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Une des choses qui m'insupporte le plus dans cette colocation avec Arthur ? Ses cheveux blonds. Surtout quand je les retrouve partout dans la salle de bain, collés sur le lavabo ou dans la baignoire. Des fois, j'ai juste envie de prendre une tondeuse pour lui raser toutes ses boucles, car à ce stade, j'ai l'impression d'habiter avec une meuf. Et encore, même Kenza ne dégueulassait pas tout quand elle venait chez moi. Vivre avec elle aurait sans doute été beaucoup plus agréable... Du moins, en ce qui concerne la propreté de l'appartement.
Agacé, je quitte la pièce en direction du salon pour aller gueuler sur Arthur, mais celui-ci me saute dessus en premier.
— Cléandre ! chantonne-t-il. J'ai Lulu au téléphone !
— Putain, arrête de toucher à mes affaires !
— Pardon, mais quand j'ai vu que c'était mon petit sucre qui appelait, j'ai pas pu m'empêcher de répondre...
— N'importe quoi !
Je lui arrache mon portable des mains.
— Bisous Lulu ! crie Arthur pour se faire entendre.
— Tais-toi et va nettoyer tes sales cheveux dans le lavabo, putain !
— Tout de suite, capitaine !
À l'autre bout du fil, je peux entendre le rire étouffé de Lucyle. Après m'être terré dans ma chambre, je l'écoute me dévoiler ses plans pour les vacances de la Toussaint sur un ton beaucoup trop excité.
— Ce qui serait super, ça serait que tu viennes passer cette semaine à Vichy, comme ça, on pourrait se voir tous les jours.
Sauf que les vacances arrivent vraiment au mauvais moment. En ce milieu de mois, il ne reste déjà plus grand-chose sur mon compte bancaire pour tenir jusqu'à novembre.
Depuis le début de ma vie étudiante, j'avoue avoir un peu de mal à gérer mes dépenses... Entre les soirées, les restaus, les courses, les factures, l'essence, les trajets pour aller voir Lucyle et les extras, c'est pas toujours évident...
Je n'ai même pas essayé de demander au pire tyran du monde de me faire une avance. Il refuserait sans aucun doute. En plus, le connaissant, il serait capable de faire tout l'inverse et de réduire le montant de mes virements, pour m'apprendre à « gérer mon budget », ou une connerie du genre...
Reste ma mère, sauf qu'elle m'en veut encore de ne pas être rentré à la maison pour les vacances. Quand elle m'a demandé pourquoi je préférais rester à Lyon plutôt que de la voir, j'ai prétexté avoir une masse colossale de travail à faire pour la fac. Si j'avais avoué « l'abandonner » pour rester voir ma copine, elle m'aurait carrément détesté en plus de devenir jalouse. Pour couronner le tout, aurait sans doute suivi un appel de mon père pour me rappeler à quel point je suis le pire fils du monde, et que ma mère devrait passer avant tout — même s'il la fait passer après son travail et un tas d'autres choses.
— J'aimerais bien venir, mais je commence à être à sec...
— Ah, nul... Mais si t'as pas d'argent, je peux venir, moi.
— Venir où ?
— À Lyon, mongolito !
— Euh... Je sais pas.
— Pourquoi pas ? C'est toujours toi qui viens, mais je peux me déplacer aussi.
— Hmm... Si tu veux... Mais c'est long et chiant de faire l'aller-retour en une journée, tu sais.
— Je peux dormir chez toi.
Un rire moqueur m'échappe, tellement l'idée est absurde.
— C'est mort.
— Et pourquoi pas ? Ça serait trop bien, je pourrais voir où t'habites.
— Demande à tes parents, et tu verras s'ils te laissent partir à perpette les olivettes pour passer la semaine chez un mec qu'ils connaissent pas, grosse nouille.
— Je leur dirai que je vais passer quelques jours chez ma cousine, et voilà.
— Vraiment, Lucyle, t'as les pires idées du monde.
— Mais non ! Je l'ai déjà fait !
— Mentir à tes parents ?
— Mais non ! Prendre le train pour aller dormir chez ma cousine ! Ça sera pareil, sauf que c'est chez toi.
Vraiment, je ne sais pas si Lucyle est d'une naïveté astronomique ou sans peur, ou si elle me fait aveuglément confiance, mais rien ne peut jamais mal se passer dans son monde de fées.
— T'as quand même conscience que si j'avais été mal intentionné, tu te...
— Oui, oui, je sais, j'aurais pu me faire kidnapper, ou je-sais-pas-quoi, mais là, je veux pas aller voir quelqu'un de mal intentionné, mais toi.
— Tu sais jamais...
— Pourquoi tu vois toujours tout en noir ?
— Parce que tu vois toujours tout en rose, ma pauvre Lucette.
— Mais parce que c'est toi. Si ça avait été quelqu'un d'autre, je me serais méfiée, hein. Je suis pas débile.
— Si tu le dis.
— Donc, je peux venir ?
Je soupire. Quoi que je dise, ça rentre par une oreille, et ça ressort de l'autre.
— Non, peu importe, tu viens pas, c'est de la merde, ton idée.
— Mais pourquoi ! Y'a tout le monde qui le fait !
— De quoi ?
— Aller dormir chez leur copain !
— Oui, mais pas en cachette !
— Ben, si, justement !
— Mais pas dans ces conditions, là !
— Quelles conditions ?
— Déjà, tu te souviens que j'habite avec Arthur, quand même ?
— Et alors ? Je l'aime bien, Arthur, il est super sympa, contrairement à toi.
— Et depuis quand tu connais Arthur pour pouvoir « bien l'aimer » ?
— À chaque fois que tu prends ta douche ou que tu laisses trainer ton portable, il le prend et on s'envoie plein de messages qu'il efface ensuite, glousse-t-elle.
— J'y crois pas...
— C'est pour ça que si je peux le rencontrer en même temps, c'est encore mieux !
— Ouais, mais non.
— Allez, s'te plait. Je te promets que je serai sage.
— Non, mais putain, c'est pas le souci.
— C'est quoi alors ?
— Tout.
— Mais pourquoi ?
— Parce que c'est comme ça, voilà ! C'est si compliqué que ça d'attendre dix jours que je reçoive mon virement et que je vienne te voir ?
— Mais oui... Là, c'est les vacances, on peut se voir beaucoup.
Je soupire.
— Tu me fatigues.
— Oui, mais bon, c'est dommage, quoi...
Et je soupire encore, car je sais que je suis déjà en train de céder et de réfléchir à une solution.
— Je vais voir ce que je peux faire...
Grâce à Arthur qui accepte de généreusement supporter tous les frais de fin de mois pour nous deux, en échange de deux semaines de fumette offertes, je peux cramer mes derniers euros. J'ai tout juste assez pour réserver quatre nuits en Airbnb, ce qui devrait être suffisant pour contenter Lucyle.
Lucyle : Trop cool ! :) Du coup je pourrai dormir là-bas ? Y'a plus de soucis comme on sera pas loin de chez moi et qu'il y aura pas Arthur :B
Cléandre : omg mais non putain lâche moi avec ça
Lucyle : Mais pourquoi ????
Cléandre : demande à tes parents
Lucyle : Ils voudront jamais abruti !
Cléandre : voilà problème réglé
Lucyle : Mais stp pourquoi tu veux pas ??? Y'a tout le monde qui le fait sauf moi... J'ai ma cousine elle a un copain en cachette et voilà hein...
Cléandre : cool
Lucyle : Et y'a ma copine Bénédicte aussi qui va dormir en cachette chez son copain tout le temps et c'est un vieux
Cléandre : genre ?
Lucyle : Genre 17 ans donc voilà hein
Cléandre : ouais voilà hein
Lucyle : Donc je dors avec toi ? :D
Cléandre : non
Lucyle : Juste une fois dans ma vie ???
***
Beaucoup trop excitée pour l'heure qu'il est, Lucyle s'agite dans tous les sens en rangeant ses affaires à droite à gauche. Ses deux sacs à dos bourrés de vêtements de rechange sont posés dans un coin de la chambre.
J'ai fini par céder à ses délires de dormir sous le même toit, parce que « si tout le monde le fait, pourquoi pas nous, hein ? ». Mais je ne pense pas être prêt à m'avouer que si j'ai accepté, c'est aussi parce que l'idée ne me déplaisait pas tant que ça. Sauf qu'une fois de retour dans l'appartement loué lors de ma dernière visite, j'ai pas assumé. Heureusement, je me suis assuré d'avoir une issue de secours disponible.
Vêtue de son haut de pyjama gris où une souris mange des fraises, et du bas rouge décoré d'encore plus de fraises, Lucyle se jette sur le lit, se laisse rebondir et s'enfouit sous les draps.
— Je suis trop contente, c'est la première fois que je vais dormir avec quelqu'un ! s'exclame-t-elle.
Toujours habillé, je m'assois sur le lit, à côté d'elle.
— Au risque de tuer ta joie, je te tiens juste compagnie deux minutes, puis je vais dormir sur le clic-clac du salon.
Et en effet, son sourire disparait.
— Mais ! Mais pourquoi ?
— Parce que c'est mieux.
Son haut de pyjama est beaucoup trop grand.
— Mais pourquoi ?
Sans doute une taille au-dessus de la sienne.
Je hausse les épaules.
— Je ronfle pas, hein, et je prends pas de place, non plus, se défend-elle.
— C'est pas le souci.
— C'est quoi alors ?
Est-ce qu'elle l'a volontairement pris plus large pour être plus à l'aise ?
Je hausse les épaules. Au regard que Lucyle me lance, je comprends qu'elle est à la fois déçue et énervée.
— Est-ce qu'on peut au moins faire un bisou-câlinou ?
— Non.
— Mais ! Mais pourquoi ?
Du coup, est-ce que son pantalon de pyjama est trop grand aussi ?
— Je suis fatigué.
— C'est parce que je te plais pas assez physiquement ?
— Putain, rien à voir...
Il doit sans doute lui tomber sur les hanches, si ce n'est pas plus bas.
— C'est quoi, alors ? Parce que là, ça fait comme dans mon rêve où tu m'aimais pas.
— Commence pas à faire ton cinéma, Caliméro...
Lucyle tire la moue. Et c'est vraiment horrible, car c'est la chose qui met le plus ses lèvres beaucoup trop désirables en valeur.
— Je veux plus que tu m'appelles Caliméro.
— Pourquoi pas ? C'est mignon.
— Non, ça fait gamin.
— T'es une gamine.
— Non, j'ai quinze ans le mois prochain, je te signale.
— Putain, incroyable.
— Pff. Je suis sûre que tu te rappelles même pas de la date.
— Je crois que c'est entre le 21 et le 25...
— Le 28.
— J'étais pas loin...
Elle grimace et me tourne le dos. Je crois qu'elle boude.
Par flemme de bouger tout de suite, je m'allonge un peu. Je sors mon portable pour me garder éveillé et fais un tour des réseaux sociaux, et de mes messages.
Lucyle finit par se retourner vers moi, toujours avec son mauvais regard. Je soupire, elle reste silencieuse, et je la laisse me fixer méchamment, tandis que je prétends ne rien capter et réponds à Arthur.
Mardi 20 octobre — 23 : 56
Cléandre : ooooskour ! :'(
Arthur : Reste lucide fraté !
Cléandre : jpp ça me refait comme avec Kenza et son pyjama winnie l'ourson :'(
Arthur : Je t'aime mec, mais faut vraiment que tu te fasses soigner avec tes fétiches sexuels bizarres
Cléandre : y'en a c'est la lingerie ou les pieds ben moi c'est les pyjamas :'(
Arthur : Les pyjamas mignons*
Cléandre : mais son pyjama est vraiment trop adorable et en plus il est trop grand... j'essaie de pas m'imaginer des trucs mais bon :'(
Arthur : Ça m'enjaille pas plus que ça, perso.
Cléandre : tu penses que j'ai un gros souci mental ? :'(
Arthur : À mon avis c'est juste un drawback de ton côté déviant et prédateur de sale gosse privilégié et que ça fait ton charme
Cléandre : mais je pense que ça dépend de qui le porte parce que je suis pas quand même pas affolé par la section pyjama à Carrefour :'(
Arthur : Donc si moi je porte un pyjama mignon, tes hormones d'adolescent en rut partent en couille ou pas ?
Cléandre : non déso :'(
Arthur : Vraiment dommage ça... mais ce qui est encore plus dommage c'est que t'as seulement le droit de regarder lol !
Cléandre : ta gueule putain de toute façon j'oserai jamais, c'est Lulu quoi :'(
Arthur : T'as raison, préservons mon petit sucre de tous les vices de ce monde pourri !
Quand je jette de nouveau un coup d'œil en direction de Lucyle, ses cils batifolent, ses paupières luttent contre la fatigue.
Je range la mèche de cheveux qui lui barre le visage derrière l'oreille et me redresse.
— Reste...
— Bonne nuit, Caliméro.
— Hmm... Pire copain du monde...
— Ma pauvre chérie, t'as vraiment pas de chance.
— Hm...
Avant d'aller dans la salle de bain, je jette les deux boites de pizza, les pots de glace et les cannettes de Coca à la poubelle, range les feuilles utilisées pour jouer au petit bac et au Pictionnary, déplie le clic-clac et mets les draps. Je me couche avec l'esprit un peu plus léger qu'il y a quelques heures, et me dis que ce n'était finalement pas si terrible que ça de laisser Lucyle dormir là.
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