Chapitre 7
« On désire surtout ce que l'on ne doit pas avoir. », Syrus.
Sirius était figé sur place. Incapable de bouger, les mots de la couturière semblaient lui parvenir comme à travers un voile de coton.
« Mon vrai nom est Cassiopée. »
Ce n'était pas possible. Il ne pouvait pas s'agir de la sœur de Valentin. Pas de cette Cassiopée. Pas de la femme qui lui avait écrit lettre après lettre et qui était censée être institutrice. Institutrice. C'était tout bonnement impossible.
Pourtant, les similitudes avec Valentin étaient frappantes. Les mêmes yeux gris. La même chevelure noire et la même peau alabastre – ciel, la première fois qu'il avait vu Cassiopée, il avait même pensé qu'elle ressemblait à son ami décédé.
Le jeune homme sentit son cœur accélérer.
S'il s'agissait réellement de la sœur de Valentin, elle recevrait bientôt la lettre qu'il lui avait écrite. Elle appendrait bientôt que son frère était mort et ne saurait jamais que l'homme qui lui demandait de l'amour était à la fois celui qui lui avait menti auparavant et celui qui lui avait écrit la lettre d'adieu. Sirius serra imperceptiblement les poings, se demandant pourquoi le destin était aussi cruel avec lui. Il ne comprenait pas pourquoi semblait s'acharnait sur lui avec autant de haine et sentait une colère désespérée monter en lui.
« - Monsieur ? »
La voix de la couturière finit par percer à travers ses pensées en désordre. Il tourna lentement la tête vers elle.
« Oui ? », demanda-t-il d'une voix atone. Dieu, il avait demandé à la sœur de Valentin de l'aimer ! Le visage de la femme en face de lui se figea à son ton étrange et esquissa un sourire incertain.
« Avez-vous trouvé quelque chose qui vous convient ? »
Sans un mot, il hocha simplement la tête – les habits qu'il avait essayés avant de se mêler de la conversation de la couturière et de Raiponce – Cassiopée – lui allait. Il avança jusqu'à la cabine et attrapa les vêtements avant de les tendre vers la femme.
« Merci beaucoup. »
Elle avança jusqu'à la caisse et gribouilla les prix sur un morceau de papier pour calculer le prix. Sirius restait silencieux et figé. La couturière leva un sourcil.
« Vous n'êtes pas un grand bavard, vous. »
Il secoua la tête, un demi-sourire aux lèvres. La femme soupira et murmura rapidement des chiffres inarticulés avant de finalement annoncer le prix. Sirius extirpa quelques pièces et les lui tendit.
« Ah, la comtesse vous remercie ! », s'exclama la femme en souriant. Sirius fronça brusquement les sourcils, certain de ne pas comprendre la blague ou l'allusion.
« La comtesse ? », demanda-t-il précautionneusement, oubliant quelques secondes Raiponce. La couturière l'observa un instant, bouche ouverte, avant de rire.
« Mais enfin, petit, vous ne savez donc pas que c'est à la grande comtesse qu'appartiennent la plupart des boutiques de la ville ? » La femme secoua la tête. « Pendant la guerre, la plupart des commerçants ont fait faillites pour diverses raisons – que ce soit parce que le propriétaire était au front ou parce qu'il n'y avait plus de clients. Madame la Comtesse, dont le mari est mort juste avant la guerre – paix à son âme, le brave homme – a alors racheté tous ces magasins pour des prix ridicules et une fois la guerre finie, elle a réemployé hommes et femmes. Même si ce n'est pas facile, le commerce, heureusement, marche maintenant à nouveau ! »
« Je ne savais pas-»
La couturière l'interrompit en se penchant en avant.
« Je suis surprise que vous ne soyez pas au courant – vous ne travaillez pas au village ? »
Sirius se sentit brusquement mal à l'aise.
« Je-Je ne travaille pas. », grommela-t-il, étrangement honteux. La femme en face de lui n'avait pas l'air d'avoir conscience de sa réaction et rit à nouveau.
« Mais enfin, que peut bien faire un homme comme vous de ses journées, sans travailler ? » Le visage de la couturière devint brusquement sérieux. « Ou y a-t-il une raison particulière pour cela ? Avez-vous une blessure de guerre ? Oh – j'ai entendu des clients me raconter des histoires affreuses à ce sujet. J'espère bien qu'il ne vous manque pas une jambe ou que vous n'avez pas un trou dans le dos. On voit de tous, de ces jours, vous savez. »
Sirius grogna intérieurement. La curiosité de la femme et la rapidité avec laquelle elle parlait le rendait nerveux. Il n'était pas habitué à ce genre de conversations et il n'avait pas l'habitude de parler de sa vie. Néanmoins, il se sentait comme obliger de lui expliquer pourquoi il ne travaillait pas. Il grogna à nouveau.
« Non, mon corps va ...bien. » Mis à part les cicatrices que portaient ses membres, c'était surtout son âme que la guerre avait détruite. « Et si je ne travaille pas c'est que... » Il réfléchit rapidement à une excuse autre que la bête qui rôdait à l'arrière de sa tête. « Je n'ai rien trouvé. » Sirius se mordit la langue, se sentant comme un imbécile. L'excuse était minable. Cependant, la couturière sembla le croire et elle prit un air préoccupé. Elle secoua doucement la tête.
« Bon sang, c'est une honte ! Un gaillard comme vous. Je vais en parler à la comtesse – elle vient toujours en fin de semaine. Je suis certaine qu'elle arrivera à vous trouver un bon travail. Après tout, il y a toujours quelque chose à faire, n'est-ce pas ? » Un sourire rayonnant éclaira le visage rond de la couturière. « Allons, prenez maintenant vos habits et enlevez-moi ces loques que vous portez ! »
Le jeune homme sourit faiblement.
« Merci beaucoup. Au revoir. »
Intérieurement, il espéra sincèrement qu'elle ne parlerait pas de lui à la comtesse. Sirius était persuadé que la couturière l'oublierait dès qu'il aurait disparu de sa vue – d'un pas rapide, il ouvrit la porte et sortit dans la rue, le paquet d'habits sous le bras. Travailler serait certainement une distraction bienvenue – néanmoins, il ne se sentait pas prêt à être constamment entouré de personnes. De plus, une inquiétude sourde lui mordait le cœur à l'évocation de la femme noble. Après tout, il y avait une chance qu'il la connaisse et qu'elle aussi le reconnaisse. L'idée de croiser une femme qui le connaissait de son passé lui glaçait le dos et il éloigna rapidement cette pensée. Sirius s'empressa ensuite de rentrer jusqu'à sa cabane.
Sur la table bancale étaient toujours étalés les brouillons des lettres pour Cassiopée. Le visage de la jeune femme de L'Innocent lui revint aussitôt et Sirius se passa une main fébrile sur le visage. Inspirant profondément, il regarda à nouveau les lettres posées devant lui.
Un détail attira soudainement son attention.
Ma très chère Cassiopée,
Dis-moi, comment vas-tu ? Cela fait si longtemps que je n'ai pas eu de tes nouvelles – tes mots sont les seuls à libérer mon cœur de ce poids qui le fatigue. J'espère sincèrement que la fin de la guerre t'a apporté un peu de bonheur.
Moi, vois-tu, la fin des combats m'a apporté bien le contraire : peu avant, on m'a envoyé en première ligne car il n'y avait plus personne d'autre. Ce n'est bien évidemment pas ce qui est le plus dramatique. Seulement quelques jours avant que les soldats ne puissent enfin retourner chez eux, j'ai été gravement touché. J'ai miraculeusement survécu et évidemment demandé qu'on te prévienne. Du moins, c'est ainsi que je me remémore ce moment. Pendant plusieurs jours, mon monde n'était qu'un brouillard de terreur et de douleur alors pardonne-moi, mon ange de sœur, si je n'ai peut-être pas réussi à leur dire de sorte à ce qu'ils comprennent.
Sirius se figea et écarquilla les yeux, un air d'incompréhension sur les traits. Le morceau de papier devant lui était la lettre qu'il voulait envoyer à Cassiopée. Et il avait envoyé quelque chose. Seulement ce n'avait apparemment pas été la bonne lettre. D'un geste rapide il poussa la première lettre de côté et regarda brouillon après brouillon en essayant de déterminer lequel de ses papiers il avait pu envoyer. Son cœur se mit à battre rapidement. Il essaya de se rappeler lesquels avaient été posé à côté de la lettre qui devait être envoyé.
Son cœur manqua un battement.
Oh dieu.
Sirius se souvenait particulièrement d'une lettre. A son dos, il avait dessiné le portrait imaginaire de Cassiopée sous forme d'un nu. A l'avant de la lettre, il avait, suite à la frustration, écrit des mots peu appropriés pour une femme et n'avait pas du tout écrit de la part de Valentin. Le visage du jeune homme pâlit aussitôt. Les brouillons qu'il tenait entre ses doigts glissèrent au sol. D'un geste paniqué, il fouilla dans les lettres restantes.
Rien.
La maudite lettre ne se trouvait pas là et Sirius eut subitement la certitude qu'il l'avait envoyé.
Chère Cassiopée,
Jolie Cassiopée. Je recommence encore et encore cette lettre pour toi – mais je n'arrive pas à la finir. Peut-être suis-je maudit ? Peut-être est-ce la punition pour ce que j'ai fait.
Je suis
Ton frère est mort, Cassiopée. Mort et enterré. Ou peut-être que sa carcasse pourrit quelque part au soleil, sur les restes du front. J'en suis navré. Cette guerre a pris la vie à un homme qui ne méritait pas de mourir – et j'aurais dû t'informer de ce décès bien plus tôt.
Pourtant, j'aimerais
Mais j'étais égoïste. Le suis toujours. J'ai respecté les derniers vœux de ton frère et j'ai pris la plume pour lui. C'est moi qui t'es envoyé toutes ces lettres. Moi, moi, moi. Je Respecter les vœux de ton frère, en vérité, quelle ironie. Je suis certain que s'il avait su ce qu'il se passait dans ma tête, je suis certain qu'il aurait préféré mourir deux fois au front avant de me confier la tâche de t'écrire.
Sais-tu ce que j'imaginais dans les tranchées, douce Cassiopée ? Quand je n'arrivais pas à dormir dans la baraque ou que j'étais à moitié mort à l'hôpital ? Je t'imaginais toi, toujours toi, sans même t'avoir vu. J'imaginais ta voix. J'imaginais ton visage, tes cheveux, ton corps. Souvent ton corps. Je suis un homme après tout, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? J'imaginais ta peau comme celle de Valentin, sans la saleté, blanche et pure, ta peau douce, tes seins délicats entourés par des mèches ébènes et puis mes mains sur toi. Mes mains comme elle l'étaient avant la guerre, propre et à peine rugueuse. J'imaginais des caresses, des paroles, des baisers – des fois, j'imaginais des choses que je n'ose même pas écrire.
Mais la guerre, c'est la solitude pour le soldat et la seule chose que je pouvais toucher, c'était moi-même. Moi-même, avec ton visage derrière mes yeux fermés et ma main entre mes cuisses.
Pardonne
Sans te connaître, je t'ai aimé.
Je te souhaite le meilleur des choses et te suis à jamais redevable. Sans le savoir, tu m'as sauvé.
Sirius jura, le visage pâle. A reculons, il se laissa retomber sur son lit, enfouissant une main dans ses cheveux en désordre. L'idée d'avoir non seulement envoyé cette lettre mais en plus de l'avoir probablement envoyé à la Cassiopée de L'Innocent lui retournait l'estomac. Il n'était même plus certain s'il l'avait signé ou pas. Ne savait plus quels mots exactement il avait employé. La bête à l'arrière de sa tête grogna longuement et le jeune homme trembla violemment. Ciel, il se sentait sale. Cassiopée ne pouvait pas lire ces mots. Pas dans l'état où elle était.
Si seulement il avait su-
Si seulement il avait fait un peu plus attention. S'il n'avait pas mis la première lettre qui lui était venue dans l'enveloppe. Sirius laissa sa tête retomber en arrière et ferma les yeux. Il inspira profondément. Pendant quelques instants, il hésita à redescendre au village. Courir à la poste, supplier le postier de ne pas envoyer la lettre. Seulement serait-il impossible de trouver l'enveloppe blanche dans le tas de lettres similaires – de plus, la poste n'était pas ouverte et livrerait les lettres le jour d'après. Le jeune homme espéra fervemment que son prénom ne figurait pas au bas de la lettre. Serrant les poings et s'appuyant sur le lit, il finit par se relever.
Il tourna en rond en instinct, comme une bête sauvage prise au piège dans sa cage.
Sirius décida brusquement d'aller laver ses habits dans l'espoir de changer ses idées. Déjà, il s'imaginait les regards horrifiés de Cassiopée. D'abord la surprise, puis la tristesse en apprenant la mort de son frère, puis la colère en lisant la suite de ses mots. Si seulement il avait su que la sœur de Valentin était loin d'être une institutrice – l'idée qu'un homme inconnu se touchait en pensant à elle risquait de la dégoûter de toute autre façon. Peut-être se sentirait encore plus comme un jouet. Un simple objet de désir. Sirius jura à nouveau, la culpabilité rongeant son cœur. Il sentait la honte lui faire serrer les dents. Il sortit à grand pas de la cabane et se dirigea vers un petit étang proche. En avançant, il défit sa chemise et l'enleva d'un geste enragé avant d'enlever ses bottes et son pantalon.
Nu, il se retrouva face à son reflet dans l'eau, sourcil froncé. Les cicatrices sur son corps semblait se moquer de lui et ne supportant plus ses yeux qui semblait l'observer des profondeurs, il plongea violemment ses habits dans l'eau avant de les frotter avec frénésie. Sirius serra les dents.
Il ne savait pas exactement pourquoi il était en colère.
Seulement que toute sa haine était dirigée vers lui-même.
Il semblait incapable de faire la moindre chose correctement. Son père avait eu raison – il était l'image ridicule d'un duc. De son adolescence tumultueuse à la guerre, à son aventure dans le jardin avec cette noble et à sa fuite dans les bois en passant par la rencontre avec Cassiopée et cette fichue lettre – les foudres d'un dieu quelconque semblait constamment s'abattre sur lui. Les mains de Sirius tremblèrent plus fort et ses gestes vigoureux manquèrent déchirer le tissu de sa chemise. Le battement puissant de son cœur résonnait cruellement contre ses tempes tandis que la bête tentait inlassablement de briser ses barrières pour à nouveau prendre possession de son corps.
La respiration lourde et erratique, Sirius fut brusquement forcé de s'arrêter. Se forçant à des gestes calmes, il posa les habits à côté de lui. Serrant et desserrant les poings, il finit par s'allonger en arrière, repliant un bras sur ses yeux fermés. Le jeune homme semblait ne pas prendre conscience du froid – son corps était comme fiévreux, secoué de convulsion.
Le jeune homme inspira profondément, expira. Encore et encore, jusqu'à ce que son cœur ralentisse et que la bête se calme. Ensuite, il se rassit, les yeux rougit, le visage tendu. Il attrapa ses habits et retourna d'un pas lourd vers la cabane où il accrocha les vêtements à l'intérieur avant d'enfiler les nouveaux habits. Il attrapa une cigarette.
Sirius retourna à l'extérieur, s'assaillant sur le pas de la porte, la tête entre les paumes de ses mains fébriles.
Dieu, qu'avait-il fait ?
Il ferma les yeux un court instant avant d'allumer la cigarette qu'il plaça maladroitement entre ses lèvres. Jamais il ne pourrait regarder Cassiopée à nouveau dans les yeux. Sirius réfléchit. Il devait s'excuser. Avant tout, être sûr qu'il s'agissait bien de la sœur de Valentin. Ensuite la prévenir de la lettre avant même qu'elle ne la reçoive et ensuite disparaître de sa vie. Cette dernière idée lui fit serrer les dents.
L'idée de ne plus jamais revoir le visage gracieux de la femme qu'il avait appelé Raiponce, de ne plus jamais entendre sa voix et de ne pas savoir si elle allait bien ou pas était comme un coup dans le cœur. Même la bête ne semblait pas se réjouir à l'idée. Sirius grogna et se passa une main sur le visage. La fumée se perdait dans l'air froid et il grimaça un peu.
Il était réellement maudit.
Peut-être certaines personnes n'étaient tout simplement pas faites pour le bonheur.
Inspirant profondément, Sirius décida de parler à Cassiopée le soir même.
Bonjour, bonsoir les cocos!
Un deuxième chapitre pour la soirée, je suis motivée. Bon, je ne vais pas vous le cacher, j'ai un peu hésité avant de le publier - je sais que certains lecteurs ne supportent pas vraiment tout ce qui touche à la sexualité tandis que d'autre n'ont aucun problème avec. C'est pour ça que j'essaie toujours d'écrire les choses de manière peu explicite. Mais dans cette histoire en particulier, je trouve que le désir et la sensualité sont deux choses qui y ont toutes leur place. Mais j'aime donner un aspect un peu idéalisé voir poétique alors...voilà.
En tout cas, pauvre Sirius. Je n'aimerai pas être à sa place, en tout cas, tout ce qui peut aller de travers va de travers. Mais est-ce qu'il va réellement parler à Cassiopée? Va-t-il vraiment essayer de disparaître de sa vie? AHAAA. Nous verrons.
D'ailleurs, après avoir écrit ce chapitre, ça m'a fait pensé au livre/film Reviens-moi. C'est très triste mais très chouette, la musique magnifique, le scénario fascinant et les acteurs bons - si vous ne l'avez pas vu, allez y jeter un coup d'œil. Il y a aussi une histoire de lettre (et de guerre en fait, maintenant que j'y pense).
Bref, des bisous ♥
Blondie
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