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Chapitre 44.1 - Rachele

Rachele

Passant outre sa mauvaise blague, j'avale une deuxième bouchée. Il s'accoude ensuite au plan de travail puis me regarde, un verre de whisky à la main, en attendant que je pose la question qui me démange depuis cette fameuse nuit. De l'alcool fort aussi tôt le matin, un élément de plus qui fait de lui un homme pas comme les autres. Je prends le temps de chercher les mots adéquats avant de me lancer, mais rien ne me convient. Je choisis donc de le dire aussi simplement que ça me vient.

— Explique-moi ce que tu es, d'où tu viens.

Ma voix est presque un murmure tant la réponse me terrifie. Lui, contrairement à moi, ne semble pas perturbé par mes questions et reste serein lorsqu'il me répond. Seul son regard se perd dans la contemplation du liquide ambré entre ses mains.

— Chaque univers, chaque monde, est régi par des énergies qui s'efforcent de maintenir l'équilibre. Même le plus redoutable des démons ne peut pas lutter contre ce que l'on appelle communément « le destin ». Aucun dieu ne peut aller à l'encontre de toutes ces mystérieuses puissances qui nous gouvernent. Il y a des règles que nul ne peut briser. Cela dit, rien n'empêche de s'amuser.

— De s'amuser ?

Il m'offre un sourire en coin, une lueur espiègle dans les yeux.

— Connais-tu l'histoire des jumeaux du commencement ?

Je secoue la tête par la négative.

— Il existe une théorie qui dit que chaque énergie possède une jumelle. Une âme sœur de la même puissance, mais de couleur opposée, reprend-il en se plongeant à nouveau dans l'océan brun. Dans ma langue, on les appelle « Liin ». C'est ce que sont Reian et Dionyssan. Des jumeaux nés d'un même rayonnement cosmique, des Liin très puissants qui ont atterri sur Terre après une tempête solaire. Pour t'aider à comprendre, tu peux les imaginer à l'égal des dieux grecs.

Passionnée, je sirote mon jus en l'écoutant.

— On a peu de détails sur ce qui a conduit ces deux Liins à se battre l'un contre l'autre, mais au fil du temps, des discordes ont commencé à naître. Beaucoup pensent que le point de non-retour a été la création des espèces. Dionyssan était pour l'émergence d'êtres particuliers, capables de manipuler les énergies. Reian, lui, était totalement contre. Il disait que cela risquait de créer du désordre, qu'avec le temps, ses « enfants » pourraient essayer de les évincer. Il a préféré créer l'humanité. On dit que de l'amour à la haine, il n'y a qu'un pas. C'est on ne peut plus vrai, mais il faut savoir que les énergies jumelles sont vouées à se trouver. Si l'une disparaît, l'autre aussi. Elles peuvent vivre dans deux dimensions différentes, rester éloignées une éternité, mais tant qu'une infime partie de l'une existe, l'autre demeure.

Il boit une gorgée de Whisky avant de continuer.

— Aussi ironique que cela puisse paraître, Reian et Dionyssan sont devenus des ennemis incapables d'exister l'un sans l'autre. Suivant leurs instincts, chacun a commencé à donner vie à ses créations. Quand pour l'un c'était un homme, pour l'autre c'était un démon. Quand pour l'un c'était une jument, pour l'autre, c'était une licorne.

— Et j'imagine que si on en est là, c'est parce que rien ne s'est passé comme prévu ?

— Bravo Sherlock ! Tu as trouvé ça toute seule ? se moque-t-il.

Je lève les yeux au ciel, ce qui le fait rire.

— En effet, reprend-il. Les êtres particuliers de Dionyssan et les humains de Reian ont commencé à se mélanger. Certains ont croisé le fer, d'autres ont choisi d'enfanter. Des forces imprévisibles venaient rétablir l'équilibre. Les deux frères ont tout fait pour séparer les deux camps, mais, en voyant les échecs s'accumuler, ils ont changé de tactique. Puisque les énergies du destin en avaient décidé ainsi, ils étaient contraints d'abdiquer. En revanche, ils pouvaient se venger de l'autre en lui prenant ce qu'il avait de plus cher. Puisqu'un retour en arrière était impossible, plus aucun d'eux ne trouverait la paix.

Il boit une nouvelle gorgée et l'envie de lécher ses lèvres humides me passe par la tête.

— Sont apparus alors, les fils de Reian. Humains nés avec des sens aiguisés et une certaine immunité à nos pouvoirs, ils sont capables de détecter la moindre essence magique et sont missionnés pour les détruire. Reian a fait en sorte que la particularité des fils de Dionyssan devienne leur faiblesse. Quant à Dionyssan, il a choisi d'attaquer les humains de l'intérieur en utilisant leurs esprits et leurs cœurs. Au-delà de simplement déverser ses créations sur les hommes, il a choisi une manière un peu plus vicieuse de pénétrer leurs rangs.

— En volant leurs âmes, murmuré-je.

Le regard entendu qu'il me lance me fait froid dans le dos. Les poils de mes bras se hérissent tandis qu'un long frémissement parcourt mon corps.

— Pour l'aider dans sa quête, Dionyssan a mis au monde six incubes, ses bras droits. Un pour chaque péché décrété par Reian. Des démons dotés d'une force supérieure à toutes les autres. Plus puissante que n'importe laquelle de ses créations, il a fait d'eux des commandants capables de manipuler les désirs humains les plus profonds. Homme ou créature, aucun psychique ne leur résiste hormis celui des elfes noirs, ces êtres destinés à maintenir l'équilibre. Ils se nourrissent de ce qu'il y a de plus pur : l'énergie. Celle-là même qui régit le monde.

— Ça ne doit pas être une partie de plaisir de se retrouver face à eux, dis-je la gorge nouée.

Un sourire espiègle se dessine sur ses lèvres charnues.

— En effet. On dit que les cauchemars qu'ils projettent peuvent pousser au suicide le plus heureux des hommes. Que leur force équivaut celle de vingt humains ! Sans parler du fait que tout chez eux a été pensé pour séduire. D'un simple parfum à la couleur des yeux, tout est étudié pour que la victime vienne de son plein gré se faire dévorer.

— Joyeux !

La main tremblante, je tente de faire comme si ces mots ne m'atteignaient pas, mais savoir que de telles créatures existent me glace le sang.

— Aussi étrange que cela puisse paraître, tous les humains ne souhaitaient pas voir les enfants de Dionyssan disparaître. Certaines grandes familles, telles que la mienne, ont fait le choix de rejoindre Dionyssan dans sa quête pour lutter contre Reian. Ils ont donc fait un pacte avec le roi des démons. Chaque premier né garçon se verrait attribuer un être particulier selon son énergie vitale. En échange, ils devenaient son armée.

— Comme toi.

Jacob acquiesce d'un signe de la tête. Cela dit, la note maline qui traverse ses yeux m'inquiète quant à la nature de celui qui lui a été donné.

— Il y a un peu plus de vingt-huit ans, quand je suis né, mon père a offert ma vie à Dionyssan. Ce dernier m'a lié à un démon. Mon sang est devenu le sien, tout comme mon corps. J'ai acquis sa puissance, ses pouvoirs, son immortalité, ses besoins, ses forces, ses faiblesses. Le bébé que j'étais et le démon qui m'a possédé m'ont créé.

— Et qui es-tu aujourd'hui ?

Un sourire en coin, il répond :

— Sous ma forme humaine, je suis Jacob Natan. Fils d'un riche parrain dela mafia. Sous ma forme démoniaque, je suis Azakiel. Le sixième incube créé parDionyssan.

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