"Je dois tout faire pour gagner." Cette phrase me hante et me soutient depuis le début du test. L'heure approche, je le sais, où je pourrai enfin retourner à ma vie, cette fichue prime entre les mains. Depuis deux ans qu'on me nourrit à la sonde et que le casque de réalité virtuelle érafle mes pommettes, je n'ai pu ressentir, écouter, goûter que grâce à des électrodes éparpillés sur mon corps.

Sympathiser avec les personnages du jeu m'a en quelque sorte tirée de la solitude, travailler comme n'importe qui d'autre ne m'a fait ni chaud ni froid, même après avoir été deux ans au chômage, mais être privée de vue aussi longtemps m'est désormais insupportable. La compagnie de ce jeu VR moyenne durée m'avait pourtant juré que ce ne serait pas désagréable, foutaises !

Lisa rentre à la maison, j'entends la porte claquer dans mon dos. Peut-être a-t-elle enfin trouvé de quoi soigner mes yeux, du moins je l'espère. Alors la partie prendra fin. Elle me saute au cou et crie une formule chimique que je ne peux saisir. Néanmoins, au moment où elle la prononce, mes yeux recouvrent la vue. Étrange, je sens toujours la présence de ma colocataire, mais je me trouve au centre d'un espace entièrement noir, et pourtant lumineux. Les développeurs sont malins, pourquoi créer un décor pour un joueur censé être aveugle ?

Je ne peux tout d'abord discerner que mes mains puis, devant moi, s'affiche un panneau blanc.

«Félicitations, vous avez terminé le mode "To be blind". Vous pouvez à présent ôter le casque.»

Soulagée, je lève mes bras et cherche la bordure du masque ; ne la trouve pas. Une panique sourde s'empare de mon cœur qui se met à vrombir — c'est du moins ce qu'il me semble. Tout à coup, une paire de mains s'empare du casque et me le retire. Je suis assise dans une chaise de gaming, la même qu'au début de l'expérience. Mes vêtements, en revanche, ont changé.

Une jeune femme se tient face à moi et me fait un grand sourire ; ses yeux disparaissent derrière ses adorables joues.

— Bravo, vous êtes la première à terminer, alors même que vous testiez le mode le plus difficile pour une voyante. Les autres joueurs ont encore du mal à trouver un emploi et n'ont pas pu aider Lisa. Avez-vous des retours à nous faire ?

Épuisée et encore effrayée, je peine à lui répondre, à rassembler mes idées. Consciente de ma bouche sèche, je croasse :

— Verre d'eau s'il vous plaît.

La jeune femme part en courant, l'air contrit, et revient quelques instants plus tard avec un verre à la main. Je me jette dessus, tentant de délier ma langue pâteuse. Ma voix me revient.

— Je ne comprends pas, j'ai demandé plusieurs fois à sortir, me reposer dans le monde réel mais aucune de mes requêtes n'a été honorée.

— Eh bien... je crains qu'il ne soit impossible de sortir du jeu sans l'avoir terminé. J'en suis navrée. Vous deviez avant tout l'expérimenter, avez-vous des retours à nous faire ?

Elle semble en proie à la gêne, ce qui me laisse la possibilité de continuer sur ma lancée, sans répondre à ses attentes pourtant légitimes.

— Que doivent accomplir les autres testeurs ? Ils ne sont pas dans le mode aveugle, que doivent-ils faire avec Lisa, au juste ?

Elle soupire, semble comprendre que je ne répondrai pas tout de suite.

— Les objets de quête sont différents selon les personnes. Dans To be blind, spécialement conçu pour les aveugles, le but est de subvenir à ses besoins et ceux d'une autre personne, Lisa dans notre application, pendant au moins un an. L'ajout du remède n'est qu'une petite fantaisie de nos développeurs pour rendre la partie plus attrayante.

— Et qu'arrivera-t-il alors si une personne ne parvient pas à mener à bien la quête qui lui est attribuée ? Depuis combien de temps suis-je ici, au juste ?

— Vingt-deux jours, madame. Le jeu plonge votre esprit dans un état semblable au rêve, le temps ressenti dans notre création est vingt fois supérieur à celui qui s'est réellement écoulé. J'espère que l'expérience vous a convainc...

— Y a-t-il une limite ?

— Au jeu ? Oui, une partie qui dure plus de six mois réels est automatiquement interrompue.

— Six mois... Quel était le but de votre application, déjà ?

— Permettre aux jeunes adultes de découvrir une expérience professionnelle afin de les guider dans leur orientation, sans risques pour eux d'avoir des problèmes d'argent, puisqu'ils sont, pendant la durée de leur expérience, pris en charge par leur famille ou, pour des cas exceptionnels, par l'État, partenaire de notre jeu éducatif.

— Et que se passe-t-il au-delà des six mois ? Si j'ai bien suivi votre raisonnement, et que le mien s'avère correct, cela signifierait que le jeune aurait le sentiment d'avoir passé dix ans dans un jeu, dont au minimum neuf sans avoir trouvé de situation stable ou de salaire décent. Avez-vous idée des répercussions psychologiques que cet échec pourrait avoir sur eux si jamais ils se sont trompés de voie ? Et d'ailleurs, si jamais l'ordinateur plante, le joueur ne risque-t-il pas de se trouver en danger ? On ne sait jamais avec les électrodes...

— Oh, ils n'auront pas à s'en faire. Il est tout à fait improbable qu'une telle situation arrive, puisque l'insertion professionnelle est bien plus facile dans le jeu que dans notre pays, et les ordinateurs qui traitent le programme sont très solides. Si tant est que cela survienne, néanmoins, le cerveau du jour serait probablement grillé. Mais rassurez-vous, le rapport bénéfice-risque devrait être majoritairement positif.

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