Chapitre 13
« Le monde est inexplicablement mystérieux et plein de souffrance. », Albert Schweitzer
Tous les soirs, Sirius retourna à L'Innocent : tous les soirs, Cassiopée était allongée, s'affaiblissant un peu plus de jour en jour. Lorsque Sirius arriva un soir à l'Innocent, un mauvais pressentiment lui nouait la gorge. Comme la journée précédente, Max l'amena au cachot lugubre où la femme cruelle avait enfermé Cassiopée. Il ouvrit la porte avec ses clés et hocha gravement la tête :
« Deux heures. »
Sans attendre, Sirius pénétra dans la pièce à grands pas et entendit aussitôt la porte se fermer derrière lui. Nerveusement, ses yeux cherchèrent Cassiopée. Elle était allongée dans le noir, recroquevillée et immobile, comme si elle ne l'avait même pas entendu arriver. Le jeune homme fronça un peu les sourcils avant de doucement s'approcher en trébuchant un peu sur le sol inégal. Il s'agenouilla à côté de la jeune femme. Elle ne bougeait toujours pas et l'inquiétude avait fait accélérer son cœur nerveusement.
« Cassiopée ? », souffla-t-il et après quelques secondes, elle se retourna vers lui avec difficulté. A la lumière de la lune, pâle et ténébreuse, Sirius vit brusquement la blancheur de sa peau, les gouttes de sueur sur son front. Il écarquilla imperceptiblement les lèvres et sans réfléchir, tendit une main qu'il posa sur son visage.
La jeune femme était brûlante.
Sirius sentit son propre visage être drainé de toute couleur et rapidement, il leva Cassiopée du sol et la prit contre lui, sur ses genoux et entre ses bras.
« Bon dieu, Cassiopée. », siffla-t-il douloureusement. La jeune femme sourit faiblement et leva une main vers lui. Elle caressa doucement sa joue avant que sa main ne retombe faiblement, la pointe de ses doigts heurtant le sol.
« Tu es venu- », murmura-t-elle. Une quinte de toux lui coupa la parole et secoua son corps frêle avec force. Sirius la pressa un peu plus contre lui. Elle était encore enroulée dans son manteau : ce dernier était cependant maintenant imbibé d'humidité glaciale et ne faisait rien pour réchauffer la jeune femme. Il serra les dents. Doucement, il posa la tête de Cassiopée sur ses cuisses avant de rapidement sortir les bras des manches de sa veste en laine. Il redressa ensuite le corps de la jeune femme et la serra contre son torse après avoir enlevé le manteau glacé : fermement, il tint ses bras et la laine chaude autour de son corps frissonnant.
La bête était enragée.
Comment Madame Christophe pouvait-elle faire une chose pareille ?
Sirius pressa sa joue contre les cheveux de Cassiopée et ferma les yeux un instant, silencieusement. Il se sentait désemparé, désespéré. Il voulait sortir la jeune femme de cette tour misérable : voulait faire cesser tous ces malheurs. Elle frissonna contre lui, pressa son visage contre son torse.
« J'ai froid. », souffla-t-elle, comme pour s'excuser de sa faiblesse apparente. Un sourire douloureux déforma le visage de Sirius.
« Je sais-»
Cassiopée secoua vaguement la tête en toussant à nouveau. Elle fronça délicatement ses sourcils. La jeune femme s'écarta de lui, un tout petit peu. Elle leva sa main tremblante vers son visage, ses yeux vibrant à la faible lumière le fixant avec insistance.
« Tu ne comprends pas. », murmura-t-elle tendrement, claquement imperceptiblement des dents avant de sourire à son tour. Un bruit douloureusement guttural l'empêcha quelques instants de parler. Sirius prit son visage entre ses mains, brusquement déboussolé.
Tu ne comprends pas.
De quoi parlait-elle ?
La jeune femme cligna des yeux, plusieurs fois.
« Je suis malade. », souffla-t-elle enfin. Sirius se figea un instant avant de grogner.
« Je sais, Cassiopée. Tu es brûlante. L'humidité et le froid... ton corps n'a pas dû supporter-»
Elle secoua la tête à nouveau.
« Un médecin est venu ce matin. Il vient tous les trois mois, pour vérifier la santé des prostituées. Madame Christophe m'a fait en-entrer dans ma chambre un instant. Je suis enrhumée, mais ce n'est pas pour ça, je... j'ai un problème avec mon foie. » Cassiopée déglutit. « Le-le médecin a dit que c'était fréquent, chez nous. Il a parlé de...de maladie vénérienne. Qu'elle n'a pas été traitée et qu'elle a mal évolué. Elle est guérie mais elle ... elle s'est déplacée. » Cassiopée baissa la tête honteusement. Elle savait aussi bien que Sirius comment ce genre de maladies étaient contractées. Jamais sa condition misérable ne lui avait semblé si affreuse.
En quelques jours à peine, sa vie avait été détruite, déchirée un peu plus puis brûlée jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que les cendres pathétiques sous la forme de son corps malade dans un cachot sombre.
Sirius était devenu immobile. Un problème au foie. Il sentit ses mains se mettre à trembler, ne vit pas l'expression pâle et honteuse de la jeune femme. Il connaissait les maladies vénériennes. Il en avait vu les conséquences. Il se souvenait de Charlie et Frédéric, à la guerre – ils étaient plus jeunes que lui encore. Deux puceaux, effrayés, terrorisés : venus de la campagne pour ne pas ternir la réputation de leur famille. Deux garçons, deux enfants. Qui allaient à la messe le dimanche, aidaient le père au champ, avaient seulement appris à lire et jamais à compter, avaient été envoyés comme des agneaux à l'abattoir. Dans l'horreur, ils s'étaient trouvés, ces deux enfants. Ils s'étaient regardés dans les yeux, avaient vu leur désespoir mutuel : aucun d'eux n'avait jamais connu l'amour d'une femme, aucun d'eux ne le connaîtrait jamais. La nuit, dans leur baraque, on les entendait parfois gémir mais personne n'avait jamais rien dit. Ils n'étaient pas les seuls et tout le monde comprenait. Jusqu'à qu'un jour, Charlie contracte la syphilis. Il était mort, une nuit d'été. Les étoiles avaient brillé dans le ciel comme des diamants et le gamin de la campagne avait appelé maman dans un dernier souffle, ses yeux bruns et innocents écarquillés. Quelques heures plus tard, Frédéric s'était tiré une balle dans la tête, juste à côté de son ami. Et puis il y avait eu Philippe et André qui avaient eu la syphilis aussi, Antoine qui était revenu malade après avoir fui dans le lit d'une prostituée. La plupart en était mort. Mort.
Il blêmit et ses bras se mirent à trembler aussi. Il sentit la réalité le submerger, l'étouffer. Les quelques semaines précédentes, il les avait vécues dans une sorte de brouillard, hanté par le passé, secouru par les bras de Cassiopée. Il avait vénéré la jeune femme, il l'avait mise sur un piédestal comme une déesse bienveillante à qui il devait tout, comme il l'avait déjà fait pendant la guerre. La belle Cassiopée, son ange. Il en avait oublié sa situation : il en avait oublié sa mortalité. Il n'avait que pensé aux hommes qui la frappaient, aux hommes qui lui faisaient violences : mais la jeune femme était comme lui, humaine, prompte à devenir malade et mourir comme une fleur fanant doucement.
A l'intérieur de lui, la bête devenait de plus en plus incontrôlable. Elle poussa un cri de détresse, tenta de prendre le contrôle de Sirius. Un bruit guttural échappa au jeune homme et il bascula en avant avec Cassiopée. La violence de la bête l'avait pris par surprise : elle était désespérée, apeurée, comme un animal sauvage sur le point d'assister à la mort de son partenaire. Sirius serra les dents.
« Sirius ? »
La voix de Cassiopée semblait lointaine mais il se rendit compte que son corps était en train de l'écraser. Sa toux fit trembler son cœur : un sentiment nauséeux fit trembler son estomac. Sirius savait pertinemment que si Cassiopée mourrait, il serait comme Frédéric pour Charlie. Il ne survivrait pas. Pas une seule seconde. La jeune femme avait sauvé sa vie pendant des années. C'est elle qui lui avait fait tenir la guerre : c'est elle qui l'avait pris dans les bras après. Il se força à se redresser et pressa fébrilement la jeune femme contre lui, tentant de calmer la bête et d'organiser ses pensées.
« Sirius ? » la voix de Cassiopée n'était qu'un souffle rauque, mais brusquement, il sentit la bête se rétracter et ses pensées s'éclaircir.
« Qu'est-ce que le médecin a dit d'autre ? », parvint-il à murmurer d'entre ses dents serrés. La jeune femme se blottit contre lui.
« Qu'il fallait espérer que mon corps arrive à faire partir la maladie de lui-même. Madame Christophe n'a pas l'argent pour un traitement possible et moi encore moins. » Il entendit la jeune femme renifler, le plus discrètement possible, tandis qu'il sentit une larme froide sur la main qu'il tenait contre la joue de la jeune femme. « Je ne veux pas encore mourir, Sirius. »
Ses derniers mots furent prononcés si doucement que le jeune homme n'était pas certain de les avoir entendus. A son tour, il sentit ses yeux s'humidifier. Il serra les poings. Dire que tout allait bien se passer ne rassurerait pas Cassiopée. Il ne pouvait pas prédire l'avenir, il n'était pas médecin.
« Le traitement. », dit-il doucement, « Combien coûte le traitement ? »
Cassiopée secoua la tête.
« Je ne suis pas sûre. Beaucoup. C'est un traitement encore-» Elle toussa violemment, « Encore nouveau. Ce n'est même pas sûr que cela fonctionne. »
Sirius serra les dents.
« Mais il y a une possibilité que cela fonctionne, Cassi. Il y a une possibilité. »
Un rire amer qu'il n'avait jamais entendu sortir de la bouche de la jeune femme échappa à Cassiopée.
« Peut-être, mais ni toi, ni moi, ni personne dans ce village ne peut se le permettre. C'est trop cher et je ne suis qu'une prostituée, Sirius. Tout mon argent, je l'ai utilisé pour-pour rembourser mes dettes. Valentin mort je...je n'ai même plus de famille, je -» Un bruit désespéré échappa à la jeune femme, comme si elle se rendait compte brusquement de sa situation. Elle se mit à trembler avec force et Sirius lui caressa les cheveux, frotta ses épaules, dans un effort désespéré de la calmer.
« Je vais trouver une solution, Cassi. Je vais te sortir de là, je vais trouver un moyen de payer ce traitement. Tu n'as pas personne, mon ange. Tu - » Sirius sentit sa langue maladroite s'emmêler, les mots lui manquer. Il inspira profondément. « Tu m'as moi. », souffla-t-il, « Je ne vais pas t'abandonner. Je l'ai promis à ton frère et maintenant je te le promets à toi. Tu as ma parole, Cassiopée. Je vais tout faire, tout, pour te sortir de là et te soigner. Madame Christophe ne dirigera pas éternellement ta vie. » Ses mots étaient rapides, confus, mais il savait que la jeune femme l'avait compris. Comme la caresse des ailes d'un papillon au printemps, quand le soleil commençait à chatouiller les sens, il sentit doucement Cassiopée pressait ses lèvres faibles contre son torse. Il déglutit.
Il ne parvint pas à retenir une larme.
Elle coula de son œil, roula sur sa joue et tomba silencieusement de son menton sur le front de Cassiopée. Elle releva doucement la tête, ses yeux fiévreux, son front luisant de sueur. Elle était malade : mais Sirius ne voulait pas, ne pouvait pas, s'écarter d'elle. Il n'avait pas la force ni la volonté d'arrêter la jeune femme lorsque ses lèvres se posèrent cette fois sur sa nuque, puis sur son menton : sur sa joue, où sa langue caressa avec tendresse le chemin salé qu'avait tracé la larme. Il ferma les yeux et elle embrassa une paupière, puis l'autre, levant une main vers sa joue qu'elle caressa doucement avant de brusquement cesser de bouger. Lentement, Cassiopée reposa sa tête dans le creux de la nuque de Sirius.
« Tu te souviens du premier soir où tu es venu ? », murmura-t-elle, son souffle caressant sa peau. Sirius hocha silencieusement la tête. « Je veux seulement que tu fasses semblant de m'aimer. Pour une seule nuit. Parle-moi. Ta voix était... il y avait cette innocence en toi, Sirius. » Cassiopée rit doucement. « Tu étais cet homme adulte avec ce visage torturé qui m'a demandé avec un air maladroit de seulement t'aimer. Je me suis... A ce moment, je me suis demandé si j'étais capable d'aimer. Si j'en étais encore capable. Pendant des années, j'ai...j'ai ravalé mes sentiments, je les étouffé, jusqu'à ce que tu viennes. » Elle renifla à nouveau et Sirius sentit les larmes de la jeune fille rouler sur sa nuque tandis qu'il sentit son corps tambouriner violemment dans sa cage thoracique. « Je ne sais pas par quel hasard nous nous sommes retrouvés. Peut-être que c'est l'étoile de Valentin qui t'as guidé. Peut-être que c'est le destin-» Il la sentit sourire, comme si elle trouvait ses mots ironiques et sourit à son tour, pressant ses lèvres contre le sommet de son crâne. « Quoiqu'il en soit... je... Je tiens à te remercier. Pour tout ce que tu as fait et tout ce que tu fais encore, pour tout ce que tu es. » Le sourire s'évapora des lèvres de Cassiopée et elle prit une inspiration tremblante. « Je ne veux pas...Je ne veux pas que tu sacrifies quoique ce soit pour moi ou pour un traitement. Tu as déjà assez souffert pendant la guerre, Sirius. Tu mérites d'être heureux. Peut-être que mon corps se guérira tout seul, tu-tu sais. Je... Je veux que tu trouves quelqu'un qui puisse réellement t'aimer. Quelqu'un qui ne soit pas aussi terni, pas aussi bri-brisé. Je... » Cassiopée cligna violemment des yeux. « Après demain soir, je-je ne veux plus que tu reviennes. »
En une seconde à peine le cœur de Sirius éclata en morceau.
Ses pensées étaient comme effacées, ses mots maladroits incapables de sortir.
Avec difficulté, Cassiopée se redressa et le regarda dans les yeux, sa main continuant à caresser sa joue.
« J'ai seulement une demande à te faire. », souffla-t-elle. « Demain soir... demain soir je-je voudrais que tu fasses comme si tu m'aimais réellement. Que tu m'embrasses et que tu me montres ce que c'est réellement que faire l'amour. »
Avant que Sirius ne puisse répondre, la porte de la pièce s'ouvrit et Max entra.
« Dehors. Les deux heures sont passés. » Lorsqu'il vit que Sirius était comme figé, l'homme entra dans la pièce et, le tirant par le bras, le força à sortir. Sirius fut incapable de défaire son regard de Cassiopée. Agenouillée au sol dans la pièce sombre, la lune illuminée sa chevelure sombre et son visage pâle avec ses grands yeux hantés où les larmes semblaient incessantes. Si seulement ils avaient eu quelques minutes de plus, ou mêmes quelques secondes seulement.
Sirius lui aurait dit qu'il n'aurait pas à faire comme si.
Il lui aurait dit que si elle le souhaitait, il lui ferait réellement l'amour. Que ses sentiments pour elle étaient réels et qu'il était inutile pour elle de souhaiter qu'il trouve quelqu'un d'autre. Il ne l'abandonnerait pas.
Pour la première fois, Sirius aimait avec certitude et il n'était pas prêt à laisser la jeune femme mourir douloureusement et seul dans une pièce sombre. Même s'il devait corrompre, ramper : il l'aiderait.
A l'arrière de sa tête une petite voix lugubre lui rappela cependant avec cruauté qu'il avait eut raison : l'amour n'était pas quelque chose de beau.
Bonjour, bonsoir les cocos!
Je m'excuse honnêtement de ne publier que si rarement - je n'ai vraiment pas le temps et c'est de pire en pire. En plus, l'écriture de cette histoire nécessite beaucoup de temps parce je fais du mieux que je peux pour bien transmettre les émotions (étant donné qu'il n'y a pas beaucoup d'"action" dans le sens spectaculaire du terme et que l'histoire est justement principalement basée sur l'évolution émotionnelles de Cassiopée et Sirius...).
Et puis je fais malheureusement partie de ses gens un peu trop émotionnels: je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme une espèce de grande tristesse qui me prend quand j'écris cette histoire. Je voudrais prendre Sirius et Cassiopée dans les bras et leur dire que tout ira bien (bon sang de bon soir).
Enfin qui sait.
Je ne sais honnêtement pas comment va se finir cette histoire, deux options sont en tout cas possible et l'une est définitivement tragique - je ne sais pas que vous préférez.
J'espère que ça vous a plu!
Des bisous ♥
Blondie
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro