pas le choix. Si je veux sauver mes camarades, je dois m'introduire dans le canal d'émotion tout en me préparant à encaisser. La créature hurle à nouveau. Des mains proéminentes apparaissent de derrière cette fourrure et me visent.
À ce moment, le temps exprime l'illusion d'un arrêt universel. Je bats des cils alors que je me sens pénétrée dans le canal d'émotion. C'est comme un vertige temporaire qui vous saisit. Vous sentez une lourdeur dans le crâne, cela vous pousse à fermer les yeux, le visage renfrogné ou de rester ouvert pour les plus résistants.
La projection se divise en trois pratiques : la projection du spectateur, qui me place en tant que celle qui observe les événements, tout en me laissant la possibilité d'influencer le libre arbitre des personnages entourant le titulaire de l'émotion.
La projection de l'e-motio qui permet de se lier au cœur d'un e-motio afin de le comprendre et de l'apaiser. Cette pratique peut engendrer des troubles mentaux sévères car tout comme il est possible d'exciter ou calmer un e-motio, l'animal peut faire à présent de même en vous.
Et enfin, la projection émotionnelle qui est certainement la plus dangereuse des trois. Elle consiste à devenir le sujet émotif et vivre ses joies et ses peines sans que vous puissiez vous en dérober - Une personne, passe encore - mais si l'émotion vient de plusieurs titulaires, le voyage entre les corps peut rendre carrément dingue. On ne doit s'en servir qu'en dernier recours.
J'opte pour ce dernier cas de figure et m'engouffre dans le quotidien d'un humain.
Rouge... Oui, rouge... Il y a du sang sur mes mains. À en juger par la douleur que je ressens, c'est bel et bien mon propre sang. Une douleur se répand dans ma bouche. Je remarque des carreaux sur le sol. Je suis par terre, dans une maison.
Je me retourne, je dois examiner où je suis et quelle est la raison de cette blessure. Je suis dans une cuisine aux nuances jaune-beige. Un tiroir en bois est ouvert, me présentant des fruits conservés dans des paniers en plastique. La personne devait être en pleine préparation du dîner. Une odeur agréable me chatouille les papilles depuis mon réveil.
Je me lève. Je me sens assez lourde, mais cela doit être logique. Mon intuition me dit qu'elle ne doit pas avoir passé un bon moment. Je me touche le crâne dont je sens couler un liquide froid. Je porte mon regard sur ma main gauche - de la crème - J'examine la table. De la crème renversée, un bol retourné. La table est légèrement poussée vers la porte que je remarque, menant à la salle de séjour.
Soudain, je ressens une forte angoisse me traverser. Je chancelle, je prends appui sur la table de la main gauche, alors que je porte la droite à ma bouche. Des larmes tentent de jaillir de mes globes oculaires. Mon nez me chatouille. Que m'arrive-t-il ? Pourquoi ? Pourquoi cette subite montée d'émotions ?
Alors que je m'interroge, un bruit m'interpelle. Sans trop réfléchir, j'ai une image claire de la demeure. Une valise, c'est le son d'une valise jetée au sol.
Brusquement, je ne me maîtrise plus. Mon pied enchaîne le pas. Je sors de la pièce précipitamment, presqu'en courant. Le mouvement s'accélère, je traverse le salon avec ses larges fauteuils gris blancs et me pointe devant le seuil menant à la chambre. Quelqu'un en sort justement, un bagage à la main. Je ne contrôle pas mon corps et lui saute à la gorge, les larmes aux yeux. Je pleure à grosse goutte. Des mots tentent de s'échapper mais rien ne me parvient sur le moment. La personne essaye de se détacher. Rien n'y fait, je suis déterminer à le garder près de moi. Je ne sais si c'est mon acharnement qui le pousse finalement à lâcher son poids.
Nos silhouettes s'inclinent mutuellement. Nous nous retrouvons à genoux. Il passe sa main dans mes cheveux cherchant à calmer une boule qui le dévore.
- Bon sang ! Que me fais-tu là ? laisse-t-il sortir.
Je perçois la phrase mais elle est floue. Je ne sais comment l'expliquer. J'ouvre la bouche tout en espérant posséder assez de force pour m'exprimer. Je resserre mon étreinte alors que je lâche quelques mots me paraissant lourds.
- Reste... Reste, je t'en supplie !
L'émotion me fait trembloter. Je crois à ma fin, je panique et d'un coup, je me sens disparaître.
- Tu vas bien, petite ? Eh, petite ! Alpha !
C'est la voix de Bordos. Je recouvre mes esprits. Ma vue est encore floue mais je commence à reprendre le fil de mes pensées. Je laisse s'échapper une expiration. Je suis parcourue d'un léger frisson avant de lever ma tête et de rencontrer la face de l'e-motio gémissant, les yeux assassin me visant.
- Alpha ! Eh ! me hurle Eskiell, le côté toujours transpercé.
- Lâchez-le ! Il ne réagira pas... C'est promis...
Je prononce ces derniers mots, baissant le ton. Le groupe s'exécute, un soupçon de crainte dans leur mouvement. On détache difficilement Eskiell. Il nous faut couper l'aiguille et l'en extirper, ce qui lui cause une douleur atroce.
- Calme-toi, mon vieux ! Ça va aller, c'est fini, déclare le chef tout en descendant le blessé.
La tâche n'est pas aisée pour l'explorateur. Sa main, saignant encore de l'attaque des e-motios de la tentation, ne lui offre aucun répit. Il prend toutefois l'aventurier sur ces épaules affaiblies. Cela le pousse à produire une grimace. Il fait un premier pas en avant et se retourne vers Selfor.
- Allez ! On décampe, direction les bois.
Un regard est porté au cœur de la déflagration du début. Le corps d'Oyphul gît, la face noircie tel du goudron, sur le sol. Sa main droite a disparu. Ces jambes sont désarticulées.
Bordos reste un moment, fixant le pauvre soldat. Sans m'en rendre compte, nous sommes tous en train d'agir de même.
- Allez, les bouseux ! On y va !
Cetordre prononcé nous ramène à la réalité et nous nous dépêchons comme nous lepouvons de replonger dans la couverture de la forêt. Un désir d'un dernieraperçu de la scène macabre me pousse à me retourner, contemplant l'e-motio dela jalousie, lever doucement la tête. Nos regards se croisent. Son visage mesemble plus perturbé encore.
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