7 - Sherlock Holmes
Je m'extirpais du bâtiment avec un sursaut de soulagement. La nuit m'enveloppa, délicieusement froide.
Je m'adossais à un mur, un peu plus loin.
Je comptais cette visite comme l'une des plus détestables de mon existence. Pas à cause des regards que j'attirais, mais à cause des questions qui surgissaient dans mon esprit. Lequel d'entre eux Watson avait-il mit dans son lit ? Lequel avait-il touché ? Embrassé ? Caressé ? À qui s'était-il donné ? Qui l'avait fait sourire, qui l'avait fait gémir...
Les images convoquées par mon implacable cerveau me brûlaient l'âme et le corps tout entier. J'étais malade de... de... Eh bien de jalousie. Je la sentais me consumer, me réduire en cendre de l'intérieur, tout entier. Qu'est-ce que n'importe lequel de ceux-là aurait de plus que moi ?
Et bien sûr, ma cruelle raison me fournis la réponse aussitôt. Ce ne sont pas d'insupportables détectives qui prennent de la cocaïne, feignent leur mort, et blessent sans arrêt les personnes qui l'entourent.
Je me repris. Il fallait que je poursuive mon enquête.
Il n'y avait pas de trace de Watson, là-dedans. Tout ce que j'avais appris, c'est que mon ami n'était pas retourné ici depuis près de six mois, et que – d'après le patron – j'étais tout à fait son genre.
Je laissais mes jambes avancer toutes seules, perdu dans mon abîme de réflexions, et torturés par des vagues de sentiments contraires.
Et puis je m'aperçus où j'étais. Scotland Yard.
Mes pas m'avaient amenés d'eux-mêmes vers le seul autre ami que je possédai réellement, quoique à un bien moindre degré.
-Holmes ? s'exclama une voix familière.
Je me retournais. Lestrade était au coin de la rue, visiblement sur le chemin du retour. Il avait veillé bien tard. Certainement de la paperasse à remplir.
-Quelque chose ne va pas ? Demanda-t-il en s'approchant. Vous avez besoin d'un soutien policier sur une affaire ? D'une faveur juridique pour accéder à un indice ? D'un mot de recommandation pour un confrère ?
J'écartai toutes ces hypothèses d'un geste de la main. Il me fit un sourire hésitant, visiblement désarçonné par mon air lugubre, et m'invita à entrer.
-Venez, dit-il. Scotland Yard est complètement désert, à cette heure.
En effet, passé le gardien, à l'entrée, le bâtiment semblait entièrement vide. Il m'introduisit dans son bureau, où je m'assis en soupirant. Il leva les yeux au ciel – peut-être parce que je n'avais pas attendu son invitation pour m'installer – et sortit d'un tiroir une flasque, dont il répartit le contenu dans deux verres à la propreté douteuse.
J'avalais pourtant l'alcool d'un trait, satisfait de sentir la chaleur artificielle du liquide réchauffer ne serait-ce qu'un peu mon cœur glacé d'inquiétude.
-Vous sembliez en avoir besoin, commenta-t-il, amusé, en finissant son propre verre.
-Watson a disparu, répondis-je.
Il sursauta, et me renvoya une mine inquiète. Bien sûr qu'il s'inquiétait pour lui, soupirai-je intérieurement. N'importe qui ayant parlé ne serai-ce que deux minutes avec Watson ne pourrait que l'adorer.
-Depuis quand ? Que s'est-il passé ?
-Depuis ce midi.
Une expression perplexe, teinté de soulagement, apparu sur ses traits. À mon grand énervement.
-Qu'est-ce qui vous fait penser qu'il a disparu ? Demanda-t-il.
-Je ne sais pas où il est.
Cette fois, il leva carrément les yeux au ciel.
-Aussi absurde que cela puisse vous paraître, Holmes, vous ne savez pas tout !
-Figurez-vous, répliquai-je d'un ton acerbe, que je m'étais rendu compte de ce fait.
-Vous vous êtes disputés ?
-Non, répondis-je sèchement.
Venir ici avait été une erreur. J'en étais sûr à présent.
Je vis ses yeux se rétrécir tandis que les rouages de son cerveau tournaient à toute allure.
-Que lui avez-vous fait ? Dit-il enfin.
-Comment ça, ce que je lui ai fait ? Répliquai-je, légèrement agressif.
Légèrement.
Il parut surpris de cet accès de colère. Il faut dire qu'en temps normal, je me contrôlais devant lui.
-Je perds mon temps, conclus-je en me relevant, énervé. Fréquenter des ânes bâtés ne fera pas avancer mon enquête.
J'étais bien plus en colère contre moi-même que contre lui, mais j'avais toujours eu peu de compétence pour gérer mon ressentiment.
Je vis l'énervement et la vexation gagner ses traits. D'habitude, il ne disait rien. Mais ce soir, la longue veille et l'alcool aidant...
-Avez-vous considéré, monsieur le génie, cracha-t-il, que Watson puisse être parti de lui-même ?
-Vous êtes positivement ridicule, Lestrade, répondis-je froidement.
-Oh, monsieur le grannnnd Sherlock Holmes ne s'imagine pas qu'on puisse fuir sa compagnie ! Mais monsieur Sherlock Holmes devrait peut-être se demander pourquoi on voudrait de sa compagnie, en premier lieu !
Je sursautai, touché par la pique.
-Allons, Holmes ! s'écria-t-il, cette fois hors de lui. Tout le monde sait que Watson est fou amoureux de vous ! Et vous vous n'êtes qu'un monstre, un égoïste, une machine froide et inhumaine, vous jouez avec lui pour votre bon plaisir, à votre convenance, comme si c'était un petit chien ! Vous ne méritez pas d'avoir un ami tel que lui ! Vous ne méritez même pas d'avoir un ami !
Moi aussi, j'étais vulnérable, cette nuit-là. Les mots qui un autre jour auraient glissés sur ma carapace s'infiltrèrent par toutes les fissures que le désarroi et l'inquiétude avaient creusé. Jusqu'au cœur. Je fus surpris de constater un peu de flou, au coin de mes yeux.
-Je... Je ne suis pas... balbutiais-je.
-BIEN SÛR QUE SI ! Rugit-il. Vous couchez avec lui, n'est-ce pas ? Par pure « expérience », je me trompe ? Ne faites pas cette tête, je ne suis pas un si grand abrutit que le Strand le fait croire, et je sais depuis des lustres que Watson est un inverti ! Eh bien laissez-moi vous dire qu'à sa place, j'aurais fui aussi ! Loin !
-Je...
-Est-ce que vous le regardez, au moins ? Est-ce que vous vous souciez de ce qu'il ressent ? De ce qui le blesse ? De ce qui lui fait plaisir, de ce qu'il désire ? Et-ce que vous savez même comment on ressent, sale machine que vous êtes ?!
C'était vrai. Je n'avais pas fait attention à lui. J'avais couché avec lui sans le regarder, par tous les dieux du ciel ! Y avait-il une autre définition de monstre que celle-là ?
Quelque chose froid perla au coin de mon œil. Je l'écrasai précipitamment en fermant les paupières. Juste un instant.
L'instant d'après, Lestrade me regardait avec un air catastrophé, la main sur la bouche.
-Holmes...
Je ne répondis pas. J'avais toujours été un lâche, lorsque ça importait vraiment.
Je pris la fuite.
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