Jour 13: La seule solution était de pleurer
Voici l'os de MadBloodd
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La neige soufflait drument sur les rues de New-York. Les passants qui traversaient encore la rue à cette heure avancée de la soirée étaient rares et emmitouflés dans de lourds manteaux qui masquaient leur visage. Certains marchaient vite pour rentrer chez eux et regagner leur foyer chauffé. D'autres, peu nombreux, flânaient encore devant les devantures illuminées de quelques magasins qui affichaient des cadeaux de Noël, des offres pour des pizzas à moitié prix, ou des publicités aux couleurs criardes.
Avec son chocolat chaud entre les mains, Piper piétina un petit monticule de neige sur le trottoir avec ses boots. Le liquide était pratiquement froid entre ses mains et ses doigts étaient engourdis et rouges. Chioné devait bien s'amuser à la voir grelotter de froid ainsi.
Piper porta le chocolat à ses lèvres et grimaça un peu en le découvrant totalement froid. Pourtant, elle garda les doigts figés autour du mug en carton, ne voulant pas bouger de l'endroit où elle était, redoutant de traverser la rue qu'elle apercevait à travers les flocons. Les feux de signalisation se reflétaient sur l'asphalte mouillé de la route.
Piper souffla devant elle et un gros nuage de vapeur sortit de sa bouche. Elle se tâta le nez et constata qu'il était gelé. Elle hésita un instant, oscillant d'un pied sur l'autre, jeta son gobelet de chocolat à la poubelle et enfonça les mains dans les poches de son manteau en traversant la route.
Il n'y avait personne au croisement de la 5th Avenue et de la 25th Street et c'était mieux comme ça. Même le garage de M. Batrouni - où elle savait qu'une pégase l'attendait pour la ramener à la Colonie des Sangs-Mélés - ne diffusait aucune lumière.
Elle manqua de glisser dans la neige et se rattrapa instinctivement au pommeau de Katoptris qui dépassait de son manteau. De la neige s'entassait sur ses cheveux tressés et lui donnait froid aux oreilles. Elle aurait dû écouter Annabeth quand elle lui avait dit de prendre un manteau plus chaud. Il ne faisait jamais très froid en Oklahoma et Piper avait seulement un long manteau en laine qui ne lui tenait pas vraiment chaud dans la glaciale météo new-yorkaise. Cela faisait longtemps qu'elle n'était pas revenue à New-York et parfois la grande ville lui manquait. C'était de rester à la Colonie qui était le plus dur mais elle ne voulait pas s'appesantir là-dessus.
Elle se faufila à travers les grilles noires et monta lentement la petite butte qui menait à de grandes arches gothiques de pierres rouges. Deux voitures étaient garées le long de la route et un vieux vélo rouillé recouvert de neige était accroché à un porte vélo. Les bruits de la route en contrebas s'apaisèrent quand elle arriva devant les arches. Seul le bruit de la neige tombant sur le sol duveteux semblait bercer le silence respectueux de l'endroit.
De grandes arches à l'architecture gothique encadraient deux portes permettant aux visiteurs d'entrer. De hautes flèches de pierres rougeâtres se découpaient dans le ciel noir et les scènes religieuses semblaient presque effrayantes dans l'atmosphère de l'endroit. Piper jeta un regard vide à la petite horloge aux aiguilles dorées qui n'indiquaient plus l'heure depuis des années et passa sous le porche. Une inscription en anglais présentait la mise au tombeau du Christ en lettres dorées. "The dead should be raised." Les morts doivent être ressuscités.
Piper retint un sourire triste en voyant cette inscription. Piper n'était pas catholique. En étant à moitié Cherokee et à moitié grecque, il était difficile de croire en un dieu unique. Son grand-père lui racontait parfois l'histoire d'Ocasta, le "manteau de pierre" qui était un esprit à la fois bon et mauvais. Son grand-père lui racontait toujours, en regardant les étoiles du toit de leur petite maison en Oklahoma, qu'Ocasta dévastait des villages avant que des femmes ne le piègent et ne le tue en le brûlant sur son bucher funéraire. Piper avait trouvé ce mythe horrible, surtout qu'Ocasta aurait enseigné aux hommes des chants et des danses pour la chasse, les guerres et la guérison tout en brûlant sur son bûcher. Elle avait reparlé de cette légende à son père quand son grand-père était mort et Tristan lui avait seulement sourit en disant que la chose à tirer de cette histoire était que l'on en apprenait plus dans la mort que dans la vie.
Piper n'avait pas compris avant que sa vie ne soit elle-même en danger.
Elle releva la tête quand elle passa le porche et que le vent se remit à souffler dans ses cheveux. Elle passa devant un vieux panneau indiquant Greenwood Cemetery et continua de marcher sur le chemin.
La demi-déesse ne savait vraiment pas ce qu'elle faisait ici, en ce mois de décembre, mais elle avait senti le besoin impérieux de venir. Elle était partie de chez elle en Oklahoma, avait seulement laissé un petit message pour son père sur la table de la cuisine, et avait pris le premier bus en direction de New-York. Elle jeta un petit coup d'œil sur sa droite en entendant un craquement et se détendit quand elle vit un vieil homme qui s'avançait vers la sortie avec un bouquet de plantes séchées à jeter.
Piper aurait dû faire plus attention à sa sécurité, surtout qu'elle était toute seule à New-York, avec seulement un poignard pour se défendre. Léo, Annabeth et Percy étaient au courant qu'elle était là, bien sûr, et n'hésiteraient pas à lui venir en aide, surtout si le pégase qu'elle avait emprunté n'était pas rentré avant la nuit, mais la sécurité de Piper était la dernière de ses préoccupations en ce moment.
Elle marcha le long des longues allées de graviers tapissées d'herbes et longea de grands conifères qui ployaient sous le poids de la neige. Elle enleva rapidement un peu de neige qui s'accumulait sur un plan du cimetière et nota mentalement l'allée où elle devait se rendre.
Elle marcha une bonne dizaine de minutes à travers le cimetière, regardant les tombes qui se levaient à travers la neige. On apercevait quelques grands tombeaux de granit qui se découpaient à travers la nuit, le blizzard et les quelques lumières de la ville qui traversaient le parc du cimetière.
Ses pas s'enfonçaient dans la neige en un léger crissement et Piper se détendit un peu quand elle constata la paix dont le cimetière était environné.
Elle monta une butte qui donnait sur un petit étang en contrebas. Des bruits de coassement de grenouilles provenaient de la surface gelée. Les lèvres de Piper semblaient se craqueler par le froid de l'hiver et elle retint un long frisson quand elle arriva dans l'allée qu'elle recherchait.
Elle passa devant plusieurs tombes de granit gris dont les noms étaient à moitié effacés. Une petite croix montrait une famille morte en 1912. Une autre montrait un mausolée de nobles anglais dont une plaque annonçait la mort récente d'une femme de 37 ans. Piper remarqua les serpents qui s'enroulaient autour des colonnes massives qui ornaient le mausolée et se dit que cela était de mauvais goûts.
Elle continua sur quelque mètres, observant tous les noms sur les différentes tombes.
Green
Grayson
Gray
Granville
Grant
Elle connaissait le chemin par cœur, pourtant, mais ce passage n'était qu'un rituel pour l'obliger à se calmer. Elle fit quelques pas de plus dans la neige et s'arrêta devant une grande tombe de marbre qui s'élevait en mausolée.
Une petite plaque noire aux inscriptions dorées énonçait :
Beryl Grace
1976-2003
Beloved sister
Mother of two children
Well-known actress
Piper observa un instant la plaque et contourna le mausolée pour observer une autre plaque, plus petite, dissimulée sous les fleurs déposées par les fans de l'actrice. Une petite plaque à l'apparence anodine qui était recouverte par la neige.
Un petite plaque où se dessinait douze traits et l'inscription SPQR.
Piper posa doucement ses doigts sur les traits et sentit ses yeux la piquer durement.
- Bonjour toi.
Elle s'accroupit devant la tombe et posa le front contre le marbre glacé. La plaque avait été posée par Sally Jackson. Piper savait qu'il n'était pas là, que son corps avait été brûlé, que c'était mieux ainsi.
Elle n'aurait jamais dû avoir le besoin de venir se recueillir sur une tombe. Dans la religion Cherokee, on brûlait les morts qui allaient dans le monde des fantômes ; dans le monde grec ou romain, le corps devait disparaitre pour que l'esprit accède aux Enfers. Pourtant, avoir un endroit pour pouvoir se recueillir était une chose dont elle avait besoin.
Piper aurait dû se sentir apaisée. Elle savait par Nico qu'il était apaisé là où il était, le fils d'Hadès le lui avait assuré. Pourtant elle ne pouvait pas s'empêcher de venir, une fois par an, se recueillir ici.
Elle avait besoin de ce lien, de cet endroit pour pouvoir parler à quelque chose, pour s'accrocher à un endroit en particulier. La tombe de Beryl avait semblé être un bon endroit. Elle n'avait découvert que très tard que la mère de Thalia avait un frère qui avait pris en charge son inhumation dans le caveau familial des Grace. Celui-ci ne savait même ce que devenaient son neveu et sa nièce et n'avait pas l'air de s'en soucier.
- Je... Piper s'éclaircit la voix en chuchotant près de la tombe. J'ai finis hier mon brevet de pilote. Je rentre dans la Navy dans une semaine. Je...
Piper se mordit la lèvre inférieure pour l'empêcher de trembler, décolla son front de la tombe froide et avala sa salive difficilement. Elle observa la pierre tombale froide qui ne lui répondait pas, les douze traits dorés et le SPQR qui semblaient la narguer.
Elle leva la tête vers le ciel, laissa quelques flocons se poser sur son front et son menton puis se tourna vers la tombe en soufflant pour se donner du courage.
- Tu m'as dit un jour que tu rêvais de devenir pilote quand tu étais petit. Que tu jouais avec de petits avions en plastique et que tu les faisais voler dans le ciel. Et bien voilà, je vole dans des F18 maintenant. La vue du ciel est...
Piper battit des cils pour empêcher les larmes de couler sur ses joues et continua en chevrotant.
- La vue du ciel est... incroyable. La terre vue de là-haut... C'est magnifique. On dirait que toute la vie humaine est si minuscule, si insignifiante. On dirait que l'océan luit quand le soleil se couche. Le ciel se pare de lumières rouges, roses et or quand j'atterris sur la base en fin de mission. Tu aurais adoré voir ça, je crois.
Une première larme dévala la joue de Piper et elle l'essuya avec tristesse.
- Je suppose que cela doit être moins bien que quand tu devais voler tout seul parmi les nuages. Moi, à ta place, j'aurais volé tous les jours comme un oiseau.
Une larme tomba sur la neige au pieds de la brune et Piper ne put empêcher les autres de dégouliner sur ses joues.
- Tu sais que tu es une des meilleures choses qui me soit arrivée ? Pas seulement quand tu me prenais dans tes bras pour voler, un petit rire s'échappa de sa gorge nouée, j'avais horreur de ça. Mais pour toutes ces fois où on a volé sur Festus avec Léo, où on a cherché cet idiot pendant des semaines dans tous les Etats-Unis après la mort de Gaïa, ou quand on était sur l'Argo II et que tu m'as dit que tu m'aimais.
Piper sentit ses épaules tressauter sous les sanglots et elle avala sa salive pour tenter de se calmer. Elle garda le silence pendant plusieurs minutes, ayant conscience que le cimetière était déjà sûrement fermé, que le blizzard allait continuer à souffler plus violemment dans la nuit et qu'elle allait surement mourir de froid dans son léger manteau de laine. Mais à ce moment-là, Piper ne sentait pas le froid. Elle ne sentait que le froid qui lui tiraillait les entrailles depuis maintenant neuf ans.
Neuf ans qu'elle voyait le corps froid de Jason dans ses bras sur la grève, neuf ans qu'elle entendait ses derniers mots criés par-delà les murs du bateau de Caligula. Neuf ans qu'elle ne pouvait pas enlever de son esprit l'expression du blond quand elle lui avait annoncé qu'elle le quittait. Neuf ans que la culpabilité la rongeait petit à petit. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait autant de mal à passer à autre chose. Cela faisait neuf ans. Elle avait eu le temps de rencontrer de nouvelles personnes, de finir ses études, de commencer et de finir une formation de pilote, de sortir avec une femme, un homme, d'expérimenter le célibat, les coups d'un soir, pour finalement revenir avec la première femme et avait renoncé au dernier moment. Pas parce qu'elle n'aimait pas Shel, c'était tout le contraire en fait. Elle l'aimait trop pour infliger à la jeune femme une vie dont elle ne voulait pas. Shel aurait voulu fonder une famille avec Piper à la Nouvelle-Rome. Piper n'était pas prête à ça. Alors elle avait laissé Shel à Tahlequah et elle était partie pour New-York.
C'était peut-être lâche. Mais Piper n'avait trouvé que ça pour s'enfuir d'une vie qui ne lui convenait pas.
Elle avait quitté Jason pour trouver une vie qui lui correspondait mieux, une vie où elle aurait pu vraiment être elle-même, sans l'influence des dieux. Elle avait tout fait pour renier son appartenance divine, son côté Cherokee.
Elle voulait juste savoir ce que cela voulait dire d'être Piper McLean.
Elle aurait dû savoir que dans l'univers des dieux, le libre-arbitre n'avait pas sa place.
-Je regrette tellement de t'avoir quitté. Parce que je t'aimais. Je t'aime.
Piper avala difficilement sa salive et garda le silence en sentant la neige tomber plus rudement. Le blizzard s'était mis à souffler avec plus de vigueur.
Elle leva le visage vers le ciel et sentit les flocons lui fouetter les pommettes.
-Tu es vraiment un idiot, tu le sais ça ? Tu avais forcément l'obligation de te sacrifier ? Pourquoi tu as fait ça hein, Flash Gordon ? Tu avais retrouvé une vie normale...
Piper éclata en sanglots et sentit ses genoux se mettre à trembler.
-Tu avais retrouvé une vie normale... Chuchota-t-elle en sentant son ventre se nouer. On aurait pu vivre normalement, loin des dieux, loin des responsabilités, loin de tout ça... Pourquoi il a fallu que tu me défendes...
A ce moment-là, les digues que Piper avait mise en place se mirent à céder soudainement et ses jambes ne la portèrent plus. Elle sentit vaguement la froideur de la neige s'infiltrer dans son pantalon et des bourrasques de vent venir s'infiltrer sous son manteau.
Ses larmes semblaient geler sur ses pommettes mais elle n'en avait rien à faire. Les Parques étaient cruelles, tous les grands héros finissaient avec des morts tragiques, elle aurait pourtant dû le savoir.
Mais il avait fallu que le grand Jason Grace, fils de Jupiter, donne sa vie pour sauver une pitoyable fille d'Aphrodite, une fille de Déméter, et un dieu redevenu mortel. Même les dieux n'auraient pu faire plus tragique.
Les bourrasques de vent augmentèrent, chassant les larmes des joues de Piper. Le ventre noué de la brune disparut, laissant seulement la place à une grande lassitude. Elle se releva lentement, constata que son pantalon était couvert de neige, n'eut pas la force d'enlever celle-ci.
Elle passa une dernière fois sa main sur la plaque aux traits dorés, ravala le sanglot qui menaçait de sortir de sa gorge et se traina vers la sortie du cimetière.
Une dizaine de minutes plus tard, dans cette même allée du cimetière, un craquement sonore retentit dans la nuit noire.
Un homme d'une petite quarantaine d'année s'approcha du mausolée aux serpents et s'agenouilla devant la plaque qui semblait la plus neuve. Il enleva la neige qui s'était mise à la maculer et sortit un bout de bois de sa poche. Une petite couronne de roses blanches se mit à orner la plaque, comme si la magie était sortie du bout de bois. L'homme posa son front sur la plaque, reproduisant inconsciemment le geste de la demi-déesse peu avant lui.
Il se releva lentement, déplia son corps qui semblait écorché vif par la douleur et ne chassa pas les larmes qui dévalaient ses joues. Il jeta un dernier regard à la plaque et disparut dans un autre craquement. Les flocons continuèrent de se poser sur la nouvelle plaque où s'étalaient des lettres fines :
Astoria Greengrass
1982-2019
Beloved wife
Regretted mother
I love you, past, present and future.
La nuit était tombée sur le Greenwood Cemetery. Au loin, on entendait des klaxons de voitures, des sirènes d'ambulance et des chants de Noël.
Car la vie suivait son cours.
Et parfois, même si on nous rabâchait sans cesse que la douleur allait passer... la seule solution était de pleurer.
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Notes de l'auteur : Parce que je sais que parfois les fêtes ne sont pas forcément des moments faciles pour tout le monde, je voulais écrire un OS pour vous donner un peu de soutien dans cette période de l'année. Beaucoup d'amour sur tout le monde, vous n'êtes pas seul.es à traverser cette épreuve qui peut être pénible.
Notes pour la directrice (ou devrai-je dire grande cheffe incroyable et formidable de ce calendrier de l'avent ?) : déjà merci pour ton taff, merci de nous laisser participer à tout cela, je crois que cela fait trop plaisir à tous les participant.es. Déjà, je suis désolée d'avoir fait un OS triste, j'espère que cela te convient et que je n'ai pas trop plombé l'ambiance... Ensuite, pour la description du Greenwood Cemetery, des arches gothiques, des allées, etc, normalement tout est vrai (tu peux aller checker sur Google Maps, le croisement de la 5th et de la 25th, le garage de M. Batrouni, l'entrée du Greenwood Cemetery pour voir à quoi ça ressemble si ça t'intéresse 😉). En espérant que cela respecte bien toutes les règles de l'OS, je te laisse faire la mise en page et hâte de voir les autres OS de Noel !
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