Ce qui trompe sa bouche
Des effluves de beurre me parviennent et un écœurement diffus me prend ; j'ai cette odeur en horreur, si paradoxal que cela puisse paraître. Je me retire dans notre salle de repos ; c'est ici que Val passera la matinée, en compagnie du chat des patrons. Je pose sur le carrelage froid le sac qui m'encombre et revêt une charlotte, mesure d'hygiène malheureusement aussi utile qu'exaspérante. J'ai froid. Ce matin, l'envie de pâtisser est absente, mais je ne peux me déclarer malade à tout va : nul ne peut se permettre de perdre un gagne-pain par paresse, qui plus est lorsqu'il l'apprécie. Beaucoup paieraient cher pour aimer leur profession, mais je ne connais pas une personne qui serait heureuse de travailler un lundi matin à quatre heures.
La pomme dévorée en chemin n'a pas suffi, les fruits que le primeur vient de nous livrer exhalent un parfum qui me fait envie, mais je devrai me contenter de les préparer en confitures, gelées et compotées. Je pourrai toujours acheter un de mes desserts à midi et salive à la pensée d'un muffin. Actuellement, ils doivent reposer dans des ramequins, d'une pâleur mortelle, attendant d'être dorés au four.
Avec empressement, je me dirige vers mon poste de travail ; produits et instruments y sont posés comme d'habitude. Spécialisée dans le frais, j'utilise peu d'aliments transformés comme parfum principal ; ma préférence va au travail de la pomme, de la fraise et de la prune. Selon la réalisation, je choisis des fruits bien différents : les plus lisses et bien formés sont réservés à la décoration, les plus moelleux, aux gelées et compotes et enfin, les plus parfumés, ceux dont les senteurs transpercent la peaux et réchauffent le ventre, je les réserve pour ensuite les utiliser crus. Les meilleurs fruits doivent se déguster crus, soutenir l'inverse relève de l'ineptie.
La matinée s'écoule en un clin d'œil. Les fournées s'enchaînent, cookies, viennoiseries et entremets à décorer défilent sous mes mains expertes. J'agis presque par automatisme et peu avant dix heures, mon travail est terminé. Jusqu'à ce soir, les seules tâches seront de servir les clients en boutique et de nettoyer les cuisines. C'est ce que je m'applique à faire ; le contact des acheteurs et la rapidité d'exécution nécessaires à la vente ne me conviennent guère.
C'est donc aux alentours de onze heures que je pousse la porte de mon appartement. Lisa, elle, est partie travailler au CNRS. Je souris en pensant aux propos désordonnés qu'elle me tiendra ce soir, lorsqu'elle déballera le contenu rébarbatif de ses recherches médicales, mais c'est bien la moindre des choses que de l'écouter ; elle s'est donné pour mission de contribuer à trouver un remède à la cécité, dans le but désespéré de m'aider comme j'ai pu autrefois la tirer de la misère. Tes yeux ternis, me dit-elle souvent, je leur rendrai leur éclat en leur montrant celui du monde.
Cette vie-là est bien pénible par moments, lorsque je me heurte à un obstacle, que Val ne peut m'accompagner ou que je me retrouve comme une idiote à ne pas trouver un pull ou une simple brique de jus de fruits, et elle dure depuis déjà deux ans, mais c'est un mal nécessaire. Je dois tout faire pour gagner.
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580 mots
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