Aprilia – Chienne de l'Enfer

Cachée dans l'ombre d'une rue, je sentis mon cœur s'arrêter dès que Nathan s'écroula. Une rage insoupçonnée explosa en moi quand l'idée que Bael ait gagné me traversa l'esprit. Je ne le voulais pas. Je refusais que l'Enfer que j'avais fui vienne à moi. Nathan ne pouvait pas mourir.

La rage se transforma en haine, faisant battre mon cœur qui cogna dans ma poitrine comme pour en sortir.

Comme pour en sortir...

Une idée me vint, dangereuse mais nécessaire.

Une dernière chance, avant laquelle je devais attendre que les humains sur les toits s'en aillent et que les autres finissent d'évacuer, chose qui ne tarda pas.

C'était le moment.

— Vas-tu laisser une vermine dominer le royaume que tu convoites tant, Belzébuth ? demandai-je, certaine que le démon m'entendait. Une fois la Terre sous sa coupe, il te gardera prisonnier pour l'éternité. Est-ce réellement le destin que tu souhaites, souverain légitime de l'Enfer ?

Une onde de choc terrifiante balaya tous les bâtiments encore debout du Capitole qui s'écroulèrent en soulevant un nuage de poussière impressionnant. Son épicentre n'était autre que le corps de Nathan que je vis bouger avec autant de soulagement que d'inquiétude. En revanche, l'expression apeurée de Bael ressentant le pouvoir de Belzébuth était purement jouissive.

L'aura noire de Belzébuth se matérialisa en deux immenses ailes membraneuses qui s'étendirent vers les cieux. Nathan se releva en grognant de douleur. Des épais filets de sang noir coulaient de son torse sur le sol, pourtant l'humain parvint à se mettre debout. La position de son corps et l'inclinaison de sa tête étaient étranges, comme si Nathan était un peu cassé.

— Renvoie Bael en Enfer, mon roi, l'encourageai-je. Le Saint Exorciste en a le pouvoir. Après, tu régneras !

Belzébuth regarda, curieux, les mains de Nathan. Si la gauche brillait comme jamais, la droite était éteinte, ce qui voulait dire que le démon pourrait ouvrir une porte de l'Enfer mais ne pourrait pas pousser Bael dedans. Alors je m'en chargerai. Je me redressai sur mes quatre pattes et me tins prête à intervenir.

— Le Saint Exorciste devrait être mort ! hurla Bael.

Un rire guttural secoua le corps de Nathan.

— Il le serait si tu n'avais pas autant cherché à l'affaiblir, misérable, articula la voix rauque de Belzébuth. Ta pathétique tentative m'est tout de même bien utile. Toi banni, le Saint Exorciste mourra et je reviendrai avec son âme, plus puissant que jamais.

Bael saisit Nathan à la gorge en hurlant de rage et le souleva de terre. Un sourire malsain aux lèvres, Belzébuth activa le pouvoir de son hôte pour ouvrir l'une des portes de l'Enfer.

Je m'élançai vers eux.

— Tu peux ouvrir une porte mais tu ne peux pas me chasser, se réjouit Bael alors que je m'immobilisai derrière lui.

— Moi je peux, lançai-je.

Le démon se retourna pour me toiser, l'air amusé :

— Toi ? Et comment, traîtresse ?

J'aboyai de tout mon souffle, et Bael rit à gorge déployée tant et si bien qu'il ne vit pas que derrière Nathan, le pentacle s'agrandissait.

— Le Saint Exorciste a encore un allié, lui dis-je en prenant forme humaine.

Je fis apparaître une hache dans ma main avant de courir vers Bael. Rapide comme un éclair, je tranchai le bras tendu du démon, attrapai Nathan au passage et sautai vers le cercle des Chevaliers tandis que l'une des mâchoires de Cerbère passait la porte pour saisir Bael. Ce dernier, impuissant, ne put que hurler lorsque le gardien l'attira en Enfer.

Une autre tête du chien me fixa à travers l'ouverture alors que je m'agenouillais par terre, Nathan dans mes bras.

— Ta place est aussi en Enfer, petite sœur, me dit-elle.

— Non, protestai-je. Ma place est aux côtés du Saint Exorciste.

Cerbère m'observa durant de longues secondes, incertain.

— Très bien, accepta-t-il. Veille bien sur lui car notre dette est payée. Sa vie contre la nôtre.

J'acquiesçai d'un signe de tête déterminé, et Cerbère referma la porte. L'air alourdi par l'incantation de Bael s'allégea d'un seul coup au point qu'il me sembla respirer pour la première fois. Contrairement à Nathan dont le cœur ne battait plus.

**

Donna – Étudiante survivante

Les Chevaliers brisèrent leur cercle de protection et nous nous élançâmes vers Aprilia qui avait allongé Nathan sur le sol. Michaël attrapa la main de mon exorciste pour le guérir, mais le flux bleuté brilla par son absence. Mon estomac se noua d'appréhension.

— Pourquoi ça marche pas ? s'énerva Michaël en serrant davantage la main de son amant. Pourquoi ça marche pas ?!

La raison, il la connaissait, tout comme Dylan et moi. Cette raison nous arracha des larmes cuisantes et nous abattit. Je caressai du bout des doigts le visage aux yeux clos de mon exorciste tandis que mes sanglots me coupaient le souffle.

— Nathan est mort, murmura Aprilia d'une voix chevrotante.

Sans lâcher sa main, Michaël se pencha sur le corps de son compagnon et je vis son corps secoué par des pleurs aussi corrosifs que les miens, peut-être plus. Le visage de Dylan et des Chevaliers s'était fermé, personne n'osait parler.

Soudain, une lumière sur les pavés attira notre attention. Hébétée, je me levai sans les quitter du regard : un pentagramme se dessina sous Nathan avant de s'étendre à toute la place, puis au-delà.

— Qu'est-ce qui se passe ?! paniquai-je.

— Le Saint Exorciste est mort, Belzébuth rentre en Enfer, expliqua Yannick. Et tout ce qui se trouve dans le pentagramme sera détruit.

— Ça représente quoi ? demanda Dylan qui s'était levé aussi.

— Toute la ville. Au minimum.

— Pourquoi c'est aussi vaste ?

— C'est la taille du démon.

— Non, protestai-je alors que mes pleurs redoublèrent. Nathan n'a pas fait tout ça pour rien, on...

Mon chagrin m'empêchait d'aligner deux pensées cohérentes. Je cherchais du soutien auprès de Michaël qui ne m'accorda même pas un regard.

— Nathan n'a pas fait tout ça pour rien, répétai-je comme un mantra. Il n'a pas fait...

Une idée me traversa l'esprit. Karina, je devais trouver Karina ! Je m'élançai vers le corps de la nécromancienne que j'allongeai sur le dos. J'attrapai le long sifflet en argent pendu à son cou et m'apprêtai à tirer dessus quand les doigts de la femme se refermèrent sur mon poignet. Je sursautai d'abord, puis la peur reprit le dessus et je frappai la mourante au visage. Je détalai dès qu'elle relâcha sa prise puis je m'agenouillai à côté de Nathan.

Je ne savais pas du tout comment fonctionnait ce truc ni même si ça allait marcher mais je devais tenter. Je devais empêcher que le sacrifice de Nathan soit vain et si je pouvais en plus le ramener parmi nous, j'aurais tout gagné. Je portais le sifflet à mes lèvres mais Yannick m'arrêta.

— Les morts ne reviennent pas à la vie, me dit-il. Tu vas réveiller le corps de Nathan mais son âme ira aux côtés de Dieu.

— Ça suffira à retenir Belzébuth ? demandai-je.

— Oui.

— Et ça sauvera son âme ?

— Oui.

— Alors c'est ce que Nathan aurait voulu, affirmai-je sans parvenir à retenir de nouvelles larmes.

J'inspirai à pleins poumons puis je soufflais dans l'instrument.