Carpe Diem
Je ne sais pas comment aborder la question.
Je vous ait parlé du sacrifice, du temps qui passe...
En vérité, c'est parce que j'ai peur.
Oui, un peu étrange, n'est-ce pas ?
Au crépuscule de ma vie, j'ai peur. Peur de la mort. Mort que je me donnerais moi-même.
Oui, je pourrais arrêter maintenant, prendre conscience de l'absurdité de mon geste, suspendre cette lettre, la brûler, vous attendre et faire comme si de rien n'était.
Mais je ne pourrais pas.
Je me rends compte que j'ai plus peur de la vie que de la mort.
Je suis trop faible, trop pusillanime pour replonger dans la routine du quotidien, mais je le suis juste assez pour me suicider.
Paradoxal, non ?
Oui, on pourrait dire que je met fin à mes jours par... ennui ? Dépit ?
Vous savez, je ne vivais que pour une seule chose - c'est étrange de parler comme ça de moi, au passé, qui plus est, comme si j'étais déjà morte - la connaissance.
Petite, déjà, je mourais d'envie de tout connaître, tout comprendre. Tout savoir.
Peu importait la manière, le moyen, les conséquences ou même la substance de ce savoir.
En grandissant, j'ai compris une chose. Ou plutôt deux.
J'ai compris qu'on ne pouvait pas tout savoir. Même en étant assidue en cours, même en lisant d'énormes traités sur des sujets divers, même en cherchant sur Internet.
La connaissance absolue n'existe pas et n'existera jamais.
Je suis tombée de haut, de très haut.
Quel orgueil, me suis-je dit alors, quel hubris ! Qu'importe ! Je me relèverais et je continuerais d'amasser des connaissances, sinon toutes, au moins le maximum !
Et je suis aussitôt repartie gravir la montagne du savoir, en projetant non pas d'en atteindre le sommet, mais seulement d'aller le plus haut possible.
Et c'est à mi-chemin que j'ai découvert quelque chose que j'aurais préférer ignorer.
J'ai compris que tout perdait de sa saveur en vieillissant.
Sauf le vin et le fromage, évidemment.
Mais pour ce qui est des sentiments, des impressions, des rêves... C'est une autre histoire. Que j'ai apprise à mes dépends.
Enfant, je vivais dans un monde aux couleurs chatoyantes, une bulle irisée qui me protégeait du monde extérieur.
Mes compagnons étaient un caméléon multicolore et un papillon aux reflets mordorés, nommés Rêve et Espoir.
Et moi, cette prison fragile, je l'ai brisée à coup de livres et de phrases savantes.
Trop tôt. Beaucoup trop tôt.
Je me suis sentie comme un nouveau-né abandonné, les talons percés et suspendu à un arbre, jeté pâture à une horde de sangliers affamés (et, croyez-moi, ça ne laisse que les dents, ces bestioles-là).
Rêve et Espoir n'ont pas tenu bien longtemps.
Admettons que je m'en sois sortie. Admettons qu'un humble berger ait fait fuir les sangliers, qu'il m'ait détachée et soignée.
Il ne m'en restera pas moins des séquelles, autant physiques que psychiques.
Ma bulle avait éclaté, et quelque chose en moi s'était brisé.
Je suis tombée de la montagne pour ne plus jamais me relever.
Oh, j'ai bien sûr continué de ramasser quelques petits fragments de savoir ici et là - tiens ? Hitler à lancé la première campagne anti-tabac ? Tiens ? La souris verte de la comptine est un soldat vendéen ? - mais le cœur n'y était plus.
Tout ça pour dire que je vivais sans but.
Puis, je me suis aperçue qu'il restait au moins une chose à ma portée : lever le voile sur le plus grand mystère que la vie ait jamais connu, à savoir la Mort.
Oui, la Mort avec un "m" majuscule, la terrible et irrémédiable mort de l'âme, et non pas l'arrêt total du fonctionnement de l'enveloppe charnelle, humble bout de viande servant de réceptacle à nos psychés pour la durée de notre passage sur cette Terre.
Oui, me suis-je dit alors. Oui, c'est que je n'avais pas demandé à naître dans ce monde en putréfaction, moi. Je n'avais d'ailleurs pas plus demandé à y vivre.
Alors, puisque, lorsque je ne demande rien, on m'impose des règles et des choix dont je n'ai jamais voulu, j'ai décidé d'imposer mon choix à ma vie.
Maintenant, je m'adresse à vous, vous qui lisez ces lignes tremblantes, vous qui êtes bouleversés par l'annihilation de ma psyché, vous qui commencez peut être à comprendre mes raisons - ou pas.
Par pitié, si il vous reste ne serait-ce qu'une once de respect pour cette enveloppe organique qui fut la mienne, ne me payez pas de cercueil, ni de cérémonie religieuse ou quoi que ce soit de semblable.
Ça serait plus qu'inutile.
Hého ! Je suis morte je vous rappelle ! Je n'existe plus !
Pensez bien que je n'ai aucunement besoin que vous priiez une hypothétique divinité pour une quelconque faveur dans une encore plus hypothétique vie après la mort !
Si je meurs, c'est que je le veux.
Alors, ne vous en faites pas pour moi ! Je n'existe déjà plus !
Oh, et puis séchez ces larmes, sincères ou bien factices, peu me chaut ! Je ne serais de toute façon bientôt plus qu'une succession de mots, de souvenirs, de photos, d'écrits; tout au plus un léger stimulus nerveux dans votre petit hippocampe.
Allez, de toute façon, vous suivrez avec joie votre propre conseil - ô combien agaçant, celui que vous vous répétez comme un Mantra pour vous convaincre de vivre obstinément, même si ça n'en vaut plus la peine.
"Carpe diem "
Ça suffit, maintenant, de jouer les éplorés !
Vous le savez tout autant que la personne que j'étais, et que le cadavre que je suis devenue.
Que vous "carpe-diemerez" tout aussi bien sans moi.
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