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Reçu lundi 2 novembre — 7 h 58
LuLuCat100 : Cléandre c'est la fin, mes parents m'ont cramé et ils m'ont mis la pression et j'ai tout dit pardon :'( Comment on va faire ? :'( je suis trop trop trop malheureuse sans toi :'( je pleure tous les jours... je peux te contacter qu'avec le portable de ma copine Bénédicte pendant la semaine car ils m'ont tout pris... j'ai plus ton numéro donc si tu me le renvoies je pourrai t'envoyer des messages directement ou t'appeler pendant mes récrées du matin et de l'après-midi (sauf le mercredi après-midi) !!
C'est donc avec deux jours de retard que je réponds au message de Lucyle. J'espère seulement qu'elle le verra rapidement.
Je suis incapable de quitter mon portable des yeux pour le reste de la matinée. C'est seulement vers midi que je vois s'afficher un numéro inconnu à l'écran. Sans attendre qu'Arthur termine de ranger ses affaires, j'attrape mon sac et dévale les marches de l'amphi pour sortir dans le couloir. Quand je prends l'appel, mon ventre se remplit de papillons rien qu'à l'idée de parler à Lucyle. J'ai à peine le temps d'ouvrir la bouche pour prononcer un mot que sa voix se fait entendre à l'autre bout du combiné.
— Cléandre ! Cléandre, c'est toi, j'espère ?
— Ben, oui, andouille, qui d'autre ?
— Je sais pas, peut-être que je me suis trompée dans le numéro, mais je suis trop contente de t'entendre ! J'ai pas beaucoup de temps pour te parler, car ma mère m'attend. C'est horrible, mes parents m'ont punie de tout et n'importe quoi ! J'ai plus d'ordi, plus de portable, plus le droit de sortir jusqu'à mon anniversaire et je dois direct rentrer à la maison après les cours. Genre, j'ai quinze minutes pour rentrer et pas une minute de plus !
— Putain, c'est vraiment du grand n'importe quoi...
— T'as vu ? J'en ai trop marre, je les déteste tous ! Je suis trop, trop triste, mais ils s'en foutent ! Je leur cause plus depuis une semaine et ça les énerve, mais moi aussi je m'en fiche complètement de leur sentiment ! Ils comprennent vraiment rien ces gros mongolitos ! Je te jure que j'ai fait que de leur dire que t'es le meilleur et vraiment bien comme garçon, mais ils s'en foutent et ils disent que c'est pas l'impression qu'ils ont eue quand t'es venu les voir...
— Ouais, désolé, j'aurais pas dû les insulter... Vraiment, j'ai essayé de leur parler, mais ils ont rien voulu entendre, et c'était juste insupportable, putain, ça m'a mis tous les nerfs... Je suis trop dégouté par tout ça...
— Mais oui, moi aussi... Ça m'énerve, j'ai trop de choses à te raconter, mais faut vraiment que j'y aille maintenant, sinon je vais être en retard, mais j'ai ai trop marre, j'ai pas envie de rentrer, je les déteste...
Tandis que Lucyle déverse sa frustration dans les dix secondes de conversation qu'il nous reste, je reste silencieux, ne sachant quoi répondre, jusqu'à ce qu'un début de sanglot vienne la couper.
— Je peux t'appeler demain matin, à la récré ?
— Oui. C'est sympa d'avoir pu te parler, un peu...
Elle répond par un grognement peu convaincu et renifle avant de raccrocher.
Après ça, j'ai du mal à cerner si je me sens un peu moins triste ou l'inverse. Savoir que je pourrai de nouveau parler à Lucyle demain ne rend pas l'attente plus supportable. La journée s'écoule à une lenteur mortelle, d'autant plus qu'Arthur n'a pas l'air d'humeur très bavarde non plus...
***
Il ne reste que cinq minutes avant le deuxième intercours de la matinée, quand le numéro de Bénédicte s'affiche sur mon portable. Une fois que le prof annonce la pause, je sors et la rappelle. Lucyle décroche avant même que je n'entende la fin de la première sonnerie.
Comme la veille, elle exprime sa détresse et me raconte la guerre quotidienne menée contre ses parents. Si Lucyle était jusqu'alors un cadeau du ciel en tant que fille modèle facile à vivre, ses parents en ont désormais la version adolescente-insurgée. L'idée qu'elle leur met la misère me réjouit néanmoins, et je l'en félicite.
Nos quelques minutes de conversation s'évaporent très vite, et la fin de sa récré nous oblige à raccrocher beaucoup trop tôt. Mais peu après la reprise de mon cours, j'ai la surprise de recevoir un message sur mon portable.
Lucyle (Bénédicte) : Tu penses qu'on se reverra un jour ? :(
Cléandre : mais oui
Lucyle (Bénédicte) : Mais quand ???
Cléandre : je sais pas... mais dans le pire des cas on aura juste à attendre que tu sois majeure...
Lucyle (Bénédicte) : 3 ANS ???
Cléandre : putain...
Lucyle (Bénédicte) : C'est impossible que j'attende trois ans ! C'est trop long ! Je vais mourir !
Cléandre : n'importe quoi...
Lucyle (Bénédicte) : Si ! Le chagrin aura raison de moi ! :'(
Cléandre : quelle poète cette Lulu...
Lucyle (Bénédicte) : Sérieux, comment on va faire ? Car même quand je serai « libre » je pourrai même plus sortir de chez moi pour voir une copine sans que mes parents m'accompagnent !
Cléandre : ils pourront pas te fliquer comme ça éternellement...
Lucyle (Bénédicte) : Ben je sais pas ! Ils disent que j'ai brisé leur confiance mais je m'en fous de leur confiance moi ! Tout ce que je veux c'est toi ! :'(
Cléandre : ouais... ça va être galère je pense...
Lucyle (Bénédicte) : Je vais faire une grève de la faim, comme ça ils seront obligés de me laisser te voir !
Cléandre : dis pas n'importe quoi... ils te laisseront pas t'affamer
Lucyle (Bénédicte) : Ils auront pas le choix !
Cléandre : j'ai pas envie que tu t'affames non plus
Lucyle (Bénédicte) : Comment qu'on fait alors ? Parce que je suis en dépression là, mais ils s'en foutent ces sales monstres !
Cléandre : je sais pas...
Lucyle (Bénédicte) : On dirait que tu t'en fiches ! :'(
Cléandre : mais non je m'en fiche pas mais qu'est-ce que tu veux que je fasse ? tu t'es mis la Gestapo à dos et à part venir te kidnapper je vois pas comment faire
Lucyle (Bénédicte) : Oui !!! Viens me chercher et on s'enfuie très loin ! :'(
Cléandre : tu veux vraiment que je finisse en taule toi mdr...
Lucyle (Bénédicte) : Trouve une meilleure solution alors... :'(
Cléandre : je sais pas...
Lucyle (Bénédicte) : T'es nul :'(
Cléandre : ouais...
Cléandre : tu me manques...
Lucyle (Bénédicte) : Toi aussi tu me manques à l'infini et je t'aime pour toujours :'(
Cléandre : je t'aime aussi
Lucyle (Bénédicte) : Pour toujours ???
Cléandre : mdr oui ♥
On se rappelle plus tard dans la journée, à la récré, et il en va de même pour les jours suivants : un appel matin et après-midi, 10 minutes chacun.
Même si c'est toujours réconfortant de pouvoir nous parler un peu, nous ressortons malgré tout de nos conversations presque plus déprimés que jamais. Car à part nous communiquer notre peine, notre amertume contre les parents de Lucyle et notre mélancolie des jours passés ensemble, nous ne nous racontons plus grand-chose de bien drôle.
Lucyle évoque quand même quelques anecdotes de ses journées, de temps à autre, mais avec un enthousiasme éphémère.
Nos messages futiles échangés à longueur de journée me manquent autant que nos rendez-vous. Finis les commentaires sur une vidéo de chèvre, sur un film... Finies les discussions pour organiser nos plans ensemble pour le week-end, ou juste pour se chamailler dans le vent, parce que c'est marrant.
Aucun de nous deux n'est satisfait par notre solution de secours, même si on se rend compte que c'est quand même mieux que rien. Surtout lorsqu'arrivent les week-ends et l'impossibilité de se contacter pendant deux jours.
Pour me changer les idées, je squatte en général avec Arthur chez ses amis, quand ceux-ci ne squattent pas chez nous.
D'après Arthur, qui estime que Lucyle et moi ne pouvons plus nous considérer ensemble à ce stade, la meilleure chose à faire serait de trouver une copine pansement. Donc à défaut d'aller vers les meufs, je me laisse au moins approcher.
Comme ce soir, où une fille de notre promo s'efforce de me faire la conversation. Vraiment, j'essaie de m'intéresser à elle, mais impossible de ne pas voir que je ne n'écoute pas la moitié de ce qu'elle raconte. Je suis juste impatient d'être lundi, pour avoir mes 20 minutes de conversation avec Lucyle.
Déjà que je trouve le temps long, alors que j'ai la chance de voir des gens, je n'imagine même pas ce que cela doit être pour Caliméro.
N'empêche que ses parents ont beau être des tyrans pires que mon daron, ils ne sont pas si idiots d'imposer toutes ces interdictions. Je n'aurais pas manqué de faire quatre heures de route aller-retour, si ça signifiait voir Lucyle, même pour une demi-heure.
Ils ne doivent pas non plus être si insensibles que ça, puisqu'ils ont quand même pris la peine de remplacer le portable et l'ordinateur de Lucyle par une télé dans sa chambre, avec un accès à YouTube et Netflix. C'est la moindre des choses. Il faut bien qu'elle s'occupe en dehors de ses devoirs et de ses lectures nulles à chier de livre sur les loups ou sur la planète.
Quelques jours avant les quinze ans de Lucyle, je m'envoie en mission cadeau. Arthur, très content de donner un coup de main, et moi-même passons plus de trois heures dans le centre commercial près de la gare. En général, j'ai horreur de faire les magasins, mais cette fois-ci, j'y prends presque du plaisir. J'ai l'impression que ça me rapproche d'elle, d'une certaine façon.
Dans le colis envoyé le lendemain à son adresse se trouve une énorme encyclopédie bien chiante sur les animaux — y'avait des belles photos et beaucoup de texte, ce qui devrait l'occuper un moment. Avec ça, un collier et son pendentif étoile choisi par Arthur. Une valeur sûre d'après lui, puisque « ce genre de truc plait à toutes les petites gonz' de son âge ». Et mon cadeau préféré : une peluche de Caliméro commandée sur Internet. J'ai aussi glissé dans l'encyclopédie un billet et une carte d'anniversaire non signée — au cas où ses parents trop curieux mettraient leur nez là, bien qu'ils risquent de deviner l'expéditeur de ce colis mystère.
Le lundi suivant son anniversaire, Lucyle me confirme avoir adoré la surprise. Mais l'information capitale du jour est qu'elle retrouve enfin sa liberté — surveillée. Bien évidemment, ses parents l'accompagnent partout où elle souhaite aller et s'assurent toujours de savoir avec qui elle traine.
Comme d'habitude, on s'appelle donc toute la semaine avec le portable de sa copine et une fois le week-end arrivé, Lucyle demande à passer son après-midi à la bibliothèque. Ses parents la déposent, mais restent malheureusement dans les parages et en profitent pour emprunter des livres. Lucyle prétexte donc avoir des recherches à faire pour un projet et se connecte sur un des nombreux ordinateurs disponibles. Et tandis qu'elle « travaille », elle me contacte sur le tchat du forum. Sauf que je n'y vais plus beaucoup, et que je ne remarque même pas ses messages.
Quand elle me raconte son stratagème au téléphone, lundi matin, je lui suggère de créer une adresse mail. Au moins, dès qu'elle m'enverra quelque chose, je recevrai une notification sur mon portable.
Nous passons donc les week-ends suivants à nous échanger des mails pendant des heures, jusqu'à ce que ses parents flairent l'escroquerie de la bibliothèque. Vraiment, j'ai presque envie de les féliciter, même s'ils nous emmerdent plus qu'autre chose.
Le nouvel écart de conduite de Lucyle lui vaut une nouvelle punition et un renforcement de la surveillance de la Gestapo. L'arrivée imminente des vacances de Noël ne permet même pas d'atténuer sa sentence.
À cette occasion, je rentre chez mes parents pour la première fois depuis mon départ à Lyon. Mine de rien, je suis vachement excité à l'idée de les revoir. En plus de mes parents, retrouver la mer, le soleil et tous ces paysages familiers qui défilent à travers la fenêtre du train me font vraiment sentir « à la maison ».
Avec Arthur, on réalise que ça nous manque quand même beaucoup. Car Lyon, c'est grand et bien animé, mais y'a pas la mer, il fait froid, il fait tout le temps moche, et même qu'il neige — rigolo pendant une semaine, mais vite très chiant.
Mon comité d'accueil me retrouve sur le quai de la gare. Ma mère me saute dessus, me serre fort dans ses bras, et c'est super réconfortant. Je suis même surpris de voir que le troisième pire tyran du pays est aussi là. Sûrement qu'il ne me déteste pas tant que ça, au final. Pour quand même rester dans son rôle de type froid et distant, il se contente d'une poignée de main, néanmoins secondée d'une tape presque chaleureuse sur l'avant-bras.
Tandis qu'Arthur profite d'être de retour pour revoir tous ses potes du lycée, je passe mes vacances avec ma mère qui me colle comme jamais. N'empêche que je me surprends à apprécier sa compagnie, qui m'avait visiblement manqué. Au cours d'un repas, je réussis presque à lui parler de Lucyle, avant de me rétracter.
Étant d'ailleurs incapable d'envoyer un message à cette dernière, je lui envoie une carte non signée pour les fêtes. Vu que sa vilaine conduite risque de lui couter cher, j'accompagne ma carte de trois billets pour compenser son manque de cadeau. Même si je l'aime, j'ai vraiment zéro motivation pour me lancer dans une autre mission cadeau pendant cette période.
Malheureusement ou non, la rentrée arrive très vite.
Lundi, à la première heure, je reçois un appel de Lucyle, ravie de pouvoir me souhaiter un joyeux anniversaire, avec seulement un jour de retard. C'est sans doute mon plus grand réconfort, sachant que j'ai passé la journée de mes 19 ans dans un train retour pour Lyon avec tout le seum de quitter ma mère, ma maison, et même le tyran — qui ne me déteste définitivement pas tant que ça.
La coupure de deux de semaines n'a au final pas été si terrible. Il semble que nous ayons tous deux passé de bonnes vacances, contre toutes attentes, et nous avons pas mal de trucs sympas à nous raconter, pour une fois.
Aucun de nous deux ne peut nier qu'avec le temps, nous nous habituons au manque quotidien de l'autre et que nous commençons à accepter notre situation.
Nous continuons quand même de nous contacter deux fois par jour, jusqu'à que Lucyle commence à oublier, ou à ne plus avoir le temps de m'appeler certaines récrés, voire certains jours.
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