Rachele

Je scrute l'elfe noir qui observe scrupuleusement mes réactions. Tente-t-il de m'analyser ? De juger jusqu'à quel point je peux encaisser ? L'étrange sensation qu'il peut lire en moi, et sonder mon âme, m'octroie un frémissement sans pour autant que cela soit désagréable.

— Lors de sa visite, Jacob était conscient du risque qu'il prenait, commence-t-il. Vous le savez, tuer un membre de sa famille n'est pas quelque chose d'anodin pour un incube. L'état dans lequel il se trouve au moment où nous parlons est une sorte de monde bloqué entre la vie et la mort. Une punition pour avoir brisé un lien trop puissant.

— Il est donc en vie ? m'empressé-je de demander.

— À vrai dire, même s'il n'est plus de votre monde, son âme ne peut pas mourir. Néanmoins, vous devez garder à l'esprit qu'il ne reviendra peut-être jamais.

Voyant mon visage blanchir au fur et à mesure de ses paroles, le roi s'empresse d'ajouter :

— Je ne suis pas aussi défaitiste concernant le cas de notre ami. Je doute que Dionyssan laisse l'âme de son fils le plus précieux souffrir une éternité. Toutefois, je ne peux garantir son réveil avant que votre condition d'humaine ne vous sépare définitivement.

Une douleur intense explose dans ma poitrine, mais je fige mes traits. Je ne dois pas craquer devant cette créature que je ne connais de nulle part. Bien que Samuel ait tenté de me rassurer, je préfère rester sur mes gardes.

— J'imagine que vous n'êtes pas venu jusqu'ici pour me dire cela ?

Une nouvelle fois, ce sourire indéchiffrable se dessine sur ses lèvres.

— Vous êtes le type de personnalité que l'on ne soupçonne pas, me dit-il alors. Vous paraissez faible et irréfléchie, mais c'est tout le contraire n'est-ce pas ? Vos émotions sont certes puissantes, mais votre résilience l'est en conséquence. Vous êtes le genre à être dictée par votre cœur, ce qui vous rend quelque peu naïve, bien que votre intelligence soit incontestable. Je comprends pourquoi ils vous ont choisi.

Advar me met à nue tandis que mes yeux continuent de fixer ceux du roi.

— Vous avez éveillé ma curiosité avec votre discours, quelle est la finalité de votre présence ici, Advar Mynderilgol, roi des elfes noirs ?

— En vérité, Jacob ne m'a pas seulement demandé de veiller sur vous. Son souhait est que vous puissiez vous retrouver au-delà des ténèbres d'aujourd'hui.

— Vous avez un moyen de le réveiller ?

L'espoir dans ma voix ressemble à une supplique, mais Advar le brise aussi vite qu'il est venu.

— Je ne peux malheureusement pas faire cela, en revanche, je vous propose un autre miracle potentiel.

Face à sa réponse, mon cœur se serre violemment.

— Au cours de mes nombreuses années de vie, j'ai appris des savoirs que beaucoup aimeraient m'arracher, sans y parvenir. L'un de ces secrets est la possibilité d'une vie éternelle.

— Une possible vie éternelle ?

— C'est une décoction que seuls les elfes noirs de la lignée royale peuvent préparer parce que nous sommes l'unique créature à posséder la vision permettant de trouver les ingrédients. Ce mélange est fait avec des herbes d'une extrême fragilité et d'une rareté encore plus poussée, néanmoins, je suis un homme de ressources.

Il sort une petite fiole en argent de sa longue capte sombre et la pose devant moi. Déroutée par ses paroles, je ne peux que fixer le précieux objet.

— Dans cette fiole, il y a assez de préparation pour une seule personne. Si vous choisissez de la boire, alors vous aurez une chance de posséder une vie éternelle vous permettant d'un jour retrouver l'amour de votre vie.

— Et si ce n'est pas le cas ?

— En être digne ou mourir c'est là qu'est le questionnement. Si les forces de l'univers estiment que vous le méritez, que l'équilibre en dépend, vous renaîtrez en quelques jours. Si à l'inverse, l'équilibre décide que votre existence ne vaut pas une éternité, vous trépasserez dans le même temps.

Je n'ose saisir le précieux liquide qui se trouve devant moi. Mon esprit s'embrouille. Cette fiole renferme ce dont toute personne rêverait de posséder, mais je doute que ce cadeau soit sans prix.

— Si je le prends, au-delà de l'immortalité, quelles seront les conséquences ?

— D'après les légendes, si l'univers décide de vous accorder ce don, vous muterez en fée. Un afflux de magie s'emparera de vos veines, en revanche, je ne peux prédire de quel type elle sera. La probabilité que vous vous changiez en une créature hideuse est à envisager.

Le doute, la peur, l'envie, tout se mélange en moi à l'image d'un ouragan d'émotion. Je suis balayé par de violentes rafales de sentiments, si bien que je me retiens de fuir à toutes jambes la pièce. Mais je me suis promis de me battre jusqu'au bout. Au final, la question n'est-elle pas quelle émotion dominera les autres ? Si l'amour est plus fort que tout, cette fiole est peut-être ma seule chance d'être de nouveau réunie avec celui pour qui mon cœur bat.

Lentement, je me penche pour attraper la potion, puis me lève. Les elfes noirs ne semblent pas préoccupés de mon comportement et me suivent à travers le couloir. Au moment où je pénètre dans la salle à manger, tous les regards se tournent vers moi. Un à un, j'observe avec attention les personnes présentes en tentant de maitriser mes tremblements. Edward, Xyu, Maxence, Kyle, Tyler, Samuel, Mina. Puis, je débouche l'opercule et avale le contenu.

Comprenant ce que je suis en train de faire, Mina se lève pour m'en empêcher, mais il est trop tard. Au moment où la dernière goutte entre en contact avec mes lèvres, ma gorge prend feu. Un hurlement résonne alors dans les murs. Les elfes forment ensuite un cercle protecteur autour de moi, levant leurs longues capes noires et récitant des paroles incompréhensibles. Mon corps semble possédé par les flammes pendant que j'essaie désespérément de survivre. Je n'ai jamais prétendu être digne de boire cette fiole, mais comme dans les contes de fées, j'ai choisi de tenter le tout pour le tout pour avoir une chance de retrouver celui que j'aime.

Petit à petit, ma vision se trouble, mes yeux pleurent, mes hurlements deviennent des sons étouffés. Le poison se répand dans mes veines à une vitesse fulgurante. Chaque cellule de mon corps brûle, se déchire, mute. Je supplie pour que ma torture s'arrête, mais le chant des elfes continue de résonner au loin. La souffrance bloque ma respiration m'empêchant de retrouver le peu d'air que j'arrivais à aspirer. Prisonnière d'un tourbillon d'horreur, je perds l'esprit face aux supplices dont je suis victime, puis sombre dans un douloureux néant, une dernière larme comme témoin de ce que j'ai pensé bon de faire. Il faut croire que je n'étais finalement pas digne de recevoir ce cadeau.

Quelques jours plus tard

Après des heures, des jours de supplices répétés et ininterrompus, je peux enfin regarder mon visage dans le miroir. Mina demeure en retrait, attendant que j'accepte les changements qui se sont opérés en moi. Le roi des elfes a veillé à mon chevet nuit et jour, rassurant mes amis quant à ma condition. Il leur a avoué n'avoir eu aucun doute sur le fait que la fortune me sourirait.

Mes yeux parcourent le reflet dans le miroir. Je suis soulagée de voir que les traits de ma figure sont restés les mêmes en dépit des changements qui se sont effectués. Ma peau, devenue lisse, sans imperfection, est plus rosée qu'avant. Mes cheveux ont poussé jusqu'au creux de mes reins et ont pris une couleur noir corbeau. Mon corps semble plus musclé, plus résistant. Sans parler de mes yeux qui ont à présent une teinte vert émeraude. Toutefois, ce qui m'intrigue le plus, ce sont les tatouages pailletés qui recouvrent mes bras, le côté droit de mon cou ainsi que celui de mon visage.

D'après Advar, je me suis transformée en une créature qui est loin d'être commune. J'ai muté en une espèce de fée des plus rares appelée Kirameki. Mélangeant à la fois les magies obscures et lumières, ainsi que celle des éléments, elles ont longtemps été chassées par peur de leurs trop grandes capacités.

— Crois-tu qu'Advar acceptera de m'emmener voir les autres Kirameki ?

— Il faudra bien que tu apprennes à maitriser tes nouveaux pouvoirs ! s'écrie Mina, des étoiles dans les yeux. Et accessoirement, il faudraque tu saches comment cacher ses magnifiques tatouages au reste de lapopulation mondiale... Je ne voudrais pas avoir à te défendre contre deslaboratoires mal intentionnés.