Jacob

Après deux semaines à m'inquiéter sans relâche pour ma petite sœur, je peux enfin apaiser mon angoisse. Si Tyler n'avait pas été là, je l'aurais peut-être perdue. Heureusement, mon ami a rapidement utilisé une grande quantité de magie pour l'empêcher de se vider de son sang et réparer les organes touchés. Nos pouvoirs couplés à ses origines robustes ont permis de la sortir d'affaire. Si cet évènement m'a laissé silencieux, dans l'ombre, pendant plusieurs jours, il a en revanche renforcé ma haine et mon envie d'en finir. Si Richard et Roman me l'avaient arrachée, ils auraient certainement déclenché la fin de ce monde.

Je savais que tôt ou tard, les traîtres se révèleraient. Notre changement de position indiquait une faiblesse, le meilleur moment pour frapper. J'avais donc chargé un démon de veiller sur Mina et Rachele et de me prévenir au moindre mouvement suspect, ce qu'il a fait. Je dois avouer que Richard a pensé à tout, même à glisser certains de ses adeptes dans nos rangs.

Avec discrétion, j'utilise les ombres pour fendre la foule en délire, cacher sous ma capuche noire. Je suis chacun de ses mouvements. Il sait certainement que je suis sur ses pas, pourtant, il est trop sûr de lui. Une aubaine pour le chasseur que je suis. S'il y a bien une chose que la vie m'a apprise, c'est que peu importe notre force et notre pouvoir, il est toujours primordial de ne pas oublier de jeter un regard en arrière.

Le public l'acclame, persuadé qu'il sera un dirigeant honorable. Mais comment peut-il guider dignement une nation alors qu'il y a deux semaines à peine, j'ai sauvé sa propre fille d'un piège qu'il a lui-même tendu ? Comment peut-il prétendre s'inquiéter du sort des hommes alors qu'il nous a sciemment livrés en sacrifice pour acquérir encore plus de privilèges ? Il n'est pas près de moi, mais je peux sentir l'odeur putride d'un démon pourri de l'intérieur. Richard Natan paierait-il de sa chair sa trahison envers le roi des ténèbres ?

J'esquisse une mine de dégoût en le voyant afficher un sourire charmeur sur ses lèvres. Amuse-toi tant que tu le peux, mais n'oublie pas que ta mort est proche... J'ai eu pitié de lui, j'ai espéré qu'il prenne soin de sa famille comme l'on fait chaque descendant depuis le commencement. Mais Richard est différent des Natan qui l'ont précédé. Son but n'a pas été de rétablir l'équilibre dans un monde chamboulé par le désordre entre les diverses forces, ni de défendre les nôtres torturés par les humains, mais de s'enrichir. Quitte à détruire ses enfants et mettre en péril la balance de tout un univers. Le bien ne peut exister sans le mal. Ces notions sont indissociables même si la noirceur possède le mauvais rôle. Sans horreur, la beauté ne serait pas si exceptionnelle.

Je me remémore le corps ensanglanté de ma sœur en plus du petit corps frêle de Rachele si bien que je dois me contrôler pour ne pas sauter sur cette voiture et arracher les yeux de celui qui fut autrefois mon père.

Je me déplace entre les corps. Personne ne me voit, personne ne m'entend, je suis invisible à l'oeil des humains autour de moi en dépit des émotions plus que féroces qui émanent de mon être. J'ai conscience que je ne peux pas tuer Richard maintenant. Il y a trop de témoins, trop de soldats, cela serait bien trop imprudent de ma part.

Alors pourquoi suis-je ici ?

Pour lui donner un avertissement. Je veux qu'il sache que ses jours sont comptés. Je veux qu'il s'attende à ma venue. Une mort rapide et facile ne pourrait pas suffire à satisfaire mon besoin de vengeance. Je veux qu'il se prépare, ma victoire n'en sera que plus délicieuse. Ses yeux sondent le peuple à ma recherche, j'ai conscience qu'il me sent. Cependant, je veille à ne pas me montrer.

Avec agilité, je me glisse dans une petite ruelle. Richard est informé de ce que je lui réserve, m'attarder ici pourrait me desservir. Je traverse le dédale jusqu'à déboucher sur une rue beaucoup moins animée. Ma capuche noire toujours sur ma tête afin de couvrir mon visage, je monte dans la voiture au moteur ronronnant garée près de moi.

— Tu t'es bien amusé à ce meeting politique ennuyeux ? me demande Edward en s'écartant de la chaussée.

— Disons que même une brosse à reluire serait plus charismatique.

Mon ami s'esclaffe à haute voix.

— Je dois avouer que je préfère faire partie de tes amis plutôt que de tes ennemis, mon cher Jacob.

Bientôt, tous ceux qui ont osé s'en prendre à moi mourront et je serai craint de tous les autres. Il ne peut rester qu'un vainqueur. Je n'ai pas l'intention de leur laisser ce privilège. J'écraserai chaque fou qui aura l'audace de se mettre sur mon chemin. J'enverrai en martyr chaque âme perdue prête à se sacrifier pour mes adversaires. Je brûlerai chaque part de leur empire comme une coulée de lave ardente. Si je dois retourner en enfer, je veillerai à ne pas y aller seul.

J'imagine un nombre incalculable de scénarios, à chaque fois en les achevant de manière lente et douloureuse. Un frisson de plaisir me parcourt en entrevoyant ma lame déchirer leur peau morceau par morceau. Cette peau immaculée qui au fur et à mesure des tortures se tache de rouge. Mon sexe se dressait presque en visualisant leurs os craqués sous mes coups.

J'imagine les dépecer avec paresse pour étirer à l'infini leur agonie, puis m'arrêter en les entendant supplier pour recommencer ensuite. Sentir leur épiderme se soulever et leurs chairs à vif se dissoudre.

— Et tu as bien raison, murmuré-je.