I V
𝘎𝘳𝘢𝘷𝘪𝘰𝘳𝘢 𝘮𝘢𝘯𝘦𝘯𝘵
Le pire est à venir.
Virgile, Aeneis, VI
L'âge médiéval ne déplaisait pas à Ajak. L'Eternelle originelle se plaisait assez à la cour d'Uther et d'Arthur. Tous les courtisans avaient pour la plupart bien accueillis leur arrivée, même si les jalousies étaient présentes dans chacun des pays qu'ils traversaient.
Les humains comprenaient que les Eternels étaient spéciaux, et avaient parfois des réactions inattendues devant eux. Pendant plusieurs centaines d'années, les humains les considéraient comme des dieux, avec une adoration mêlée de crainte parfois. Maintenant, à l'ère des monothéismes, la peur avait remplacé l'incompréhension de la magie et Ajak voyait maintenant souvent des personnes se faire accuser de sorcellerie. Ils ne pouvaient pas exercer leur pouvoir comme ils le voulaient sans risquer de se faire expulser du royaume, ou de se retrouver devant un tribunal pour sorcellerie. Pour les Eternels, cela signifiait donc vivre une existence partiellement cachée puisque leurs pouvoirs étaient aussi naturels que de respirer.
Pour la plupart du groupe, ce n'était pas vraiment un problème, Kingo, Sersi, Phastos, Ikaris, Gilgamesh et Epona le vivaient même très bien. Ils vivaient une vie simple à la cour, et n'avaient plus à combattre les Déviants pour se défendre. Pour Makkari, Sprite, Thena et Druig, c'était bien plus compliqué. Leurs pouvoirs étaient bien plus visibles et trop naturels pour qu'ils ne soient pas en danger en permanence. Ajak avait fait respecter le souhait d'Arishem de rester discrets durant cette époque même si les tensions dans le groupe augmentaient de plus en plus. Makkari avait été vu à courir à travers la campagne par des paysans et Druig avait dû tous les contrôler pour éviter qu'ils n'ébruitent le bruit qu'une femme puisse courir plus vite qu'un cheval. Thena avait failli embrocher un chevalier d'Arthur avec sa lance sous le coup de la mauvaise humeur et Sprite prenait de plus en l'apparence de jeunes femmes de la cour pour faire de mauvais tour aux nobles. Mais c'était surtout Druig qui était d'une humeur accablante. Ajak avait tenté moultes fois de lui parler mais le Télépathe se refermait comme une huitre, refusant de dire quoi que ce soit ou affichant son habituel air insolent pour masquer son mal être. La brune savait que lui et Epona s'étaient disputés il y a plus de dix ans mais les tensions entre eux ne semblaient pas s'être réglées.
Ils devaient partir de Camelot. C'étaient devenu une nécessité absolue ou le groupe allait se diviser.
Ajak pensait à tout cela en observant Epona dessiner dans les jardins du château. La blonde s'était comme toujours très bien adaptée au monde des humains. En même temps, c'était celle qui avait le plus vécu seule parmi les humains. Elle faisait pratiquement partie d'eux tant elle avait passé d'années à leur côté. Même Sersi n'avait pas ce degré d'attachement que la blonde avait pour les humains. Ajak en était persuadée, Epona aimait la Terre. Elle aimait partager son art autour d'elle, séduire, voir le désir des humains tandis qu'elle exposait de nouvelles techniques de peinture. Elle aimait forcément cette petite lueur d'admiration qui brillait dans les prunelles des peintres, petite lueur propre aux artistes qu'Ajak ne pourrait jamais connaitre.
Ajak comprit à cette instant pourquoi Epona était tellement essentielle à leur mission sur Terre, pourquoi Arishem avait tenu à ce que la blonde face cavalier seul et quitte les Eternels. Cette petite lueur artistique, Epona ne l'aurait jamais développé si elle était restée avec les autres Eternels. L'humanité était tellement attachée à cet art, dans les cultes, les représentations. L'art était quelque chose de vivant, d'organique, de vibrant de vie. Epona était la seule à pouvoir comprendre cet art. Car elle avait des sentiments réels. Elle n'était pas une machine faite par un Céleste gigantesque.
Ajak savait que ce qu'elle ressentait était vrai. Sa peau réagissait au froid, au chaud, à l'humidité ou à la sécheresse. Les connexions de son cerveau de métal lui envoyaient des signaux en permanence sur des sentiments qu'elle pouvait et parfois devait ressentir. Mais elle ne pouvait pas dire que tout cela était réel. Car l'amour, le désir, la jalousie étaient des sentiments propres aux êtres vivants. L'Eternelle originelle avait observé quelque chose chez les Eternels. Ils ne savaient pas qu'ils étaient faits de métal, immortels automates et pourtant ils ressentaient bien des sentiments. Ikaris pour Sersi. Druig pour Epona.
Était-ce l'ignorance qui leur permettait de ressentir tout ce panel d'émotions ? Fallait-il se sentir vivant pour ressentir tout cela ? Ajak, elle, n'avait jamais pleuré devant un coucher de soleil, ou s'était ébahie devant une peinture. Elle ressentait de l'empathie pour des situations injustes, mais son sens du devoir primait avant tout le reste. Son insensibilité était-elle représentative du fait qu'elle savait ne pas être vivante ? Peut-être était-ce parce qu'elle savait qu'elle ne venait pas d'Olympia, n'appartenait même pas au monde des vivants qu'elle ne ressentait pas d'émotions ?
Ajak se posait ces questions en observant la blonde en contrebas qui continuait de crayonner des millepertuis, son crayon s'élançant agilement sur la feuille. De légers rayons du soleil venaient transpercer les feuillages des arbres environnant le château, le temps était encore maussade en Bretagne. La blonde s'étira la nuque en se mettant à observer vers le ciel et croisa le regard d'Ajak qui l'observait. Elle lui sourit en lui faisant un petit signe de la main et reprit tranquillement son dessin. L'Eternelle originelle remonta le couloir couvert dans laquelle elle se trouvait et se dirigea vers la partie haute du château. Sa longue robe bleue trainait légèrement derrière elle et elle la ramassa pour gravir les quelques marches qui menaient à ses appartements. Arrivée devant sa porte, elle se stoppa en entendant des bruits inconnus. Elle pencha la tête pour tenter d'observer l'intérieur et croisa Gilgamesh qui tournait en rond dans la pièce en se rongeant les ongles.
- Puis-je faire quelque chose pour toi, Gilgamesh ? Demanda Ajak en entrant dans la pièce.
- Oh, Ajak, Gilgamesh eut l'air gêné pendant quelques secondes, je voulais te parler.
La brune s'approcha du Combattant, posa une main apaisante sur son bras et le conduisit à une petite table où reposait de l'eau chaude pour faire des infusions. Elle lui proposa une tasse que le brun accepta avec un soulagement évident. Ajak ne savait pas depuis combien de temps Gilgamesh était ici mais cela devait sûrement signifier quelque chose d'important.
- Il s'est passé quelque chose ?
- Thena parle dans son sommeil.
- Tu dors avec elle maintenant ? Demanda Ajak avec un sourire en coin.
Gilgamesh rougit un peu et croisa les bras sur sa poitrine. Ajak retint un petit rire en voyant l'embarras du grand guerrier et se força à demeurer sérieuse.
- Je me préoccupe d'elle parce que...et bien tu vois.
Ajak hocha la tête doucement pour signifier qu'elle comprenait parfaitement et prit une gorgée de son infusion en croisant le regard du Combattant. Elle comprit tout de suite que quelque chose se tramait quand elle vit son hésitation.
- Elle dit des choses étranges dans son sommeil. Comme quoi une planète énorme exploserait. Qu'un immense caisson de verres abriterait un corps. Elle hurle que des gens vont mourir. Cela m'inquiète. Elle est de plus en plus de mauvaise humeur et l'inactivité forcée la rend triste. Nous sommes tous à cran parmi les Combattants, Ajak, nous avons besoin d'un peu d'action. Tuer des Déviants. Nous rendre utiles pour une fois. Nous tournons en rond ici.
Ajak se redressa sur son siège et arrangea les plis de sa robe devant elle. Elle se mordit l'intérieur de la joue et afficha son éternel sourire affable. Elle était la présence rassurante du groupe, l'Eternelle originelle. Elle avait les solutions. Enfin, c'était ce dont elle voulait éperdument se convaincre depuis le début de sa quête dans l'univers pour Arishem. Elle n'avait jamais eu de doutes avant. Mais la Terre était décidément une planète qui remettait en cause toutes ses perspectives.
- Tu as demandé à Epona des potions pour dormir ? Soupira Ajak en fixant le brun.
- Je ne sais pas si cela sera efficace, j'ai peur que tout cela...
- Cela fera l'affaire, dans un premier temps, coupa Ajak en finissant son infusion de plantes, Thena doit sûrement être fatiguée, peut-être que le fait de retenir ses pouvoirs la surmène plus que les autres. J'irais la voir ce soir, si cela peut te rassurer.
- Je ne voudrais pas qu'elle s'inquiète pour rien, elle n'est pas au courant qu'elle est agitée la nuit, dit Gilgamesh en reposant son infusion sur la table sans l'avoir commencé.
Un pli s'était formé entre les sourcils de Gilgamesh et Ajak posa une main apaisante sur son biceps.
- Ce n'est rien, ne t'en fais pas, Thena va bien.
Gilgamesh hocha la tête, à demi rassuré et sortit de la chambre en silence, encore perdu dans ses pensées. Ajak pinça violemment les lèvres dès que la porte se fut refermée et s'affala sur sa chaise. Cela recommençait. Encore. Thena et ses éternels problèmes de mémoires. Le Mahd WyRy' commençait toujours comme cela. Des cauchemars, dont Thena n'avait aucun souvenir au réveil, puis des visions en journée. Jusqu'à ce que la violence atteigne son paroxysme et que la blonde veuille tous les tuer. Ajak avait expérimenté la chose deux fois dans ses missions, et la dernière avait eu raison du corps de Sersi qui avait été remplacé immédiatement. Cela avait plus marqué Ajak qu'elle ne voulait bien l'admettre. La Changeuse de matière n'avait eu aucune chance.
Lance dans l'abdomen. Rideau.
Thena était dangereuse, et Ajak ne voulait pas lui donner la possibilité d'exercer à nouveau le pouvoir qu'elle avait. Elle ne voulait plus d'autres morts. Elle voulut aller en informer Epona puis se souvint du sourire rayonnant de la blonde et se décida de parler avec quelqu'un d'autre. Elle sortit de ses appartements, dévala les escaliers et partit en direction de l'aile réservée aux invités.
Une forte odeur de sauge lui traversa les narines et elle entra sans toquer dans l'appartement. De multiples flacons étaient alignés sur des étagères, mêlant couleurs et odeurs multiples. Elle vit même des insectes conservés dans de l'alcool, ainsi que des pattes d'animaux coupées qui lui firent retrousser le nez de dégout. L'apothicairerie était toujours un endroit particulier qui déplaisait particulièrement à Ajak. Elle n'avait jamais eu besoin de tous ces médicaments pour se soigner et elle trouvait d'ailleurs certains traitements humains particulièrement barbares. Epona avait tenté de lui montrer le principe de quelques lotions et médecines humaines mais la blonde était bien plus spécialiste qu'elle. Ce qui était d'ailleurs ironique puisque c'était Ajak la Guérisseuse du groupe.
L'Eternelle originelle passa devant les étagères sans s'arrêter et traversa une autre porte dérobée d'où s'échappait de petits volutes de fumée violette. Ajak leva les yeux au ciel et frappa deux coups à la porte avant d'entrer sans attendre la permission. Un jeune homme à l'air apeuré se tenait devant elle, retrouvant immédiatement le sourire quand il s'aperçut que c'était l'Eternelle originelle.
- Tu m'as fait peur, je pensais que c'était monseigneur Yvain, il ne veut pas me lâcher depuis qu'il a entraperçut un volute de fumée l'autre jour au marché.
- Tu as vraiment été imprudent cette fois-là aussi, Merlin, rétorqua Ajak en s'appuyant contre un mur.
Le jeune homme fronça les sourcils et fit un petit geste de la main pour faire léviter un livre jusqu'à une bibliothèque contre un mur. De légers volutes de fumée pourpre enveloppaient ses bras et envahissaient paresseusement la pièce. Ajak était ébahie à chaque fois qu'elle voyait Merlin pratiquer la magie. La magie ne devait pas faire partie de la Terre. Les rapports montraient que l'humanité était dépourvue de magie mais ce n'était pas la première fois que les Eternels croisait la route de magiciens. Des dieux nordiques, des dieux celtes, des Déviants, des combattants aux armes magiques en Asie. Croiser des sorciers n'étaient finalement pas si étrange que cela. Ajak se demandait pourtant comment la magie avait pu arriver sur Terre.
- Tu ne m'as jamais dit comment tu avais eu tes pouvoirs, dit Ajak en fixant le jeune homme.
Merlin haussa les épaules et finit de ranger les livres en les faisant léviter.
- Je n'en sais rien moi-même. Mais je suppose comme toi et les autres.
Ajak n'avait pas dit à Merlin qu'ils étaient immortels, ce n'était pas quelque chose que les mortels pouvaient aisément comprendre. Et même s'ils le faisaient, ils n'étaient souvent pas capables de saisir le concept entier d'éternité. Une infinité d'années, dans le même corps, sans jamais évoluer. Voir des empires se fonder et s'effondrer. Voir la vie et la mort d'un clignement de paupières. Ajak sourit au sorcier.
- C'est inné ?
- Je sais qu'à ma naissance, j'étais capable de faire des choses, répondit Merlin en faisant tournoyer les volutes violettes de ses pouvoirs dans la pièce. Et puis ma mère est morte donc je n'en sais pas plus.
Le ton de Merlin avait un peu changé en disant ces mots. Epona et Merlin étaient arrivés presque en même temps à Camelot. Ils avaient voyagé ensemble avant de rencontrer Gauvain, le neveu d'Arthur, qui les avait conduits ici. Epona n'avait jamais voulu dire à Ajak ce qu'ils s'étaient passés depuis qu'elle était partie d'Alexandrie mais la jeune femme était beaucoup plus sombre qu'avant. Elle était beaucoup plus en proie à la colère, à la rancœur, et cela ne s'était pas arrangé depuis que Druig était là. Et Merlin non plus ne voulait jamais parler de ce qu'il s'était passé avant son arrivée au château.
- Je sais juste que ma mère avait aussi ce don. Et qu'une partie du village aussi. On disait qu'une pierre violette avait été découverte et avait contaminé l'eau. Puis elle a été volée. Et ensuite, plus personne n'a jamais eu de pouvoir.
Ajak fronça les sourcils avant de se masser l'arête du nez. La Terre était décidément bien plus complexe que ce qu'elle avait imaginé. Merlin observa la jeune femme et lui sourit doucement.
- Il y a parfois des choses que l'on ne peut pas comprendre, Ajak. Il faut te faire une raison. La magie est complexe, tu devrais le savoir.
Ajak sourit en retour au jeune homme et l'aida à transporter quelques affaires dans la chambre d'Arthur. Ils longèrent des salles occupées par des gardes, des chevaliers et par les Eternels en habits médiévaux. Ajak les observa un instant. Ikaris et Sersi qui se tenaient près l'un de l'autre en se souriant. Sprite et Kingo qui riaient en buvant de la bière. Gilgamesh, Thena et Arthur qui observaient une nouvelle épée noire. Phastos et Epona qui discutaient de la meilleure façon de construire une invention. Et Makkari et Druig qui discutaient assis en tailleur sur une table, jetant de temps en temps des coups d'œil à la blonde.
La tension entre Epona et Druig était toujours importante et Epona évitait toujours le regard bleu du Télépathe. Ajak le surprenait de temps en temps, épiant Epona à travers les fenêtres ou écoutant d'une oreille discrète les rumeurs autour de la blonde. Il prenait soin d'elle à distance. L'Eternelle originelle aurait voulu les aider à régler leurs problèmes, mais c'était à eux de le faire, pas à elle.
Elle allait entrer dans la grande salle quand Merlin la retint par le bras.
- Pas un mot à Arthur sur la pierre et la magie mais, il baissa la voix et s'approcha de l'oreille de la brune, celui qui la posséderait serait un des plus puissants êtres de tout le temps, capable de guérir toutes les maladies, de réaliser n'importe quelle prouesse. Il aurait accès à un pouvoir infini. Il ne faut pas qu'elle finisse entre de mauvaises mains.
Ajak hocha la tête tandis qu'une idée germait dans sa tête. Quant à savoir à quoi pouvait bien servir une pierre magique violette, il devait bien avoir quelqu'un dans l'univers qui devait le savoir.
Que pensez-vous de ce chapitre ? Thena qui commence à ne pas aller bien, les Eternels et leurs pouvoirs... Et cette pierre violette mystérieuse qui arrive à la fin (en fait pas si mystérieuse que ça ;) mais je vous laisse faire vos suppositions...). Pleins d'indices sont présents dans ce chapitre donc je vous laisse chercher hi hi.
a.k.a MadBloodd
[Première publication : 26 octobre 2022]
[Republication : 21 septembre 2024]
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