26 (2/2)
Quand j'ouvre les yeux le lendemain matin, je frôle la syncope en découvrant Lucyle à mes côtés dans le clic-clac. Allongée sur le ventre, mon portable dans les mains, elle balance ses jambes en l'air en regardant une série sur mon compte Netflix.
— Putain... Qu'est-ce que tu fous là...
— Bonjour ! répond-elle d'un ton beaucoup trop énergique.
— Bonjour... Comment t'as déverrouillé mon téléphone ?
— Avec la reconnaissance faciale, glousse-t-elle. Je pensais pas que ça marcherait aussi bien. Je voulais te demander, mais j'allais pas te réveiller pour ça.
— Ça fait longtemps que t'es debout ?
— Deux heures.
Je soupire. Le seul fait de la voir en super forme à 9 h du matin m'épuise. J'essaie de me rendormir, mais impossible. Lucyle me raconte son rêve, parle, parle, parle... jusqu'à ce que je sorte finalement du lit.
Comme le frigo de l'appartement est vide, nous nous habillons en vitesse et sortons prendre notre petit-déjeuner au McDo — un de mes préférés.
Après quoi, nous en profitons pour marcher un peu au soleil, dans l'éternel parc où Lucyle me traine à chaque fois. C'est là-bas que nous avons le grand malheur de croiser sa fameuse copine Bénédicte, accompagnée d'un boutonneux avec une tête d'abruti.
Les deux filles piaillent comme des moineaux hystériques en se voyant, et je soupire à l'idée d'en avoir au moins pour un quart d'heure.
En attendant, je sors mon portable. J'en ai besoin pour m'occuper les yeux et m'empêcher de trop détailler la fameuse Bénédicte, une petite brune vraiment, très, très jolie. Bien maquillée et vachement élégante avec son long manteau gris, je reste presque ébahi devant la différence entre elle et Lucyle. Vraiment, ça me fout limite le seum de voir comment une gamine peut être aussi fraiche. Et j'ai d'autant plus de mal à comprendre comment le prolo posté derrière, que je suppose être son mec, a réussi à choper ça.
À la manière dont Lucyle et sa fameuse copine me scrutent avec leur sourire en coin, j'alimente sans doute leurs messes-basses, avant que ça ne soit au tour de l'autre type à l'air idiot.
Lorsqu'arrivent enfin les adieux, Lucyle revient se pendre à mon bras et nous reprenons notre balade.
— T'as vu comme elle sympa, ma copine Bénédicte ?
— M'ouais...
— En vrai, je suis trop jalouse d'elle...
— Ah bon ?
Je ne sais même pas pourquoi je fais semblant d'être débile.
— T'as bien vu à quel point elle est trop belle, non ?
— Bof, pas ouf.
— T'es sérieux ?
— C'est la magie du maquillage et son style vestimentaire qui la mettent en valeur, c'est tout. Elle a rien d'exceptionnel, sinon.
— Ah.
Et puis Bénédicte n'a pas la superbe bouche de Lucyle, et ça, ça vaut tous les jolis visages du monde.
Lucyle reste ensuite silencieuse, l'air pensif, avant de faire apparaitre un sourire très satisfait sur son visage. Après quoi, le moulin à paroles reprend du service.
De retour à la maison, on se divertit comme on peut, avec des vidéos YouTube, des jeux sur feuille, et même des séances de pâtisserie. C'est loin d'être ce qui me passionne le plus, mais comme Lucyle a l'air très fier de me montrer ses talents...
On s'occupe malgré tout jusqu'au soir, où nous nous disputons pour savoir quoi regarder. Mademoiselle insiste pour voir un film d'horreur super sanglant et violent, sauf que je ne veux pas être responsable de ses cauchemars et insomnie de cette nuit. Bien évidemment, je finis par gagner et impose mon choix. Même si Lucyle continue de se lamenter après ça, j'ai juste à la prendre dans mes bras pour l'entendre râler un peu moins.
Nous allons nous coucher les yeux fatigués, après avoir enchainé trois films d'animation Pixar.
Vraiment, j'essaie d'ignorer Lucyle et son pyjama avec la souris qui s'enfile des fraises, et la rejoint pour quelques minutes dans le lit.
— Tu restes un peu ? demande-telle. Jusqu'à ce que je m'endorme ?
— Et tu veux pas que je te lise une histoire, aussi ?
— Ça me déplairait pas. Et j'aime bien les papouilles dans les cheveux et dans le dos aussi, ça me rappelle quand j'étais gamine et que ma mère me...
— Sauf que je suis pas ta mère.
Lucyle souffle et me redit que je suis le pire mec du monde, avant d'aller bouder dans son coin. Je l'ignore, certain qu'elle finira par s'endormir. Mais au bout de vingt minutes, elle se retourne vers moi et me sort son regard de Caliméro avec ses cils qui papillonnent.
Je soupire et lui propose de se rapprocher. La seconde d'après, elle est déjà collée à moi de tout son corps avec ses jambes mêlées aux miennes.
J'avais presque oublié à quel point enlacer une fille avant de dormir peut être agréable. C'est comme avoir un gros doudou. En plus, Lucyle gratouille mon dos avec ses ongles. En échange, je trace des cercles dans le sien, et je suis moi-même surpris de me sentir aussi détendu, l'esprit vide de toute question. Sans doute qu'avoir son odeur et sa chaleur ont quelque chose de réconfortant.
Je suis limite en train de m'endormir, quand une main de Lucyle glisse sous mon sweat.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Ben, je regarde.
— Regarde quoi ?
— Comment c'est.
— Comment c'est de quoi ?
— Laisse-moi tranquille ! Je veux juste voir !
Alors je la laisse explorer.
Je sais que Lucyle est simplement curieuse, qu'elle le fait sans arrière-pensées et sans l'intention de m'allumer, mais ça me fait tout comme. Et ça me gêne.
— C'est quoi ça ?
Son doigt caresse la boursouflure à quelques centimètres de mon nombril.
— Une cicatrice, et arrête ça.
— Cicatrice de quoi ?
— Opération.
— De quoi ?
— Appendicite, et arrête.
Je pourrais retirer sa main, mais non. Je me dis qu'elle s'arrêtera peut-être d'elle-même. Pour l'instant, elle continue et passe dans mon dos, remonte ma colonne. J'en ai des frissons jusque dans la nuque.
Mais quand je la sens descendre en dessous de mes reins, j'attrape son bras et le vire.
— Arrête.
— Mais pourquoi ?
— C'est indécent.
— Mais n'importe quoi ! s'exclame-t-elle. C'est vachement nul de sortir avec toi, on peut jamais rien faire, à part regarder des films ! Et encore, pas n'importe lesquels, hein ! Et je suis sûre que t'étais pas aussi chiant avec ton ancienne copine. T'es toujours contre moi, t'es jamais content, y'a toujours quelque chose qui va pas et...
En général, s'il y a bien une chose qui me fait vriller c'est qu'on me crie dessus, surtout quand c'est pour me faire des reproches quand j'ai rien fait de mal. Je ne sais pas si je suis étonné, amusé ou énervé de voir Lucyle s'exciter comme ça. C'est un peu comme voir un chihuahua aboyer furieusement. Tout le monde l'entend, tout le monde sait qu'il est là, mais tout le monde l'ignore.
— Arthur a trop raison, poursuit-elle. T'es un gros puceau !
— Quoi ? Mais...
— Et un dégonflé pas du tout marrant !
— Mais qu'est-ce que tu racontes, putain...
— Je te par...
Elle s'arrête en plein début de phrase, me tourne le dos et se cache sous la couette. J'attends de voir la suite, mais au bout de cinq minutes, rien ne s'est encore passé.
— Caliméro, tu fais la gueule, comme d'habitude ?
Silence.
— Ok, je te laisse, alors ?
— Oui, va-t'en.
— Donc tu veux plus qu'on se fasse un câlinou ?
— Ben si, mais c'est toi, qui veux pas.
Voyant qu'elle ne bouge toujours pas, je tends mon bras vers elle pour lui gratouiller le dos. Elle fait semblant de m'ignorer quelques secondes avant de revenir se coller contre moi sans un mot. Comme par provocation, sa main se reloge dans mon dos, sous mon sweat. Je retiens un soupir.
Je dois finir par m'endormir, car je me réveille le lendemain au même endroit, encore tout habillé.
Comme la veille, Lucyle est déjà debout et pianote sur mon portable. Elle doit avoir compris qu'il vaut mieux ne pas trop me parler le matin, et se contente de chuchoter un bonjour. Je referme les yeux, me rendors, jusqu'à ce que Lucyle me secoue gentiment.
— Y'a Arthur qui t'appelle, dit-elle en me donnant mon téléphone.
Je soupire. Pour que cet abruti m'appelle, c'est qu'il y a forcément un souci. Au pire, il a fait cramer l'appart, au mieux il est juste malade et veut que je rentre m'occuper de lui.
— Il t'arrive quoi ?
— Salut, bébé, je te réveille ?
— Oui, qu'est-ce qu'il se passe ?
— Oh, rien de bien méchant, c'est juste que j'ai fait une petite insomnie cette nuit, et que je me suis posé plein de questions, enfin, comme d'habitude, tu sais, quand...
— Abrège.
— Je me posais des questions qui concernent ma petite Lulu et toi, mon beau Cléandre, vachement immature...
— Abrège...
— Mais majeur aux yeux de la loi.
— Oui, et donc ?
— Et donc, j'ai trainé sur Internet, pour voir si je pouvais trouver réponse à mes questions et...
— Putain, Arthur !
— Une dernière chose.
— Quoi !
— Les parents de Lulu savent pas qu'elle est avec toi, on est d'accord ?
— Oui !
— Et tu penses qu'ils auraient accepté si elle avait demandé ?
— Sûrement pas, pourquoi, y'a quoi ?
— Rien de bien grave, mais je pense qu'il est important que tu saches que si ses parents l'apprennent et qu'ils ont envie de porter plainte pour détournement de mineur, ça peut passer, glousse-t-il.
— Ah.
— Voilà, c'est tout ce que j'avais à te dire.
— Ok.
— Comme t'as pas l'air de bonne humeur aujourd'hui, je t'embête pas plus.
— Ouais.
— Passe une bonne journée ?
— Ouais. Parfait. Merci.
On raccroche. Je regarde l'heure : déjà midi passé. Je me lève pour aller me rafraichir dans la salle de bain, sans oublier d'emporter des vêtements de rechange. Puis j'en profite pour réfléchir un petit peu. Deux minutes après, je ressors.
Lucyle est allongée sur le canapé du salon, mon portable dans les mains en train de jouer à un jeu nul qu'elle a installé la veille.
— Je sais ce qu'on peut faire, aujourd'hui, dit-elle sans lever les yeux de l'écran. Y'a un grand parc où on peut aller en voiture, c'est vers...
— Je pense surtout que tu vas rentrer chez toi.
Elle redresse la tête.
— Hein ?
— Tu rentres chez toi.
— Mais... Maintenant ?
— Oui.
— Mais pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?
— Tu rentres, c'est tout.
— Mais pourquoi !
— Parce que j'ai pas envie de finir en taule, putain !
— Hein ? Mais pourquoi t'irais en prison ? Je...
— Parce que t'as des idées de merde. Habille-toi et on décolle.
Lucyle me tient tête encore cinq minutes. Au point où j'en suis, je ne me prive pas de lui rappeler qui est le patron ici, et que si je décide qu'elle doit rentrer, elle rentre.
Pour éviter que ce cirque ne dure plus encore, je prends quand même la peine de lui expliquer ce que m'a raconté Arthur. Après avoir lâché un « ah », elle capitule.
Lucyle ne prononce plus un mot, et quand je démarre le moteur de la voiture, elle soupire pour la vingtième fois.
— Déprime pas...
— Mais si ! Moi, je veux pas rentrer !
— Sauf que ça m'angoisse cette histoire...
— Mais si mes parents le savent pas, on s'en fout !
— Et s'ils appellent ta tante pour savoir si t'es bien avec ta cousine, comment on fait ?
— Mais je t'ai déjà dit qu'ils appelleront pas ! Parce qu'ils savent que si je dis que je vais chez ma cousine, ben, je vais chez ma cousine.
— Pour le coup, c'est pas le cas.
— Oui, mais c'est la première fois. Je te jure qu'ils le sauront jamais... Et au pire du pire, c'est toujours ma cousine qui répond au téléphone et elle me couvre.
— Ouais, mais non, on sait jamais.
— Pfff ! Nul à chier !
— On se revoit demain... Du moment que je te ramène chez toi, ça va, je pense...
— Oui, mais j'aurais bien voulu dormir avec toi, encore, c'était bien...
J'avoue que ça me fout aussi le seum de voir nos plans perturbés et de la faire rentrer tout de suite. Sauf qu'actuellement, je serais incapable d'apprécier une journée en sa compagnie avec l'esprit parasité par mes nouvelles angoisses et scénarios catastrophes qui se jouent dans ma tête.
J'abandonne donc Lucyle en bas de chez elle. Elle gratte un maximum de temps avant de quitter l'habitacle de la voiture, et me fait promettre de venir la chercher demain, à 9 h 55.
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