Chapitre 25 - Rachele
Rachele
Un cauchemar. Un stupide cauchemar dans lequel j'ai crié le nom de Jacob. Bien évidemment, il a rappliqué ! Le pire ? Je ne me suis calmée que lorsqu'il m'a enlacée. Je suis vraiment un cas désespéré.
— Je vais prendre une douche, tu veux venir avec moi ? raille-t-il.
Alors qu'il joue de moi en passant une main dans le bas de mon dos, mon cœur rate un battement, la peau de mes cuisses frémit. Son corps frôle le mien, ébranlant la solide conviction que deux colocataires ne prennent pas de douche ensemble. Mon esprit malmené hésite entre la bienséance et les économies d'eau. Quant à ma raison, elle ressemble à une fourmi offusquée. Reléguée en bas de l'échelle, elle crie son indignation devant cette proposition aussi folle qu'enjôleuse.
— Tu te retrouvais bien malin si je disais oui.
Quand je me rends compte de la phrase de défi que je viens de sortir, mes yeux s'écarquillent. Jacob, ravi de me voir enfin répliquer, adopte un regard enjôleur en se mordant la lèvre inférieure.
— Ne me tente pas comme ça, bébé !
Amusée, je resserre la ceinture de mon peignoir en riant. Au même moment, mon estomac gronde son mécontentement. Une chose est sûre, je me suis endormie sans manger hier soir ! Affamée, j'amorce un pas vers la cuisine, mais juste avant que Jacob ne disparaisse dans la salle de bain, ma convoitise dévie mon regard. Des fesses rebondies, des cuisses musclées, pardonnez-moi, j'ai péché.
Une fois l'objet de mes fantasmes à plus d'un mètre de mon cerveau lubrique, je me concentre sur la préparation de pancakes. Le samedi matin, c'est sacré. Ce jour qui célèbre la liberté, la flemmardise et le droit de ne rien faire, mérite un vrai petit déjeuner. Cookie a le droit à une ration de friandises et moi, je me concocte un petit plaisir. Cela dit, pendant que je remue la pâte de ma gourmandise du jour, la case logique de ma cervelle abîmée se réveille. Jacob m'a dit que j'avais fait un cauchemar, mais pourquoi suis-je autant troublée ? Je me revois présenter l'exposition des légendes européennes, discuter avec cette femme étrange, puis envoyer un message à Jacob. À partir de là, plus rien n'a de sens. Je me revois courir jusqu'à chez moi et trouver Jacob étendu au sol. Soudain, une intense douleur frappe mes yeux avant de se répandre dans tout mon crâne. Quelques flashs de mes pleurs entrecoupés de mes cris m'assaillent, puis, le noir complet. Luttant contre la souffrance, je grimace.
— Ton pancake brûle.
La voix suave me fait sursauter et mon doigt glisse sur la poêle chaude. Je retiens un cri et allume aussitôt le robinet sur l'eau froide pour enrailler la douleur qui pulse de ma chair à vif. Quelle idiote !
Il en manquait plus que ça... Qu'est-ce que ça sera la prochaine fois, une phalange en moins ? C'est alors que sa présence m'enrobe. Son parfum masculin aux effluves océan m'enivre, la chaleur de son corps me saisit. Debout derrière moi, sa main douce se pose sur mon bras. Mon cœur s'affole.
Je ne sais plus où me placer ni ce que je dois faire. En un quart de seconde, je perds tous mes repères. J'avais déjà l'air stupide au levé du lit, mais là, on atteint des sommets.
— Laisse-moi voir, demande-t-il, amusé.
Le rouge me monte aux joues et je ne doute pas qu'il prend plaisir à me voir lutter contre les forces de l'univers qui nous rapprochent sans cesse. Je m'insulte intérieurement en songeant à mes réactions d'écervelée. Cela dit, est-ce si étonnant que ça ? Jacob ne ressemble en rien aux hommes que j'ai déjà pu côtoyer. À l'inverse de lui, les autres ne m'ont jamais fait ressentir la flamme du désir avec cette intensité. Si on ajoute à cela le fait que je ne donne jamais assez ma confiance pour établir un vrai lien avec la personne, on comprend vite mon désarroi envers le bel Appolon. La peur d'être trahie et blessée m'a souvent hantée, je ne peux pas le nier. D'après la psychologue que j'ai eue pendant un temps, cela viendrait d'une peur excessive de l'abandon. Je n'ai jamais eu de vie sexuelle épanouie non plus. Je n'ai jamais eu d'orgasme avec un homme et j'irais même jusqu'à dire que mes sex-toys me donnent plus de sensation que mes ex. Mais ce désir affamé n'est pas la seule chose que Jacob provoque en moi. Mon cœur reconnaît le sentiment que ma raison se refuse encore et toujours à approuver. Est-ce que j'ai peur qu'il m'abandonne une fois que j'aurais craqué ? Il n'y a aucun doute là-dessus.
Je soupire bruyamment, désespérée. Le sexe opposé et moi, c'est une histoire compliquée.
— As-tu de la crème pour les brûlures ?
— Oui, dans la salle de bain.
Il lâche ma main avant de se diriger vers la salle d'eau pour récupérer le tube de crème. Il faut vraiment que j'apprenne à me maîtriser en sa présence. Comment avoir l'air crédible dans ces conditions ? Avant de sermonner quelqu'un, il faut respecter ses propres dires.
— Je vais commencer à penser que tu le fais exprès, raille-t-il. La crise de panique, le cauchemar, la brûlure, aurais-tu besoin que quelqu'un prenne soin de toi ?
Je rougis de plus belle tandis qu'il applique le fluide sur ma blessure.
— Je me suis débrouillée cinq ans sans toi et je suis toujours en un seul morceau, contré-je.
Espiègle, il termine de panser ma peau avant de s'approcher un peu plus près. Ma respiration s'accélère. Mon cœur manque un battement. Ses yeux noirs pénètrent mon âme, me clouent sur place. Comment expliquer les sensations qui m'assaillent à ce moment ? Il n'y a pas de mots adéquats pour les décrire. À chaque fois que je le vois, c'est un ouragan qui traverse mon être. Ses paroles dans la ruelle se rappellent à mon bon souvenir. « Tu te mens à toi-même. ». Ça non plus, je ne peux pas le réfuter.
Les secondes se transforment en minutes alors que nous nous jaugeons en silence, la proie évaluant le prédateur et le prédateur évaluant la proie. C'est un texto qui me fait tourner la tête la première. Son téléphone vibre sur le bar. Je n'ai pas le temps de voir l'auteur du message qu'il s'empare déjà du smartphone. Il le lit en silence, puis son regard perd toute lueur coquine pour devenir dur et cassant. Son visage se ferme comme s'il venait d'apprendre une nouvelle contrariante. Surprise, je fronce les sourcils.
Que se passe-t-il ?
J'ai envie d'en savoir plus, mais il sort de la pièce avant même que j'aie pu l'interpeler sur son changement de comportement. Je l'entends alors prononcer le prénom de Samuel, puis plus rien. Mon petit doigt me dit que cette affaire n'a rien de légal et ma colère contre lui repart de plus belle. Enfin, contre lui et contre moi. Sommes-nous condamnés à être le chasseur téméraire et la victime indécise ? Je ne peux retenir un ricanement désabusé. Cette histoire n'a ni queue ni tête. Ni fin ni début. Pas de logique, pas d'ordre. On se rapproche et on s'éloigne au fur et à mesure des marées lunaires. Les rares fois où l'on se touche, nos cœurs se rejoignent, mais nos démons s'amusent à briser les liens à peine formés. La bascule entre le rêve et le cauchemar est fine.
Je laisse tomber mon front dans ma paume puis entends le bruit de ses pas revenir dans la cuisine. Aussitôt, l'air de rien, je remplis la petite poêle de pâte à pancake. Je ne dois pas avoir l'air de l'attendre. Je détourne légèrement la tête pour le voir arriver du coin de l'œil. Par chance, il n'affiche plus cet air renfrogné. Cela dit, je ne suis pas rassurée pour autant. Sa mauvaise humeur n'avait rien à voir avec un entretien d'embauche annulé. Curieuse, je tourne les yeux vers lui. Dès que mon regard croise le sien, je manque de me brûler une nouvelle fois. La discrétion, ce n'est décidément pas mon fort.
— Je vais devoir m'absenter ce soir. Tu seras capable de dormir sans moi ?
— J'imagine que Samuel te propose une énième fête gorgée de substances illégales et de femmes ?
— Mais c'est qu'elle en devient jalouse !
— Pas vraiment. Je suis juste effarée de voir que même après toutes ces années, tu ne changes pas. Tu mets ta vie en danger, tu n'écoutes rien ni personne. Je sais que les convenances ne te conviennent pas, je sais que le moule de la société ne te correspond pas, mais il y a des gens qui tiennent à toi...
— On a déjà eu cette discussion, Rachele, grogne-t-il. Arrête d'essayer d'agir en sauveuse. Tu n'as pas conscience des choses qui t'entourent.
— Il faut que j'apprenne à rester à ma place c'est ça ? Je ne suis pas toute blanche non plus ?
Mon ton est de moins en moins amical, son visage de plus en plus sombre.
— Tu veux vraiment une réponse ?
Je ricane.
— Très bien ! Tu as raison ! Je juge sans connaître ton monde.
Étonné de mon ton ironique, il hausse un sourcil suspicieux.
— Emmène-moi avec toi ce soir, terminé-je.
Il a une seconde de blanc avant de s'esclaffer d'un rire sonore.
— Tu n'es quand même pas sérieuse ?
— Tu n'as rien à te reprocher et tu m'as fait comprendre que je n'avais pas toutes les variables. Emmène-moi avec toi que je tente de percer l'aura mystérieuse qui entoure le célèbre Jacob Natan !
— C'est un rencard forcé ?
Désabusé, il passe une main dans ses cheveux. Je le mets face à une impasse. Je défie la bête. Je risque gros. Pour être honnête, je suis terrifiée à l'idée de me retrouver mêlée à des histoires dangereuses. Mais mon cœur ne cesse de me pousser vers cet être à l'âme noire. À chaque fois que je croise son regard, ma résistance faiblit. Plus le temps passe et plus les flammes de son enfer m'attirent. Je ne pense pas être assez forte pour ignorer ces sentiments qui grandissent de jour en jour. Et il a raison sur un point. Mon mensonge éhonté sur un amour inexistant me détruit de l'intérieur. Je ne peux pas continuer à prétendre ne rien ressentir alors que je brûle pour lui. Néanmoins, pour accepter les battements effrénés de mon cœur, pour céder à ces papillons dans mon ventre, j'ai besoin de savoir qui il est vraiment. Je connais sa personnalité de tous les jours. Je connais une partie de sa vie. J'ai conscience de la violence de son père envers lui, de son dévouement envers sa sœur, de sa colère envers sa mère. J'ai pu explorer ses instincts séducteurs. Mais il manque un bout. Je ne connais rien de ce Jacob qui est parti en prison il y a cinq ans. Je n'ai jamais rencontré l'homme qui a battu presque à mort un groupe de plusieurs personnes. Et avant de céder à cet appel damné, je dois tout savoir. Ne dit-on pas que lorsqu'on aime c'est pour le meilleur et pour le pire ?
— Prends-le comme tu veux.
Surpris par ma réponse, une lueur indéchiffrable passe dans ses yeux. Àquoi vient-il de penser ? Je n'en ai aucune idée. Mais lui comme moi savons que derrière cesmots, j'accepte de jouer à la roulette russe avec lui. Derrière cette phrase,j'ai entrouvert une porte : celle de mon âme.
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