Chapitre 6
— Levez-vous.
Elizabeth sursauta. Elle se redressa sur sa chaise et la Sœur qui s'approcha la prit par le bras et la fit lever.
— Vous me faites mal ! protesta aussitôt la jeune femme. Mais que se passe-t-il, enfin ? Sœur-Mère !
La Sœur-Mère venait d'entrer dans la chambre, les mains dans les manches de sa tunique. Elle les sortit alors et tendit une lettre à Elizabeth.
— Voici un courrier de votre père, dit la Sœur-Mère sur un ton mauvais. Nous devons vous libérer de vos vœux et vous renvoyer à Port-Royal.
Elizabeth tomba des nues.
— Quoi ? Mais comment ça ? Pourquoi ?
Non, non, c'est pas bon, ça ! songea-t-elle aussitôt. Si je rentre à Port-Royal, alors Jack viendra ici pour rien, il...
— Je ne sais pas pourquoi, répondit la Sœur-Mère. Faites vos bagages, vous partez ce soir.
— Ce soir ? Mais...
Mais la Sœur-Mère avait quitté la chambre et l'autre sœur s'en alla à son tour, non sans lui jeter un regard dur. Elle claqua la porte après elle et Elizabeth sursauta violemment.
— Non, non, non... dit-elle alors en se jetant sur son bureau. Non, je dois prévenir Jack, je...
Elle se figea brusquement, un crayon et une feuille dans les mains. Quelque chose venait de lui percuter l'esprit et elle ferma les yeux.
— Le compas, dit-elle. Le compas montre à Jack ce qu'il désire le plus au monde et...
Elle se renfrogna et grommela :
— Il a plutôt intérêt à ce que ce soit moi et pas ses foutues bouteilles rhum !
Elle croisa les bras, contrariée par ce retournement de situation pas prévu. Son regard se posa alors sur la lettre que la Sœur-Mère avait jetée sur le bureau. Elizabeth la prit, la déplia, mais en effet, il n'y avait rien de notable d'écrit entre les lignes. Elle ne reconnaissait certes pas l'écriture, mais son père ne rédigeait jamais ses couriers lui-même, il se contentait de les signer et la signature en bas de ce message semblait authentique...
Le Gouverneur avait-il eut vent du plan monté par Jack et Elizabeth, neuf mois en arrière ? Était-ce seulement possible ? Si oui, qui avait cafté ? Car quand ils en avaient décidé, ils étaient seuls dans la cabine de Jack...
~
Le départ d'Elizabeth se fit dans le secret le plus total. À minuit pile, la jeune femme était sur un bateau marchand de la Compagnie des Indes, peuplé d'hommes à l'air plus ou moins patibulaire malgré leurs livrées bleues impeccables.
— Pourquoi ?
La Sœur-mère regarda la jeune femme puis secoua la tête.
— Je l'ignore, répondit-elle. Sans doute votre père à-t-il eut vent de cette histoire...
— Quelle histoire ? s'étonna la jeune femme. De quoi parlez-vous ?
La religieuse regarda Elizabeth de travers.
— Ne me dites pas que vous l'ignorez ?
— Ignorer quoi ? Je n'ai aucune idée de ce dont vous parlez, je suis enfermée ici depuis neuf mois, vous avez oublié ?
La Sœur pinça la bouche, les mains dans les manches de sa tunique. On se racla soudain la gorge et elle se retourna.
— Nous allons partir, ma Sœur, dit le Capitaine du vaisseau. Si vous voulez bien vous donner la peine...
Il indiqua la passerelle et la Sœur inclina la tête. Elle se tourna ensuite vers Elizabeth et grimaça.
— Faites bon voyage, jeune enfant, dit-elle. Arrivez à Port-Royal saine et sauf et tâchez de reprendre votre vie en mains. Les pirates ne sont pas de bonnes personnes, tenez-le vous pour dit.
Elizabeth ne répondit rien. La Sœur s'en alla ensuite puis le gros vaisseau largua les amarres et se mit en route. Elizabeth fut alors conduite en soute, dans une cabine à peine aménagée et on l'a confia aux mains d'une bonne noire.
— Esclave ? demanda la jeune femme à sa bonne.
— Je n'ai pas le droit de parler à Madame, répondit la femme en baissant le nez.
Elle devait avoir environ trente ans, peut-être un peu plus, mais son visage montrait des signes de maltraitance. Elle portait une robe beige avec un tablier blanc, et un fichu grisâtre sur la tête.
— Je vous ai posé une question, vous devez y répondre, dit Elizabeth. Aidez-moi à me changer, vous voulez ?
La femme noire opina en silence et Elizabeth comprit qu'elle ne tirerait rien d'elle. Elle décida de laisser tomber. Ils en auraient pour environ un mois pour rentrer à Port-Royal. Avec un peu de chance, ils croiseraient des pirates en chemin et Elizabeth pourrait faire parvenir un message à Jack...
La situation était mal engagée. Ils allaient peut-être se croiser dans l'océan et ce n'était pas ce qui avait été prévu... C'était rageant quand même le destin se mettait en travers de votre chemin...
~
À la Baie des Naufragés, au même moment, Jack et l'équipage du Black Pearl étaient sur le point de lever les amarres à leur tour. Après avoir passé plusieurs mois en rade, Jack avait enfin décidé de prendre la route de l'Angleterre pour aller récupérer Elizabeth. Son père avait réussi à lui faire prendre conscience que cette fille faisait partie de lui, qu'il le veuille ou non, et qu'elle devait être à ses côtés pour qu'il soit un pirate complet.
— Tout est prêt, Monsieur Gibbs ?
— Oui, Capitaine. Nous pouvons appareiller.
— Nous avons la quantité de vivres et d'eau pour gagner l'Angleterre sans escale ?
— Si on rationne un peu, oui, répondit Gibbs. Mais on pourra attaquer quelques bateaux en chemin, on leur volera leurs vivres.
— Et le rhum ?
— Y a de quoi faire !
Jack opina lentement puis ordonna de lever les ancres avant de retourner dans sa cabine pour tracer la route jusqu'en Angleterre. Cependant, il ne savait pas exactement où avait été enfermée Elizabeth, il n'avait reçu aucune lettre d'elle depuis son départ et il se doutait bien que les religieuses ne la laissaient pas faire de quelle voulait...
Grimaçant, le pirate inspecta son bureau. Couvert de documents qu'il n'avait pas encore eut le temps, ou l'envie, de ranger, il cherchait un moyen de trouver Elizabeth plus facilement, et ce, sans faire courir de risques à son équipage ou à son navire.
Avisant son compas, il le prit machinalement et l'ouvrit. Depuis quelques temps, il n'indiquait plus qu'une seule direction : le nord est. Peu importe où il se trouvait, il indiquait toujours le nord est, et Jack savait que cette babiole ne mentait pas. Il indiquait ce que la personne qui l'avait dans les mains désirait le plus au monde. Et actuellement, Jack savait parfaitement que ce qu'il désirait le plus au monde, bien qu'il ait une forte envie de rhum, ce n'était pas le rhum...
~
Sur le navire de la Compagnie des Indes, cependant, Elizabeth se morfondait. Elle était très contente de quitter enfin la grisaille de l'Angleterre et le couvent, mais elle angoissait rien qu'à l'idée de retourner à Port-Royal, car elle n'avait aucune idée de ce que son père lui réservait, et surtout la raison de ce retour, alors qu'il avait juré qu'elle resterait dans un couvent pour le reste de sa vie...
— Mademoiselle Swann, le repas est servi, dit un homme en entrant dans la cabine de la jeune femme après avoir toqué.
— Je n'ai pas faim, répondit Elizabeth.
— Vous devez vous nourrir, Mademoiselle... insista l'homme. Vous ne pourrez pas tenir jusqu'à Port-Royal sans manger.
— Cela m'est égal, je veux savoir pourquoi on me rapatrie chez mon père.
— Je l'ignore, Mademoiselle...
Elizabeth serra les lèvres puis congédia l'homme qui s'en alla sans un mot.
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