E P I L O G U E
...et lorsque l'un d'entre eux rencontre l'autre moitié, la moitié réelle de lui-même, qu'il s'agisse d'un amoureux de la jeunesse ou d'un amoureux d'une autre sorte, le couple se perd dans une stupéfaction d'amour, d'amitié et d'intimité et l'un ne quittera pas l'autre des yeux, comme je peux le dire, même pour un instant.
Platon, Le Banquet
Epona mit pied à terre en arrivant au marché à chevaux. Elle accrocha sa selle à une barrière et laissa à son cheval suffisamment de longe pour qu'il puisse aller et venir. Epona entrainait des chevaux pour les courses depuis de nombreuses années. La course de chevaux étant le sport national de la Mongolie, elle n'avait pas trouvé mieux que ce pays pour être en paix et continuer sa passion.
Elle approcha du centre des courses de chevaux et prit quelques tugriks de sa poche pour se payer à manger. Elle n'était pas revenue en ville depuis quelques mois et devait passer des contrats avec les éleveurs de chevaux locaux pour aller les entrainer dans la plaine.
La blonde prit quelques morceaux de son repas et s'installa dans les gradins pour regarder la course en train de commencer. Elle prit un programme des courses qui trainait sur un banc et assista au départ de la course dans les hurlements des spectateurs. Le stade hippique d'Oulan-Bator n'était pas très grand mais il suffisait aux habitants pour qui les courses hippiques étaient sport national. Les chevaux étaient un véritable business dans le pays et Epona était connue par tous les entraineurs de chevaux du pays. C'était un milieu très spécialisé et peu d'étrangers entraient dans le circuit, surtout pas une occidentale qui semblait tout juste entrer dans l'âge adulte. Mais les écuries de course ne s'étaient pas trompées et Epona était devenue rapidement une référence dans le milieu hippique.
Le regard de la blonde passa sur les chevaux qui galopaient sur la piste, sachant d'avance qui allait gagner en voyant les réactions des chevaux. Le favori avait l'air fatigué et soufflait bruyamment. Ses foulées se raccourcissaient en approchant de la ligne d'arrivée et ce fut le second qui arriva en tête. Elle froissa le petit sachet contenant son repas et regarda sa montre. Son rendez-vous était en retard. Elle posa ses bottes d'équitation sur le banc devant elle et pencha la tête en arrière, profitant du soleil de fin de matinée.
En enfournant la dernière bouchée de son repas, les yeux d'Epona passèrent sur trois femmes aux robes sombres qui se tenaient près de la piste. Les femmes semblaient l'observer, immobiles. Sans avoir à les observer très longtemps, Epona vit que du sang dégoulinait de leur robe. Une sensation de terreur absolue la fit sursauter brutalement. La personne assise près d'elle sur les gradins la regarda d'un air surpris. Epona voulut se lever pour s'enfuir en courant mais ses jambes semblèrent peser des tonnes. Elle voulut se mettre à hurler mais sa voix resta bloquée dans sa gorge. La foule se densifia autour de la piste quand les chevaux firent leur tour de parade et les femmes disparurent de sa vue.
Epona sursauta quand elle entendit de grosses bottes secouer les bancs près d'elle. Elle reprit rapidement son masque impassible et se tourna vers son interlocuteur.
- On m'avait dit que tu étais ponctuel pourtant, grogna Epona en regardant l'homme qui s'approchait d'elle.
L'homme était plutôt petit, joufflu et rougeot, comme s'il avait trop pris le soleil ou qu'il était un peu trop porté sur la boisson. Il écarquilla les yeux et un petit sourire qu'il pensait séducteur apparut sur ses lèvres.
- Et moi on ne m'avait pas dit que tu étais si jolie.
Epona soupira de lassitude et se tourna vers l'homme à la bedaine proéminente.
- Je suis là pour le boulot, Nogai, par pour profiter de ta fabuleuse présence. Amène-moi voir tes chevaux.
L'homme perdit son sourire quand la blonde passa devant lui pour se diriger vers les écuries. Il se gratta la tête en soulevant sa casquette pleine de poussière et suivit la blonde en se demandant ce qu'une fille comme elle pouvait bien faire en Mongolie. Avec ses habits d'équitation moulants, sa veste en cuir brune et ses bottes parfaitement vernies, Epona semblait tout droit sortie d'un mauvais film de western. La blonde prit une pastille à la menthe qu'elle coinça sous sa dent et se mit à la macher en passant devant les chevaux.
- J'ai quelques superbes spécimens à te montrer, dit Nogai en trottinant derrière la blonde.
- On m'a déjà dit cela par le passé pour me montrer des chevaux sous-alimentés et dopés. Alors si tu ne veux pas que je te dénonce aux sociétés protectrices des animaux, j'espère que ce n'est pas le cas.
L'éleveur de chevaux perdit son sourire devant le ton cassant de la blonde et la guida vers sa partie réservée dans l'écurie. La blonde s'appuya sur une portière de box et regarda un cheval s'approcher doucement d'elle. Elle sourit quand l'animal vint lui manger les cheveux et lui mordiller la main. Elle rentra dans le box et observa les jambes de l'animal en passant doucement les mains sur les tendons et les muscles. Nogai n'avait pas menti, les chevaux étaient tous en excellente santé et bien traités. Epona sortit du dernier box en sortant un petit carnet de sa veste.
- Bien, je crois que tout est en ordre. Je peux prendre quatre chevaux pendant un mois pour les entrainer avant la prochaine course.
- Seulement quatre ?
- Je suis seule au dernière nouvelle, je ne peux pas faire plus.
- Je pensais que tu étais une professionnelle, répondit Nogai d'un ton un peu irrité et Epona sentit que la négociation allait être difficile.
- Je ne pense pas que j'ai à te faire l'étalage de ma réputation pour les chevaux de course. Je pense avoir plus d'expérience que tous les entraineurs de la région. Mon prix et mes conditions sont non négociables.
Epona se retint de dire que son expérience remontait à plusieurs millénaires mais ne voulut pas passer pour une folle devant l'éleveur de chevaux. La blonde n'avait pas de problème d'argent – elle avait plusieurs comptes qui l'attendaient à travers le monde et un coffre rempli d'or en Grèce – mais elle avait besoin de travailler pour ne pas devenir folle. Elle vivait seule la plupart du temps, loin des hommes, avec ses chevaux dans une yourte de la plaine à trois heures de cheval d'Oulan-Bator. Mais la blonde avait besoin de la compagnie des humains, s'entourer un peu de la vie des hommes de temps en temps.
- Je ne pense pas que mes prix sont démesurés par rapport à mon service et la plus-value est énorme pour toi si tes chevaux gagnent, ajouta Epona, à toi de décider, je suis ici jusqu'à la fin de la journée.
La blonde s'éloigna de l'éleveur en s'enfonçant dans les écuries vers les parcs d'échauffement des chevaux. Elle s'appuya sur une barrière et regarda les animaux courir le long de la piste. Elle ne pouvait pas résister à l'envie de voir les chevaux galoper et ce depuis le premier jour. Elle ne savait pas comment lui venait cette fascination pour ces animaux mais elle était aimantée par eux sans se l'expliquer. Elle chronométra mentalement les quelques secondes que mirent les chevaux à traverser la piste et marcha tranquillement vers le panneau des paris des courses du jour. Elle se sentait d'humeur joueuse.
Elle paria mille tugriks sur le favori et empocha sa mise quand elle vit sa victoire. Elle reporta son attention sur le soleil qui montait de plus en plus haut dans le ciel et sortit son téléphone de sa botte. Elle alluma le vieil appareil à touche et observa d'un rapide coup d'œil si elle avait des appels. Celui-ci était suffisant pour le mode de vie d'Epona, sans wifi ni réseau là où elle habitait. La blonde se fit la réflexion que de toute façon, tout le monde était accro à ces choses et ne profitait pas des plaisirs de la vie telle qu'elle l'avait vécu durant des millénaires.
Epona fronça les sourcils en voyant qu'un numéro inconnu l'avait appelé trois fois cette journée. Le numéro provenait d'un autre pays puisque Epona ne reconnut pas l'indicatif téléphonique. Elle composa rapidement le numéro sur son clavier et le colla à son oreille. Les tonalités retentirent plusieurs fois dans le vide, jusqu'à ce qu'Epona décide de raccrocher. Au moment où la blonde allait appuyer sur le bouton rouge, une respiration se fit entendre à l'autre bout du fil.
- Epona ? C'est toi ?
La blonde fronça les sourcils en entendant la voix à l'autre bout du fil prononcer son prénom et se concentra pour deviner son origine.
- Qui la demande ?
- Epona, c'est moi, Ikaris.
La blonde se redressa sur son siège et passa une main dans ses cheveux blonds. Elle n'avait pas vu Ikaris depuis les années 2000 et leur dernière rencontre lui laissait un gout amer. Elle entendit soudainement un sanglot à l'autre bout du fil et comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas. Ikaris ne pleurait jamais. Epona ne l'avait jamais vu exprimer la moindre émotion de douleur ou de peine durant toute sa vie devant les autres Eternels. S'il pleurait c'était que quelque chose était arrivé. La blonde pensa immédiatement à Sersi avec laquelle Ikaris était si proche puis un autre pensée envahit son esprit. Druig. Le Télépathe était tout seul depuis tellement de temps qu'il lui était peut-être arrivé quelque chose.
Son ventre se serra douloureusement sous l'appréhension et la blonde se mit à marcher de long en large.
- Ikaris, que se passe-t-il ? Tu es où ?
- Aux Etats-Unis, dans le Dakota, je...
Epona ferma les yeux douloureusement et laissa tomber sa main sur sa cuisse. Une larme coula le long de sa joue qu'elle essuya d'un revers de main. Elle redressa les épaules et se concentra sur une petite fissure du béton sur le sol. Elle savait ce qu'Ikaris avait à lui annoncer.
- Ajak est morte.
Epona laissa les larmes affluer devant ses paupières et pinça les lèvres pour s'empêcher de s'effondrer en larmes. Elle savait que ce jour arriverait. Elle le savait au plus profond d'elle-même qu'Ajak n'aurait pas pu survivre, pas depuis la discussion que les deux femmes avaient eue en 1980. Ajak était trop impliquée, trop attachée à cette planète. Elle n'aurait pas pu déclencher l'Emergence de Tiamut. Epona savait qu'il aurait fallu éliminer Ajak d'une manière ou d'une autre. Elle ne pensait pas cependant qu'Ikaris serait le premier à tuer la Guérisseuse.
- Et il y a autre chose, Epona, les Déviants sont de retour.
La blonde se retint de gémir en entendant l'annonce d'Ikaris et se mit à se ronger les ongles nerveusement.
- On peut s'en occuper tous les deux, je te rejoins là où tu les as localisés et on peut les exterminer...
- Non, Epona, ils sont trop nombreux. On n'y arrivera pas seuls tous les deux.
Epona garda le silence et se mordit la lèvre en entendant les paroles d'Ikaris. Elle savait ce que cela signifiait. Ils allaient devoir réunir les autres.
- On ne peut pas...
- Il va bien falloir si nous voulons anéantir les Déviants.
- Je ne peux pas... La voix d'Epona s'étrangla dans sa gorge.
- Epona, dit la voix sévère d'Ikaris, j'ai besoin de toi. J'ai besoin que tu te tiennes près de moi pour que l'Emergence aboutisse. Ce sont les derniers coups de la partie. Tu ne peux pas abandonner maintenant.
L'assurance dans la voix d'Ikaris rassura Epona. La blonde reprit contenance et sécha ses larmes d'un revers de la main. Elle serra les dents pour les empêcher de claquer.
- Elle a souffert ?
Ikaris mit du temps à répondre. Le silence s'éternisa au bout de la ligne et Epona se demanda si Ikaris n'avait pas raccroché.
- Je ne pense pas, fut la seule réponse de l'Eternel volant et Epona ferma les yeux pour s'empêcher de pleurer à nouveau.
Elle ne voulait pas imaginer Ajak mourir dans des souffrances atroces. L'Eternelle originelle l'avait soutenu pendant toute leur mission sur Terre. Elle méritait une mort douce. Mais la vie était cruelle et l'avait toujours été.
- Je vais aller retrouver Sersi et Sprite à Londres.
- Ikaris, tenta Epona, ne fais pas ça.
Elle savait que le brun avait toujours des sentiments pour l'Eternelle brune et commença à secouer la tête, sachant pertinemment qu'Ikaris ne pouvait pas la voir.
- Je veux m'assurer qu'elles vont bien. Je dois au moins les protéger des Déviants.
- Elles ne doivent rien savoir de l'Emergence, dit Epona d'une voix blanche, Ikaris c'est important...
- Tu peux me faire confiance.
Epona sentit un sentiment doux lui réchauffer la poitrine. Elle et Ikaris faisait équipe depuis tellement de temps qu'elle savait pouvoir lui faire confiance. Ikaris soupira à l'autre bout de la ligne et Epona l'imagina se passer une main dans ses cheveux.
- Sersi voudra venir te voir, reprit Ikaris. Une fois que les autres se rendront compte de la mort d'Ajak, elle voudra revoir tout le monde.
- Je sais, soupira Epona en se mettant à faire les cent pas.
- Cela veut aussi dire qu'on ira le voir. Tu le sais n'est-ce pas ?
La blonde s'arrêta de marcher et ferma les paupières. Cette rencontre serait douloureuse. Si elle décidait d'aller le voir...
- Je n'ai pas encore pris ma décision. Il faut que tu me laisses du temps.
La voix d'Ikaris se fit plus tendue de l'autre côté du téléphone.
- Il vaudrait peut-être mieux que tu n'ailles pas le voir, que tu restes dans ton coin jusqu'à ce que l'Emergence se fasse. On pourrait se rejoindre au dernier moment. Ce n'est pas à toi d'aller le voir et de...
- Ikaris, dit Epona d'un ton doux, je n'ai pas encore pris ma décision. Il faut que je réfléchisse.
Epona s'imagina Ikaris hocher la tête. Ils échangèrent quelques banalités avant de raccrocher. Epona remit son téléphone dans sa botte d'un geste lent. Elle était perdue dans ses pensées. Elle observa le soleil de Mongolie errer entre les montagnes et se dit qu'il faisait trop beau pour apprendre la mort de quelqu'un. Elle finit par sauter des gradins.
Quand Nogai sortit des écuries, ayant pris la décision qu'il faisait une affaire avec Epona, il se retrouva devant des gradins vides. La blonde était partie depuis longtemps.
Et voici la fin de Carnyx, en tout cas de cette première partie...
Ca me fait tout bizarre de dire ça...
La partie deux est complétée de moitié, je veux tiens au courant de la suite des événements prochainement !
En attendant, merci beaucoup de m'avoir suivie dans ce début d'aventure, vos commentaires, vos votes et vos ajouts à des listes de lecture arrivent tous les jours et ça me fait tellement plaisir !
a.k.a MadBloodd
[Première publication : 12 juin 2022]
[Republication : 09 septembre 2024]
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro