Jour 21: Noël en 1975
- Je vais les étouffer avec le pudding !
- Patmooool, calme-toi. Pense à notre méfait du Nouvel An !
- Tu sais où tu peux te le mettre, ton foutu méfait ?
James leva les yeux au ciel dans le petit Miroir à Double Sens, avant de passer une main dans ses cheveux éternellement décoiffés.
- Sirius, il ne te reste qu'un seul Noël à passer avec eux, dit-il. L'année prochaine, tu seras majeur et libre de rester chez moi pour le Réveillon. Allez, quoi, c'est l'histoire de trois heures !
- Trois heures en leur compagnie, c'est bien plus que je ne peux le supporter !
Étendu sur son lit, Sirius posa le Miroir sur sa poitrine, face au plafond, et entendit son ami se taper la tête contre un mur. Une voix passablement agacée s'éleva de l'endroit où battait son cœur, vibrant contre sa poitrine :
- Patmol, la seule chose que tu vas avoir à faire ce soir, c'est manger ta dinde aux marrons et serrer les fesses sans chercher à provoquer qui que ce soit - ne souffle pas, je te connais ! Ton frère se chargera de faire la conversation à tes parents et tout se passera bien. Ensuite, je te jure que ce sera terminé.
Sirius ne répondit pas tout de suite. Cornedrue ne pouvait pas comprendre, lui, le fils unique aimé de ses parents solaires, libre d'être qui il voulait. Rien qu'à cette pensée, un goût de bile lui envahit la bouche et Sirius s'efforça de repousser sa stupide jalousie au loin. James n'y était pour rien. Il n'avait pas choisi d'avoir la meilleure famille du monde.
Sirius avait bien envie de casser quelque chose.
- Je vais pas tenir, James, finit-il par gronder, les dents serrées. Tu sais ce que ma mère m'a dit, sur le quai du Poudlard Express ?
- J'imagine que tu vas finir par me raconter...
- Elle m'a craché au visage que j'étais la pire honte que la famille ait jamais produit, enchaîna-t-il sans faire attention au ton fatigué de Cornedrue. Ta mère te dit souvent ça ?
Un autre soupir s'éleva du Miroir.
- Pour la énième fois, je répète : non, ma mère ne m'a jamais dit une chose pareille, et elle ne le dira jamais, et ma famille est parfaite, et la tienne est la pire qu'on puisse avoir, bla bla bla. Je sais.
Sirius cligna deux fois des yeux. Puis les informations montèrent jusqu'à son cerveau. Une seconde passa avant que le jeune Black ne se relève et fixe le regard désabusé de James Fleamont Potter.
- T'es sérieux là ?
- De quoi ? répondit stupidement Cornedrue.
- Je te raconte mes problèmes et c'est comme ça que tu réagis ?
- Mais Patmol, ça va faire cinq ans que tu me racontes la même chose ! Que veux-tu que je te dise ? Rien ne s'arrangera si tu restes dans ta chambre à te plaindre-
La fureur monta en Sirius plus vite qu'un cognard lancé à pleine vitesse.
- Me plaindre ? Me plaindre ? Je suis en danger chez moi, ducon ! explosa-t-il.
- Et je ne peux rien faire pour toi pour le moment ! explosa James à son tour.
- Oh, je suis sûr qu'il n'y absolument rien que tu puisses faire pour ton meilleur ami à l'heure actuelle !
- Tu crois que c'est facile pour moi d'être là, là, à ne pas pouvoir agir pour te sortir de cette foutue maison et te mettre en sécurité ?
Seule la première partie de sa phrase retint son attention.
- Tu plaisantes, j'espère ? répondit froidement Sirius.
- J'ai l'air de plaisanter ?
Pour la première fois de leur vie, ils se dévisagèrent avec fureur. Sirius avait très envie de lui casser les dents, et il était à peu près certain que James ressentait la même chose de son côté. Cependant, ce dernier détourna le regard et sembla prendre sur lui pour parler avec une animosité maîtrisée.
- Écoute, Sirius-
- Non, tais-toi, le coupa celui-ci avec dureté. On va dire des conneries si on continue à parler.
James le regarda à nouveau - sembla lutter pour ne pas répliquer - puis finalement, hocha la tête d'un geste raide.
- Très bien. À plus tard.
Et le Miroir ne fit plus que refléter le visage déconfit de Sirius, qui peinait à croire ce qui venait de se passer.
Si même son meilleur ami lui tournait le dos...
Sirius plaqua un peu trop fort le Miroir sur sa table de nuit, puis se retourna vivement pour frapper dans ses oreillers. James pouvait être un imbécile de première, quand ça lui chantait ! Pas étonnant qu'Evans ne cesse de le repousser s'il ne lui montrait que cette partie de sa personnalité. Sous certains angles, il était un véritable crétin égocentrique dénué de la moindre parcelle de tact.
Mais il était loin d'être bête.
Il a raison, susurra une petite voix dans un coin de sa tête. Rien ne s'arrangera tant que tu resteras ici à maudire tes parents.
Sirius laissa ses pauvres oreillers tranquilles et se mit à faire les cents pas dans sa chambre. La situation n'évoluerait pas tant qu'il n'agirait pas ?Très bien. Très bien. Sirius agirait dès ce soir. James était fatigué de supporter ses confidences ? D'accord. Il n'y aurait plus rien à confier. Tout s'arrangerait bientôt.
Un crac ! sonore retentit dans sa chambre, suivi d'une odeur de vieille personne qui aurait abandonné toute tentative de conserver une hygiène convenable (l'odorat de Sirius s'était nettement développé depuis qu'il avait réussi à devenir Animagus).
- Le jeune maître doit descendre afin d'accueillir les invités comme il se doit, s'exprima la voix horripilante de Kreattur, l'elfe de maison. L'apéritif sera servi dans le petit salon.
Puis, courbant l'échine un peu plus bas :
- Honte... abomination... délinquant... animal...
- Dégage de là ! s'écria Sirius avec un grand geste du bras. Je ne veux plus te voir !
Kreattur se baissa un peu plus - laissa une ou deux dents étinceler dans son sourire satisfait - et transplana de nouveau.
Sirius, encore plus enragé qu'il ne l'était déjà, se dit que, au vu de l'amour que lui portait sa très chère famille, perdu pour perdu, il pouvait tenter quelque chose.
Quelque chose.
Neuf minutes et quarante-six secondes plus tard, lorsque Sirius descendit les étroits escaliers de la noble et très ancienne maison des Black, la fureur lui enflammait l'estomac. Il sentait son corps picoter d'appréhension, malgré son visage plissé sous l'effet de la détermination. N'était-ce pas une des qualités prônées par la maison Gryffondor ? La détermination ; et le courage, aussi.
Eh bien, sous ses habits de Gryffondor, il ferait honneur à sa maison.
Au pied des escaliers, son petit frère Regulus jouait avec une réplique grossière du médaillon de Serpentard, une horreur qu'il s'était fait offrir quatre ans auparavant, lors de sa rentrée à Poudlard et sa répartition dans la bonne maison. Ses yeux se posèrent négligemment sur Sirius dans une parfaite imitation de l'air aristocratique de leur père - autrement dit, les sourcils relevés, les paupières baissées, le teint neutre et un balai dans le cul - puis, étonnement, se retint d'éclater de rire.
- Sirius, dit-il de sa voix tremblante d'adolescent en pleine mue. Aurais-je dû me teindre les cheveux en vert afin que nous représentions au mieux les couleurs de Noël ?
- Contente-toi de m'ignorer, répondit Sirius en rejetant en arrière sa crinière assortie à sa robe.
Regulus leva les yeux au ciel, reprit une contenance - épousseta une pellicule imaginaire sur l'épaule de sa robe de soirée - et entra dans le petit salon. Malgré sa colère, Sirius songea qu'il lui fallait profiter de son frère avant qu'il ne grandisse trop et ne se transforme en son géniteur. Il était toujours un gamin ; il n'avait que quatorze ans, après tout.
Quatorze ans et le fils préféré d'Orion et Walburga Black.
La vision de Sirius se colora du même rouge que ses cheveux et, sans qu'il prît conscience de ce qu'il était en train de faire, débarqua dans le petit salon comme un taureau entre dans l'arène.
Les conversations se suspendirent. Maintenant qu'il était là, qu'il avait pété son câble en provoquant délibérément sa famille, Sirius se retrouva coincé dans une timidité inédite.
- Diantre, Walburga, est-ce là bien votre fils ?
La mère de Sirius ne répondit pas à sa belle-sœur puisqu'elle semblait être congelée sur place, ses yeux exorbités sur les cheveux de son fils, son verre de vin dangereusement penché vers le sol.
Le seul Gryffondor de cette pièce la balaya du regard, essayant de déterminer à quel point ce réveillon allait être long - il évitait avec adresse les yeux de ses parents. Il y avait là ses oncles Alphard et Cygnus, les parrains respectifs de Sirius et Regulus, ainsi que la femme de Cygnus, Druella. Ils avaient amené deux de leur filles - et pas les meilleures : Narcissa était droite dans son siège, un verre à la main et les jambes croisées, tandis que Bellatrix jouait avec sa baguette, les yeux fixés sur Kreattur qui s'affairait çà et là. Andromeda était absente : dommage, elle était la cousine préférée de Sirius. Elle aurait probablement détendu l'atmosphère avec ses plaisanteries fines et subtiles, comme toujours.
- Excusez mon retard. J'ajustais ma tenue.
Walburga eut un hoquet indigné et fit mine de se lever, avant qu'elle ne soit interrompue par la voix traînante d'Orion :
- Voici donc la tare de la famille. Je ne vous avais pas vu depuis juin, Sirius ; ce que votre mère m'a raconté de vous semble être en deçà de la réalité.
Les poings serrés, Sirius se força à sourire à son père, dans l'espoir que la coupure dans sa poitrine provoquée par ces paroles tranchantes ne transparaisse pas sur son visage. Walburga, elle, arborait toujours une expression choquée et détaillait son fils de haut en bas. Elle devait se demander lequel de ses cheveux rouges ou de son uniforme de Gryffondor était le plus inconvenant - à moins que ce ne soit le maquillage écarlate ? Pour dissiper le malaise ambiant, Sirius tendit la main vers une coupe d'hydromel que Kreattur lui apportait à contre-cœur - avant de se faire devancer par Bellatrix, qui avait le sourire goguenard.
Un petit millier d'insultes dansèrent sur sa langue à la vue de cette courbe moqueuse.
- Même pas majeur et déjà certaines prédispositions à l'ivrognerie ! Tu ferais un parfait Moldu, cousin.
Bellatrix sirota son verre avec délectation, un œil hautain négligemment posé sur Sirius. Celui-ci sentit la fureur lui embraser les tripes, et ouvrit la bouche avant d'avoir pu s'en empêcher :
- Quel âge as-tu, Bellatrix ? Vingt-quatre ans ? N'est-il pas un peu trop tard pour te marier ?
Bellatrix s'étouffa à demi dans son verre tandis que la tante Druella se levait promptement, les yeux plus froids que les cachots de Poudlard un soir d'hiver. Au même instant, Regulus s'écria "le dîner est prêt, n'est-ce pas, Kreattur ?" et l'oncle Alphard jeta un sourcillement d'avertissement à son filleul.
Mais Sirius s'en contrefichait ; car ce soir, les choses changeraient, et l'expression meurtrière de Bellatrix lui donnait l'impression de revivre.
Bellatrix avait été fiancée plusieurs fois, mais chacun de ses quatre promis s'était enfui au bout de quelques temps, terrorisés. Le plus hardi d'entre eux était resté deux mois avant de disparaître du jour au lendemain. Trois semaines plus tard, La Gazette les informait de ses fiançailles avec l'héritière Fortescue ; toutes ces histoires avaient fait un scandale au sein des familles de Sang-Pur, qui estimaient pour la plupart qu'une bonne fille devait prendre mari aux alentours de ses dix-neuf ans afin de donner de nouveaux héritiers aussi vite que possible. C'était toujours un sujet sensible, chez les Black.
Cependant, Sirius ne se sentait pas plus Black qu'un hippogriffe.
- Kreattur invite ces messieurs dames à se présenter dans la salle à manger, où le dîner sera servi.
Tout le monde se précipita hors du petit salon, Druella non sans poser une main blafarde sur l'épaule de sa fille, dans l'espoir de la calmer. Sirius sortit en dernier, repoussant le moment où il devrait s'asseoir à une table austère, entouré de sangsues avides de son sang.
Sa mère l'attendait dans un recoin sombre du couloir. Elle le prit par le cou - ses ongles rentraient désagréablement dans sa peau - pour lui enfoncer sa baguette sous le menton. Sirius fit mine de ne pas crever de peur.
- Je ne sais pas à quoi vous jouez, animal, mais faites très attention à votre attitude. Vous avez déjà assez sali le nom de cette famille.
Elle le relâcha avec violence, puis se dirigea vers la salle à manger, son fils sur les talons. Il avait la tête baissée, et ses poings tremblaient autant de fureur que de peur. Lorsqu'il s'assit à sa place, il ne prit même pas la peine de regarder qui que ce soit et darda son regard brûlant sur le fond de son assiette.
- En ce jour de fête, commença la voix toujours aussi insupportablement traînante du père de Sirius, il nous faut remercier notre Seigneur de nous avoir épargné les désagréments de la vie quotidienne. Grâce à lui, depuis quelques temps, ces sous-races de Moldus ne nous importunent plus avec leurs festivités bruyantes.
Sirius releva la tête. Regulus regardait leur père avec une expression d'adoration.
- Au Seigneur des Ténèbres ! éructa Orion en levant son verre.
- Au Seigneur des Ténèbres ! répétèrent-ils tous en cœur.
Sirius se retint à grand-peine de leur jeter ses couverts à la figure. Pendant que les Black buvaient à la santé du Seigneur des Ténèbres, l'oncle Alphard secoua discrètement la tête en direction de Sirius.
Tu ne le feras pas, semblait-il dire.
Sirius soutint son regard, refusant de flancher. Il. Changerait. Les. Choses. Alphard laissa échapper un maigre soupir et détourna les yeux, tandis que les autres terminaient leur verre. D'un claquement de doigt, Kreattur leur servit tous une part de dinde, farcie à souhait, et le repas commença.
- Le Seigneur des Ténèbres est une véritable bénédiction pour la communauté sorcière ! s'exclama Bellatrix sans plus attendre. Il y a quelques jours, il a lancé une attaque contre une centaine de ces immondes Moldus. Vous avez dû en entendre parler.
- Je ne manque jamais une seule de ses interventions ! s'écria Regulus, l'expression ravie. Tout ce qu'on dit de lui dans la Gazette, je l'ai découpé et collé au mur de ma chambre.
Bellatrix ne se retint pas de sourire.
- Et il ne tardera pas à agir de nouveau, mon cousin. Regarde attentivement la Gazette de demain. Il y sera mention d'une purge dans une église moldue.
- Comment pourrais-tu le savoir ? se moqua Sirius, incapable de se retenir. Il te l'a dit, peut-être?
Le sourire de Bellatrix s'élargit encore plus.
- Exactement.
Et elle releva sa manche gauche. Le bras était tatoué.
La bouche de Sirius s'ouvrit toute seule, alors que le reste des Black félicitait Bellatrix de son adhésion dans les rangs du Seigneur des Ténèbres. Alphard demeurait silencieux, tout comme Narcissa.
- Je soutiens que la place d'une femme n'est pas dans l'armée d'un mage, renifla Cygnus, le père de Bellatrix. Vous devriez prendre exemple sur votre sœur, ma fille. Elle au moins se comporte en tant que telle : elle n'a pas dit un mot de la soirée.
Bellatrix soutint le regard de son père, les dents découvertes.
- Le Seigneur des Ténèbres lui-même m'a affirmé que j'avais ma place dans ses rangs. Pouvez-vous en dire autant, père ?
- Il n'empêche que ce n'est pas votre place.
- D'un point de vue personnel, je trouve que le Seigneur des Ténèbres est un homme inspirant, commenta Walburga.
- Tout ce qu'il m'inspire à moi, c'est une envie de gerber.
Sirius était à la fois fier et désespéré de son attitude. C'est pour cette raison que Remus me dit que je ne dépasserai jamais la majorité, se dit-il avec un soupir intérieur.
- Oh, c'est vrai, cracha Walburga, j'ai omis de vous préciser que l'animal s'est découvert une passion pour ces sous-races que sont les Moldus.
De légers rires secouèrent la table ; Regulus roula des yeux dans une imitation parfaite de leur père et Bellatrix fixa Sirius avec défi, une lueur folle dans l'ombre de ses pupilles dilatées.
- Que leur trouves-tu, à ces Moldus ? D'ailleurs, vous avez la même odeur, maintenant que j'y pense.
Le majeur de Sirius semblait vouloir se lever tout seul.
- Oh, tu ne connais pas le centième des choses qu'ils ont inventées, dit-il calmement. Ils sont très instructifs.
- Éclaire ma lanterne, veux-tu ?
- Le monde moldu m'a appris un tas de choses, cousine. Apprendre à péter sans peur du bruit, par exemple.
- Sirius ! s'horrifia une voix - peu importe à qui elle appartenait.
- Connais-tu David Bowie ? continua-t-il cependant, sans prêter attention à l'agitation dans la salle à manger. Il fait de la très bonne musique -
- Sirius !
- ...je suis sûr que ça te plairait. Et les cigarettes, il faut que tu goûtes ! Je t'en ferai cadeau Noël prochain, ça te détendra. Mais je crois que le meilleur -
- Sirius !
- ...c'est les magazines de cul.
Silence complet. Sirius sourit victorieusement aux têtes traumatisées de ses cousines.
- Il y en a de tous les genres, persévéra-t-il. Des garçons, mais surtout des filles. En petite tenue, sur des motos, sous la douche... Tu y trouveras peut-être ton bonheur, Bellatrix, après tous ces échecs ?
Bellatrix laissa échapper un cri de rage et sortit sa baguette plus vite que son ombre. Sirius fila derechef sous la table - il sentit un sort passer au ras de ses cheveux - et ressortit de l'autre côté, près des jambes de Narcissa. Dès qu'il pointa le bout de son nez, Bellatrix tenta de lui jeter un sort mais échoua lamentablement ; à la place, elle toucha un mur qui se dégrada sous l'impact. Ce devait être un Doloris.
- REVIENS, SALE BÂTARD !
Malgré lui, Sirius se sentit rire, et ne s'arrêta que lorsque sa mère se leva et hurla "Arrêtez immédiatement !" de sa voix stridente. Il ressortit prudemment de sous la table, un grand sourire plaqué sur le visage. Il n'avait pas passé de si bon Noël depuis longtemps, au final.
- Assis, animal ! s'égosilla Walburga avec un grand geste de la baguette. Je ne pensais pas que vous pourriez encore plus honnir cette famille, mais je me trompais ! Je m'occuperai personnellement de vous après le dîner, soyez-en sûr.
La bonne humeur de Sirius fondit comme neige au soleil. Une punition. Il aurait droit à une punition.
Sous l'impulsion de Narcissa, Bellatrix se rassit sur sa chaise, la baguette toujours en main. Elle ne détournait pas son regard de son cousin, ce qui créait une légère tension dans l'atmosphère.
- Merci, murmura Regulus lorsque Kreattur changea les plats.
- Pour l'amour de Merlin, Regulus ! Combien de fois vous ai-je dit de ne pas remercier cet elfe ?
Regulus se ratatina sous les reproches de Walburga et les yeux hautains d'Orion.
- Qu'avons-nous donc, enfanté, Walburga ? se lamenta-t-il.
Regulus baissa la tête avant de brûler son frère du regard. Comme si c'était sa faute.
Sirius l'ignora superbement et entama son pudding, l'estomac encore vide (il avait à peine touché à sa dinde).
- J'ai ouï dire que les Malefoy avaient proposé leur fils à Narcissa, Druella ? poursuivit Walburga d'un ton faussement intéressé, comme si de rien n'était.
- Figurez-vous, ma chère...
Sirius n'écouta plus à partir de cet instant : ces conversations mondaines étaient une plaie, qui, chaque année, semblait un peu plus infectée que la précédente. Noël ne se passait sans doute pas comme cela, chez James. Celui-ci était sûrement en train de s'amuser avec ses cousins, pris d'un fou-rire alors qu'il tentait d'avaler dix pommes de terres sautées en même temps, sous les yeux amusés de ses parents qui se moquaient gentiment de lui. Peter, lui, devait être en train d'écouter les vœux de la reine à la radio avec ses parents, une assiette sur les genoux. Quant à Remus, il était très certainement en train de patiner avec son père sur un lac gelé dans le fin fond du trou du cul du Pays de Galles.
Un coup de fourchette mal placé, et un bout de son pudding sauta de son assiette.
- Sirius ! s'écria Walburga. Retenez-vous, pour l'amour de Merlin !
- Cet enfant est un véritable danger public, Walburga, commenta l'oncle Cygnus sans lever les yeux de son plat. Il n'aurait pas été comme cela si Druella et moi l'avions élevé.
Les bruits de couverts s'arrêtèrent instantanément. Sirius releva la tête : sa mère était blanche comme un linge, les lèvres pincées, tandis que son père assassinait Cygnus des yeux. L'oncle Alphard avait arrêté de mastiquer et regardait tour à tour Orion et Cygnus, le dos raide : il avait la même tête que Cornedrue quand il était tombé sur un ours, dans la Forêt Interdite, un soir de pleine lune.
Druella laissa échapper un petit bruit dédaigneux et rompit le silence pesant :
- S'il avait été à moi, je m'en serais débarrassé le plus tôt possible !
- Espèce de... commença Walburga.
- Allons, calmez-vous, amie, intervint Orion. Cet animal ne sera bientôt plus sous notre responsabilité. J'ai parlé à Adam Zabini et il consent à unir sa fille avec Sirius, ce qui est une excellente nouvelle pour nos bourses et notre réputation.
Sirius - qui, jusque là, tentait d'ignorer la révolte qui grondait dans son estomac - redressa lentement la tête.
Son imagination devait lui jouer des tours.
Il n'avait que seize ans.
- Quoi ?
Ce fut tout ce qu'il arriva à dire.
Tous les regards convergèrent vers lui - indifférence, dégoût, satisfaction, peine - et il se sentit d'un coup bien incapable de rester assis.
- Vous avez fait quoi ?
Pour la première fois de la soirée, Orion laissa paraître sur son visage autre chose que de la nonchalance : une ombre de sourire passa sur ses lèvres tandis qu'il croisait les mains sous son menton. Il prenait son pied, ça se voyait.
- J'ai arrangé ton futur mariage, Sirius. C'est la tradition, aucun Black n'y coupe.
Sirius se trouva dans l'incapacité de dire quoi que ce soit durant trois bonnes secondes. Il regarda sa mère, qui le fixait avec haine ; il regarda son frère, qui avait baissé les yeux ; il regarda Narcissa, qui se curait un ongle.
- Je ne suis pas un foutu Black.
Il sortit de table, incapable de rester plus longtemps avec sa - sa famille.
- Revenez ici, animal !
Et puis merde.
- Vous me connaissez bien mal, mère, fulmina Sirius. Si vous pensez que je vais rester là...
- Oh oui, vous resterez ! Je vous interdis-
- Vous m'interdisez ? Et pourquoi je devrais obéir ?
Sirius n'entendit même pas le sort, ni ne vit la baguette ; il ne put que s'écrouler par terre, pétri de mille et une douleurs, et chaque parcelle de peau s'enflammait, tous ses nerfs s'entortillaient et se pinçaient les uns les autres tandis que ses entrailles s'évidaient-
- Vous - vous - marierez - avec - cette - femme ! Vous vous reprendrez et ne couvrirez plus jamais la noble et très ancienne famille Black de honte ! Et je vous interdis de quitter cette table, animal!
Tremblant de tous ses membres, mais la douleur enfin repartie, Sirius se releva et jeta un regard de pur haine sur la femme qui se disait être sa mère.
- Va te faire foutre. Allez tous vous faire foutre.
Sans crier gare, il courut en-dehors de la salle à manger en direction des escaliers - il devait atteindre sa chambre - et derrière lui la voix de sa mère fut entravée par celle d'Alphard qui lui criait "Walburga, arrête !" mais les claquements de talons sur le marbre le suivaient comme son ombre - il était à la dernière marche, il devait prévenir James ! - et sa mère lui hurlait de revenir, allez, animal, cesse de te rebeller, tu n'es rien, rien face à cette famille.
Quand il arriva dans sa chambre, Sirius prit son Miroir à Double Sens et sa cape avant de se retourner vers sa porte ; sa mère était déjà là, la baguette pointée vers lui, et pas pour lui jeter un Rictusempra. Alphard arriva peu après, et dévia la trajectoire de l'arme de Walburga en la prenant par le bras. Sirius profita de cette diversion pour se faufiler entre sa mère et la porte et reprit l'escalier en sens inverse. Une dispute éclatait, en haut.
Lorsqu'il arriva à l'entrée de la salle à manger, Sirius fut stupéfait de voir que presque tous les invités, son père inclus, avaient continué à manger comme si de rien n'était. Seuls Regulus et Bellatrix avaient déposé leurs couverts.
Dans l'urgence du moment, Sirius eut une idée.
Il s'avança dans la salle à manger, prit à pleine main le pudding de son frère et alla attendre sa mère au pied de l'escalier. Lorsque celle-ci se présenta, folle de rage, Sirius alla à sa rencontre pour lui enfoncer le gâteau dans la bouche.
- Un jour, je me marierai avec James Potter, cracha-t-il. Joyeux Noël.
La dernière chose qu'il entendit, en quittant le 12, Square Grimmaurd, fut la voix de sa mère hurlant "Traître à votre sang ! Immondice ! Ignominie ! Vous souillez la maison de vos ancêtres !".
La dernière chose qu'il vit fut le visage décomposé de Regulus.
■■■º¤º■■■
Le Magicobus l'avait emmené dans un village - Flagey-le-Haut, enfin c'était ce qu'il croyait. Sirius n'avait jamais vraiment prêté attention à l'adresse de Cornedrue. C'était dommage ; il avait très froid, à force de marcher dans la neige molle.
Sirius pensa à ces Moldus dont Bellatrix avait parlé. Ceux qui étaient morts, et ceux qui étaient en train de mourir, alors qu'ils écoutaient la messe de minuit. Le monde était bien injuste, pour l'avoir doté d'une famille supportant l'homme - le monstre qui se faisait appeler Lord Voldemort - qui commençait, doucement mais sûrement, une épuration ethnique.
Il n'avait définitivement pas sa place dans la noble et très ancienne demeure des Black.
Une lueur un peu plus brillante que les autres attira son regard. La maison de laquelle elle émanait ne pouvait être que celle d'une famille sorcière : de petites fées enchantées formaient une guirlande joyeuse et mouvante.
James.
Il toqua - et quand il vit ces épis uniques, il sut qu'il était rentré chez lui.
--------------------------------------------------------
Voici l'OS de beatrixbihuglaz
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro