Chapitre 18
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Le lieutenant de police Kanaté semblait surprise de me voir, preuve qu'elle était venue sans grande conviction de me trouver là. De mon côté, je devais avouer que j'avais totalement zappé la femme suite à l'exorcisme, pensant qu'elle me lâcherait les baskets après ce qu'il s'était passé. Mais je m'étais trompé.
— Qu'est-ce que vous voulez ? questionnai-je afin de la tirer de sa léthargie.
— Vous me devez des explications.
— Je ne vous dois rien du tout, cinglai-je en repoussant le battant pour le fermer.
La main de Kanaté le retint et je ne pus empêcher la femme de se faufiler dans l'interstice restant pour pénétrer chez moi.
— Faites comme chez vous, ironisai-je.
Je fermai ma porte tandis que l'inspectrice observait mon salon dans les moindres détails en s'attardant quelques instants sur la taille du molosse debout face à elle.
— Je n'ai pas de bougies, de grimoire ou autre truc ésotérique, lui fis-je remarquer. Mais si vous y tenez je peux égorger un poulet.
Kanaté pivota vers moi, un sourcil sceptique levé :
— Vous vous moquez de moi ?
— Oui.
La femme se rembrunit.
— Vous ne m'appréciez pas, observa-t-elle.
— Je n'aime pas les esprits étroits.
— Je suis capable de comprendre beaucoup de choses quand on me les prouve et qu'on me les explique. Vous ne pouvez pas m'en vouloir de m'être servi des éléments en ma possession et de mon vécu pour tirer mes conclusions. D'après tous les faits logiques, vous étiez lié à ces meurtres de manière très étroite et vous aviez commis celui à l'encontre de David.
— Et maintenant, elle vous dit quoi votre logique ?
Ma question lui coupa le sifflet au point qu'elle ne répondit rien du tout. Aprilia, méfiante, vint s'asseoir à côté de moi. Je lui caressai la tête pour la tempérer.
— Comment vous avez eu mon adresse ? questionnai-je après un long silence.
— Par l'archevêché. La langue de mon interlocuteur s'est déliée lorsque j'ai parlé de l'exorcisme. C'est à ce moment que j'ai compris que je n'avais pas rêvé et que l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem a quelque chose à voir avec des démons bien réels. Vous en faites partie aussi, n'est-ce pas ?
— Depuis ma naissance, confirmai-je.
Elle acquiesça d'un signe de tête entendu avant de reprendre :
— J'ai passé la nuit à faire des recherches sur les démons et les exorcismes, ainsi que sur les ordres catholiques. Personne n'en parle de manière plausible. Pourquoi garder le secret ?
— Les démons se font discrets car s'ils se révélaient, les humains se mettraient à croire en Dieu pour les combattre. Ils préfèrent faire passer leurs actions pour des actes de folie ou de barbarie. En sachant ça, il est logique que les Ordres comme le mien ne crient pas sur les toits qu'ils chassent le démon car personne ne les croirait, et des gens comme vous, à la logique implacable, se feraient un plaisir de les dissoudre au nom de la rationalité.
— Ce n'est pas éloigné de la vérité, je suppose. Mais vous, vous êtes quoi dans l'histoire ? Une sorte d'hybride mi-ange mi-démon ?
— Je suis humain, affirmai-je.
Je levai ma main gauche en activant mon pouvoir infernal.
— Ça, ça vient du fait qu'un démon puissant est scellé en moi. Et ça, continuai-je en libérant mon pouvoir divin, ça vient du fait que Dieu contrebalance mon démon afin qu'il ne m'utilise pas pour détruire le monde.
J'étais direct dans mes réponses car faire peur au lieutenant Kanaté m'importait peu, voire pas du tout. Elle voulait la vérité, je la lui donnais, à elle de la prendre ou de la laisser.
— Alors les meurtres rituels..., reprit l'inspectrice. C'est vraiment un démon qui en a après vous ?
— Oui.
— Dans ce cas laissez-moi vous aider à le retrouver.
— Je vous le déconseille, lieutenant. Les gens qui restent trop longtemps à mes côtés finissent par mourir.
— Comme David et le Père Luc, déduisit Kanaté.
Je désactivai mes pouvoirs avant de baisser les mains. Pourquoi devait-elle toujours déterrer mes souvenirs les plus douloureux ? Elle m'agaçait.
— Je suis disposée à vous écouter.
— Je ne me confesse qu'à Dieu.
Mon ton acide agaça la flic :
— Écoutez, Nathan. Je fais ce boulot pour aider les gens et faire en sorte qu'ils se sentent en sécurité. Protéger tout le monde est aussi mon métier. Je suis flic depuis presque vingt ans et cette conviction n'a jamais disparu. Que je doive traquer un monstre humain ou démoniaque ne change rien à mon devoir, mais dans le deuxième cas je serais plus efficace si une personne compétente comble mes lacunes.
— Ce n'est pas juste une question de savoir mais aussi de pouvoir.
— J'entends bien. Le pouvoir c'est votre domaine, le mien c'est de vous aider à sauver Noa. J'ai lancé un avis de recherche mais si je peux faire autre chose, si je peux mettre à contribution le réseau de la police et ses privilèges, je le ferai. Je veux sauver ce gosse et empêcher que d'autres personnes soient tuées.
Je restai silencieux un instant durant lequel je pris conscience que l'aide de la police pourrait s'avérer utile pour enquêter sur la nécromancienne. Kanaté n'aurait aucun mal à interroger les suspectes ou à fouiller dans leur passé s'il le fallait. Je baissai la tête vers Aprilia :
— T'en penses quoi ?
— Je ne sais pas ce qu'est la « police », avoua-t-elle avec une touche de honte dans la voix.
La confession gênée de mon amie me fit sourire. Sourire que l'air choqué du lieutenant face à une chienne dotée de parole fit grandir. J'invitai la femme à s'asseoir, ce qu'elle fit sans lâcher Aprilia du regard et ce même lorsqu'elle accepta le café que je lui servais. Enfin, je m'assis sur ma table basse face à ma visiteuse. Cette fois, je ne m'amusais plus.
— Le démon n'est que la moitié du problème, lui révélai-je tout de go. Vous savez ce qu'est une nécromancienne ?
Kanaté faillit avaler sa boisson de travers. Elle calma une petite quinte de toux avant de m'accorder son attention :
— Je suis toute ouïe.
Au final, après avoir reçu le mail de mon contact, j'avais bien aiguillé le lieutenant Kanaté vers les employées de la mairie susceptibles de correspondre à notre nécromancienne. J'avais insisté sur le fait qu'elle ne devait rien tenter par elle-même au risque de se mettre en danger. Je ne me faisais pas vraiment de souci pour l'inspectrice, elle avait du métier, du sang-froid et une capacité d'adaptation remarquable.
À présent, je devais me renseigner sur le démon que j'avais laissé échapper. Même si je les côtoyais de manière régulière, je ne les connaissais pas tous. Je profitais d'avoir une chienne infernale avec moi pour lui poser directement la question. Aprilia m'expliqua qu'en Enfer, Ukobach était en charge des fourneaux à cause de son amour du feu, affection que j'avais pu vérifier en personne. À part ce détail, le molosse ne m'apprit rien de plus, ce qui m'obligeait à me rapprocher du couvent des Jacobins. Je demandais donc à Aprilia de filer surveiller Donna aujourd'hui encore puis j'allais toquer à la porte de Yannick. Avec un tueur en série d'Hospitaliers en liberté, je ne voulais pas courir le risque de laisser mon confrère ici sans surveillance. Je n'attendis pas longtemps avant de voir le battant livrer passage au jeune homme.
— On va aux Jacobins. Tu me suivras avec ta voiture, annonçai-je.
Alors que je me dirigeai vers la sortie, j'entendis Yannick attraper les clés de sa citadine avant de courir pour se mettre à ma hauteur.
— Vous avez l'air d'aller mieux, remarqua-t-il après un instant.
— En effet, affirmai-je en lui montrant ma main droite nimbée d'un pâle éclat bleuté. Tu pourras rassurer l'Ordre.
La première chose qu'avait dû faire Yannick en rentrant hier soir était d'appeler nos supérieurs pour les prévenir de ma crise de foi. À moins que mon jeune collègue m'ait laissé le bénéfice du doute ?
— Je le ferai dès mon retour, m'informa-t-il.
Non, il ne me l'avait pas laissé. Je devrais être habitué à leur méfiance proverbiale vis-à-vis de moi, mais ce n'était pas le cas. On n'acceptait jamais le rejet.
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