16
La porte d'entrée de la maison claque, la lumière du couloir s'allume, et ma mère apparait dans l'arche, les bras chargés de sacs Picard.
— Cléandre ? Qu'est-ce que tu fais, tout seul, dans le noir ?
— Je pleure en silence.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— On m'a brisé le cœur, maman...
— Oh, mon petit lapin...
Ma mère pose ses courses, retire son manteau et s'approche du canapé, faisant résonner ses talons sur le marbre du salon. Elle s'assoit, se colle à moi et me prend dans ses bras. Sentir son parfum, celui à l'odeur sucrée qu'elle met depuis des années, est vraiment réconfortant.
— C'est ta copine Kenza ? demande-t-elle.
— C'est plus ma copine, elle m'a largué.
— Oh ! Vraiment ?
La sentence est tombée il y a trois heures, à dix-sept heures trente. Kenza est venue me choper à la sortie des cours pour m'entrainer dans un coin calme, juste devant la chapelle en face du lycée.
D'un ton à peine ému, elle m'a annoncé qu'elle préférait faire une « pause », le temps de « réfléchir à tout ça »... D'autant plus qu'on « risque d'être loin de l'autre, l'année prochaine pour nos études », alors que j'avais l'intention de la suivre n'importe où, même dans la deuxième pire ville de France après Marseille, mais non, je « comprends pas », et gnagnagna... Comprendre pas quoi ? Je ne sais toujours pas, et mes textos restent sans réponse, donc je pense que je ne comprendrai jamais. Sauf que je suis pas un tocard et que je sais bien que ça n'existe pas les « pauses » dans un couple. C'est juste fini, elle veut plus de moi, et c'est tout.
Ma mère resserre ses bras autour de mes épaules, pose sa tête sur la mienne, et une de ses mains vient caresser mes cheveux, dans un geste super tendre de maman.
— Vraiment, c'est abusé. Elle m'a largué, comme ça, en deux jours. Après un an et demi, maman, tu captes ou pas ?
— C'est qu'elle ne t'aimait pas sincèrement et qu'elle n'était pas digne de mon lapin.
— Grave...
— T'inquiète pas, mon chéri, tu trouveras une autre copine, bien plus intelligente et bien plus intéressante...
— Grave...
— Mais souviens-toi qu'aucune femme ne t'aimera jamais autant que ta petite maman.
— Oui, je sais... mais bon...
— De toute façon, c'était qu'une amourette, tout ça, ça n'allait pas durer.
Sauf que je suis au bout de ma vie. J'ai mal à mon cœur, j'ai une boule dans le ventre, je commence sans doute une dépression et je préfère encore mourir. Ma vie, c'est de la merde, personne ne peut comprendre ma peine, en plus je vais surement redoubler ma Terminale parce que j'ai des notes de merde, mon père va me tuer, et je serai privé d'argent pour le reste de ma vie.
— Je vais te faire une lasagne pour te réconforter, mon lapin.
— J'ai pas envie de lasagnes.
— Qu'est-ce que tu veux manger pour ton diner, alors ?
— Des céréales.
— Lesquelles ?
— Les Chocapics Duo.
— Bouge pas, je t'apporte ça.
— Avec du lait chaud.
— Bien sûr, mon agneau.
Vraiment, j'ai la meilleure mère du monde et je l'aime. Et elle, au moins, elle m'aime aussi. Pas comme mon père, qui me déteste, et comme l'autre... qui m'a poignardé le cœur. Et je suis sûr qu'elle était avec moi juste pour les cadeaux, les hôtels, les spas, et pour profiter de ma super belle baraque et de ma chambre plus grande que son appart de sale prolo ! Vraiment, je la déteste.
Ma mère me rapporte mon bol de céréales et revient s'assoir avec moi juste au moment où la porte d'entrée s'ouvre pour laisser apparaitre le daron. Il dépose sa mallette au sol, pend son manteau et retire ses chaussures. Quand il nous remarque au salon, il me dévisage un instant avant de l'ouvrir.
— Qu'est-ce qu'il se passe, ici ? C'est quoi cette tête de chien battu ?
— Son ex-copine Kenza lui a brisé le cœur !
— La petite brunette là ?
— Ben oui ! Qui d'autre ?! je m'exaspère.
— Qu'est-ce que t'as fait, encore ?
— Et pourquoi tu supposes que c'est forcément moi, le fautif, hein !
— C'est vrai ça, mon petit lapin est parfait !
Pour notre plus grande surprise, un rire sarcastique s'échappe de la bouche de mon père.
— Si ce gosse était parfait, ça se saurait.
— L'écoute pas, mon poussin, chuchote ma mère. Moi, je sais que c'est la faute de cette Kenza...
— Quoi qu'il en soit, tu t'en remettras, lâche le daron. C'est quand même dommage. Elle avait l'air d'être une fille bien.
Mes parents s'en vont ensuite dans la cuisine. J'entends mon père râler contre ma mère, car elle aurait oublié de ranger ses courses Picard dans le congélateur. Après une chamaillerie de dix minutes pour savoir s'il est déjà trop tard pour mettre les surgelés au froid, ils reviennent au salon avec chacun leur plat cuisiné encore fumant. Le repas se passe devant un téléfilm nul du soir, jusqu'à ce qu'une page de pub nous sorte de notre hypnose.
— Mon lapin, as-tu fini tes céréales ? demande ma mère après avoir débarrassé la table.
— Oui, mais mon lait est froid. Est-ce que tu peux me le faire chauffer ?
— Bien sûr, mon chéri.
Maman s'approche du canapé pour venir chercher mon bol sur la table basse.
— Catherine, c'est une blague, j'espère ? gronde le daron depuis sa chaise.
— Quoi ?
— Tu vas quand même pas faire chauffer le lait de ton fils de 18 ans, putain !
— Il a un gros chagrin, Marc !
— Mais c'est pas une excuse, enfin ! S'il veut se le faire chauffer, il lève son cul du canapé, et il va dans la cuisine, point !
— Mais...
— Tu reposes ce bol immédiatement.
— Mais...
— Tu reposes ce bol !
Ma mère souffle bruyamment et s'exécute.
— Catherine, il va falloir qu'on ait une discussion tous les deux, car le comportement que tu as avec ce gosse devient inquiétant.
— Une discussion ?
— Oui.
— Tout de suite ?
— Oui, file dans la chambre.
La bouche de ma mère prend d'abord la forme d'un O avant de s'étirer jusqu'à ses oreilles. Je ne suis pas sûr que ça soit une réaction appropriée...
— Oui, monsieur.
— Putain, Catherine, je rigole pas !
— Est-ce que tu vas me sanctionner ?
Mon père vire au rouge, se lève en mode furie de sa chaise pour méchamment saisir ma mère par le bras. Il l'entraine à l'écart et lui chuchote Dieu sait quoi dans l'oreille. À son air, je devine qu'il est super agacé et que ses mots doivent frôler la menace de mort. Sauf que ma mère n'a pas l'air de s'inquiéter plus que ça. Au contraire, elle continue de glousser avant de se hâter dans les escaliers, comme une gamine.
Toujours sur les nerfs, le daron laisse s'échapper un soupir puis tourne son regard furax vers moi.
— Cléandre.
— Hmm ?
— Je vais parler avec ta mère, rien d'autre, c'est compris ?
— Mais putain, pourquoi tu me dis ça ? Pourquoi tu te justifies, je m'en fous, ok ! Faites vos trucs bizarres, mais m'en parle pas ! Putain ! C'est pas possible !
— Surveille ton langage, jeune homme.
— Oui, oui, pardon !
Il lève les yeux au ciel avant de me tourner le dos.
— Bonne soirée.
— Ouais, c'est ça...
Quand mon père se dirige vers les escaliers, j'ai la soudaine envie de quitter la maison... Déjà, pour ne pas risquer d'entendre leur discussion, mais aussi pour m'aérer l'esprit...
— Hé, attends, est-ce que je peux sortir prendre l'air ?
— Fais ce que tu veux.
— Et est-ce que je peux prendre ma voiture ?
— Tu vas où ?
— Pas loin. Juste pour un faire un tour... Sur le bord de mer ?
— Ok. Tu rentres avant minuit.
— Oui.
Retrouver ma nouvelle meuf dans le garage me réconforte déjà un peu. Encore plus quand je quitte le bord de mer, direction l'autoroute, pour entendre rugir le gros moteur de ma Audi A1 Sportback 35 TFSI 150 S Tronic 7 Business line — bleu nuit métallisé, 7 vitesses sur la boite — toujours là pour moi.
***
Vraiment, Kenza est la meilleure copine du monde. Enfin, était.
Je m'attendais à ce que tout le monde me lynche au lycée, le lendemain, et qu'on vienne me dire que je suis fou d'avoir risqué mon couple pour une meuf d'internet, mais rien. Aucune de nos connaissances ou amis communs n'est au courant du motif de notre séparation. Même les pétasses de la meute de Kenza sont dans le flou, et tout ce qu'elles savent, c'est que c'est fini. Ni plus ni moins. Pourtant, elle aurait pu m'afficher et me mettre la honte avec l'histoire de Lucyle.
— Mec, Nina m'a dit que Kenza faisait un break avec toi, c'est sérieux ? chuchote Arthur, pendant que la prof de philo nous explique une histoire de caverne.
— Ça existe pas, les breaks, y'a que des ruptures.
— Franchement, fraté, je t'avoue que j'attendais que ça, juste pour pouvoir te récupérer de manière tout à fait égoïste, mais en vrai je suis grave triste pour toi.
— Ouais. C'est la vie.
— Mais pourquoi elle t'a largué, comme ça ? C'est quand même pas à cause de vos embrouilles à la con ?
Je hausse les épaules.
— Non, je sais pas. C'est juste qu'elle m'aime plus, voilà.
— Franchement, ces meufs... Seulement là pour nous causer des soucis.
— Je te jure.
Après la deuxième pire journée de ma vie, je trace direct à la maison où je me prépare un bol de Miel Pops pour le goûter. J'en reprends trois fois, et à la fin de mon film Netflix, j'allume l'ordinateur pour aller changer mes vœux d'orientation sur le pire site du monde : Parcoursup.
Puisque Kenza ne veut plus de moi, je n'ai aucune raison de la suivre dans son Paris dégueulasse. Je supprime tous mes choix et sélectionne des facs aléatoires sur Nice, puisque de toute façon, ma vie, c'est de la merde, et que je n'ai aucun avenir. Cela fait, je ferme l'onglet et me connecte sur le forum.
LuLuCat100 : Coucou ça va ? :B (tu m'as pas écrit hier, ni aujourd'hui)
Start-upNation : ma copine m'a largué
LuLuCat100 : Ah ! Désolée... t'es triste ?
Start-upNation : non je fais la bamboula sur mon lit sale conne
LuLuCat100 : Ben ça va je demande ! Pas la peine d'être méchant !
LuLuCat100 : Pourquoi elle t'a quitté ?
Start-upNation : à cause de toi
LuLuCat100 : Ben c'est toi qui as continué de me parler hein ! Je t'ai rien demandé moi !
Start-upNation : t'es sérieuse là ? t'as vu le numéro que tu m'as fait quand je t'ai pas écrit pendant 6 jours
LuLuCat100 : Ben oui, mais bon... j'ai pas envie de briser des couples alors que je suis même pas là, c'est ridicule
Start-upNation : Grave... de toute façon elle m'a saoulé l'autre à se prendre pour une starlette de la croisette à m'interdire des trucs
LuLuCat100 : Et puis c'est abusé comme réaction aussi, on faisait que parler quoi...
Start-upNation : grave... en tout cas c'est pas toi qui aurais pris ce risque pour moi
LuLuCat100 : Personne t'a obligé à céder à mon cinéma hein :B
Start-upNation : c'est sûr...
Start-upNation : tu vois ce que je suis prêt à faire juste pour toi
LuLuCat100 : Ah ben oui :B
Start-upNation : c'est que je t'aime bien quand même
LuLuCat100 : J'imagine voui :B
Start-upNation : et toi qu'est-ce tu serais prête à faire pour moi ?
LuLuCat100 : Ah ben jsp lol :B
Start-upNation : je me fais larguer pour toi et c'est ça ta réponse ?
LuLuCat100 : Ben lol jsp demande moi un truc et tu verras si je le fais ou pas !
Start-upNation : photo ?
LuLuCat100 : De ma tête ?
Start-upNation : je m'en fous de ta tête
LuLuCat100 : Ben quoi alors ?
Start-upNation : montre ton corps
LuLuCat100 : ??
Start-upNation : et moins y'a de tissu mieux c'est
LuLuCat100 : lol
Start-upNation : ...
Start-upNation : je rigolais hein...
LuLuCat100 : Je suis xptdr au sol
Start-upNation : désolé
LuLuCat100 : Tu veux ma tête du coup ?
Start-upNation : comme tu veux
LuLuCat100 : Atta faut que je me coiffe alors, parce que mes cheveux sont catastrophiques :B
Start-upNation : Pas besoin tu t'en fous
LuLuCat100 : Ben non !
Start-upNation : t'inquiète tu seras quand même mignonne
LuLuCat100 : LOL ARRETE :B
Start-upNation : quoi ?
LuLuCat100 : Ça !
Start-upNation : quoi ?
LuLuCat100 : OMGGG de flirter mongolito !
Start-upNation : t'aimes pas ?
LuLuCat100 : Jsp lol :B
Start-upNation : pourtant tu me kiffes non ?
LuLuCat100 : Pfff :B
Start-upNation : tu t'y habitueras
LuLuCat100 : Pfff :B
Start-upNation : j'arrête t'inquiète
LuLuCat100 : Ok lol je vais me brosser les cheveux
Start-upNation : c'est bon garde la ta photo
LuLuCat100 : Comme tu veux...
Start-upNation : j'ai déconné désolé
LuLuCat100 : Pas grave :B
Start-upNation : trouve un autre sujet de conversation
LuLuCat100 : Tes codes d'accès Netflix ?
Start-upNation : crève
LuLuCat100 : J'ai trouvé une nouvelle vidéo avec une chèvre marrante si tu veux xB
Start-upNation : non ça me fait plus trop rire tout ça...
LuLuCat100 : Ah ben tant pis... sinon j'ai trouvé un article sur comment la planète va mourir si on limite pas le réchauffement climatique, mais c'est en anglais, tu peux traduire pour moi ?
Start-upNation : oui envoie
Je passe la soirée à traduire un tas d'articles de propagande écologiste pondus par des hippies alarmistes. Ça a au moins l'intérêt de m'occuper l'esprit et de m'empêcher de dire de la merde à Lucyle.
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