Il y a des jours prédestinés à déraper. Et puis il y a des journées destinés à être splendides.

Le premier signe évident que la journée s'annonçait ainsi était qu'en ouvrant les yeux, le matin, je ne me trouvais dans la chambre d'un autre. Avec l'autre en question à côté de moi.

Le mouvement que je fis pour mieux le regarder l'éveilla, lui qui avait le sommeil d'un chat. Il sourit avec tendresse.

Cette expression, sur son visage, me bouleversa plus que je n'aurais su le dire.

-Quelque chose ne va-pas ? s'inquiéta-t-il.

-J'ai peur que ce ne soit qu'un rêve. Que vous soyez partit tout à l'heure et que je me réveille seul dans mon lit...

-J'ai bien peur, mon chez Watson, que ça ne risque pas d'arriver de sitôt. Le risque est plutôt que je ne vous laisse plus jamais redormir dans votre chambre...

Je ne pus m'empêcher de sourire. Il cligna des yeux comme s'il était éblouit.

Je remarquais au passage qu'il devait être près de midi, vu la lumière qui traversais les volets.

Je me blottis contre lui. Il passa ses longs doigts dans mes cheveux, qu'il caressa distraitement.

-John, dit-il soudain d'une voix grave.

-Oui ? Répondis-je en rougissant comme un adolescent, ravis qu'il emploie mon prénom.

-C'était vrai, vous savez.

-Quoi donc ?

-Que je vous aime.

Je me serrai un peu plus contre lui.

-Vous me promettez de ne pas l'oublier ? Murmura-t-il en caressant mes cheveux. Même quand je serais insupportable, quand je dirai des choses horribles, quand je ne voudrais voir personne, quand...

-Aussi longtemps que vous me promettez de ne pas oublier que je vous aime aussi.

Il me regarda longuement, sourit, et ouvrit la bouche pour...

À cet instant précis, quelqu'un frappa à la porte.

Nous soupirâmes de concert.

L'intrus frappa à nouveau.

Puis on entendit distinctement la porte s'ouvrir.

Un même frisson de terreur nous parcouru.

-Je n'ai pas refermé, hier soir, balbutia Holmes, extrêmement pâle.

Nous sautâmes hors du lit. Si quelqu'un nous surprenait ainsi, c'était la fin de tout.

Je sautais dans le sofa, seulement vêtu de ma robe de chambre, lorsque la porte du salon s'ouvrit.

Lestrade entra.

Je lâchai un énorme soupir de soulagement. Je l'avais assez souvent croisé au club pour savoir que même s'il représentait la loi, il ne condamnait pas ce crime-là.

-Docteur Watson ! s'exclama-t-il en me voyant. Vous allez bien ?

-Mais oui, répondis-je, incapable d'effacer le sourire niais qui devait flotter sur mes lèvres.

-Holmes est là ? Demanda-t-il d'une toute petite voix.

-Oui. Que se passe-t-il ?

-Une enquête ? s'enquit Holmes en sortant la tête de sa chambre, encore tout ébouriffé.

-Oui... Non... enfin je voulais juste...

Il prit une grande inspiration et regarda mon ami dans les yeux.

-Je voulais m'excuser, Holmes. Je suis affreusement désolé. Je ne pensais pas un mot de ce que...

-C'est oublié, rétorqua le détective avec une magnanimité qui ne lui ressemblait guère. Surtout depuis que j'ai prouvé que vous aviez tort... Mais bref. Vous n'avez vraiment pas d'enquête ?

-Maintenant que vous le mentionnez... Figurez-vous qu'il est question d'un rat énorme, qui a été retrouvé...

J'avoue que je n'écoutai pas la suite. J'étais trop occupé à regarder Holmes, et à savourer l'instant.

Grâce au ciel, cet instant fut suivis de pleins d'autres semblables. Si des malentendus et des disputes nous ont parfois fait mal, j'ai toujours aimé Holmes du plus profond de mon âme, et je crois pouvoir affirmer, aujourd'hui, alors que nous habitons tous les deux, loin du monde, dans notre petite ferme du Sussex, qu'il m'aime aussi.

John H. Watson, juillet 1920

Watson sursauta. Pris dans la fièvre de l'écriture, il n'avait pas entendu le détective arriver, dans son dos, pour lire par dessus son épaule.

-Oui, déclara Holmes avec amusement en se penchant pour déposer un baiser dans le cou de son docteur, je crois qu'on peut l'affirmer...