Chapitre 67 - Jacob
Jacob
— Tu es sûre que c'est là ? demandé-je à Maxence.
Mon ami acquiesce en silence. Dans la voiture, une tension grandissante s'empare de mes hommes devant l'immeuble de sept étages, rempli de bureaux. En apparence, le bâtiment ressemble à n'importe quelle société. Des baies vitrées tapissent les façades de la tour rectangulaire, des logos avec le nom « Madov » sont inscrits un peu partout, et des affiches de leur prochain produit sont visibles à l'entrée.
— N'est-ce pas bizarre de se cacher dans les locaux d'une compagnie ? s'interroge Kyle.
— On nous a peut-être volontairement amenés ici, lance Xyu.
Il est même fort probable que ce ne soit pas Maxence qui est trouvé le signal, mais que nos ennemis aient fait en sorte de le lui envoyer. Je passe mon index sur mes lèvres en tentant de percer leurs pensées. Est-ce la marionnette ou le marionnettiste qui veut cette rencontre ?
Mes hommes attendent mes ordres. Entrer et affronter ce que l'on nous a si minutieusement préparé, ou rebrousser chemin et continuer à chercher. En dépit des risques, mon choix est vite fait. Peu importe ce qui se trouve derrière ces murs, fuir n'est pas une option. La haine qui m'anime prend le dessus. Je veux du sang, je veux de la souffrance. J'ai besoin de voir mon ennemi agoniser sous mes idées tordues. Le serpent qui rampe sous ma peau est impatient d'enfin jouer avec ses proies. Chacune de mes cellules inspire la destruction et engendre une brûlure à la fois piquante et agréable.
— Tu penses que c'est un piège ? s'enquiert finalement Tyler.
— Assurément, je réponds.
Mon ami me lance un regard curieux et je ne peux l'en blâmer. Je nous projette dans la gueule du loup en espérant pouvoir le tuer de l'intérieur. Roman ne s'est pas caché autant de temps pour se montrer sur nos radars aussi naïvement. Lui ou Richard veut, à l'évidence, cette confrontation. Leur but est sans nul doute de me piéger une nouvelle fois pour m'éliminer définitivement de la partie. Néanmoins, il oublie à quel point je suis doué à ce genre de jeux macabres. Je n'ai aucune limite.
— Tu penses que nous sommes parés ? continue Samuel.
— Te sens-tu prêt Sam ? demandé-je en retour.
Mon ami et bras droit semble réfléchir intensément à la question. Songe-t-il à ma sœur ? Tout comme Rachele ne peut quitter mon esprit, le parfum et le regard de ma cadette doivent le hanter.
— Je n'ai jamais été aussi prêt.
J'acquiesce silencieusement en agitant le menton avant d'ouvrir la porte pour descendre. À l'instant où je pose un pied à terre, je sais que je ne peux plus faire demi-tour. Soit mes hommes et moi mourrons, soit nous gagnons, mais quoi qu'il arrive, tout le monde ne ressortira pas vivant de ce bâtiment.
Je m'avance vers l'entrée tout en observant les alentours. Comme si un dôme nous recouvrait, il n'y a aucun signe de vie. Pas de lumière, pas de bruits d'animaux, pas d'humains, pas de circulation. Nous sommes seuls dans la pénombre à tenter de distinguer les volontés de ceux qui nous provoquent. Devant la porte, je souris en découvrant un joli message.
« Et alors que le roi ordonne l'exécution du félon, la foule hurle de joie en acclamant celui qui deviendra un dieu vivant ».
Un rire m'échappe. C'est donc ça, une mise à mort ? Pensent-ils que ce sera aussi facile ? Loin d'être impressionné, j'actionne la poignée et pénètre dans l'arène. Aussitôt, je remarque un fléchage qui nous dirige vers l'ascenseur. Ils n'ont pas fait les choses à moitié. Je m'arrête et me retourne vers mes hommes.
— Maxence, rebrousse chemin à la voiture, prépare-toi pour le moment où l'on ressortira. Xyu, Edward, restez ici pour surveiller les alentours et aider Maxence en cas de soucis.
Les trois gaillards acquiescent malgré l'inquiétude dans leurs pupilles. Le danger est palpable, mais je suis capable de sentir l'odeur de la peur derrière toute cette mise en scène. Ceux qui se cachent ne sont pas sereins. S'ils ont l'avantage de la position, ils sont sans doute terrorisés à l'idée de n'avoir que ça. Quelques armes en plus peut-être ? Quel manque de chance que nous soyons des créatures puissantes doublées de gangsters reconnus !
Je rassure mes hommes d'un regard avant de continuer à suivre les flèches, accompagné de Samuel, Tyler et Kyle, jusqu'au monte-charge. À l'instant même où nous nous arrêtons devant, les portes s'ouvrent. Quelle charmante attention !
Je vois alors, accroché au fond de la boîte en métal, une nouvelle note.
« Six incubes ont été désignés comme dignes de Dionyssan. Néanmoins, il en existait un septième. Abandonné et mis de côté à cause de sa fragilité, il a juré de se venger de chacun d'eux. Connais-tu le nom de cet être faiblard ? »
— Je rêve ou il nous pose des devinettes maintenant ? s'écrie Tyler. Les phrases théâtrales ne suffisaient pas ?
J'entends mes amis débattre, mais la sensation d'être observé me fait oublier leur conversation. Mes mains froissent le petit bout de papier. De notre réponse dépend la suite des évènements, mais je n'ai pas besoin d'aller plus loin pour comprendre de qui vient ce jeu malsain.
« Émanaël... », me chuchote alors la voix lugubre.
— J'aurais dû m'en douter, m'exclamé-je à haute voix. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ?
Aussitôt, les trois hommes autour de moi se taisent. À peine remis de ma découverte, je me sens obligé de raconter cette histoire pour le moins amusante tandis que mon regard remonte jusqu'à la caméra.
— Depuis des milliers d'années, les récits racontent la naissance des six incubes, fils directs de Dionyssan, profanateurs du monde de Reian, puissance incontestée des ténèbres. Depuis vingt-huit ans, les créatures de la nuit chuchotent la venue de l'un d'eux ici-bas. Moi, Azakiel. Mais, comme dans toutes les histoires, certains faits ont été légèrement modifiés. Comme écrit sur ce papier, Dionyssan a engendré sept incubes pour le servir et non six, continué-je tout en fixant l'objectif. Un pour chaque péché décrété par Reian. Cela dit, sur ces sept enfants, il en est un qui, à cause de la nature de sa mère, est né différent. Chétif, faible, et avec bien moins de capacités que les autres. Tous pensaient qu'il allait succomber avant sa première année, mais contre toute attente, il a survécu.
Je n'ai pas besoin de voir l'homme qui nous observe pour sentir sa colère. Mes mots le touchent autant qu'il veut les entendre. Lentement, les parois se referment, puis l'ascenseur se met alors à descendre. Le sous-sol vers lequel nous conduit notre hôte n'est pas accessible depuis les boutons, ce qui ne m'étonne guère du lieu.
— Alors, il y a un autre incube sur Terre ? murmure Tyler.
Je secoue la tête.
— Émanaël n'est pas un incube. Fils de goule, il est né gargouille.
— La gargouille maudite..., s'exclame-t-il.
Au moment où ils deviennent l'identité de notre hôte, les portes s'ouvrent de nouveau. L'odeur de la haine et de la peur s'enveniment. Je me retourne, lâchant la caméra des yeux et reporte mon regard sur le long couloir qui s'allonge devant nous. J'ose un premier pas hors de la boîte de métal puis un deuxième avant d'être suivi par Sam, Tyler et Kyle. Nous avançons sur nos gardes jusqu'au bout où une dernière énigme nous sépare de notre ennemi.
« En dépit de sa condition, Émanaël a chéri ses frères, pourtant l'un d'eux a sempiternellement aimé s'en prendre au pauvre garçon. Quel est le nom de ce parent qui n'a pas hésité à marcher sur le plus petit ? »
Un sourire se dessine sur mes lèvres. Cette ultime anecdote confirme ce que j'anticipais depuis le début. En effet, dans la légende, le frère né juste avant Émanaël a toujours été décrit comme le plus prometteur. Il est celui avec les capacités les plus développées grâce à la parfaite symbiose entre la mère et le père, mais également celui avec l'âme la plus malicieuse. Il n'est donc pas difficile d'imaginer ce jeune incube taquiner son cadet chétif.
— Le sixième frère, né d'une elfe noir, qui martyrisait le plus petit, se nommait Azakiel.
Un clic, un grincement, et la dernièrebarrière entre moi et mon ennemi s'entrouvre.
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