⑰ La fissure
Les flammes sont partout, il n'y a rien qui ne puisse échapper à leur brûlure.
La fumée aussi est partout, et obscurcit mes yeux, mon nez, ma bouche.
Et eux aussi sont partout. Ils tiennent des fusils. Des fusils et des bidons d'essence.
Il y a du sang par terre, du sang qui n'est pas le mien.
Et des têtes de loups sur leur mains, qui luisent à la lumière des flammes.
Leurs crocs ont déjà été aiguisés.
Je sais qu'ils sont là pour me dévorer...
Shûichi ouvrit lentement les yeux.
Son regard tomba tout d'abord sur un plafonnier, dont la lumière un peu trop vive l'aveuglait.
Il crispa les paupières, vaguement agacé. Il commençait à en avoir assez de toujours se réveiller dans un endroit totalement différent de celui où il s'était endormi...
Une douleur dans sa nuque lui rappela assez désagréablement ce qu'il s'était passé, et il frissonna au souvenir du canon pointé sur lui.
"Mais... Attends... Pourquoi elle n'a pas tiré ? À moins qu'elle l'ait fait, et que je sois actuellement mort... Mais est-ce qu'il y a des plafonniers dans les limbes ? Est-ce qu'il y a des plafonds tout court, d'ailleurs ?"
Pour couper court à ses pensées de plus en plus absurdes, Shûichi se redressa précautionneusement en position assise, et regarda autour de lui.
Ce n'était pas sa chambre.
Il tourna sa tête vers le bureau, devant lequel était assis quelqu'un qu'il ne s'attendait pas vraiment à voir.
– ... Ôma-kun ?
Le fauteuil pivota, laissant effectivement apparaître le visage de Kokichi.
– Coucou, Saiharaaa ! Ça va ? Pas trop mal au cou ?
Shûichi ignora sa question, et cligna des yeux. Il avait du mal à capter la réalité du moment. Tout lui paraissait tellement irréel... Complètement désorienté, il finit par relever la tête vers son "frère" :
– Est-ce que... je suis mort ?
Kokichi se mit immédiatement à ricaner, ce qui énerva Shûichi. Il aurait aimé un peu plus de considération, tout de même.
– Je ne suis pas un expert en macchabées, mais tu m'as l'air plutôt vivant !
– Qu'est-ce que je fais là ? demanda Shûichi en récupérant sa casquette posée sur la table de nuit.
Il avait bien conscience qu'il aurait pu être plus aimable avec Kokichi, mais à vrai dire, il n'était pas vraiment d'humeur.
– On t'a jeté devant ma porte ! répondit joyeusement le plus petit. Apparemment, Ikusaba-chan t'a trouvé évanoui dans le jardin comme un clochard sur un trottoir !
Laissant de côté cette comparaison très imagée, Shûichi poussa un soupir.
– Est-ce qu'on est toujours...
Il désigna ensuite son oreille de l'index, ce qui fit sourire Kokichi.
– Sur écoute ? Nan ! J'ai trouvé tous leurs micros et je les ai détruits ! Mon téléphone est éteint, aussi.
– Tant mieux, soupira Shûichi. Dans ce cas, sache que Ikusaba-san ne m'a pas "trouvé évanoui", mais qu'elle m'a en revanche administré un bon coup de crosse de fusil et qu'elle était sur le point de me tuer quand j'ai perdu connaissance.
L'expression guillerette de Kokichi ne changea pas, si ce n'était son sourire qui s'était figé sur ses lèvres.
– Je m'en doutais ! Mais tu es idiot de lui avoir fait face tout seul !
– Je pourchassais le traître, il allait m'échapper sinon... Et elle m'a eu par surprise... Mais tu as raison, j'ai été imprudent, concéda Shûichi. D'ailleurs...
Il baissa les yeux vers ses pieds.
– J'imagine que tu connais son identité...
– Et qu'est-ce qui vous fait dire ça, môssieur le détective ? répliqua presque immédiatement Kokichi.
– Diverses coïncidences suspectes, répondit le jeune homme sans donner plus de détails. Bref, le traître...
Il s'interrompit pour pousser un soupir. Même après avoir vu le visage du traître de ses propres yeux, il avait toujours l'impression que rien de tout ça n'était réel.
– Celui que j'ai vu... Le traître... C'est Ki-Bo-kun, n'est-ce pas ?
Kokichi resta étonnamment silencieux.
Et comme il n'avait pas l'air de vouloir lui répondre, Shûichi s'énerva ;
– Ôma-kun, réponds-moi, s'il te plaît ! Est-ce que Ki-Bo Idabashi est le traître ?
Kokichi écarta alors ses mains se chaque côté de son visage, le sourire jusqu'aux oreilles.
– Bingoooo ! Jackpot, Keeboy est bel et bien le traître qui a causé la mort de Kaede Akamatsu !
Shûichi aurait dû se contenter de cette réponse, mais étrangement, elle ne lui convenait pas. Il avait le sentiment que quelque chose clochait.
"S'il est vraiment celui qui a tué Kaede... Je devrais être mort, non ? Mais pourtant, je suis toujours en vie... C'est que Ki-Bo-kun a dû me défendre ! Alors..."
– Tu mens, Ôma-kun, dit-il avec conviction. Je pense que Ki-Bo-kun m'a protégé contre Ikusaba-san... Et tout compte fait, je le vois difficilement tuer quelqu'un.
Kokichi ricana alors, avec ce fameux rire qui donnait des frissons à Shûichi.
– Nishishi... Tu commences à devenir fort à ce jeu, Saihara ! En effet, j'ai menti ! Mais cela dit, Keeboy n'est pas vraiment dans le camp des gentils non plus !
– Comment ça ? l'interrogea Shûichi, les sourcils froncés.
– Disons que c'est un moyen d'échange entre les deux camps... Une antenne relais, si tu préfères !
– Une... antenne relais ?
La comparaison sonnait bizarrement aux oreilles de Shûichi.
– Bah oui, c'est exactement ça ! Il transmet les messages qu'il reçoit à distance d'un camp à l'autre !
– Mais... Comment ? Il n'est presque jamais sur son téléphone !
Kokichi secoua la tête en arborant un air exagérément consterné, comme si Shûichi était la personne la plus stupide qu'il ait jamais rencontré.
– Mais il n'en a pas besoin, voyons, puisque c'est un robot !
Le cerveau de Shûichi mit un certain temps à assimiler ce qu'il venait d'entendre.
"Un... robot ?"
– Mais... C'est impossible... Ki-Bo-kun est... c'est un humain, je l'ai vu de mes propres yeux ! Nous avons grandi ensemble ! Et un robot ne peut pas grandir !
Kokichi semblait presque amusé par l'affolement soudain de Shûichi, comme si cela lui plaisait de détruire son monde petit à petit.
Le jeune homme avait l'impression qu'il grattait de la peinture dorée sur un mur pour découvrir qu'une énorme fissure le lézardait, et que la cloison allait s'effondrer sur lui un tout instant.
– Ôma-kun, il faut que tu m'en dises plu-
Mais il ne put terminer sa phrase, car Kokichi avait plaqué une main sur sa bouche.
– Shhhh... Il arrive.
En effet, des bruits de pas se faisaient entendre dans le couloir. Et ils furent remplacés par deux petits coups frappés à la porte.
– Ouiiii, j'arrive, laisse-moi juste me changer, chuis à poil ! brailla Kokichi sans la moindre gêne.
Il ouvrit ensuite la porte de son placard, et ordonna à voix basse :
– Reste bien caché ici, compris, Saihara ? Tu ne dois surtout pas te faire remarquer.
– Par qui ? chuchota Shûichi en repliant comme il pouvait ses jambes dans le petit espace que lui offrait l'armoire.
Un sourire énigmatique se dessina sur les lèvres de Kokichi.
– Le véritable traître, évidemment !
Shûichi aurait voulu en savoir plus, mais Kokichi le coupa en criant à nouveau :
– C'est bon, entre !
Et, dans un grincement, la porte du placard se referma sur lui, tandis que celle de la chambre s'ouvrait... sur leur véritable ennemi.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro