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Depuis qu'il est de nouveau en froid avec sa copine, ou du moins, ce qui s'en rapproche, Arthur a élu domicile chez moi pour retrouver la force de vivre et pour penser à autre chose.
Moi qui pensais pouvoir profiter de la première semaine des vacances d'hiver en paix avec Kenza, je dois supporter les jérémiades et grands questionnements de mon pote en morceaux tous les jours.
— À ton avis, qu'est ce que ça veut dire quand elle écrit que nos caractères sont pas compatibles ? Parce que perso, j'ai rien à me reprocher et je fais tout pour nager dans ses bonnes grâces.
— Si tu te comportes avec la Nina comme tu le fais avec moi, ça veut juste dire que t'es casse-couilles. Tu t'en rends peut-être pas compte, mais t'es super étouffant, mec ! Toujours à m'envahir de messages, à me sauter dessus, à parler non-stop...
— C'est juste que je suis un garçon passionné et dévoué à 100 %.
— Non, t'es chiant.
Il soupire.
— N'empêche que les meufs sont des putains de paradoxes impossibles à satisfaire. Elles veulent le prince charmant, mais quand on leur donne, y'a plus personne. Comment t'as fait pour choper Kenza de manière durable, déjà ?
— Très simple : je lui envoyais jamais de messages. Genre une fois tous les cinq jours pour lui montrer que j'étais quand même intéressé, et je peux te dire qu'elle attendait pas deux heures avant de me répondre. C'était instantané, mon gars. Puis je lui ai aussi fait croire que je parlais à une autre fille avant de la rencontrer, pour qu'elle se sente en danger et me fasse pas trop poireauter.
— Impressionnant. Quand je pense que, maintenant, t'es devenu un énorme canard avec ta gonz'.
— N'importe quoi.
— Bien sûr que si, fraté. Elle t'a tellement bien dressé qu'elle a même plus besoin de te demander des choses, tu les fais de toi-même.
— En attendant, elle me le rend bien, et j'ai la meilleure meuf du monde.
— Alors, là, pas du tout. Tellement aveugle, ce pauvre garçon... marmonne Arthur.
Je laisse cet abruti ruminer dans son coin et relance l'épisode que nous étions en train de regarder avant qu'il ne reçoive un message de l'autre Nina. Au même moment, on toque à la porte de ma chambre. Ma mère laisse dépasser sa petite tête et nous informe d'une sortie imminente au restaurant, parce que mon père s'ennuie et qu'il n'a pas envie de rester à la maison. Nous sommes tous invités.
Sans surprise, ce crevard d'Arthur saute sur l'occasion, même s'il s'arrange toujours pour éviter toute sortie avec mon père, qui lui ferait peur. Mais cette fois-ci, ça ne l'empêche pas de sauter avec nous dans la BMW, direction Monaco Monte-Carlo, pour un diner dans un restaurant thaï.
À notre arrivée, une hôtesse nous mène dans une grande salle au décor boisé très foncé, avec des écritures asiatiques gravées dans les murs. Les abat-jours rouges qui pendent de partout tamisent la lumière et créent une ambiance très cosy. L'hôtesse en talons, chignon, robe — surement l'uniforme obligatoire — nous installe à une table de quatre. Juste en face repose une énorme statue de Bouddha, ou que-sais-je, posée au milieu d'un jardin intérieur aménagé de fougères, feuilles de bananier et autres plantes vertes touffues. À l'instar de la déco, les assiettes sont très jolies bien que trop peu garnies à notre gout.
Mais puisque c'est le daron qui régale, on commande et recommande à notre guise.
Lucyle : Tu fais quoi ?
Cléandre : je suis au resto avec mes darons et Arthur
Lucyle : Ton copain amoureux de toi ?
Cléandre : il est pas amoureux putain
Lucyle : Ben si d'après ce que tu m'en dis, il t'aime !!! Et toi aussi d'ailleurs !
Cléandre : n'importe quoi
Lucyle : Ben si ! Quand vous allez dans des trucs pour danser la salsa collés-serrés pendant une heure c'est très chelou !
Cléandre : c'est juste un délire entre nous
Lucyle : Tu l'as quand même embrassé !
Cléandre : c'était juste un bisou pour un gage quand on était bourré
Lucyle : C'est quand même ultra suspect votre histoire !
Cléandre : t'es juste jalouse et t'aimerais être à sa place c'est tout
Lucyle : C'est pas vrai ! je te cause plus !
Cléandre : malheureusement tu tiens jamais plus de trois minutes
Lucyle : tu vas voir mongolito je te parlerai plus pendant un jour
Cléandre : oh non stp
— Cléandre, ça te tuerait de lâcher ton portable, un peu ?
— Ton père a raison, mon lapin. Et à qui tu parles, comme ça ?
— Vu son sourire, ça doit être sa gonz'... enfin, sa copine.
— Peu importe. On t'a pas donné ce genre d'éducation de sale morveux.
— Ton père a raison. On est là pour passer un bon moment tous ensemble, et tu gâches tout !
— C'est clair, mec, c'est du manque de respect, de rester collé à ton phone comme ça.
— Putain, c'est bon, là ! Pardon !
— Surveille le ton et les mots que tu emploies, jeune homme.
— Ton père a raison, Cléandre, ça commence à bien faire, ta vulgarité !
— C'est vrai, mec, tu parles trop mal.
Je retiens un deuxième « putain » et lance un regard noir à ce gros fayot d'Arthur qui prend un plaisir non dissimulé à se ranger du côté de mes parents. Mais avant de me faire virer de table par mon père, je range mon portable dans la poche de mon jogging.
Pour le reste du dîner, j'écoute mes parents parler politique et autres trucs chiants qui semblent beaucoup les intéresser.
Comme hypnotisé, je me mets à les fixer d'une manière que mon père qualifierait d'impolie, lui et ses cheveux châtains toujours bien coiffés, ses yeux verts aussi froids qu'une banquise et sa mâchoire carrée qui renfonce son air sévère.
Je me suis toujours demandé comment une petite femme aussi joyeuse et simple que ma mère avait pu emballer ce gros gabarit si inaccessible, même avec sa propre famille. On ne sait jamais ce qu'il pense ou s'il apprécie un moment. Non, son expression ne change jamais, qu'il soit en colère ou content. Je ne suis même pas sûr d'avoir déjà entendu son rire. En général, il se contente d'un sourire quand quelque chose l'amuse, comme ce soir, et c'est déjà un miracle en soit.
Une fois l'addition réglée par mon père, une des hôtesses nous offre un parfum d'ambiance en remerciement de nos grosses dépenses de la soirée. Je pensais que notre nuit s'arrêterait là, mais le daron propose ensuite d'aller boire un verre. Nous atterrissons donc dans un bar, situé sur le roof top d'un palace, où la barmaid a une allure aussi impeccable que les hôtesses du restaurant thaï.
Soit mon père oublie qu'Arthur a encore 17 ans et qu'il n'est légalement pas autorisé à boire de l'alcool, soit il s'en fout, mais il nous offre à tous le cocktail de notre choix.
— Ça fait trop bizarre d'être dans un bar avec tes parents, fraté ! s'exclame Arthur quand on s'installe tous les deux à une table tandis que les darons s'occupent de régler les consommations. Ton père est grave sympa, en fait !
— Mec, je te jure que je le reconnais pas ! Je sais pas ce qu'il lui arrive, ce soir, mais faut en profiter. Ce genre de truc, ça se produit une fois par décennie.
***
Samedi 7 mars — 15 : 27
Cléandre : je regarde un film où y'a une fille aussi débilos que toi mdr
Lucyle : Arrête de m'envoyer des messages nuls pendant que je fais mes devoirs !
Cléandre : pourquoi ?
Lucyle : Parce que j'arrive pas à me concentrer !
Cléandre : t'es pas obligée de répondre
Lucyle : Ben oui mais je suis quand même obligée de les lire et ça me dérange !
Cléandre : personne t'oblige à les lire grosse nouillasse !
Lucyle : Ben c'est dur ! Déjà aujourd'hui mes parents m'ont fait une réflexion parce que j'étais trop sur mon portable !
Cléandre : bien sûr c'est ma faute !
Lucyle : Oui ! Si j'avais su, je t'aurais pas donné mon numéro parce que maintenant tu me harcèles :B
Cléandre : je te laisse tranquille alors puisque je te dérange tant que ça
Samedi 7 mars — 22 : 05
Lucyle : Re hihi :)
Cléandre : t'es pas censée aller dormir à 22 h toi ?
Lucyle : si lol mais c'est le week-end et je suis pas fatiguée
Cléandre : je comprends pas l'intérêt de te couper l'internet à 22 h tous les jours si c'est pour te laisser ton portable après
Lucyle : Mes parents me le laissent, car ils savent que je m'en sers que pour les appeler ou pour envoyer un message à ma cousine une fois de temps en temps, c'est tout !
Cléandre : donc d'après eux comme t'as pas d'amis y'a pas de risque que tu l'utilises après 22 h ?
Lucyle : C'est ça lol !
Cléandre : ils seraient surement déçus d'apprendre que t'as entamé ta crise de rébellion...
Samedi 7 mars — 23 : 26
Cléandre : hé oh
Cléandre : tu dors ?
Cléandre : sale nulle
Cléandre : hé
Cléandre : hé
Cléandre : caliméro
Cléandre : lulu
Lucyle : tais-toi !!!
Cléandre : tu dors mdr ?
Lucyle : Oui ! Je suis fatiguée moi !
Cléandre : ça joue les rebelles de la forêt mais ça tient même pas jusqu'à minuit xptdr
Lucyle : Ben j'ai fait beaucoup de choses aujourd'hui, contrairement à toi !
Cléandre : t'as promené ton chien et fais tes devoirs c'est vrai que tu dois être crevée
Lucyle : Et j'ai accompagné ma mère faire les courses ce matin et j'ai marché une heure avec mon chien !
Cléandre : putain grosse journée pfiouuuu
Lucyle : ben toi t'as fait quoi de mieux hein ??
Cléandre : j'ai glandé à la maison avec ma copine
Lucyle : Ah ! Elle reste chez toi ?
Cléandre : oui j'avais Arthur en début de semaine et maintenant c'est son tour
Lucyle : Tu lui as fait des câlins ?
Cléandre : Mdr c'est quoi cette question
Lucyle : Ben je fais genre je m'intéresse à votre journée :B alors ?
Cléandre : non t'inquiète j'ai construit un mur entre nous pour pas qu'on se touche
— Si le film t'ennuie, on peut arrêter...
Éclairée par la faible lumière de ma lampe champignon, Kenza m'adresse un regard las, fatiguée par cette journée passée à l'état larvaire dans mon lit. J'avoue qu'à notre quatrième film du jour, je décroche facilement, surtout quand il s'agit d'un truc fantasy avec des gobelins, des trolls et autres gros monstres...
— Non, c'est bon...
— T'es sûr ? Parce que t'as pas lâché ton portable de la soirée...
— Ouais, désolé...
— C'est Arthur ?
— De quoi ?
— Qui t'accapare comme ça ?
— Ah, ouais... il me raconte ses habituelles embrouilles avec Nina, tu sais...
Parce que je sais que Kenza déteste quand je ne suis pas les films, j'envoie un dernier message à Caliméro avant de poser mon portable à plat sur ma table de chevet.
Une minute plus tard, mon téléphone vibre en réponse. Kenza me passe par-dessus et l'attrape avant que je ne l'atteigne. J'imagine qu'elle voulait juste le balancer autre part, mais ses yeux se posent sur l'écran au passage.
— Depuis quand Arthur s'appelle Lucyle ?
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