-  Je veux un nom. Un nom de scène qui me va bien.

-  Pourquoi faire ? C'est joli, Carmen. C'est un nom qui rassemble le sublime, le grandiose, le merveilleux. Un nom qui te va bien.

-  Trop bien pour m'empêcher de devenir une autre. Trop bien pour me brûler les ailes avant même que je ne quitte le sol. 

-  Tu penses à quoi alors ?

-  A un nom qui serait le symbole de ma nouvelle vie, de ma nouvelle voix. Un nom qui éclairera mes pas dans mon ascension vers la gloire. Un nom qui saura illuminer mon être et le faire briller tel un soleil !

-  Doña Sol ...

-  Doña Sol ! 

-  Vedette du Théâtre Ambulant !

-  Vedette d'Andalousie !

-  Et d'Espagne !

-  Tu crois ?

-  L'Espagne chantera ton nom avec ferveur, avec admiration, avec adoration ! Tu seras une diva, la diva Andalouse dont la beauté et la lumière éblouiront tous ces petites gens envieux. 

-  Oh oui, je veux être celle que tout le monde envie !

-  Que tous les hommes désirent.

-  Que toutes les femmes jalousent.

-  Oh, Doña Sol, jamais on aura vu en Europe une femme aussi belle, aussi douée que toi !

-  C'est vrai, tu me trouves belle ?

-  Plus que toutes ces autres, je crois. Plus que toutes les femmes.

-  Tu me flattes. 

-  Peut-être. 

-  Tu aimes ma voix ? 

-  J'en suis fou. Ton timbre seul, parlé ou chanté, est une douceur à l'oreille, si délicate que l'on craint de l'entendre s'arrêter. Ton timbre, et ces mots si puissants que ta langue divine module, sont synonymes même de l'art que tu peins chaque nuit. Ton timbre, merveilleuse cantatrice de lumière, donne leur rouge à tes lèvres et soulève les cœurs. 

-  Tu sais si bien parler, maudit homme d'affaire, que je croirais presque tes mensonges. Cependant avec moi tu es perdant, je connais tes malices, je sais que tu me mens pour que je continue à chanter. Et je crains d'aimer ça ...

-  Je n'oserai te mentir.

-  Et je n'oserai te croire.

-  Tu devrais pourtant. Je ne veux rien de ton corps. 

-  Balivernes, mentir est ton métier ! Et puis ... Tous les autres attendent quelque chose de moi. 

-  Je ne suis pas comme eux. 

-  Là, je veux bien te croire. Tu es le seul à vouloir me voir briller, les autres m'éteignent le soir. Tu es le seul à m'écouter chanter, les autres veulent me faire taire. Dis-moi, homme d'affaire, me donneras-tu des ailes lorsque je devrais m'envoler ?

-  J'arracherai les miennes pour te les offrir. 

-  Merci, Lisandro.