8 - Sherlock Holmes
Le brouillard était revenu. Je m'y fondis avec reconnaissance, heureux d'échapper aux regards du monde.
Watson...
Je m'arrêtai au milieu de la chaussée, soudain vide. Exténué.
De loin me parvenait des bruits de conversations. Les lueurs fantomatiques des fenêtres allumés, derrières lesquelles se mouvaient des spectres, silhouettes noires sur fond jaunes.
Je me concentrai sur Watson. Sur son sourire. Sur ses yeux bleus, incroyablement bleus. Il avait usé bien trop de lignes à décrire les miens, des plus banals. Personne ne semblait lui avoir dit que son regard était une œuvre d'art. Et sa voix, à elle seule, une symphonie, une musique que j'essayais de jouer sur mon violon, tard, le soir, lorsque le sommeil me fuyait.
Watson...
L'idée de son absence me faisait mal. Je ne me sentais pas capable de reprendre une vie sans lui, comme après Reinchenbach. J'étais sûr d'y laisser ma peau. Et ma santé mentale.
Je songeais à ses mains. Des mains de médecins, des mains de soldats. Des mains qui avaient combattu, qui avaient été plongées dans le sang, qui avaient recousu, amputé, réparé. Et qui étaient restées si attentionnées.
Je songeai à ses lèvres. À la façon dont ma peau avait pris feu lorsqu'elles l'avaient effleuré, incarnation pure du désir.
J'imaginais son corps, pressé contre le mien.
Je songeais à quel point j'avais peur que Lestrade ait raison. Terrifié.
Et avec quelle intensité je voulais qu'il reste près de moi. Je voulais qu'il me pardonne, encore une fois, de l'avoir blessé. Je voulais qu'il me donne une autre chance.
Je voulais lui faire l'amour.
Un rire rauque sortit de ma gorge. Ou peut-être un sanglot, de pure auto-dérision.
Bien sûr que c'était ça, qui m'échappait. L'amour.
Mais quel idiot. Qui pouvait se prétendre détective et manquer un éléphant dans un couloir ? Sherlock Holmes.
Je n'avais simplement jamais envisagé que je puisse un jour tomber amoureux. Que tout ce qu'on disait dans les livres à deux sous du docteur était vrai. Que mon cœur battrait à sa seule pensée. Que ses lèvres me donneraient envie de courir au bout du monde pour un sourire. Que son regard me ferait m'agenouiller. Que la seule idée de son corps me donnait des envies de bachanales.
C'était si niais. Si dégoulinant de sentimentalisme.
Et si beau. Parce que c'était lui.
Et puis, soudain, j'étais de retour.
221b, Baker Street. Encore, et toujours.
Peut-être Madame Hudson accepterait-elle de me faire du thé, malgré l'heure tardive...
Puis je me souviens qu'elle n'était pas là. J'étais décidément seul au monde, songeais-je avec autant de douleur que d'auto-dérision.
Encore heureux, je n'avais pas oublié ma clef.
Je n'allumais aucune lumière en entrant dans le hall. D'abord parce que je connaissais les lieux par cœur, et pouvais m'y déplacer les yeux fermés.
Ensuite parce qu'une lueur venait de l'étage. Du salon.
Les jambes coupées par l'espoir, le cœur pressé d'angoisse, je gravis les marches comme dans un rêve.
Mon cœur s'arrêta net.
Watson était là. Pâle. Étendu sur le sofa. Couvert de bleus. Et de sang.
Il ne bougeait pas.
Une seconde plus tard, j'étais à côté de lui. Ma main tremblait si fort en cherchant son pouls que je craignis de lui faire mal, et utilisait toute ma force mentale pour stabiliser mes doigts.
Une seconde angoissante, je ne sentis rien. Je crus mourir, à cet instant.
Et puis je décalais très légèrement mes doigts...
Un battement. Deux. Trois. Réguliers...
-Holmes ? Grommela sa voix.
Il avait ouvert les yeux, une grimace de douleur tordant légèrement ses traits. Il voulut se redresser, mais je posais mes mains sur ses épaules pour le recoucher.
-Vous allez bien ? Demanda-t-il d'une voix pâteuse.
La question me prit tellement au dépourvu que je ne sus pas y répondre tout de suite.
-Vous n'étiez pas là quand je suis rentré, reprit-il. Je me suis inquiété. Vous avez une mine affreuse.
Je jetais un regard éloquent à son visage. Et j'explosais de rire.
Il me rejoignit dans l'instant. Dieu, que l'entendre rire me fit du bien ! Watson riait ! Le monde ne pouvait pas être entièrement mauvais, et moi pas entièrement malheureux.
-Que s'est-il passé ? Demandai-je doucement en écartant une mèche de devant ses yeux. Je me suis affreusement inquiété.
-Vous vous êtes inquiété ? Répéta-t-il dans un hoquet de stupeur.
-Bien sûr ! Vous aviez dit que vous rentreriez en fin d'après-midi ! J'étais parti à votre recherche.
Ma main était désormais totalement hors de mon contrôle. Elle caressait sa joue pendant que je faisais semblant de ne pas la connaître. Avec un succès extrêmement modeste, je dois l'avouer.
-J'avais envie de me changer les idées, dit-il en rougissant de honte. Je suis allé parier. J'ai bu quelques verres. Et j'ai participé à une bagarre qui est allé un peu trop loin... Lorsque le barman m'a réanimé, il était déjà minuit. Aucun cab n'a voulu me prendre, alors je suis revenu à pied.
-Vous avez des blessures graves ? m'inquiétai-je aussitôt.
Son regard bleu se posa sur moi. Mon souffle se coupa momentanément. J'étais certain qu'il devait exister une loi, quelque part, contre de tels yeux.
-Rien qui ne mérite qu'on s'y attarde.
J'émis un petit cri de protestation. Et puis, sur une impulsion, je passais un bras sous sa nuque, un autre sous ses genoux, et le soulevait.
Il s'accrocha aussitôt à moi.
Ce qui n'était pas vraiment pour me déplaire.
Je poussai la porte de la chambre du bout du pied...
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