X V I
𝘦𝘳𝘨𝘰 𝘤𝘰𝘯𝘧𝘪𝘯𝘪𝘶𝘮 𝘪𝘭𝘭𝘪𝘴 𝘦𝘴𝘵 𝘢𝘦+𝘳𝘪𝘴 𝘵𝘦𝘳𝘮𝘪𝘯𝘶𝘴 𝘪𝘯𝘪𝘵𝘪𝘶𝘮𝘲𝘶𝘦 𝘢𝘦𝘵𝘩𝘦𝘳𝘪𝘴. 𝘴𝘶𝘱𝘳𝘢 𝘭𝘶𝘯𝘢𝘮 𝘱𝘶𝘳𝘢 𝘰𝘮𝘯𝘪𝘢 𝘢𝘤 𝘥𝘪𝘶𝘳𝘯𝘢𝘦 𝘭𝘶𝘤𝘪𝘴 𝘱𝘭𝘦𝘯𝘢. 𝘢 𝘯𝘰𝘣𝘪𝘴 𝘢𝘶𝘵𝘦𝘮 𝘱𝘦𝘳 𝘯𝘰𝘤𝘵𝘦𝘮 𝘤𝘦𝘳𝘯𝘶𝘯𝘵𝘶𝘳 𝘴𝘪𝘥𝘦𝘳𝘢, 𝘶𝘵 𝘳𝘦𝘭𝘪𝘲𝘶𝘢 𝘭𝘶𝘮𝘪𝘯𝘢 𝘦 𝘵𝘦𝘯𝘦𝘣𝘳𝘪𝘴, 𝘦𝘵 𝘱𝘳𝘰𝘱𝘵𝘦𝘳 𝘩𝘢𝘴 𝘤𝘢𝘶𝘴𝘢𝘴 𝘯𝘰𝘤𝘵𝘶𝘳𝘯𝘰 𝘵𝘦𝘮𝘱𝘰𝘳𝘦 𝘥𝘦𝘧𝘪𝘤𝘪𝘵 𝘭𝘶𝘯𝘢.
Donc la limite de l'ombre est la fin de l'air et le commencement de l'éther; au-dessus de la lune tout est pur, et rempli par une lumière durable. Quant à nous, nous voyons les astres la nuit, comme les autres lumières qui se détachent dans les ténèbres. C'est aussi pour cela que la lune s'éclipse pendant la nuit.
Pline l'Ancien, Histoire naturelle, II, VII
La douleur avait disparu. Epona avait connu la douleur toute sa vie, comme si elle faisait partie intégrante de son être. C'était devenu presque une extension d'elle-même, quelque chose qui la raccrochait à son corps, à ce qu'elle était vraiment. Elle n'avait plus mal, que ce soit à sa jambe où à la plaie qui aurait dû se trouver dans sa poitrine. Elle savait qu'elle aurait dû mourir.
Peut-être était-ce cela la mort après tout. Une infinité glaciale et sans aucune sensation.
Epona ouvrit les yeux. Elle voyait les étoiles autour d'elle, les galaxies et les planètes. Son corps flottait dans l'espace, parmi les nébuleuses en formations, les galaxies qu'elle voyait tournoyer et les météores qui poursuivaient leur course infinie à travers le cosmos. C'était un paysage magnifique, apaisant, froid et sans vie. Pourtant, Epona s'y sentit tout de suite chez elle. Elle appartenait à cet espace, à ces planètes et à ce vide glacial. Comme si elle l'avait connu toute sa vie. Epona bougea imperceptiblement la main et se mit à tournoyer lentement sur elle-même. La gravité n'avait pas de prise sur son corps et elle sentit ses muscles se tendre pour essayer d'inverser la tendance. Mais en un instant, une aura glacée la prit à la gorge. Ce n'était plus ce froid de l'espace qui l'apaisait. C'était un froid puissant, ténébreux et dangereux.
Quand Epona tourna sur elle-même, elle se trouva face à un visage. Un visage rouge, énorme, qui la toisait de toute sa hauteur.
- Je t'attendais Epona, cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus, dit Arishem.
La vision du Céleste lui semblait imposante. Elle eut un mouvement de recul. Elle connaissait ce regard. Non parce qu'elle l'avait déjà vu dans la salle commune du Domo mais parce qu'elle l'avait côtoyé pendant des années. Des millénaires même. Elle connaissait Arishem bien plus qu'elle avait l'impression de le savoir. Epona tenta d'accéder à ses souvenirs mais se heurta à un mur acéré qui lui bloqua le passage. Elle voulut ouvrir la bouche pour protester mais n'y arriva pas. C'était une sensation nouvelle pour elle. Elle se souvenait toujours de tout, tout le temps. La moindre parole prononcée était stockée dans son esprit, dans de soigneux petits tiroirs qu'elle avait mis des heures avec Druig à regarder et explorer. C'était comme si, soudain, un mur imprenable s'était dressé autour de ces tiroirs. Elle s'échina sur ce mur mental en vain.
- Qu'est-ce que tu m'as fait ? Demanda Epona en portant la main à sa tête.
Elle entendait des choses indistinctes dans son esprit, des sons inatteignables, d'un autre temps. Elle ne comprenait pas. Elle ressentait des sensations qui n'étaient pas celle de son corps. Elle était grande, immense, et flottait dans l'espace. Elle était petite, minuscule et marchait dans un vaisseau vide. Elle sentait le froid du métal et la chaleur de la terre, la fraicheur de l'eau et l'ardeur des étoiles en construction. Epona gémit quand l'afflux soudain de sensations l'emporta.
- J'ai seulement enlevé des détails de ta mémoire, des détails qu'il te vaudrait mieux oublier, reprit Arishem avec lenteur, comme s'il ne voulait pas brusquer la blonde.
- Des détails ? Je ne comprends pas, gémit Epona en se prenant la tête.
Des flashs apparaissaient sporadiquement derrière les paupières de la blonde. Elle entendait des rires, une planète aux deux soleils, des capes dorées flotter sous la brise. Ce n'étaient que des impressions confuses, des rêves inavouables et pourtant, Epona savait que c'était la réalité. Une réalité qui dépassait son imagination, une réalité qui n'existait pas que dans ses rêves. Une réalité qu'elle n'avait peut-être pas envie de comprendre.
- Tu n'as pas besoin de comprendre, la voix d'Arishem se faisait écho aux pensées de la blonde et Epona fronça les sourcils.
- Dans ce cas que veux-tu de moi ? Pourquoi tu m'empêches de voir derrière ton mur ?
- Pour te protéger de la réalité. Tu n'es pas encore prête.
- Prête à quoi ? Gémit Epona en voulant forcer ses souvenirs.
La blonde donna un énième coup sur le mur qui entourait son esprit et celui-ci céda brusquement. Epona se retrouva soudain sous un afflux de souvenirs, de sensations et d'émotions qu'elle n'avait jamais vécu. Elle se retrouva submergée et son souffle se coupa. Il lui fallut une seconde pour comprendre que ce n'était pas elle qui avait fait céder le mur mais Arishem qui l'avait enlevé. L'immensité de ses souvenirs la frappa.
- Pourquoi ? Réussit-elle à demander dans un souffle, contemplant l'immensité des souvenirs accumulés, sans réussir à voir ne serait-ce qu'une seule chose dans son ensemble.
C'était comme de vouloir saisir une goutte d'eau dans un océan. Epona était submergée et ne réussissait à saisir aucun souvenir précis.
- Peut-être que tu es prête finalement.
Epona fronça les sourcils devant les contradictions d'Arishem. Elle observa le Céleste un moment, n'en tirant à mesure qu'elle le regardait, qu'un profond dégout.
- Que veux-tu de moi ? Répéta-t-elle en observant avec méfiance le Céleste.
- Te parler tout simplement.
- Pourquoi maintenant ?
- Parce qu'il est toujours douloureux de voir quelqu'un de proche manquer de mourir.
Epona eut un mouvement de recul quand un brusque flash explosa derrière ses rétines. Un lourd son rauque provint de sa gorge et elle eut le vertige, flottant dans l'espace. Elle voyait Arishem à travers la vitre sale d'un vaisseau. Tout autour d'elle était recouvert de poussière. Le vaisseau sentait le renfermé et elle avait mal à la tête, comme si quelqu'un l'avait drogué. Elle sentait ses paupières devenir lourdes et s'affaisser lentement. Il lui fallut toute la force de sa volonté pour se relever et chanceler vers la vitre. Elle se vit poser une main tremblante sur la vitre du vaisseau et observer le gigantesque visage d'Arishem dans le vide glacé de l'espace. Mais ce n'était pas sa plus grande frayeur loin de là. Les flashs s'arrêtèrent aussi vite qu'ils étaient arrivés et la blonde sentit son estomac se retourner brusquement.
- Tu devrais accepter les souvenirs ou cela risque d'être douloureux. Maintenant que je te les ai donnés, je ne peux pas les reprendre.
Epona ravala la bile qui lui remontait dans la gorge en entendant les propos d'Arishem. Elle tenta d'accéder à son espace mental pour raviver les souvenirs qu'elle sentait poindre à la surface mais sentit l'effroi la gagner quand elle vit qu'elle y arrivait bien trop facilement. D'habitude, elle avait toujours besoin de l'aide de Druig pour amplifier ses pouvoirs. C'était Druig le Télépathe, pas elle. C'était Druig qui agissait sur les espaces mentaux des autres aussi facilement qu'il aurait à ouvrir une porte. Epona agissait seulement sur les émotions, sans accéder à leurs pensées. Elle n'avait jamais été une spécialiste de l'esprit. Mais ce qu'elle vit en arrivant dans son espace mental l'empêcha de réfléchir plus en profondeur à cette nouvelle capacité. Les murs qui occupaient autrefois son espace mental, entourés de ce ciel rouge et zébré d'éclair, avaient disparus. Epona se retrouva face à l'immensité du champ de son esprit sans aucune frontière ni obstacle. Mais ce qui était le plus frappant, c'était le paysage devant ses yeux. De hauts murs rouges à piquants se dressaient devant elle, déployant leurs créneaux comme une large plaie béante dans l'esprit de la blonde.
La dernière fois qu'Epona était venue dans son espace mental, c'était avant la guerre. Depuis son retour de la campagne militaire babylonienne, elle se méfiait de son esprit et de ce qu'elle pouvait y trouver. Elle voyait suffisamment son espace mental en rêve pour savoir qu'il n'en restait que des ruines. Le plus souvent, elle se voyait elle-même dans une combinaison blanche et or couverte de sang, piétinant au pied de grands murs rouges l'immense champ de marguerites qui occupait habituellement son espace mental. Son inconscient lui rappelait constamment la faute qu'elle avait commise et c'était suffisant, Epona n'avait pas besoin de constater cela de ses propres yeux.
Epona avait toujours connus ces murs rouges au sein de son esprit. Ils avaient toujours été une présence lointaine et inintéressante dont Epona ne s'était jamais soucié. Druig et elle plaisantaient parfois en disant que ces murs rouges étaient certainement la représentation d'une pensée inavouable de la jeune femme et le Télépathe s'amusait à vouloir deviner ce dont Epona pouvait bien avoir honte. Les murs étaient comme une forteresse imprenable mais par paresse ou par inintérêt, Epona n'avait jamais voulu savoir ce qu'il renfermait. Maintenant qu'elle se tenait en face de ces immenses murs en ruines, la blonde remarqua à quel point leur couleur rouge ressemblait fortement à celle d'Arishem. Savoir que ces murs avaient toujours été là, dans son esprit, fit frissonner brusquement la blonde. Depuis combien de temps Arishem était-il présent dans son esprit à observer chacun de ses faits et gestes ?
- Je t'observe depuis de nombreuses années, Epona. Tu as montré une résistance intéressante pour les gens de ton espèce.
La blonde ne savait pas de quoi il parlait mais elle sentait qu'elle approchait lentement de la vérité, en poussant plus brutalement sur le mur de sa mémoire. Elle sentait que les paroles du Céleste avaient ouvert une brèche dans ses souvenirs. Elle connaissait Arishem, même très bien. Ils étaient amis. Le mot naquit dans son esprit et elle écarquilla les yeux.
- Qui es-tu ? Demanda-t-elle en s'avançant vers le Céleste rouge, minuscule devant son œil qui la toisait indifféremment.
- Je suis Arishem, le Juge.
Epona retint la remarque acerbe qu'elle avait sur le bout de sa langue et fut surprise de ressentir autant de hargne. Le Céleste ne lui disait rien de plus qu'elle ne savait déjà. Les souvenirs continuaient d'affluer dans l'esprit de la blonde et elle retint encore une fois la nausée qu'elle sentait monter dans sa gorge.
- Que veux-tu de moi ? Demanda-t-elle avec méfiance.
- Je te propose une mission. Une mission dangereuse mais une mission noble, à hauteur de ton talent. Une mission qui vise à poursuivre le plus grand but que cet univers ait connu.
- Pourquoi moi ?
Epona sentit le regard froid d'Arishem. Elle n'avait rien de spécial et son handicap la ralentissait. Si cette mission était si importante pour l'univers alors elle n'était pas la mieux placée pour la remplir.
- Il me faut quelqu'un qui puisse agir rapidement et discrètement sur Terre. Quelqu'un en qui je peux avoir confiance.
- Ajak est notre Eternelle originelle, répliqua froidement Epona, elle est la mieux placée pour avoir ta confiance.
Arishem sembla plisser ses paupières et la blonde se surprit à connaitre aussi bien ses expressions.
- Ajak et moi n'avons pas la même relation que j'ai avec toi.
Etrangement, Epona ne douta pas un seul instant des paroles du Céleste. Elle savait au plus profond de son cœur qu'elle connaissait bien Arishem. Elle lui faisait confiance dans le temps mais cette confiance s'était détériorée. Les souvenirs qui revenaient à l'esprit de la blonde étaient trop nombreux pour pouvoir réellement comprendre ce qu'il se déroulait devant ses yeux mais Epona comprenait les sentiments de peine et de peur associés à Arishem. Elle ne faisait plus confiance au Céleste.
- Je ne veux pas travailler pour toi.
En une seconde, Epona sut que ce n'était pas la bonne chose à dire. Arishem la toisa d'un air sournois et Epona frissonna.
- Peut-être que je pourrais demander à votre Télépathe, ajouta Arishem avec ironie. Comment s'appelle-t-il déjà ?
Epona se sentit serrer des dents en entendant l'attitude nonchalante d'Arishem et elle ne put retenir sa hargne dans sa réponse.
- Druig, il s'appelle Druig.
- Tu as de l'affection pour lui.
- J'ai de l'affection pour tous les membres de mon équipe.
La voix d'Epona monta dans les aigus. Elle se mordit la lèvre inférieure. Son argument lui parut faux et elle eut l'impression qu'Arishem se mettait à sourire. Bientôt, un son profond sembla sortir de la poitrine du Céleste et Epona comprit qu'il riait. Les yeux d'Arishem se plissèrent tandis qu'il baissait lentement la tête vers elle. Epona eut un mouvement de recul et sentit une coulée de sueur froide lui dévaler le long du dos. Elle regrettait de ne pas être plus capable de mentir. Arishem se mit à rire.
- Tu ne peux pas me mentir, Epona. Je suis un peu comme...
Arishem s'arrêta brusquement, comme s'il se rendait compte que ses mots avaient dépassés sa pensée. Epona fronça les sourcils. Des bribes de souvenirs lui revinrent brutalement en mémoire. Elle se voyait enfant courir dans les couloirs d'un large vaisseau vert et or et la présence d'Arishem derrière les vitres du vaisseau. Elle se revoyait craindre cette présence pourpre monumentale qui les toisait de sa stature céleste. Elle se revoyait se cacher derrière des jambes et voir d'autres personnes habillées de blanc et d'or baisser la tête en signe de soumission.
- ...mon père, chuchota-t-elle doucement et les mots lui parurent creux aux oreilles.
Le Céleste rouge eut un mouvement de recul et la toisa en silence.
- Alors tu te souviens maintenant...
Les souvenirs voltigeaient dans l'esprit d'Epona sans qu'elle ne l'ait décidé, lui décrivant des planètes, des étoiles en construction, de la destruction aussi. Et les autres Célestes. Dans leur armure de géant, formant des galaxies, manipulant l'énergie. Tout cela la frappa tout entière et elle se souvint alors de tout.
- Oui... Je me souviens de ma planète, de Kalos, de tout ce que tu nous avais enseigné.
Les souvenirs se périclitaient dans l'esprit d'Epona et elle fronça les sourcils sous les sensations. Elle voyait une planète avec deux soleils, des grandes tours de verres qui touchaient le ciel. Des champs de menthe qui embaumaient la ville et qui bruissaient sous le vent. Des toges dorées des autres enfants présentés à Arishem lors de sa visite sur Kalos. Elle vit un vaisseau immense qui les emmenait à un endroit où tout était fait de métal. Une planète qui rassemblait tellement de savoirs et de mémoires dans des cases aux cristaux verts. Elle vit les premières mémoires, les premiers prototypes de machines. Elle vit tout ce qu'Arishem créait dans la Forge-monde. Elle vit la création de planètes, de civilisations avec d'autres soleils, d'autres sourires de ses compagnons aussi. Elle vit aussi la première destruction de planète et son Emergence. Elle entendit la détresse des habitants et la vie qui s'éteignait pour en faire naitre une nouvelle.
- Tu étais horrible avec nous, gémit Epona en sentant une larme dévaler sa joue, tu nous forçais à...
Elle vit des planètes entières se faire détruire pour donner naissance à des planètes différentes. Des planètes qui finissaient en flamme pendant que le nouveau Céleste émergeait pour forger de nouvelles planètes. Elle vit la première rébellion d'un de ses compagnons, Exitar, qui refusa de développer une planète. Elle vit la punition d'Arishem. Brutale, fatale. Elle vit comment il enferma l'âme d'Exitar dans une nouvelle planète, que ses compagnons et elle firent tout pour développer. Puis quand émergea Exitar, elle vit son horrible apparence, faite de métal, l'âme enfermée dans une machine. Elle vit la rébellion de ses autres compagnons devant l'injustice de la situation. Elle vit comment Arishem les enferma tous dans des planètes différentes. Jemiah, Tefral, Oneg, Eson, Ashema, Nezarr, Ziran.
- Tu les as tous tué, gémit Epona en fusillant Arishem du regard, tu les as tués sous nos yeux.
- Ils avaient choisi leur destin.
- Tu nous forçais à détruire nos créations, les unes après les autres, à détruire des civilisations que nous avions mis des milliers d'années à construire ! Créer, construire, protéger, c'était le slogan que tu nous répétais en boucle pendant que tu détruisais nos planètes sous nos yeux ! Croyais-tu vraiment que nous n'allions pas nous révolter ? Tu es risible. Arishem le Juge sans esprit de jugement.
Arishem leva brusquement la main et Epona se sentit soulever plus proche du regard du Céleste. Elle se retrouvait plongée dans un de ses immenses yeux rouges et se força à le défier du regard.
- Te souviens-tu ce qui est arrivé ensuite ?
Epona reprit une inspiration quand une nouvelle vague de souvenirs la frappa durement. Elle vit la peur de Tiamut et d'elle, les seuls rescapés après la folie d'Arishem. Elle vit l'horreur de Tiamut quand ils durent créer des Eternels, capables de coloniser d'autres planètes pour remplacer les enfants de Kalos. Elle vit les fils mécaniques se créer dans la main de Tiamut. Elle vit son regard farouche quand il décida de s'enfuir de la Forge-Monde.
- Tu as tué Tiamut aussi, chuchota Epona et elle sentit une intense douleur l'assaillir dans le ventre, tu as tué mon frère !
- Il voulait retourner à Kalos pour alerter ton peuple. Je ne pouvais pas le laisser faire.
- Et c'était une raison pour l'enfermer sous un volcan, le forçant à dormir pendant des millénaires ?
Arishem demeura silencieux et Epona sut que son attaque avait fait mouche.
- Et quand tu as demandé à Exitar, l'Exterminateur de me blesser pour m'assurer que je ne partirais pas ? Qu'as-tu fait quand je t'ai supplié de ne pas me faire du mal ? Qu'as-tu fait quand il m'a brisé la jambe, incapable de me reconnaitre dans son nouveau corps ? Tu m'as défendu quand il m'a obligé à devenir, ça ?
Epona pointa du doigt son corps frêle et sans force, se tenant droite devant Arishem, ne voulant pas lui montrer sa faiblesse.
- Je te considérais comme un père, chuchota-t-elle, la souffrance transparaissant dans sa voix. Je pensais que tu nous aimais.
Arishem demeura silencieux un instant et Epona sut que le Céleste était quelque part touché par ses paroles. Il n'était pas un habitant de Kalos mais il avait côtoyé ses enfants pendant tellement de millénaires qu'Epona croyait en une affection de sa part.
- Tu ne voulais pas me tuer, n'est-ce-pas ? Tu ne l'as jamais voulu. Tu voulais que je sois ton assistante. La beauté parmi les Eternels que tu nous avais forcé à créer, moi et Tiamut. Combien de fois m'as-tu effacé la mémoire pour que je développe des planètes ? Combien ?
L'éclat de voix d'Epona se répercuta dans le silence de l'espace sans qu'il ne trouve de réponse de la part du Céleste rouge et Epona se retint de pleurer encore une fois.
- Tu as choisi ton destin, Epona, résonna la voix d'Arishem et la blonde sut que la conversation allait bientôt prendre fin.
- Je t'ai aimé, je te faisais confiance. Je pensais que tu voulais vraiment le bien ! Comment tu as pu nous faire ça ? Comment tu as pu me faire ça à moi ?
Les larmes se mirent à couler des yeux de la blonde. Elle regarda Arishem qui semblait impassible, tandis que son menton continuait de trembler. Elle reprit avec hésitation, ses paroles entrecoupées de sanglots.
- J'ai choisi d'avoir plus d'humanité que tu n'en auras jamais. J'aurais cru que tu nous aimerais assez pour nous libérer. Je ne pensais pas que l'amour pouvait passer après une mission stupide. J'ai été naïve.
- Une mission à laquelle tu as contribué pendant des millions d'années avec nous, la coupa le Céleste.
Epona se mordit la lèvre sous l'évidence. Elle était tout aussi coupable des destructions que les autres.
- Il reste une dernière chance pour te racheter. L'Emergence de Tiamut doit commencer. Après cette mission, je considérerais ta dette rachetée et je te laisserais retourner sur Kalos si tu le souhaites. Tu as ma parole.
- Cela fait longtemps que je ne crois plus en ta parole.
Epona sentit l'agacement du Céleste devant sa remarque acerbe mais ne dit rien.
- Je sens qu'Ajak a des doutes concernant cette planète Terre. Tu dois lui expliquer que l'Emergence de Tiamut doit passer au-dessus de ses doutes. Ta mission consistera à faire émerger les guerres sur ton passage. Car la beauté engendre la jalousie et la jalousie engendre les guerres. Les guerres permettront à l'humanité de progresser.
- Tu es un monstre, chuchota Epona en fusillant Arishem du regard, je ne ferais jamais ce que tu me demandes, tu m'entends ? Jamais !
Son éclat de voix fut aspiré par le vide l'espace et Arishem la regarda du haut de sa hauteur.
- C'est une mission que honorable que je te propose de faire, Epona. Sacrifier la vie de quelques milliers de vie de ces « humains » pour en créer des milliards. Ce n'est rien en comparaison de la survie de l'univers.
- Et si cela me pose un problème moral ?
- Peut-être pourrais-je demander à ce Druig s'il voudrait faire ta mission à ta place ? Peut-être en ressentirait-il une forme de gratitude ? Une gratitude que tu n'as pas de toute évidence.
Epona sentit une vague de panique la cueillir en pensant à ce qu'Arishem lui proposait. Druig pouvait mener une guerre en quelques instants, il en avait le pouvoir. Mais la blonde le connaissait suffisamment pour savoir que cela le détruirait. Druig n'était pas aussi amoral qu'Arishem le pensait. Elle repensa à la scène qu'elle avait vu ce jour-là au marché. Cette hargne qu'elle avait perçu dans la voix du brun en voyant les hommes se battre. Il était déjà tellement brisé de ne pouvoir rien faire. Si Arishem lui demandait de propager la guerre, Druig ne serait plus jamais le même.
La blonde serra les dents en se rendant compte qu'elle n'avait pas vraiment le choix.
- Tiamut ou la mort de quelques milliards d'humains, répéta le Céleste. Il ne tient qu'à toi de choisir ta destinée Epona, fais les bons choix.
Epona baissa la tête, observant ses mains qui s'étaient mises à trembler et les cacha derrière son dos. Elle ne pouvait pas montrer à Arishem qu'elle était terrifiée.
- Si j'accepte de faire ce que tu veux, tu laisseras les autres tranquille ?
- Je peux même te garantir une forme de protection. Mais toi, seras-tu capable de garder ta mission secrète ?
- Je ne dirais rien aux autres si c'est ce que tu souhaites, répliqua Epona avec une fêlure dans la voix.
- A toi de les mettre à distance. Je suis dans ton esprit ne l'oublie pas. Nous nous reverrons bientôt.
La voix grave d'Arishem résonna dans l'esprit de la blonde et les murs rouges s'enflammèrent.
Epona ferma alors les yeux et se retrouva dans une chambre, seule. Un brasero illuminait la pièce et projetait ses ombres sur les murs. Elle ferma un instant les paupières en se frottant les yeux. Des pans entiers de sa mémoire se débloquaient soudainement et envahissaient sa mémoire en une série de flashs successifs qui lui donnèrent le tournis.
Elle se leva lentement en posant les pieds sur le sol, se tenant les côtes encore douloureuses. Sa peau nue reconstituée par Ajak était douce sous ses doigts et elle se fit la réflexion qu'Arishem avait un vicieux sens de l'humour. Se faire guérir par la première Eternelle qu'Epona avait elle-même créé relevait de l'ironie la plus pure.
Epona était une Kalosienne, la représentante d'un peuple immortel et avancé. Elle n'était pas censée être blessée. Elle n'était pas censée mourir. Un simple Déviant avait failli la tuer et elle n'aurait rien pu faire pour empêcher cela. Elle entendit des bruits au-dehors et se redressa sur sa couche. Ajak entra dans la pièce, suivit par Ikaris qui croisa les bras sur sa poitrine en s'appuyant contre un mur.
- Tu es enfin réveillée, soupira Ajak de soulagement, nous pensions que tu étais morte, pendant quelques instants tu ne respirais plus et tu as été dans le coma pendant si longtemps... Ikaris, va prévenir les autres que...
- Non, claqua la voix d'Epona dans le silence de la pièce, Ikaris je t'ordonne de ne pas bouger.
Epona pensa un instant aux Eternels qui aimaient tellement les humains. Elle ne pouvait pas leur faire cela. Druig et Sersi étaient tellement attachés aux humains. Elle ne pouvait pas développer les guerres alors qu'ils se sentaient déjà tellement coupables de ne pouvoir interférer avec les humains. Les conflits de l'espèce humaine étaient déjà tellement compliqués à gérer, spécialement pour le brun qui semblait tellement souffrir à chaque conflit. Epona repensa aux larmes contenues de Druig face à la bagarre du marché à Babylone.
Je refuse de laisser encore ce monde souffrir alors que je pourrais faire quelque chose. C'était ce qu'il lui avait dit ce jour-là. S'il apprenait qu'Epona déclenchait les guerres à l'aide de son pouvoir, elle ne savait pas ce dont il serait capable. Elle était incapable de faire du mal à celui qu'elle aimait. Elle sentit son cœur se déchirer en deux quand elle sut qu'elle avait déjà pris la décision qui s'imposait.
Ikaris et Ajak semblèrent surpris par le ton de la blonde et ne bougèrent pas d'un pouce, attendant ses instructions. Ikaris semblait en colère par le ton employé par Epona mais ne fit aucune remarque quand Ajak lui demanda de ne pas bouger. Epona posa les pieds par terre en s'appuyant à un mur et avança lentement vers Ajak. Les mots d'Arishem résonnaient encore dans sa tête.
- Il faut que l'Emergence commence le plus rapidement possible.
La Guérisseuse eut un mouvement de recul et Epona agrippa les épaules de la brune.
- Ajak, tu dois réaliser ton devoir envers Arishem.
- Com... Comment tu peux connaitre cela ?
- Arishem m'a parlé. Il faut me faire confiance Ajak. Il faut que tu favorises l'Emergence, comme tu l'as fait pendant des millénaires.
Ikaris se décolla alors brutalement du mur et s'avança, menaçant, vers Epona.
- Qu'est-ce que tu racontes ?
Epona se tourna vers Ajak et jeta un coup d'œil à Ikaris.
- Dis-lui, il comprendra. Il restera fidèle à Arishem.
La blonde commença à sortir de la pièce quand Ikaris la rattrapa en courant.
- Qu'est-ce qu'il se passe, Epona ? Dis-nous ce qu'Arishem t'a dit. Quel est notre devoir ?
Epona se retint de répliquer que leur devoir était de tuer des milliards de vies innocentes pour en faire émerger une mais se mordit la lèvre quand elle vit Ajak au bord des larmes juste derrière Ikaris. La blonde reporta son regard sur la Guérisseuse et la fixa en silence, lui demandant silencieusement de lui faire confiance.
- Notre devoir à Babylone est terminé. Il est temps de changer de pays. Cela fait trop longtemps que nous sommes statiques. Il est temps que l'Emergence s'accélère.
La blonde s'avança alors vers la sortie du bâtiment, entendant d'autres éclats de voix dans le palais non loin d'eux. Les autres Eternels arrivaient. Druig avait sûrement entendu ses pensées revenir à leur état normal. Epona jeta un regard paniqué à Ajak et l'Eternelle originelle sembla comprendre en un instant.
- Ikaris, va parler aux autres. Retiens-les quelques instants.
L'Eternel volant jeta un regard surpris à Ajak et lança un dernier œil hésitant à Epona avant d'obéir à l'ordre de l'Eternelle originelle.
- Que vas-tu faire ? Demanda Ajak calmement et Epona comprit qu'elle avait conclu ce qui se tramait.
- Je vais partir, seule. Je vous ouvrirais la voie en colonisant d'autres contrées. Vous n'aurez qu'à implanter la technologie, protéger les humains des Déviants et partir.
- Tu vas partir sans nous dire au revoir ? Demanda l'Eternelle originelle et Epona eut un petit sourire en refoulant ses larmes.
- Ajak... Je sais trop de choses... Arishem a dit... Druig ne peut pas savoir...
L'Eternelle originelle eut un regard grave et hocha simplement la tête. D'un rapide mouvement du poignet, la brune sortit une liasse de papiers de sa poche et la tendit à Epona. Les papiers étaient vierges et légèrement râpeux sous les doigts de la blonde, luisant d'une lueur dorée à la lueur des torches.
- Ce sont des papiers technologiques faits par Phastos. Ils réagissent à l'énergie des Eternels. Si tu dois nous écrire un jour ou en cas d'urgence, écris simplement le message et donne-le à un messager. Il saura nous trouver.
- Ajak je...
Epona voulut dire à la brune qu'elle ne reviendrait surement jamais les voir mais les mots restèrent bloqués au fond de sa gorge. Une boule d'angoisse et de tristesse se développa dans sa poitrine et elle sentit ses yeux s'humidifier. Les bruits des autres Eternels semblèrent se rapprocher et les mains tremblotantes d'Epona attrapèrent frénétiquement la liasse de papier pour la mettre au fond de sa poche. L'Eternelle originelle regarda de ses pupilles marron la blonde se mettre à paniquer et la prit par les épaules pour la pousser derrière elle.
- Pars maintenant, il n'y a pas de temps à perdre.
Avec un dernier regard, Ajak s'engouffra dans le couloir d'où résonnaient les voix des autres Eternels et Epona partit en claudiquant à l'autre bout du palais. Elle s'engouffra dans le Domo, revêtit son armure et partit en direction des écuries. La blonde sentait l'esprit de Druig la chercher à travers tous le palais et il ne fallait que quelques instants avant que Makkari la localise et l'empêche de partir. Peut-être quelques minutes si Ajak et Ikaris parlaient en sa faveur.
Elle enfourcha son cheval, et partit au grand galop vers la sortie de Babylone. Tournant le dos au seul endroit qu'elle avait vraiment appelé maison, tournant le dos à sa famille. Tournant le dos à l'homme auquel elle avait brisé le cœur.
J'espère que cette histoire vous plait toujours autant, on vient de dépasser la moitié de la première partie de l'histoire et voir vos lectures et commentaires me fait très plaisir !
Cœur sur vous tous !
a.k.a MadBloodd
[Première publication : 7 avril 2022]
[Republication : 29 juillet 2024]
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