Chapitre 11
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Quelque chose se brisa en moi. Cette petite étincelle qui, malgré toutes les horreurs de ma vie, avait toujours maintenu ma foi et mon courage intacts venait d'être soufflée, balayée par l'expression de souffrance figée à jamais sur le visage de l'homme qui m'avait recueilli, compris et soutenu. Du seul homme sur Terre que j'aurais voulu avoir pour père.
Le choc me coupa les jambes à tel point que je me laissai tomber à genoux sur le sol poussiéreux. Mes sens se réduisirent à la seule vue du padre ensanglanté. Mon esprit refusait l'évidence en bloc, ne parvenant pas à comprendre ce face à quoi il se trouvait. Il ne voulait pas. Je ne voulais pas. Je refusais d'admettre ce qu'il s'était passé ici, d'accepter que les dernières paroles que j'avais eues pour lui avaient été mauvaises et chargées de reproches alors qu'en homme bon et généreux, il n'avait voulu que la paix. La paix dans le monde, cette utopie à laquelle il avait consacré toute sa vie, prenant la suite de dizaines d'autres hommes de foi. Je les avais traités de grands enfants, mais j'avais tort. Ils avaient simplement voulu répandre l'amour de Dieu pour que chaque être humain puisse vivre heureux même s'il était d'une autre religion ou qu'il n'en avait pas.
Je n'avais rien compris, et Père Luc l'avait payé de sa vie car si j'avais su lui pardonner, le démon n'aurait jamais pu l'approcher sans que je le sache.
La réalité me frappa alors de plein fouet. Mon cœur s'étrangla, attisant une violente peine qui gronda dans mon ventre à m'en donner la nausée. Elle remonta mais ne s'évacua pas. Elle se changea en haine corrosive qui se lova autour de mon âme comme une bombe à retardement prête à exploser au moindre chamboulement émotionnel.
La conscience du reste du monde me revint lorsque le parquet craqua au moment où le lieutenant Kanaté fit un pas vers moi. Elle se figea quand mon regard haineux la mit en joue. Sa main descendit doucement vers la crosse de son arme sur laquelle elle se posa sans la saisir.
— Qui êtes-vous ? laissa-t-elle échapper d'une voix blanche.
Je me redressai à l'unique force de mes jambes sans la quitter des yeux.
— Le souffre-douleur de Dieu, sifflai-je.
Son air dérouté laissait deviner son réel questionnement quant au degré de ma réponse.
— Vous le connaissez.
Son affirmation avait été accompagnée d'un léger mouvement de tête en direction du padre.
— Père Luc Chauvel. C'est l'homme qui m'a élevé...
Ma voix s'étrangla sur la fin de ma phrase ; ma gorge était ravagée par le feu du chagrin et du doute. Les fondations de ma foi venaient de s'ébranler sans que je sache si elles réchapperaient au ravage. J'étais à deux doigts de m'écrouler.
Je détournai mon regard de la femme flic pour le porter sur le mot en lettres capitales qui terminait le message à mon intention.
« Le Saint Exorciste perdra TOUT. »
Ce n'était pas un défi, c'était une mise à mort.
Pas seulement la mienne, mais celle d'un des seuls Ordres au monde capable de repousser les créatures infernales. On voulait tout me prendre avant de me tuer.
La tête me tourna soudain. Pris de vertiges, je chancelais jusqu'à un mur auquel je m'appuyais. Il me fallait de l'air.
— Restez là, ordonna le lieutenant Kanaté en me voyant partir.
Je ne l'écoutai pas. J'étouffais entre ces murs, j'avais besoin de m'extraire de cette atmosphère viciée, de cet endroit oppressant qui semblait se refermer sur moi. J'avais l'habitude de l'horreur, je connaissais par cœur le parfum du sang et de la mort, j'étais coutumier de la noirceur nauséabonde des démons et de certains humains, mais là c'était plus que je ne pouvais supporter. Comme lors du décès de David, encaisser le coup demanderait du temps et se ferait au prix de mes larmes.
— Arrêtez-le ! cria l'inspectrice à ses collègues.
L'un d'eux m'agrippa le poignet gauche en m'ordonnant de ne plus bouger. Mon pouvoir infernal m'échappa, brûlant la paume de l'agent qui lâcha prise. Il recula, médusé, ressentant sans la voir l'énergie démoniaque qui m'enveloppait. Dans la pièce, un silence épais s'installa tandis que tous les agents, immobilisés par la peur, me dévisageaient. Kanaté pointa son arme vers moi : ses mains tremblaient tellement qu'elle m'aurait raté même à bout portant. Je lui tournai le dos sans crainte et sortis de l'immeuble. L'air frais du crépuscule m'apaisa un peu mais ce fut dans un état second que j'enfourchai ma moto et que je rentrais chez moi avec la vision du corps de Père Luc imprégnée sur mes rétines.
À peine la porte de mon appartement refermée, un violent haut-le-cœur me prit et s'évacua en bile dans la cuvette de mes toilettes. Mon estomac vide se contractait par spasmes douloureux et peinait à se calmer. Lorsqu'il s'apaisa enfin, il me laissa épuisé. Je tirai la chasse d'eau avant de me rafraîchir au lavabo au-dessus duquel le miroir me renvoya l'image de mon visage blême et de mon air apathique. J'étais incapable de savoir quoi penser, faire ou ressentir. À cet instant, j'étais moins que l'ombre d'un pantin.
Des coups frappés à la porte de mon appartement me firent sursauter, preuve que ma conscience avait quitté le monde réel. Privé de la moindre envie, je ne pris pas la peine d'aller ouvrir ou d'inviter le visiteur à entrer. Je voulais être seul. Pourtant, quand de nouveaux heurts martelèrent le bois, je me décidai à aller voir, ce que je regrettai dès que le battant livra passage à Yannick. S'il remarqua mon état d'abattement, il ne le fit pas remarquer, préférant annoncer la raison de son intrusion :
— On nous a rapporté un nouveau cas de possession.
— Que quelqu'un d'autre s'en charge, je ne suis pas d'humeur, répliquai-je d'une voix lasse.
— On ne peut pas. C'est un cas semblable à ceux précédant une Marque des Cinq. Vous être le seul à pouvoir exorciser l'enfant.
Je soupirai de fatigue tout en massant mes tempes pour contrer l'affreux mal de tête qui s'était installé. Je n'étais pas certain d'être capable de pratiquer un exorcisme, aussi petit soit-il.
— Nous voulions demander au Père Luc de vous annoncer la nouvelle mais il est injoignable, ajouta Yannick devant mon silence.
Je retins de justesse les tremblements de mon menton et les larmes qui faillirent les accompagner quand l'image du padre éviscéré me frappa.
— Il y a eu un nouveau meurtre, soufflai-je d'une voix déchirée. C'était Père Luc.
— Oh...
Un silence s'installa le temps pour Yannick de trouver comment enchaîner après cette révélation. Il prit grand soin de choisir ses mots, conscient qu'une parole déplacée déclencherait à coup sûr ma colère.
— Je vais avertir l'Ordre, si vous le permettez. Et si vous m'y autorisez, je souhaiterais vous accompagner durant l'exorcisme afin d'alléger un peu l'épreuve qui vous attend.
Je ne savais pas s'il était sincère ou non dans ses propos. Aussi, seule la perspective de terminer rapidement l'exorcisme me poussa à accepter sa proposition. Pendant qu'il téléphonait aux Hospitaliers, je terminai de me rafraîchir un peu avant notre départ puis je fourrai ma crucem nomine dans l'une de mes poches. Yannick insista pour que nous prenions sa voiture, jugeant mon état trop fragile pour me laisser partir en moto, ce qui était sans doute le plus sage.
Yannick gara sa voiture une dizaine de minutes plus tard devant un petit immeuble de briques rouges. Je descendis du véhicule et levai la tête vers le sommet du bâtiment au-dessus duquel le ciel s'assombrissait un peu trop. Un frisson d'appréhension me donna la chair de poule. Mon confrère me tira de mes pensées en me précédant dans le hall puis dans l'ascenseur qui nous mena au dernier étage. C'était là, dans un appartement comme un autre que se trouvait la pauvre victime, un garçon d'à peine huit ans qui demeurait enfermé dans une chambre où personne ne pouvait entrer.
Tandis que je donnais mes consignes aux parents, j'entendis frapper à leur porte. Le père de Noa alla ouvrir et revint une poignée de secondes plus tard en compagnie du lieutenant Kanaté. Nul doute qu'elle m'avait suivi dès mon départ de la dernière scène de crime.
— Vous n'avez pas un tueur à arrêter, débitai-je, mauvais.
La femme lança un regard furtif aux parents abattus de Noa avant de répondre qu'elle serait plus utile ici. Rassurés par la présence supplémentaire d'une policière, le couple alla attendre dans le salon.
— Ce n'est pas une bonne idée que vous rentriez avec nous dans la chambre, lieutenant, s'opposa Yannick.
— Moi je crois que ça en est une, contra Kanaté.
— Laisse-la faire, Yannick. Comme ça elle me foutra la paix après. Quel est ton nom chrétien ? demandai-je à mon collègue.
— Calixte.
— Seizième pape de Rome et créateur du premier cimetière chrétien, me remémorai-je. J'espère que ce n'est pas un signe...
— Quel intérêt d'un nom chrétien ? questionna Kanaté.
— Devinez.
Je n'étais pas d'humeur à être agréable ni à écouter les commentaires de la flic. Je tentais d'ouvrir la porte de la chambre qui ne montra aucune résistance, ce qui affola mon instinct et le bracelet à mon poignet droit. Je n'aimais pas quand Belzébuth était inquiet, surtout lorsque toutes mes certitudes et croyances avaient été malmenées, et encore plus quand une violente odeur de brûlé embaumait la pièce où s'était cloîtré un gamin possédé.
Une peur étrange m'étreignit lorsque j'entrai.
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