PARTIE 2 - Chapitre 1
— Sœur Maria ! Debout !
Les coups donnés contre la porte tirèrent la jeune femme de ses songes et elle ouvrit les yeux. Elle soupira puis repoussa ses couvertures et s'assit au bord du lit. Elle se frotta le visage puis saisit un lien de tissu et tressa ses longs cheveux blonds après un rapide coup de brosse.
Les coups contre la porte de bois recommencèrent et la jeune femme soupira profondément. Elle se leva, retira sa robe de nuit en coton dur, fit une toilette brève avant d'enfiler une autre longue robe de toile bleu ciel. Elle noua sur sa taille un cordon où pendait une petite croix en or, puis elle chaussa des petits mocassins noirs à boucle. Il faisait tellement froid dans sa "chambre" qu'elle avait gardé ses bas de laine pour dormir...
Après avoir passé sa robe principale, la jeune femme enfila par-dessus un long tablier écru, puis un chemisier à manches longues dont elle replia les extrémités sur plusieurs centimètres. Sur sa tête, elle déposa ensuite un calot blanc sous lequel elle dissimula sa longue natte blonde. Elle enfila ensuite une sorte de cagoule crème qui lui enserrait le visage en cachant ses oreilles, sa gorge et son front. Par-dessus, enfin, elle déposa deux voiles, un blanc puis un noir, et les fixa sur son crâne avec deux épingles.
Elizabeth, désormais dénommée sous le nom chrétien de Soeur Maria, était prête.
~
— Tenez, Sœur Maria. Il faut distribuer ceci dans l'église, un sur chaque pupitre, et ensuite, vous donnerez un coup de balai partout, et après, un coup de serpillière, puis vous irez aider à la cuisine pour le petit-déjeuner. Ensuite, vos prières, puis...
— Je sais, Sœur-Mère, coupa Elizabeth. Je sais ce que j'ai à faire.
— Quelle insolence...
La Mère du couvent grimaça puis tourna les talons. Depuis huit mois que cette jeune femme était avec elle et les autres sœurs, ici à Londres, elle avait fini par abandonner de lui apprendre les bonnes manières. De toute façon, le Gouverneur Swann ne l'avait pas demandé... La Soeur-Mère tourna ensuite les talons et quitta la pièce. Elizabeth soupira et récupéra une pomme de vieux livres dans une caisse...
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Dissimulant un bâillement, Elizabeth déposait les Bibles sur les innombrables bancs de l'église. D'ici quelques minutes, les premiers fidèles arriveraient et certains resteraient jusqu'à la nuit. Elle devait donc se dépêcher, mais depuis huit mois, ces gestes étaient devenus automatiques et elle pensait très souvent à autre chose en les exécutant.
Oui, Elizabeth Swann était loin d'être une servante de Dieu irréprochable... Elle avait tendance à répondre à ceux qui lui donnaient des conseils souvent malavisés, à couper la parole aux gens, et, en gros, à faire ce que bon lui semblait et qui était, bien entendu, contraire aux principes de la maison et, la plupart du temps, elle se faisait reprendre sévèrement par son père dans des lettres parfois dures, puisque la Mère du Couvent correspondait chaque semaine avec le Gouverneur Swann depuis qu'il lui avait confié sa fille et raconté son histoire...
Bien entendu, du point de vue d'Elizabeth, ces quelques semaines passées avec Jack Sparrow et l'équipage du Black Pearl n'étaient pas aussi terrifiants que le laissaient à penser les paroles du Gouverneur... Horrifiant un peu plus la Sœur-Mère à chaque phrase...
Un bruit retentit soudain et Elizabeth sursauta. Elle pivota et un homme s'approcha, un Curé. Elle inclina la tête et s'en alla aussitôt. Elle n'avait pas le droit d'être en présence d'hommes et quand les pèlerins étaient dans l'église, elle devait rester dans la partie du couvent réservée aux sœurs et ne pas en sortir.
~
Elizabeth appuya son balai contre le mur avec un profond soupir. Comme chaque matin, elle avait balayé tous les couloirs et à présent, elle devait repartir en sens inverse en passant la serpillière. Selon elle, c'était le "travail" le plus ennuyeux et le moins gratifiant du monde.
Cela lui rappela alors les fois où elle regardait les marins de Jack passer la serpillère sur le pont du Pearl. Au début, ça lui avait paru bizarre de passer la serpillère sur le pont d'un bateau constamment soumis aux embruns, mais en fait, elle avait rapidement compris que c'était pour occuper les marins, tout comme tresser les cordages, les enrouler et les dérouler dix fois par jour... Ainsi que pour empêcher le sel de l'eau de mer de détruire le bois du pont qui serait difficile et très coûteux à remplacer...
Fermant les yeux, Elizabeth s'obligea à ne plus penser au Pearl et à son équipage, à ne pas penser à Jack et à sa promesse. Huit mois s'étaient déjà écoulés et plus les jours passaient et moins la jeune femme gardait espoir de revoir son Capitaine un jour. Elle n'avait pas eut de nouvelles de lui du tout depuis qu'ils avaient mouillé dans la baie de Port-Royal pour la ramener à son père...
Assaillie de souvenirs, Elizabeth s'appuya contre le mur, son balai dans la main, et posa sa tête contre le mur. Elle serra les paupières et sa mâchoire se crispa.
La jeune femme se souvint alors de ce jour particulièrement stressant, quand, après trois semaines de voyage à bord du Pearl, ils avaient été en vue de Port-Royal. À peine le navire pirate avait été repéré par les sentinelles que des chaloupes remplies de soldats anglais avaient étés jetées à l'eau...
------------- Flash Back -------------
— Capitaine ! Port-Royal en vue !
Jack leva la tête vers la vigie puis son regard se posa sur Elizabeth. La jeune femme était sur le pont avant, appuyée sur le bastingage, comme si elle regardait le paysage, mais on pouvait sentir à la tension de ses épaules, qu'elle était tout sauf sereine.
— Va la rejoindre...
— Elle ne veut pas de compagnie.
— Tu en es sûr ?
Jack hocha la tête.
— Elle me l'a dit ce matin, elle veut rester seule...
Gibbs grimaça. Il croisa les bras indiqua la jeune femme du menton.
— Vous avez passé la nuit ensemble ?
— Pas comme tu l'imagines.
— Oh, je n'imagine rien, Capitaine ! répliqua aussitôt Gibbs. Vous avez fait quoi ?
Jack darda un regard blasé à Gibbs qui leva les mains et soupira ensuite.
— Elle est triste de revoir Port-Royal, j'imagine, non ? dit-il.
— À ton avis, triple buse ?!
— Mais... ?
Jack tourna alors les talons et disparut dans sa cabine. Gibbs soupira bruyamment.
— Y en a un autre qui est pas content...
Il marmonna dans sa barbe puis regarda vers Monsieur Cotton, à la barre. Il lui fit signe de faire volter le navire et ordonna ensuite qu'on jette les ancres.
~
— Ils envoient du monde...
Elizabeth se crispa et ses ongles s'enfoncèrent dans le bois humide du bastingage. Anamaria l'avait rejointe et elle posa une main sur son épaule.
— Dès l'instant où je vais quitter le Pearl, je ne pourrais plus faire demi-tour, ni les empêcher de vous arrêter, dit Elizabeth en regardant, au loin, les deux chaloupes pleines de soldats qui arrivaient aussi vite que leurs quatre rames le leur permettait.
— On fera monter personne à bord, répondit Anamaria. Tu vas descendre dès qu'une chaloupe serra à portée et c'est tout. Regarde, Gibbs est déjà en train de remonter les ancres...
Elizabeth observa le vieil homme grisonnant et soupira. Une heure plus tôt, ils avaient jeté les ancres et envoyé un message au porte-drapeau du quai, comme quoi ils ne viendraient pas plus près et qu'ils devaient se débrouiller pour venir récupérer leur "colis".
— Mon père... dit soudain Elizabeth.
Anamaria regarda l'une des deux chaloupes et distingua l'un des passagers en bleu avec une grande perruque grise. Elle plissa le nez.
— Il va vouloir parler à Jack, savoir ce qu'il a pu te faire depuis que tu es à bord, etc... dit-elle.
— Il va m'envoyer dans un couvent, qu'est-ce que ça peut bien lui faire ? grogna Elizabeth.
— J'imagine que si sa fille est enceinte d'un pirate, il ne va pas trop apprécier...
Anamaria haussa les épaules et Elizabeth eut un bref sursaut puis elle inspira profondément et soudain, se rejeta en arrière et dévala l'escalier menant au pont principal. Elle disparut dans la cabine du Capitaine et Anamaria soupira.
— Tu lui a dit quoi, encore ? dit Marty en s'approchant, enroulant un cordage sur son bras.
— Rien, mais elle est à crans...
— Pas étonnant, et y a pas qu'elle, le Capitaine aussi...
Anamaria prit la corde de Marty pour l'aider et secoua la tête.
— Il va perdre la femme qu'il aime, Marty, dit-elle. J'imagine que ça mettrait n'importe qui en boule, surtout en sachant qu'elle va passer les douze prochains mois dans un couvent en Angleterre... voire plus.
Marty haussa les épaules.
— Au moins, quand on ira la récupérer, elle sera comme aujourd'hui...
Anamaria haussa un sourcil et regarda vers la cabine. Elle n'avait pas songé à ce côté de la chose. En effet, l'avantage d'être bouclée dans un couvent était qu'elle n'allait pas pouvoir rencontrer d'autres hommes, donc aucun risque pour elle de tomber amoureuse d'un autre ou soit mariée de force.
— Vu comme ça... dit-elle. Allez, tiens, va ranger ce truc...
Marty prit le rouleau de corde presque plus gros que lui et le traîna jusqu'à un coin du pont pour l'empiler avec les autres.
~
Il fallut vingt minutes aux deux chaloupes pour rejoindre le Black Pearl et pendant tout ce temps, Elizabeth resta avec Jack, à profiter des derniers instants.
— Je ne veux pas partir...
— Moi non plus je ne veux pas que vous partiez, mais c'est ce que vous avez de mieux à faire et vous le savez, répondit Jack. Nous en avons suffisamment discuté, non ?
— Oui, je sais, soupira Elizabeth.
Assise dans un fauteuil, elle sirotait une tasse de thé et Jack, un verre de Rhum. D'ordinaire, il buvait cette piquette à la bouteille, mais aujourd'hui, il fallait patienter nerveusement donc siroter du Rhum dans un verre était le meilleur moyen, d'une pour passer le temps, et de deux, pour ne pas être ivre mort devant le Gouverneur.
— Jack... ?
Jack regarda sa compagne.
— Qu'y a-t-il ?
— Vous tiendrez votre promesse ?
— Oui. À moins que le Pearl ne soit coulé ou que je sois tué d'ici là, je serais en Angleterre dans un an, vous avez ma parole.
Il regarda les papiers devant puis soupira et pivota vers la jeune femme.
— Je suis surpris que votre père soit d'accord avec ça, dit-il.
Elizabeth baissa le nez et Jack plissa les yeux. Il agita alors l'index avec un sourire étrange.
— Oh, chérie, vous ne lui avez rien dit ? dit-il sur un ton amusé.
Elizabeth sourit et se mordit la lèvre. Jack agita l'index vers elle, d'un air de dire, c'est pas bien, et Elizabeth pouffa puis croisa les bras.
— Sérieusement, vous pensez qu'il aurait accepté ? dit-il. Non, et il m'aurait envoyée ailleurs, dans un endroit où il n'y a pas d'accès à l'océan, en Suisse, sans doute !
Jack perdit son sourire et grimaça en tirant la langue.
— Les montagnes, la neige... Beurk !
Elizabeth rigola puis se leva et s'approcha du bureau. Elle vit le compas posé dans un coin et le prit. Elle l'ouvrit et l'observa un moment puis sourit.
— Il pointe vers vous... dit-elle.
— Et ça vous étonne ?
Jack l'attrapa soudain par la taille et la jeune femme poussa un cri en s'asseyant sur ses genoux.
— Vous êtes un goujat ! dit-elle, écroulée.
— Dites que vous n'aimez pas...
La jeune femme lui tira la langue. Elle se reprit soudain et baissa les yeux. Elle reposa le compas sur le bureau et s'adossa contre le meuble. Seul un petit mètre la séparait du pirate et elle joua un moment avec le revers du col de la large chemise qu'il portait aujourd'hui.
— Je vais mourir d'ennui, là-bas, dit-elle doucement. Fini les grands éclats de rire juste pour un regard, fini les jurons et les phrases mal tournées... Je vais devoir réapprendre à parler comme la bourgeoise que je suis...
— Que vous étiez, rectifia Jack.
Il joua avec un bouton du veston de la jeune femme puis lui releva le menton du bout des doigts.
— Souriez-moi, dit-il en fronçant les sourcils.
Elizabeth grimaça un rictus.
— Vous pouvez faire mieux, l'encouragea le pirate.
La jeune femme refit une tentative, mais soudain, son visage se crispa et elle fondit en larmes. Elle porta ses mains à son visage et s'écroula contre l'épaule de Jack qui l'entoura de ses bras. On toqua alors contre la porte de la cabine et Gibbs passa la tête.
— Ils sont là, dit-il. Elle est prête ?
— Laisse-nous deux minutes, répondit Jack.
Gibbs hocha la tête.
— Interdiction de monter à bord, c'est ça, Capitaine ? demanda-t-il alors.
Jack opina et Gibbs disparut. Elizabeth se redressa alors en passant ses manches sur son visage un peu rageusement. Elle regarda ensuite le plafond en soupirant puis baissa les yeux et Jack lui fit un sourire.
— Soyez forte, dit-il. Je ne pourrais sans doute pas vous donner des nouvelles souvent, mais je penserai à vous chaque fois que je regarderai la lune, Elizabeth...
— Je ferais la même chose, alors...
Elle se mordit la lèvre puis se pencha et appuya ses lèvres sur celles du pirate. C'était leur premier et dernier baiser et il avait un arrière-goût de larmes, de thé au jasmin et de rhum, mais qu'importe.
— Lizie...
La jeune femme posa son front contre celui de son compagnon et se lécha les lèvres.
— Vous allez me manquer... dit le pirate en lui caressant le visage. Quand je viendrai vous chercher...
— Je serais là... souffla la jeune femme. Je vous le promets...
Jack hocha la tête puis retourna l'embrasser, plus vivement. On se racla alors la gorge et Elizabeth brisa le baiser et tourna la tête.
— Tu viens ? demanda Anamaria. Ton père t'attend...
Elizabeth déglutit. Elle hocha la tête et regarda ensuite Jack. Elle se leva et il la suivit en gardant sa main dans la sienne. Il ne la lâcha qu'au sortir de la cabine et la jeune femme s'approcha d'Anamaria qui avait un baluchon sur l'épaule.
— Prête ?
— Non.
— Alors, on y va.
Anamaria se détourna et s'approcha d'une porte qu'on avait ouverte dans le bastingage. Elizabeth la suivit, Jack sur les talons. Quand la jeune femme se pencha par-dessus le bord du pont, et qu'elle vit son père en bas dans la chaloupe, elle ferma les yeux et se détourna, mais Jack lui barra le chemin. Ils se toisèrent un moment puis Gibbs se racla la gorge.
— Si Madame Capitaine veut bien se donner la peine... dit-il.
Elizabeth se tourna vers lui, baissa le nez, puis pivota et fit un signe à Anamaria. Celle-ci jeta le baluchon dans la chaloupe, sans un mot, puis elle tendit la main vers Elizabeth qui s'approcha.
— On se reverra, dit-elle en enlaçant son amie. Promis.
— Le Capitaine Jack Sparrow tient toujours ses promesses, souffla Ana contre l'oreille d'Elizabeth.
Celle-ci sourit puis s'écarta d'elle et s'approcha de l'échelle à flanc de bateau.
— Viens, ma fille, dit alors le Gouverneur Swann en tendant la main. Viens, rentrons à la maison...
Elizabeth opina lentement puis se retourna, regarda ses amis une dernière fois et entreprit de descendre l'échelle...
Elle avait à peine posé le pied dans la chaloupe qu'un ordre de Jack claquait en la faisant sursauter.
— Hissez les voiles ! Bordez les écoutes ! tonna-t-il de sa rude voix. Nous partons, Monsieur Gibbs !
Elizabeth trébucha et un soldat la rattrapa. La seconde suivante, les immenses voiles du Black Pearl se déployaient dans un bruit assourdissant, puis le gigantesque vaisseau s'éloigna en bousculant la chaloupe.
Elizabeth leva alors la tête vers le bastingage et son regard rencontra celui d'Anamaria. Elle forma quelques mots de ses lèvres et Ana hocha la tête. Soudain, Elizabeth s'écroula dans la chaloupe et éclata en sanglots bruyants, se couvrant la bouche de ses mains.
— Lizie, chérie, allons, je t'en prie, dit le Gouverneur.
Il tendit la main, mais la jeune femme la lui claqua vivement et le Gouverneur fut surpris. Elizabeth lui tourna alors le dos et l'homme ordonna que l'on rentrer à Port-Royal...
------------- Fin Flash Back -------------
Elizabeth rouvrit les yeux et son regard rencontra celui de la Sœur-Mère, courroucé. La jeune femme, le visage inondé de larmes, lui jeta un regard du même acabit et se redressa.
— Vous ne savez pas ce que c'est de devoir abandonner l'homme que vous aimez parce que vous êtes la fille du Gouverneur, cracha-t-elle, mauvaise. Vous ne savez même pas ce que c'est, un homme !
Elle tourna les talons en abandonnant son balai et disparut sous le regard abasourdi de la Sœur-Mère qui serra les mâchoires avant de partir de l'autre côté, rejoindre son bureau pour écrire une lettre au Gouverneur de Port-Royal...
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