Chapitre 10
Elizabeth avait regardé le Rageur quitter le port sans elle. Elle imaginait June en train de tempêter après le Capitaine pour ne rien avoir tenté, mais la jeune femme savait que ce bateau ne lui aurait rien apporté de plus.
C'était il y a une semaine maintenant et elle n'allait pas pouvoir rester plus longtemps dans sa taverne, car la paie qu'elle avait reçue pour son mois de travail sur le Rageur s'épuisait...
Elle n'avait pas revu Tzi-Yin, mais elle ne s'en portait pas plus mal. Cette jeune femme était aussi pirate qu'elle, elle n'avait qu'une langue bien pendue et un foutu caractère. Sans doute que sa mère lui passait trop de choses et lui laissait trop de libertés...
Avec un soupir, Elizabeth décida d'aller faire quelques courses. Elle avait un peu renfloué sa bourse en vendant les vêtements que June lui avait offerts, et cela lui octroyait deux semaines de plus dans la taverne. C'était peu, mais cela lui laissait le temps de se retourner, mais plus les jours passaient et plus elle sentait qu'elle devait trouver Jack... Sinon elle serait bonne pour rentrer à Port-Royal et se répandre en excuses aux pieds de son père qui, cette fois-ci, ne la laisserait plus jamais sortir...
~
— Ta monnaie, ma belle.
— Merci.
Elizabeth glissa quelques schillings dans sa bourse puis déposa trois pommes rouges dans son panier. Elle n'avait pas besoin de s'acheter de la nourriture puisqu'elle prenait ses repas dans la salle à manger de la taverne, mais elle aimait bien avoir quelque chose sous la main, le soir, pour grignoter un peu avant d'aller dormir...
S'arrêtant près d'un étal où étaient vendus des vêtements pour enfants, Elizabeth sourit. Un jour, elle ne désespérait pas, elle aurait l'occasion de s'arrêter à ce type de stand, pour acheter plutôt que regarder.
— Tu achètes, ma belle ?
Elizabeth sourit à la marchande.
— Non, dit-elle. J'admire. Tu fais toi-même ?
— Oui, tout à la main. Tiens, regarde ce petit pantalon...
Elizabeth le prit et l'observa. Impressionnée par la qualité, elle le rendit à la femme qui lui sourit.
— Tu as des enfants ? lui demanda-t-elle alors.
— Pas encore. Je viens de divorcer à vrai dire...
— Oh. Pas sympa ça. T'es pas d'ici en tous cas, ça s'entend.
— Je viens de Port-Royal, répondit Elizabeth. J'avais besoin de changer d'air.
La femme hocha la tête.
— Il y a plein de beaux gars, ici, tu devrais trouver ton bonheur bientôt. Évite les pirates, c'est tout, ce ne sont pas de bons compagnons.
— Merci, bonne journée, madame.
— À toi aussi, ma belle.
Elizabeth décocha un sourire puis s'éloigna en survolant les étals du regard. Elle s'acheta quelques biscuits et d'autres fruits, secs ceux-ci, puis elle prit la route de la taverne.
Son panier sur le bras, elle était en vue de la taverne quand soudain, une main agrippa la anse du panier et le tira brutalement. Elizabeth poussa un cri de surprise mais, pas préparée, elle fit un pas de côté et se retrouva brusquement dans une ruelle étroite entre un abri en bois et un mur de briques.
— Je n'ai pas d'argent ! dit-elle aussitôt, adossée au mur, les mains levées en protection devant son visage.
— Mais je n'ai pas l'intention de vous prendre votre argent... Madame Commodore.
Elizabeth rouvrit les yeux et déglutit bruyamment.
— Jack... souffla-t-elle.
~
— Jack... ?
Elizabeth recula d'un pas et regarda le pirate devant elle qui semblait prendre la pose. Elle sentit le mur dans son dos et se décolla aussitôt des briques poisseuses.
— Mais qu'est-ce que... ?
— Qu'est-ce que je fais là ? demanda Jack, les mains sur les hanches. Et vous donc ? La dernière fois que je vous ai vue, vous étiez à Port-Royal dans votre robe de princesse, et voilà que vous êtes ici, habillée comme un homme...
Elizabeth ne répondit rien. Elle regarda son panier serré contre elle et soudain, le pirate s'esclaffa.
— Je me disais aussi ! s'exclama-t-il. Toujours la princesse du Gouverneur !
— Non ! répliqua alors la jeune femme. Je ne...
Elle serra les lèvres puis souffla par le nez.
— Il ne sait pas que je suis ici... Je devrais faire route pour l'Espagne à l'heure qu'il est...
— Voyez-vous cela ? On a menti à papa Gouverneur ? C'est pas bien, ça, vous savez, Madame Co... Mademoiselle Swann.
Elizabeth regarda l'homme, un peu penaude, puis elle déposa son panier sur un tonneau et soupira profondément.
— Je vous cherchais, dit-elle alors.
— Moi ? chancela Jack. Vous me cherchiez ? Allons bon. Qu'ais-je fait de mal...
— La mettre enceinte, peut-être ?
Elizabeth tourna aussitôt la tête et Tzi-Yin apparut à l'entrée de la ruelle.
— Quoi ? hoqueta Jack. Jamais de la vie ! Regarde-la ! C'est une...
Il se tut et se tourna vers Elizabeth.
— À moins que...
Il se renfrogna, sembla réfléchir, et Elizabeth regarda Tzi-Yin avec dureté. Jack haussa alors les épaules.
— Peu importe, lâcha-t-il. Yinyin, rentre chez toi, ma poulette, t'as rien à faire sur les quais, t'es trop petite encore pour devenir pirate...
Elizabeth regarda la jeune fille avec étonnement. La première fois qu'elle l'avait rencontrée, elle n'avait pas vraiment porté attention à sa façon d'être, mais à présent qu'elle la voyait en plein jour, effectivement, elle n'avait rien d'une adulte.
— Mais tu es une enfant ! s'exclama Elizabeth, surprise.
— J'ai treize ans ! répliqua aussitôt Tzi-Yin en croisant les bras. Je suis pas une enfant !
Elizabeth ouvrit la bouche puis jura.
— T'es une gamine ! s'exclama-t-elle. Et ton père... Salopard !
— Mademoiselle Swann... s'offusqua aussitôt Jack en la regardant de travers. Quel langage...
— Oh, vous, fermez-la !
Jack haussa les sourcils, surpris, et Tzi-Yin regarda les deux adultes avec un sourire moqueur. Elle agita alors la main et tous deux se tournèrent vers elle.
— Rentre chez toi, toi ! s'exclamèrent-ils d'une même voix.
La jeune fille les regarda avec étonnement puis haussa les épaules et s'en alla en rigolant. Un silence s'installa alors et soudain Elizabeth, agacée, empoigna son panier et quitta la ruelle. Jack lui emboita aussitôt le pas.
— Attendez, Elizabeth ! dit-il en la rattrapant.
— Allez-vous-en, Jack, répondit-elle. Vous avez raison, je n'ai rien à faire ici, c'était stupide de défier mon père pour... ça.
Jack s'arrêta de marcher.
— Ça ?
Il la rejoignit et lui prit l'épaule pour la faire pivoter.
— Ça quoi ? demanda-t-il. Qu'est-ce qu'elle a dit la gamine ? Que vous étiez ici parce que...
— Non, soupira alors Elizabeth. Je ne suis pas enceinte, dit-elle. Mais je vous cherchais et le Capitaine du bateau qui m'a amenée ici n'a rien trouvé de mieux à faire qu'inventer cette histoire... en espérant que ça allait vous faire rappliquer.
Elizabeth dévala une volée d'escaliers et Jack la suivit de sa démarche étrange.
— Vous me cherchiez ? demanda-t-il.
— Ça suffit, allez-vous-en, je n'ai rien à faire ici, demain je prends le premier bateau pour l'Espagne.
— L'Espagne ? Mais...
Jack s'arrêta de marcher et se gratta le front. Elizabeth s'éloigna puis soudain s'arrêta en regardant en l'air. Elle soupira et pivota.
— Il y a huit mois, Capitaine Sparrow, vous débarquiez à Port Royal pour reprendre le Black Pearl, dit-elle en revenant vers lui. Et vous me sauviez la vie dans la foulée. Je ne l'ai pas oublié.
Jack pinça la bouche.
— Pas oublié... C'est bien, mais je ne suis pas sûr de comprendre où vous voulez en venir, dit-il, un peu perdu.
— J'ai menti à mon mari, j'ai menti à mon père, j'ai menti à un Capitaine de bateau, non, deux, et j'ai passé plus de trois semaines à bord d'un vaisseau marchand à faire la cuisine pour des marins grossiers. Tout ça pour quoi ? Pour vous mettre la main dessus et savoir pourquoi depuis huit mois...
Elizabeth se tut et serra les lèvres. Elle se détourna soudain et Jack leva l'index.
— Minute, dit-il. Est-ce que... Est-ce que vous...
Elizabeth souffla par le nez en regardant le sol.
— Je ne sais pas, dit-elle alors en s'asseyant sur un bout de mur effrité recouvert de lierre. Je voulais vous retrouver pour le savoir, pour savoir si...
La jeune femme déglutit et secoua la tête.
— Si vous ne parvenez même pas à le dire, alors c'est que ce n'est pas ça, dit Jack en se penchant vers elle. Même si ça me plairait assez, je dois avouer...
Elizabeth le regarda et haussa les épaules.
— Je suis une bourgeoise, dit-elle. On nous interdit de montrer nos sentiments, nous devons en rester maîtres en toutes circonstances, et cela va de la colère à la peur en passant par l'affection...
Sparrow plissa les yeux. Il soupira alors profondément.
— Ah là, là... Elizabeth Swann... Sauvée de la noyade par un forban mal élevé et ivre comme une outre, mais qui, contrairement à un certain Commodore, sait nager...
Elizabeth le regarda et Jack haussa un sourcil.
— Bon, dit-il alors. Faut vous ramener à Port-Royal ou pas ?
Elizabeth plissa le nez.
— Vous restez ici longtemps, vous ? demanda-t-elle plutôt.
— Je ne sais pas trop, deux ou trois semaines, le temps que les gars se reposent et que je fasse réparer quelques trous dans le Pearl... Pourquoi ?
Jack esquissa alors un sourire et se pencha vers Elizabeth qui eut un mouvement de recul.
— Vous voudriez savoir si la raison pour laquelle vous avez traversé les Caraïbes est réelle ou pas ? roucoula-t-il. Ma chère Mademoiselle Swann, ajouta-t-il en se redressant. Les femmes ne sont pas bien vues sur les bateaux, elles porteraient malheur, dit-on, mais j'estime que j'ai déjà eu mon lot de malheurs pour toute une vie, alors si vous le voulez...
Il recula de quelques pas, se pencha dans un révérence plutôt réussie en tendant le bras droit vers le port. Elizabeth ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Elle se mordit la lèvre et soudain, un éclat de voix se fit entendre au bout de la rue.
— Eh, toi ! Pirate ! Ne bouge pas !
Quatre soldats en tunique rouge et blanche se mirent à courir dans la direction des deux jeunes gens.
— Oups ! Je dois filer, dit Jack. À demain, beauté !
Et il fila ventre à terre en tenant son chapeau d'une main, agitant l'autre bras de façon comique. Elizabeth le regarda renverser un baril de poissons puis sauter par-dessus des enfants en train de jouer aux billes, et elle rigola. Elle se mordit ensuite la lèvre et secoua la tête.
Quelque chose lui disait que les prochaines semaines à bord du Pearl allaient être intéressantes...
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