Le matin, au moment de l'éveil, il fait noir. Peut-être un voile orangé recouvre-t-il votre vision, si la veille au soir vous avez oublié de fermer les volets de votre chambre, mais ce n'est pas mon cas, et il fait noir. Le bruissement des draps enveloppe mon corps d'une multitude de fourmillements, réponse aux stimulis qu'ils occasionnent. À leur exception, le silence étend son règne solitaire dans ma chambre : il n'y a pas âme qui vive. Chaque matin, je suis la première éveillée.

À tâtons, prenant garde à demeurer une ombre, je sors de ma chambre et gagne la salle de bain. Je m'habille et me lave sommairement, toujours dans le noir, et tâche de ne pas émettre le moindre bruit ; il ne s'agirait pas de réveiller quiconque à l'aube. Mon ventre gronde, j'ai faim, le sol tangue sous mes pieds nus. Mon téléphone m'indique une heure un peu trop tardive : il est trois heures et demie, j'aurais déjà dû déjeuner.

Une pomme dans la poche droite, mes clefs dans la gauche et une laisse à la main, je claque la porte de mon appartement avec douceur ; je prie pour que le déclic ne dérange pas ma Lisa, comptant d'avance sur le réverbère qui, je l'espère, ne s'allumera pas au moment où je passerai à son niveau : il se situe en face de la fenêtre de ma colocataire. Val, joyeux, jappe à mes côtés dès que nous mettons un pied dehors. Il est toujours heureux de sortir, ce chien. Je remercie chaque jour le ciel de m'avoir permis de rencontrer un patron qui accepte que Val m'accompagne au travail ; en tant que pâtissière, j'avais d'autant moins de chances de trouver où aller avec lui.

La nuit fraîche ne me dérange pas, j'y suis habituée. Les rues sont plus calmes et me semblent paradoxalement moins dangereuses. Rares sont les voitures dont le vrombissement me déchire les tympans, plus rares tout du moins qu'en journée. J'entends chaque son, et chaque son m'avertit. Je sais si je suis suivie, si je dois éviter telle ou telle avenue afin de contourner une rixe, et cetera.

La boulangerie où je suis employée se trouve à peine à dix minutes de chez moi, si je m'y rends à pied. Bien vite, je pousse la porte de la boutique et des crissements, grincements et autres fracas métalliques accaparent mon attention. D'une voix plus chaleureuse que le pain qui sort du four, Marco, mon collègue boulanger, m'interpelle : je n'ai que quelques minutes de retard mais celles-ci ont mis à mal notre chaîne de fabrication des croissants fourrés. J'entends déjà la machine à pâtisserie feuilletée qui plie et replie les viennoiseries de demain, la porte de la chambre froide claque, et j'imagine notre apprenti courant dans les cuisines, un plateau de pains au chocolat crus tenu en équilibre précaire entre ses mains tremblantes. Il doit aller les porter à congeler.