Jacob

Accoudé sur l'une des tables du café en face du musée, je m'esclaffe en lisant le dernier message de Rachele. J'avais envie de savoir si mon charme agissait toujours auprès de la jolie demoiselle et bien c'est chose faite ! Sa réaction veut me laisser croire qu'elle est indifférente à ma sortie de prison, mais je ne suis pas dupe. On n'apprend pas au démon à tromper son adversaire. Ses sourcils froncés et le mordillement de sa lippe inférieure m'indiquent qu'elle se souvient de tous nos moments fiévreux. J'ai été sage, mais je n'ai pu résister à la goûter du bout des lèvres. Surtout cette nuit-là. A-t-elle aussi gardé en mémoire notre rencontre lors de cette fameuse partie de ouija ? Ma sœur ne pouvait pas me refuser ça alors qu'elle me mettait une énergie si rare sous le nez. Chaque humain en possède une. Plus ou moins sombre. Plus ou moins savoureuse. Plus ou moins puissante. Pour nous, incubes, c'est comme se préparer à déguster un repas sans en connaître la saveur. Certaines seront salées, d'autres sucrées, parfois amères. Chacun de nous à sa préférence et ça nous rassasie bien plus que de la nourriture humaine. Ça nous rend plus fort, presque invincible. D'aussi loin que je me souvienne, celle de Rachele est la plus brillante qu'il m'ait été donné de voir, la plus douce qu'il m'ait été donné de savourer. Si je devais donner un aliment qui s'en rapproche, je dirais le plus délicieux des chocolats au lait.

Un sourire aux lèvres, je jette un nouveau coup d'œil à ma nouvelle colocataire. D'après ce que je peux observer, elle n'a pas accepté notre cohabitation de gaité de cœur. Mina lui a-t-elle forcé la main ? Ma sœur peut se montrer très persuasive quand elle veut, mais je doute qu'elle l'ait obligée. Rachele a dû être touchée par la détresse de son amie. C'est assez courageux de sa part de dépasser sa peur et ses aprioris pour venir en aide à Mina. Je serais presque ému ! Cependant, je ne compte pas m'éterniser chez cette jolie demoiselle aux formes parfaites. Je compte bien regagner tout ce que mon père m'a pris. Ce bougre a été assez fou pour me voler mes richesses.

Grave erreur.

Même chez les criminels, il y a des règles à respecter. Il va sans dire que mon paternel en a enfreint un certain nombre. Et bien évidemment, je me suis promis de le lui faire payer en temps voulu. Je peux tolérer quelques frasques, mais il est allé beaucoup trop loin. La dernière chose à faire est de prendre son or à un incube. On a la rancune tenace, la colère facile et on est aussi pingre qu'un dragon. Voler une pièce, c'est perdre la main qui l'a prise. Pour sûr, le tuer m'est impossible pour l'instant, néanmoins, j'ai quelques idées de tortures intéressantes. J'ai dit que les incubes étaient faibles face à ceux qui partagent son sang, mais plus le temps passe et plus l'idée d'arracher la tête de mon géniteur me paraît tentante.

En sirotant les dernières goûtent de mon cappuccino, j'observe une dernière fois Rachele qui emmène un groupe de visiteurs. Qu'elle ait choisi cette voie ne me surprend pas. Combien de fois a-t-elle sauvé Mina d'une note négative en histoire et en biologie ? En plus d'être avenante, elle a toujours aimé aider et partager. C'est ce qui fait de cette colocation un acte encore plus absurde qu'il ne l'est déjà. Mettre un incube à l'âme aussi noire que l'ébène au même endroit qu'une colombe à l'âme pure. Un coup du destin ? Dionyssan testerait-il ma résistance face aux plus belles œuvres de Reian ?

Tout à coup, les vibrations de mon téléphone sonnent la fin de mon petit jeu. Conscient que l'aiguille du temps ne s'arrête pas, je me lève sans bruit et rabats la capuche de mon sweat. Observer ma future colocataire réagir à mes provocations est distrayant, mais j'ai une vengeance à exécuter. Un rendez-vous m'attend deux rues plus loin avec un informateur censé me fournir des informations sur ce chacal de Roman.