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Le petit commissariat de la banlieue de Séoul se trouvait dans une agitation inhabituelle. Les policiers, normalement toujours mollement assis sur leurs sièges à siroter un café, couraient dans tous les sens avec des papiers et des objets divers entre les mains, quand ils n'étaient pas en train de réguler le flux de personnes qui arrivait dans la petite bâtisse.
Le fameux voleur avait été attrapé, et depuis, le calme semblait avoir déserté les lieux. Le patron avait eu la mauvaise idée de poster une annonce publique pour dire aux personnes volées qu'elles pouvaient récupérer leurs affaires, et entre celles-ci et les jeunes qui venaient juste pour emmerder la police et défendre le voleur, on se serait presque cru à un service d'urgences.
Après cet avant-goût, Lucas était bien content de ne pas avoir écouté ses parents qui lui disaient de faire médecine.
Mais à vrai dire, il n'était pas heureux. Pas pour un sou. Et pour une fois, sa mauvaise humeur n'avait rien d'exagéré.
Il se sentait trahi. Blessé. Il n'arrivait pas à croire que le fameux voleur soit Jungwoo, pas alors qu'il allait se confier à lui régulièrement et qu'ils se voyaient quasiment tous les jours. Il n'arrivait pas à croire que Jungwoo ai pu lui faire ça.
Quand il avait reconnu tous ces objets volés dans l'appartement, il avait d'abord cru immédiatement que c'était Doyoung tant l'autre option lui semblait inacceptable. Et pourtant... Le voleur avait fini par se dénoncer lui même lorsqu'il était rentré, et le chinois n'avait pu que se rendre à l'évidence.
Maintenant, il broyait du noir. Il n'était même pas retourné voir Jungwoo depuis que celui-ci avait été mis en cellule temporaire. Il crevait d'envie de l'insulter, mais il avait trop peur qu'une fois face à lui, ses mots ne se perdent. Il avait trop peur de craquer, de montrer à quel point bien qu'il se sentait énervé, il se sentait surtout blessé et peiné. Il était tout simplement hors de question qu'il montre la facette fragile de lui qu'il s'évertuait à cacher à ses propres collègues à ce type qui s'était foutu de sa gueule ouvertement, qui avait joué avec ses sentiments et piétiné son cœur.
Il le détestait. Il le détestait autant qu'il avait pu l'aimer.
— Lucas ?
La voix anormalement douce de Taeyong lui parvint, l'extirpant de ses idées noires, et il se retourna sans entrain vers lui.
— Hm ?
— Le patron est ok pour t'accorder une pause. On allait prendre un verre avec Chittaphon, tu veux venir ?
C'était une façon détournée de lui dire « je m'inquiète pour toi et j'aimerais te parler », et Lucas détesta la pitié qu'il lu dans le visage habituellement si plat de son ami. Néanmoins, il devait bien avouer que l'idée de sortir un peu de ce commissariat tout agité ne lui déplaisait pas, au contraire. Il allait finir par devenir fou, s'il continuait d'entendre ces gens réclamer leurs casseroles ou ces jeunes balancer à tout va des exclamations pour encourager le voleur – ce qui d'ailleurs était totalement stupide, étant donné que la cellule temporaire de Jungwoo se trouvait à l'autre bout du commissariat, donc qu'il ne risquait pas d'entendre quoique ce soit.
Alors, il reposa simplement la tasse de café toujours aussi immonde qui lui tenait compagnie depuis le début de la journée, et hocha la tête pour suivre Taeyong.
Foutu pour foutu, il n'avait qu'une envie : retourner sous sa couette et prier pour qu'à son réveil, il découvre que tout ça n'était qu'un mauvais rêve.
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— Ça craint, quand même.
Merci Chittaphon pour cette intervention pertinente.
Ils s'étaient posés à un petit café en face du commissariat, et si Taeyong semblait être parti pour essayer de changer les idées au chinois, le thaïlandais n'était vraisemblablement pas du même avis. Lucas ne comptait plus le nombre de fois où il avait ramené le sujet de Jungwoo sur le tapis.
Cette énième tentative arracha un soupir à Taeyong, qui fini par capituler avant de demander plus franchement au chinois :
— Tu veux en parler, Lucas ?
Celui-ci grogna un peu, de mécontentement et de trahison.
— Qu'est ce qu'il y a à dire ? On a enfin chopé le voleur, et puis c'est tout.
— Sauf que le voleur est quand même le gars sur qui tu crush.
— Sur qui je crushais, corrigea Lucas d'un ton plein de rancœur.
Le thaïlandais leva les yeux au ciel à ces mots, et rétorqua sans attendre :
— Oh allez, commence pas à nous raconter des bêtises. Même un aveugle pourrait voir à quel point tu l'aimes et à quel point t'as le seum d'avoir découvert son identité.
— Il s'est foutu de moi !
— Ça n'en fait pas pour autant une personne différente de celle dont tu es tombé amoureux.
Lucas adressa un regard noir à son ami, qui se contenta d'hausser innocemment les épaules en guise de réponse. Le chinois n'était pas d'humeur à se farcir ses remarques déplacées. Déjà parce que, pour une raison évidente, il n'était d'humeur à rien, ensuite parce qu'il ne voyait pas l'intérêt de tourner le couteau dans la plaie encore et encore. Il se demandait ce que Chittaphon cherchait à faire, en lui disant ce genre de choses. Ça ne réussissait qu'à l'énerver.
— Ok, intervint Taeyong face à l'évidente tension qui s'était installée. Est-ce qu'on peut encore changer de sujet, s'il vous plaît ? Avant que vous vous mettiez sur la gueule parce que vous êtes sur les nerfs.
— Je ne suis pas sur les nerfs, répliqua Chittaphon.
— Pas toi, mais tu vois ce que je veux dire.
— Non.
— T'es chiant.
Le coréen leva les yeux au ciel, et se roula une clope. Il espérait vainement que celle-ci lui permette d'échapper à l'ambiance électrique de cette discussion, mais en vain ; voilà que l'autre reprenait déjà sans aucune gêne :
— Et du coup, t'abandonnes l'idée de lui confier ta flamme ?
— T'es con ou t'es con ? grogna Lucas.
— Bah quoi ? Depuis le temps que j'attendais que ça, je suis déçu, moi ! J'ai bien le droit de poser la question !
— Je vais te faire bouffer la table si tu continues.
Chittaphon poussa alors un soupir excédé. Il parut abominablement déplacé à Lucas, qui était à un rien de mettre ses menaces à exécution et d'aller chercher une scie pour découper la table en morceaux et la lui faire avaler. Hélas, – ou heureusement, selon les points de vue, – il n'eut pas le temps de songer davantage à son plan.
— Relax, Yukhei, lâcha le thaïlandais en reposant sa boisson contre la table. C'est vraiment chiant que Jungwoo soit le voleur, ok, je conçois.
Le dit « Yukhei » se crispa, déjà parce qu'il avait utilisé son prénom chinois, et ensuite parce qu'il ne voyait pas où il voulait en venir. Il le laissa néanmoins continuer ; c'était peine perdue d'essayer de le faire taire, et il était trop fatigué pour ça.
— Mais ce n'est pas non plus comme si c'était un grand criminel. T'en fais tout un plat comme si tu te retrouvais soudain dans une réécriture moisie de Roméo et Juliette, mais y a pas mort d'hommes, hein.
— Ce n'est même pas la question ! fulmina Lucas. Il m'a menti et trahi !
— En volant des casseroles et des babioles ? Ça va, c'est pas la fin du monde.
Lucas se leva d'un coup, ne supportant plus la nonchalance de son ami et son terrible manque de compassion. « Ce n'est pas la fin du monde. » Comment pouvait-il dire ça ? Au contraire, ça l'était, et pas qu'un peu ! C'était tout l'univers du policier qui s'était cassé la gueule en une révélation : l'homme qu'il aimait et l'homme qu'il recherchait étaient les mêmes, et que faire maintenant ? Son cœur était brisé comme ceux de ces adolescents qu'on voyait déprimer sous la couette dans les séries, et son objectif de base avait perdu tout son sens.
Trouver ce putain de cambrioleur.
Finalement, Lucas aurait préféré que ça n'arrive jamais ; ainsi, il n'aurait pas eu à vivre cette souffrance.
Il avisa Chittaphon, vexé, et balança en réponse :
— Je ne t'ai pas demandé ton avis, merci. Occupe toi de ton cul.
— Quoi ? Je dis la vérité, y rien de si grave.
— Rien de si grave ? Rien de si grave ? répéta Lucas en haussant le ton sur la deuxième phrase. Il a juste pris ma confiance et mes sentiments pour les piétiner !
— Peut-être qu'il voulait simplement attirer ton attention ?
— J'en ai assez entendu.
Déjà debout, Lucas ne prit pas la peine de terminer sa boisson avant de sortir d'un geste nerveux des pièces de son porte monnaie et de les claquer contre la table.
— Pour le café.
— Lucas, attends... tenta Taeyong.
— Je rentre chez moi, vous direz à Seunghyun que je suis tombé malade. On se revoit demain.
Il ne leur laissa rien le temps de rajouter qu'il était déjà parti, laissant le thaïlandais et le coréen seuls sur la petite terrasse du café.
Un silence s'installa un instant. Puis, la voix de Taeyong retentit :
— T'es fier de toi ?
Pour toute réponse, son vis à vis haussa les épaules, récupérant sa boisson qu'il se mit à siroter sans un mot. Abattu, le coréen se promit mentalement de ne jamais être en peine de cœur devant lui, et se rappela d'inscrire son nom sur la liste des pires amis : sa place y était amplement méritée.
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Chittaphon avait une manière particulière de réconforter les gens. Enfin, si « réconforter » était réellement le bon mot.
En quittant précipitamment la petite table du café, Lucas n'avait qu'une envie : lui faire manger ses paroles détachées et dispatcher des petits legos partout chez lui pour qu'il marche dessus et souffre atrocement. Comment osait-il lui tenir de tels propos, alors même que la seule chose dont le chinois avait besoin, c'était de soutien ? Non, vraiment, il bouillonnait. Déjà que toute cette histoire avec Jungwoo lui usait les nerfs, il n'avait clairement pas besoin de ça.
Et puis, sur la route de chez lui, la colère avait laissé place à l'abattement. À quoi bon s'énerver contre le thaïlandais, alors que la seule personne qui méritait toute sa rancune, c'était Jungwoo ? Il ferait mieux de diriger sa haine vers lui au lieu de la reporter sur son ami qui n'avait certes aucun tact, mais qui, le connaissant, n'avait sûrement pas voulu être méchant. Après tout, le voleur était l'unique responsable de toute cette situation : c'était lui, qui avait commencé à dérober des objets chez les gens. Lui, qui avait posé des questions au policier sur l'enquête en le poussant à se confier, rendant la pilule encore plus difficile à avaler qu'elle ne l'était déjà. Lui, qui avait charmé Lucas jusqu'à lui voler son cœur.
Si le chinois devait avoir des griefs, c'était bien contre Jungwoo.
L'espace d'un instant, il hésita à faire demi tour : revenir sur ses pas jusqu'au poste du commissariat, juste pour aller voir le voleur dans sa cellule temporaire et lui balancer ses quatre vérités à la figure. L'idée d'être à nouveau confronté à la foule de gens qui traînaient devant l'en dissuada néanmoins.
À la place, il s'affala sur son lit de tout son long. Il s'y sentit soudain terriblement seul. Il avait toujours vécu sans personne, pourtant, et la seule fois où il avait partagé sa couche, ça avait été avec Taeyong qui ronflait bruyamment à côté de lui lors d'une soirée improvisée, si fort qu'en se levant le matin, avec des cernes de 42 kilomètres de long et après une nuit blanche, il s'était dit : dormir avec quelqu'un, plus jamais. Il n'y avait donc aucune raison que cette solitude ne le dérange plus que ça.
Or, au fond, même s'il ne l'avait jamais avoué, il s'était surpris à être à nouveau tenté par l'expérience. Pas avec Taeyong, non, il avait déjà donné. Ni avec Chittaphon, il n'était certainement pas fou. Mais il n'avait pu s'empêcher de se demander ces derniers jours ce que ça ferait de s'endormir aux côtés de Jungwoo, et de se réveiller en étant accueilli par son sourire taquin. Comment ce serait de pouvoir le serrer contre lui dans la nuit. De sombrer doucement dans les bras de Morphée au son de son souffle endormi.
Son cœur lui fit mal, et il sentit sa gorge se nouer en songeant à cette idylle qu'il avait naîvement espéré. L'amour arrivait toujours au pire moment, et avec les mauvaises personnes, semblerait-il.
Il grogna, se redressa, marcha jusqu'à son minuscule salon, prit son chat dans ses bras en ignorant son « miaou » plaintif lorsqu'il le tira du sommeil, puis revint s'affaler sur son matelas en le serrant contre lui. L'animal gigota d'abord un peu pour s'échapper, mais Lucas le maintint sans rouspéter, trop déprimé. Disons que c'était un juste retour pour la fois où il avait manqué de le rendre stérile en lui sautant sur les parties intimes.
Finalement, son chat sembla s'accommoder de ses câlins, et le bruit de ses ronronnements remplaça le silence de la morosité du policier.
Morosité qu'il comptait bien effacer dans le sommeil.
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4h53 du matin.
Et Lucas ne dormait pas.
Il fixait le plafond, sa boule de poils préférée roulée en boule entre son bras et son torse, et s'il semblait parfaitement immobile vu de l'extérieur, à l'intérieur, c'était tout autre. Son cerveau fonctionnait à plein régime et ses pensées fusaient sans répit.
Les paroles de Chittaphon ne cessaient de lui trotter dans la tête. Est ce que, ce qu'avait voulu lui dire son ami avec une maladresse affligeante, c'est qu'il l'encourageait toujours à séduire Jungwoo ? Quelle farfelue idée. D'un autre côté, venant du thaïlandais, ce ne serait pas bien étonnant. C'était bien lui qui avait dit qu'un dealer de drogue dans le quartier ce n'était pas si grave. Parfois, Lucas en arrivait même à se demander ce qui l'avait poussé à devenir policier : son sens des priorités était souvent discutable.
Toujours est-il que sur cette affaire, ça ne voulait pas sortir de sa tête.
Il pensait à Jungwoo, seul dans la petite cellule de garde à vue, qui devait regarder passer les minutes. Il pensait à Jungwoo, et à son regard dévasté quand, la veille, il avait trouvé le policier à côté de Doyoung dans son salon. Il pensait à Jungwoo, qui attendait son jugement ; et il lui sembla alors qu'il avait le sien à donner avant celui du juge.
La peine pour vol était de trois ans. Trois ans. Certes, Jungwoo n'avait volé que des petites babioles, mais c'était la volonté et non le crime en lui même qui était puni, alors ça ne changerait sûrement pas grand-chose.
Trois ans. Trente-six mois. Mille-quatre-vingt-quinze jours.
C'était long. Abominablement long, même.
Après lui avoir fait perdre son temps à chercher un voleur qui était sous ses yeux, Jungwoo allait-il vraiment lui voler encore trois années de sa vie, qu'il passerait à se languir avec le cœur en amour et en souffrance ?
Ça lui parut soudain impensable. Il devait connaître la saveur de ses lèvres contre les siennes avant de le laisser filer.
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Pour Jungwoo, cette garde à vue avait plus des allures de retraite méditative qu'autre chose. Si c'était l'effet escompté, alors pour une fois, c'était réussi.
Il s'en voulait.
Est-ce qu'il regrettait ? Non. Il était bien trop fan de l'adrénaline qui avait couru dans ses veines ces dernières semaines, et du piment que ça avait rajouté à sa relation avec Lucas.
Mais il s'en voulait.
Car au final, il avait embarqué le policier dans un jeu à sens unique. Là où lui s'amusait comme un petit fou, son partenaire se faisait mener par le bout du nez sans jamais avoir accepté les règles. Et maintenant, Jungwoo lui avait fait du mal : il avait suffit d'un regard sur la mine déconfite du chinois pour qu'il ne réalise cela. Il l'avait complètement trahi. Et cette vision avait fait remonter bien plus de culpabilité en lui qu'il ne l'aurait cru.
Quelle situation compliquée, dans laquelle il les avait tous les deux fourrés...
Le plus embêtant dans tout ça, c'est que Jungwoo avait perdu. Il avait eu beau tenter de se persuader que, malgré sa culpabilité, ça ne le touchait pas tant que ça ; il avait eu beau se répéter que c'était dommage, mais que de toute manière Lucas n'était qu'un petit flirt passager ; il avait eu beau se dire qu'il ne souffrait pas plus que ça du regard trahi du chinois sur lui ; rien à faire.
À trop jouer avec le feu on finit par se brûler.
Et Jungwoo avait joué, avait perdu, et son cœur s'en était retrouvé brûlé.
Jungwoo était tombé amoureux.
Oh, quelle cruelle réalisation, quand celle-ci a lieu dans une petite cellule isolée, et alors même qu'il était totalement impuissant ! Il aurait voulu courir jusqu'au domicile du policier, au moins pour s'excuser, mais à quoi bon ? Lucas ne le laisserait même pas rentrer. Au final, il n'avait que ce qu'il méritait ; et il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.
Il était trop tard pour l'amour, désormais.
Du moins, ça, c'est ce qu'il pensait. La première chose qu'il vit, ce fut la lumière au bout du couloir. Pas celle de la mort, heureusement, mais celle du commissariat, et il se dit alors simplement que son gardien devait avoir la vessie pleine. Mais ensuite, il y eut les bruits de pas. Le tintement des clés les unes contre les autres. Le frottement de quelqu'un qui longe les murs.
Puis, dans l'obscurité relative, la tête de Lucas apparut derrière les barreaux.
— Lucas ? s'étonna-t-il.
— Shht, la ferme.
Vu le ton urgent et sec de ce dernier, c'était plus un ordre qu'une suggestion, alors Jungwoo se tut. Je dois rêver, pensa-t-il en regardant l'homme qu'il aimait batailler avec la serrure en essayant toutes les clés du trousseau pour trouver la bonne.
Qu'est ce que le policier fichait là, en plein milieu de la nuit, et alors même qu'il devait lui en vouloir à en crever ?
La pensée soudaine comme quoi il serait venu le chercher pour mettre ses menaces à exécution, et lui faire écouter l'intégrale nyan cat avant de le brûler et de donner ses cendres à manger à des baleines sauvages, lui traversa l'esprit, et il blêmit. Il n'eut pas le loisir d'y songer davantage que la porte de la cellule de garde à vue s'ouvrit dans un grincement aigu.
— Bouge ! chuchota Lucas, pressé. La diversion que j'ai trouvé ne va pas fonctionner éternellement !
Jungwoo cligna des yeux. Diversion ? Est-ce que... Est ce que le chinois était en train de l'aider à s'échapper illégalement ?
Son cœur accéléra dans sa poitrine, le frisson du danger qu'il aimait tant revint le faire frémir de la tête aux pieds, et Jungwoo se releva, aux anges. Encore plus lorsqu'il sentit la main du policier attraper la sienne pour le tirer à travers les couloirs du commissariat. Il se rendit alors compte qu'il avait fait fausse route depuis le début : oui, l'adrénaline d'échapper à ce dernier avait été vivifiante et agréable ; mais il n'y avait rien de plus beau que l'adrénaline partagée avec l'homme aimé.
Lucas l'entraîna jusqu'à la porte de derrière, ne se retournant pas une seule fois vers lui, et la lui tint ouverte pour qu'il s'échappe.
— Dépêche, répéta-t-il, nerveux.
— Tu ne viens pas ?
— Si, j'ai juste un truc à faire avant.
Qu'est ce qui pouvait être si important à faire dans de telles circonstances, à part lui foutre une tarte bien méritée qui ne venait étrangement pas ? pensa Jungwoo, circonspect. Son regard sembla parler pour lui, puisque Lucas râla, expliquant pour qu'il se bouge enfin :
— Faut que j'éteigne la lumière.
— T'es sérieux ?
— Ben oui, le gaspillage d'énergie c'est un problème sérieux de nos jours.
— Tu penses vraiment que c'est le moment de se préoccuper de ça ?
— C'est toujours le moment pour l'écologie.
— Je-
— Y a quelqu'un ?
Les deux hommes se figèrent à l'entente de cette voix qui n'était celle d'aucun d'entre eux, et s'échangèrent un regard. Elle venait de l'intérieur du commissariat, non loin de la cellule vide de garde à vue.
Oups.
— ... Cours, souffla Lucas.
Et cette fois-ci, il n'eut pas à le dire deux fois. Jungwoo s'élança dans la nuit noire, suivi de près par le policier. Tant pis pour la lumière, son collègue qu'il avait dupé s'en chargerait ; ce n'était plus comme si elle risquait de les trahir, de toute manière, puisqu'il étaient déjà trahis. Le cri « gasp ! » du policier de garde qui avait retentit dans tout le commissariat en était la preuve même.
Jungwoo repéra une moto garée à côté d'un mur dans la rue de derrière, et son cœur frétilla dans sa poitrine. Voilà que Lucas allait lui offrir la scène d'évasion romantique ; jamais le côté un peu ringard de ce dernier ne lui avait paru aussi séduisant. Il courut jusqu'à elle, la chevaucha, et se retourna pour attendre le chinois.
— Qu'est ce que tu fiches ? pesta celui-ci en le voyant s'arrêter sur la moto.
— Bah, faut bien qu'on s'enfuie, non ?
Il fronça les sourcils, soudain inquiet.
— Dis moi que t'as pensé à un moyen de transport.
— Oui, mais pas celle-là !
Lucas continua sa route jusqu'à un vieux vélo garé derrière, que Jungwoo n'avait pas vu dans l'obscurité de la nuit.
... Oh.
Décevant.
— Hey, vous, là !
Il n'eut néanmoins pas le temps d'être déçu plus longtemps : voilà que le policier de garde venait de surgir de la porte de derrière, le doigt pointé vers eux. Sans attendre une seconde de plus, il abandonna la belle moto, et enjamba le porte bagage de la bicyclette tandis que Lucas se mettait à l'avant.
— Bouge, bouge ! le pressa-t-il.
— Je fais ce que je peux !
Le chinois démarra, pédalant aussi bancalement qu'il pilotait : il manquèrent de se prendre un mur dès le départ, et le vélo s'engagea en zig zag mal maîtrisés sur le goudron, tandis qu'au loin, leur poursuivant beuglait :
— Arrêtez vous !
Ils ne le firent pas. Au contraire, ils accélèrent même, et une fois suffisamment engagés dans la vitesse, parvinrent à évoluer en ligne droite et non plus en virages intempestifs. Jungwoo passa ses bras autour de la taille de Lucas tandis que ce dernier pédalait à toute allure pour les éloigner le plus loin possible de leur poursuivant, l'air frais de la nuit venant leur gifler les joues. Bientôt, ils quittèrent les petites rues citadines pour les routes plus aérées du bord de la banlieue.
Pour l'un, la scène avait l'allure d'un mauvais film d'action : il venait possiblement de commettre sa plus grosse erreur professionnelle, et il ne pouvait plus que prier pour que l'obscurité ait suffisamment camouflé son visage à son collègue et qu'il ne l'ait pas reconnu, car autrement, il pourrait dire aurevoir à sa superbe promotion.
Pour l'autre, c'était un rêve éveillé. Quelques heures plus tôt il était persuadé d'avoir perdu sa liberté et l'amour de sa vie, et là, le voilà à enlacer l'un et l'autre.
Jungwoo s'autorisa à poser sa joue contre le dos du chinois tandis que celui-ci continuait de pédaler, et ferma les yeux pour savourer pleinement l'instant. Il se doutait bien qu'il ne serait pas éternel. Que viendrai un moment où il prendrait fin, et où la réalité et ses actions le rattraperaient. Ce bonheur n'était qu'éphémère, alors après tout, autant profiter un maximum.
Lucas sembla se crisper quelques secondes à son geste tendre, puis ses épaules se délièrent à son tour.
Ils ne dirent rien.
Laissèrent les roues tracer le goudron.
Le vent balayer leurs cheveux.
Le petit caillou sur la route les faire dériver inévitablement dans le ravin.
Et badabim bamboum, la parenthèse romantique était fermée.
— Toi ! pesta Lucas en se relevant, tout décoiffé.
— Quoi ? protesta Jungwoo qui se massait le mollet, heurté dans la chute. C'est pas ma faute si tu sais pas conduire !
Le policier ne prit pas la peine de répondre, marchant jusqu'à l'autre pour lui attraper le col et planter son regard droit dans le sien. Il n'accusait pas Jungwoo pour leur pathétique chute : il n'en avait rien à faire, de cet accident, et c'était plus humiliant qu'autre chose, alors autant l'oublier tout de suite. En revanche, ce qu'il n'oublierait jamais, c'était la trahison de Jungwoo ; et ce n'était pas parce qu'il était venu le chercher qu'il était pardonné, loin de là.
— Tu t'es foutu de ma gueule tout ce temps ! Fils de mouette !
Sentant alors le vent tourner, Jungwoo ouvrit la bouche, prêt à sortir ses plus belles excuses.
— ... Oups ?
— Sale crétin !
Lucas le lâcha si brusquement que le coréen retomba le cul dans l'herbe, et il grimaça de douleur. Et un bleu en plus, un. Sans même le remarquer, le chinois commença alors à s'agiter, faisant les cents pas en agitant ses bras dans tous les sens comme il le faisait tout le temps quand quelque chose le contrariait.
— Tu aurais mérité que je te laisse pourrir en cellule ! Pire, que je te libère pour aller t'enfermer à vie dans un placard à balai ! Ou que je te force à vivre avec Chittaphon jusqu'à la fin des jours ! Tu n'es qu'un... Merde !
Jungwoo se releva lentement, se massant le cul endolori, et avisa l'homme qu'il aimait continuer son discours.
— Et moi, je te faisais confiance, comme un con ! Je te racontais tout ! Putain, tu devais bien te marrer, ptit salaupiaud, en m'entendant rager. Ça t'amusait de te foutre de moi comme ça ?
Il y était : il avait l'occasion de s'excuser, enfin, en bonne et due forme.
Et peut-être de lui révéler ses sentiments... ?
Vu la flopée d'insultes qu'il se prenait, ce n'était sûrement pas le bon moment. D'un autre côté, s'il passait les prochaines années de sa vie derrière les barreaux, ça ne risquait pas d'arriver demain non plus.
— Je te déteste ! Gros fumier ! continuait l'autre, inarrêtable. Je devrais te laisser moisir là tout seul comme un con, au milieu de nulle part ! Et t'appellerais un taxi, sauf que ce serait moi, le chauffeur de taxi, et je passerai devant toi en ricanant diaboliquement ! Je... Je te hais !
— Pourquoi tu es venu me chercher, alors ?
Lucas se tut enfin, arrêtant de divaguer. Il se figea, et se retourna vers Jungwoo, qui le fixait avec un doux sourire qu'il trouva franchement inadapté alors qu'il était en train de lui faire la morale. Mais infiniment magnifique.
Devant son soudain silence, le voleur s'avança de quelques pas, le cœur tambourinant dans sa poitrine comme s'il voulait jouer un rythme de tube de boite de nuit.
— Pourquoi tu es venu, si tu me souhaites tout ça, hein ? murmura-t-il en s'arrêtant juste en face de lui.
Au loin, le ciel s'éclairait, l'aube pointant timidement le bout de son nez. Lucas plongea son regard dans celui de son vis à vis. Ils étaient si proches, qu'un seul pas suffirait à faire rencontrer leurs nez, et qu'un deuxième les ferait s'embrasser. Douce tentation qu'était ce baiser interdit pour chacun d'eux.
Et Lucas le fit.
Avant que Jungwoo n'ait pu cligner des yeux, il combla le vide entre eux, et déposa ses lèvres contre les siennes. Ce fut chaste, rapide, éphémère ; mais le boucan dans la poitrine du voleur ne mentait pas. Il se sentit dépouillé ; c'était lui qui volait sans cesse des objets, et voilà que maintenant, on lui avait volé le cœur. L'ironie l'aurait presque fait sourire si l'urgence de ressentir à nouveau le baiser de Lucas n'était pas si puissante.
Sans attendre, il posa une main ferme contre sa nuque, et l'embrassa à son tour. Plus longuement, cette fois-ci. Plus fort. Plus désespérément. Les mains du policier glissèrent autour de sa taille, et il se colla contre lui en même temps que l'Astre des Rois perçait l'horizon derrière eux.
Quand ils se séparèrent, ce fut uniquement car ils manquaient d'air, et que ce serait bête de mourir d'amour. Ils se fixèrent un instant, essoufflés, éprouvés. Puis, les sentiments au bord des lèvres, Jungwoo souffla :
— Tu ne m'as pas répondu.
— Je suis venu récupérer quelque chose que tu m'as volé.
— Quoi donc ?
Pour toute réponse, Lucas saisit le poignet de Jungwoo et déposa sa main contre sa poitrine. Ce dernier rit doucement.
— Toi aussi, alors ?
— Hein ?
— Tu m'as déjà pris le mien, Lucas. Mon cœur est tout à toi.
Dans sa poitrine, il bouillonnait, brûlait, tressautait. Le chinois s'inquiéta un instant de faire une attaque cardiaque, mais c'était bien trop agréable pour en être une. Jungwoo l'aimait aussi. Mon dieu, Kim Jungwoo partageait ses sentiments. Si seulement il n'avait pas été le voleur tant recherché, sa vie aurait été parfaite.
Oh, misère. Pourquoi fallait-il toujours que ce soit si compliqué ?
— Je t'en veux tellement.
Jungwoo sourit tristement, désolé.
— Pardon de m'être joué de toi.
— Ce n'est pas pour ça !
Et c'était vrai, ça ne l'était pas. Enfin, pas à l'instant. Lucas aurait tout le loisir de le maudire et de le blâmer pour cette odieuse trahison dans les jours à venir. Pour l'heure, le problème était plus grave :
— Je t'en veux parce que maintenant, avec tes conneries, tu vas devoir partir loin de moi, en prison, alors que je n'ai jamais été aussi heureux de toute ma vie. Tu n'es qu'un égoïste !
Jungwoo eut envie de pleurer. À la place, il fondit à nouveau sur les lèvres du policier, la gorge nouée de regrets et le cœur d'amour. C'est vrai, il avait été égoïste. Il avait préféré son petit plaisir personnel aux états d'âmes du chinois, il avait fait passer ses envies avant les siennes, et plus que tout, il avait privilégié l'adrénaline de la peur à celle de l'amour. Il le regrettait amèrement, maintenant.
Parce qu'il n'y avait rien de plus beau que les sentiments qui courraient dans ses veines lorsque l'autre était proche.
Mais il était temps pour lui de se rattraper ; il se promit de purger sa peine et de revenir pour faire de Lucas l'homme le plus heureux du monde, et alors seulement, il pourrait être pardonné.
Jungwoo sourit doucement dans le baiser.
_________
— Qu'est ce que tu fiches ?
— Ben, je me rends.
Circonspect, Lucas avisa Jungwoo qui lui faisait face, assis sur le lit où ils avaient terminé la nuit – ou la matinée, selon les points de vue. Il lui tendait les poignets tout en lui souriant tendrement.
— Bah quoi ? le taquina-t-il devant son hésitation. Tu ne voulais pas arrêter le plus grand voleur de tous les temps ?
— Tous les temps ?
Lucas haussa un sourcil vexant.
— Je crois que tu prends un peu trop la confiance.
— Dit-il alors qu'il a galéré à me trouver.
— Tu veux que je t'étouffe avec mon oreiller ?
— Non, non, pardon.
Jungwoo attendit de voir les lèvres du chinois s'étirer dans un doux sourire amusé pour s'autoriser à en rire, et un léger pouffement quitta ses lèvres. Ils s'échangèrent un regard tendre, s'autorisant à profiter de leur instant d'amour qui touchait déjà à sa fin. C'était si éphémère ; mais si précieux. Jungwoo chérirait les souvenirs de ce moment avec lui à chaque seconde derrière les barreaux.
Cette pensée lui rappela qu'il avait assez profité de sa liberté, et, le coeur un peu lourd dans sa poitrine, il attrapa une main de Lucas pour la poser contre ses deux poignets rassemblés. Lucas ne protesta pas. La gorge nouée, il se saisit des menottes qu'il avait gardé près de lui, et les passa délicatement autour des poignets de Jungwoo.
Il s'échangèrent un sourire.
— On y va ? chuchota doucement le coréen, prêt à payer pour ses crimes.
— Hm. Allons-y.
Lucas s'autorisa une dernière étreinte, posant sa main sur sa joue avant de le serrer dans ses bras comme un enfant boudeur à qui on allait confisquer un jouet dangereux. À l'exception du mot « jouet », c'était un peu ce qu'il ressentait, à vrai dire. La justice allait lui prendre celui qu'il aimait. Mais ce serait bien fait pour sa gueule.
Quand ils sortirent, ils tombèrent nez à nez avec Taeyong qui attendait de pied ferme sur le pallier, l'air mécontent, et Lucas sursauta furieusement.
— Oh bon sang ! Qu'est ce que tu fais là ?
— J'ai entendu dire que le voleur s'était échappé cette nuit avec un mystérieux complice, alors je suis venu le chercher, grinça son collègue en le jaugeant sévèrement.
Son regard tomba sur les menottes aux poignets de Jungwoo, et s'adoucit devant la proximité des deux. Un petit soupir s'échappa de ses lèvres, avant qu'il ne conclue :
— ... Mais je vois que tu l'as déjà rattrapé avant moi. Félicitations, agent Lucas.
Le cœur malmené, plein d'émotions depuis la veille, Lucas lui adressa un petit sourire fatigué devant sa réplique. Il hocha lentement la tête, reconnaissant que Taeyong, qui avait vraisemblablement compris directement que le complice en question était lui, ne le dénonce pas.
— Merci...
— Je vais prendre la relève, maintenant, si tu le veux bien.
Il hocha une seconde fois la tête, et après un dernier regard pour Jungwoo, lui fit signe de rejoindre Taeyong. Qu'il était dur, de renoncer à lui maintenant, mais les choses étaient ainsi et devraient l'être jusqu'à la fin.
Taeyong commença à descendre les escaliers avec le voleur, quand Lucas les interpella alors :
— Eh, Jungwoo !
Ce dernier se retourna, le regard interrogateur.
— Quand tu sortiras de tes trois ans de taule bien mérités, j'aurais été promu, et je bosserai dans un super commissariat loin d'ici. Ce sera à toi de me retrouver, cette fois !
Jungwoo sourit, amusé. Puis hocha la tête d'un air entendu.
— Ça marche. Il me tarde.
Ils s'échangèrent un dernier regard, le plus beau d'entre tous, et quand bien même Lucas était persuadé que dès lors, il n'attendrait plus qu'une chose avec impatience – la libération de Jungwoo –, il ne comptait pas lui rendre la tache facile pour autant. Il l'avait mené en bateau pendant des mois à le narguer pour qu'il l'attrape. Et bien soit, très bien. Le chinois était rancunier et un tantinet enfantin. À sa sortie, ils lanceraient un nouveau jeu :
Retrouve moi si tu peux.
______oOo______
Bonjour à vous :D
Si vous avez cliqué sur ce chapitre parce que vous avez vu la notif de l'update et que vous vous rappeliez de l'histoire, félicitations, parce que depuis le temps que j'ai pas posté je l'aurais totalement oubliée à votre place :')
Et pour ceux qui sont arrivés après, et une fois que l'histoire est déjà entièrement publiée, j'espère qu'elle vous aura plu ! \(・◡・)/
J'ai littéralement mis deux ans entre chaque update mdrr ( désolée, j'ai pas d'excuses T^T ), mais comme ce n'était qu'un three shots, j'ai eu envie de la terminer quand même en retombant dessus il y a quelques semaines, et voici donc une petite fin :3
Je suis heureuse d'avoir pu y poser un point final, c'était très divertissant à écrire ! 〜(꒪꒳꒪)〜
N'hésitez pas à me laisser votre avis, et à peut-être bientôt sur d'autres histoires ( ꈍᴗꈍ) ( postées plus régulièrement, cette fois-ci :') )
Merci de me lire ♡♡
( PS : Et pardon pour les fautes d'orthographes, j'en ai sûrement laissé passer quelques unes :') J'irais corriger les deux chapitres d'avant quand même parce qu'entre temps j'ai un peu progressé x) )
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