Chapitre 11
Cela faisait un certain temps que Minho n'avait pas vu son cadet durant l'une de ses crises. En vérité, il ne l'avait vu en tout et pour tout que deux fois dans cet état : le samedi où il était venu par inadvertance et la fois sous la pluie. Il se doutait parfois que le lycée était trop difficile à supporter certains jours, et qu'il venait se réfugier derrière un chocolat chaud pour ne pas faire face à l'insurmontable. Une fois il avait même suspecté que Jisung avait fait une crise de panique juste avant de venir chez lui parce qu'il avait eu l'air exténué et s'était endormi dès qu'ils avaient commencé leur série. Mais Minho ne posait pas de question. Et il préférait, tant qu'à faire, que l'anxiété du plus jeune ne se manifeste pas trop. Il avait même remarqué que Jisung côtoyait de moins en moins le café, signe qu'il allait de plus en plus en cours. Signe qu'il allait mieux.
Seulement, lorsque ce jeudi soir il entra en trombe dans la boutique, la respiration hachée, haletante, Minho sut tout de suite de quoi il en retournait.
Le visage de Jisung était d'une pâleur fantomatique et il s'accrochait à sa gorge comme si quelque chose y était coincé. Minho abandonna immédiatement son torchon et contourna le bar. Dès que le châtain aperçu le serveur, il s'engouffra dans son étreinte. Minho n'eut même pas une pensée pour ses clients encore présents.
« - Ça va aller, Jisung-ah, ça va aller » ne cessa-t-il de répéter en l'entrainant jusqu'à la réserve.
Jisung ne parvenait pas à prendre une seule respiration complète. Ses phalanges étaient devenues blanches à force de s'agripper au tablier de Minho. Il lui prit la tête entre ces deux mains et lui répéta à l'oreille « Respire, Jisung. Je suis là. Tout va bien. Respire » tel un mantra. Des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Minho eut envie de défoncer le mur à sa gauche. Il ne savait pas quoi faire de plus. Il se sentait impuissant.
« - Je pouvais pas... Hyung... Je pouvais pas...
-Je sais, je sais. Chut. Tu es en sécurité maintenant. »
Qu'importe ce qui avait mis Jisung dans cet état, Minho savait que ce n'était pas de sa faute. Rien n'était de sa faute. Rien n'aurait jamais pu être de sa faute. Les autres ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas comment les regards d'une foule pouvait menacer. Comment des interactions sociales, à l'allure simple et commune, pouvait se révéler être un défi de tout instant. Comment le cœur se mettait à battre aussi fort et les mots s'enfuir de notre bouche. Pourquoi le corps réagissait aussi fortement lorsqu'on nous posait une question. Mais les autres ne comprenaient jamais.
Jisung ne s'arrêtait pas de pleurer, et Minho sentait son estomac s'enfoncer toujours plus profondément dans son ventre.
« - Il voulait que je montre aux autres... Il voulait que je montre l'exemple. Mais je- Je ne pouvais pas... Et il m'a- Il m'a répété de le faire » hoqueta le plus jeune en passant ses bras autour du torse du plus vieux. Il enfonça sa tête dans la poitrine de Minho, au point que ça lui fasse mal. Mais Minho ne ressentait plus rien. Qu'une colère sourde.
« - Tu ne l'as pas fait, tu n'étais pas obligé. Tu as bien fait Jisung. Respire avec moi. »
Il fit lever et abaisser sa poitrine, comme la dernière fois. Respira fort au-dessus du crâne du plus jeune. Mais celui-ci ne le suivait pas. Il resserra juste son étreinte un peu plus. Minho avait l'impression que son ami tentait de s'étouffer dans son tablier. Il ne pensait pas que ce fusse la meilleure des manières, mais laissa son cadet se gérer. Il se connaissait. Il saurait se calmer. Il lui faisait confiance. Il n'avait rien d'autre à faire.
« - Je suis là. Je suis là » Minho ne cessait de lui rappeler tout en lui caressant les cheveux.
Jisung continuait de pleurer mais sa respiration se stabilisait peu à peu.
« - Mon prof de sport voulait que je monte le mur d'escalade devant tout le monde » expliqua-t-il plus clairement entre deux hoquets. « Mais je sentais leur regard sur moi. Je lui ai dit que je n'avais pas très envie. Il m'a dit que je n'avais pas le choix. J'ai commencé à mettre mon baudrier, mais je n'arrivais plus à respirer. Je sentais leurs yeux sur mon dos, à chacun de mes gestes. Et le prof. Et le prof. Ils attendaient tous quelque chose de moi, et je ne savais même pas comment commencer. J'ai cru que j'allais m'évanouir. J'ai demandé à aller aux toilettes et... Je suis parti.
-C'est pas grave Jisung. Tu as bien fait. »
Jisung renifla et s'écarta de l'étreinte du plus âgé. Ses cils étaient encore bordés de larmes mais il semblait avoir assez pleuré. Des hoquets venaient ponctuer sa respiration, mais cette dernière semblait de nouveau stable.
« - Merci.
-Ça va mieux ? » Il hocha la tête. « Tu es sûr ?
-Oui, retourne au travail hyung. Je peux rester seul maintenant.
-Je peux rester avec toi si tu veux, ce n'est pas grave. » Ce n'était pas tout à fait vrai. Il n'y avait personne d'autre que lui ce soir-là. Personne pour servir les clients ou surveiller que tout se passe bien. Mais Minho – et il s'en rendit compte à cet instant précis – était prêt à perdre son emploi pour faire en sorte que son cadet aille bien.
Parfois, il y a des choses dans la vie qui méritent qu'on abandonne tout pour elles.
« - Je suis sûr. »
Minho s'écarta et hocha la tête. Il sortit de la pièce mais revint un instant après avec un brownie à la main.
« - Pour te redonner des forces. »
Jisung lui offrit un petit sourire fatigué.
Lorsqu'enfin Minho retourna bel et bien à son poste de travail, il ignora superbement les regards interrogateurs de ses clients présents lors de la scène et se tourna vers le nouveau venu.
« - Bonsoir ! Qu'est-ce que je pourrais vous servir ? »
Les minutes s'égrainèrent à une lenteur insupportable. Le temps était la seule valeur sûre de ce monde, il était vrai. Mais le temps était aussi relatif. Minho avait l'impression que chaque fois qu'il se tournait vers l'horloge, une seule minute s'était écoulée depuis la dernière fois. Il finit par fermer vingt minutes en avance parce qu'il n'avait aucun client et nettoya sans y porter grande attention. Seungmin râlera demain matin, à n'y pas manquer, mais ce sera quelque chose dont il se préoccupera demain. Maintenant tout ce qui lui importait était de rejoindre son cadet et de constater son état.
Lorsqu'il eut terminé de faire les comptes du soir, il retourna à l'arrière-boutique. Avec un soupir de soulagement, il constata que Jisung était toujours là, à moitié endormi sur la chaise. Son présent avait été dévoré.
« - On peut y aller si tu veux. » Jisung réagit à peine. Minho s'approcha et lui caressa distraitement le haut du crâne. Le plus jeune releva la tête. « On y va ? »
Jisung secoua la tête et se leva. C'est à ce moment-là que Minho remarqua qu'il n'avait aucune affaire.
« - Tu as laissé ton sac au lycée ?
-Je suis parti sans rien, oui.
-Et ton téléphone ? » Jisung serra les lèvres. « T'as laissé ton téléphone là-bas aussi ?
-Oui » murmura-t-il.
« - Est-ce que ta mère sait que tu es là ? »
Jisung se mordit l'intérieur de la joue et cela lui suffit comme réponse.
« - Je te raccompagne chez toi. »
C'était plus une affirmation qu'une question, mais Jisung tenta de refuser tout de même.
« - Non, c'est pas la peine. Elle s'inquiétera pas. Elle a l'habitude.
-Alors dis-toi que ce n'est pas pour la rassurer elle mais moi. » Jisung ouvrit la bouche pour rétorquer quelque chose, mais Minho ne lui laissa pas le temps. « Je refuse de t'inviter chez moi si ta mère ne sait pas où t'es. C'est pas pour t'infantiliser. Je sais que tu es adulte et que tu fais ce que tu veux. Si tu veux partir maintenant et retrouver Chan ou Changbin, je ne dirai rien. Mais si jamais j'avais un fils dont le lycée m'appelait pour me dire qu'il était parti en plein milieu d'un cours, j'aimerai être sûr qu'il va bien. Alors je n'infligerais pas cette inquiétude à ta mère. »
Jisung baissa la tête, soudainement pris de remords. « D'accord. Allons-y. »
Après avoir rangé ses affaires et fermé derrière eux, Minho suivit son cadet dans les rues de Séoul.
Il ne savait pas où le plus jeune habitait. Il ne savait pas s'il avait des frères et sœurs, ou si son père habitait avec eux, il n'avait jamais mentionné que sa mère dans leurs discussions. Il remarqua qu'il ne savait pas grand-chose de Jisung. De sa vie. Il savait qu'il aimait la musique, qu'il avait un humour cynique et piquant, qu'il avait dû grandir trop vite. N'était-ce pas le plus important ?
Il fut surpris d'arriver un bas d'un immeuble en moins de quelques minutes. Il ne se doutait pas qu'ils habitaient aussi proches l'un de l'autre. Jisung l'invita à entrer dans le hall d'immeuble mais s'arrêta devant ce qui semblait être la porte de chez lui. Il s'essuya les yeux, tentant en vain de camoufler les traces de son émotion.
« - Merci hyung.
-De rien. » Il ne savait pas si son cadet le remerciait de l'avoir aidé ou ramené chez lui.
Jisung ne se décidait toujours pas à ouvrir la porte. Il prenait de grandes inspirations qui conféraient quelques couleurs à ses joues.
« - Je peux te laisser là, si tu veux. » lui proposa Minho. Ce n'était pas à lui qu'on apprendrait que la famille était compliquée. Il ne forcerait jamais le plus jaune à s'ouvrir à lui.
Jisung sembla tenté par la proposition, puis secoua la tête.
« - Non, c'est bon. » Puis il ouvra la porte.
Ils furent accueillis par une cacophonie d'exclamations.
« - Jisung, c'est toi ? » Une femme d'une quarantaine d'année, de petite taille et les cheveux remontés en chignon s'approcha d'eux et engloutit Jisung dans son étreinte. « Quand le lycée a appelé, je me suis fait un sang d'encre. Dieu merci, tu vas bien.
-'Sung, 'Sung ! » Une petite fille s'approchait en trottinant et tira le bras de son frère avec force. Jisung s'accroupit et lui tapota la tête. Minho lui donnait une dizaine d'année à tout casser. « 'Sung, regarde ! Boom ! » Elle mima une explosion de ses deux mains.
« - Oui, boom.
-Boom.
-Moi aussi je suis content de te revoir petite tête.
-Jisung, tu nous présentes ? » demanda sa mère en remarquant finalement Minho.
Ce dernier ne savait plus où se mettre. Il dansait d'un pied à l'autre dans l'encadrement de la porte, attendant que Jisung fasse le premier pas. Il n'était pas assez social pour être à l'aise dans cette situation. Il n'avait pas les codes, ce n'était pas sa zone de confort. Dans son café, il était en charge. Ici, il se retrouvait à la merci des éléments.
« - Maman, voici Minho.
-Oh ton nouvel ami. Enchantée, enchantée. Je suis Soohee, sa mère. » Minho accepta la main qu'elle lui tendait.
« - Et voilà Minju, ma petite sœur. » Cette dernière le regardait d'un drôle d'air derrière ses lunettes en cul de bouteille.
« - Salut Minju. » Elle se détourna immédiatement de lui.
« - Bin ? L'est où Bin ?
-Il est pas là Changbin. Tu le verras une autre fois. » Sa petite sœur le frappa contre la cuisse. Minho avait beau se douter qu'elle n'était pas bien âgée, il ne manqua pas la grimace de douleur qui déforma les traits de Jisung. Petite, peut-être, mais elle ne manquait pas de force.
« - Minju, qu'est-ce qu'on a dit ? On ne frappe pas, personne. C'est interdit. » Malgré les remontrances de sa mère, la petite partie en rigolant vers le salon. « Désolée pour cet accueil. Bienvenu dans la famille Han. » Jisung avait l'air de vouloir s'enfoncer six pieds sous terre.
« - Pas de problème » répliqua Minho avec un sourire.
« - Tu resteras bien manger ?
-Maman... » souffla Jisung. « Minho a peut-être d'autres choses à faire...
-Mais il est déjà dix-neuf heures trente. C'est l'heure de manger et le repas est prêt, je ne vais pas le laisser repartir le ventre vide. Non Minju, c'est fini la télé pour aujourd'hui ! » Soohee disparu de l'entrée pour confisquer la télécommande des mains de la brunette.
Il ne restait plus que Jisung et Minho devant la porte. Le plus jeune se gratta l'arrière de la tête.
« - Si tu me le demandes, je pars » affirma Minho.
« - Je veux pas que tu te sentes obligé de rester. Tu as vu comment est ma famille... Elle peut être un peu de trop.
-Ça ne me gêne pas. » Il était vrai que le peu qu'il avait vu, sa famille était quelque chose. Sa petite sœur était spéciale, bien qu'il ne sache pas à quel point. Sa mère était chaleureuse et protective. Mais Minho s'attendait à pire. Bien pire. Au contraire, il était heureux de savoir que Jisung faisait parti d'une famille qui prenait soin de lui.
Finalement, son cadet hocha la tête et referma la porte derrière eux. Ils se déchaussèrent et Minho laissa ses affaires dans le couloir.
Soohee était retournée dans la cuisine et Minju frappait le canapé de frustration.
« - Jisung, occupe-toi de ta sœur s'il te plaît. Minho-ssi, tu peux venir prendre les assiettes et mettre la table. »
Minho obtempéra, heureux d'avoir quelque chose à faire de ses deux mains. Il entendit Jisung discuter avec sa sœur dans le salon.
« - Mais veux regarder l'télé !
-On va manger de toute manière, Ju. Tu vas avoir le temps de rien regarder.
-Télé !
-Tu veux pas plutôt me raconter ce que tu as fait à l'école aujourd'hui ? »
Minho prit les cinq couverts disposés sur le plan de travail et les mena jusqu'à la table à manger. La cuisine embaumait les épices, et Minho en eut l'eau à la bouche.
« - 'ter des tomates dans l'potacer.
-Vous avez planté des tomates dans le potager de l'école ? » Minju hocha vivement la tête. « Avec ta maitresse Jessica.
-Oui.
-Tu l'aimes bien Jessica, non ?
-Oui. M'a donné des livres guerre.
-Vraiment ? » Minho ne put s'empêcher de remarquer la grimace de Jisung.
« - Là ! » Elle lui mit le livre sous les yeux. Minho finit d'installer le couvert.
« - Jisung, va chercher ton frère.
-Okay. On va chercher Juyeon ?
-Juyeon ! Juyeon ! » cria la petite.
« - Ça va, je suis pas sourd » répondit une voix derrière l'une des portes closes.
« - Assis-toi mon grand » l'invita Madame Han. Minho fit comme on lui indiquait.
Un adolescent arriva dans la pièce. Il portait un T shirt noir trop grand pour lui et des piercings recouvraient ses oreilles presque entièrement.
« - C'est qui lui ?
-Un ami. Et si tu veux pas manger ton repas dans ta chambre, tu seras un peu plus poli. » le rabroua Jisung, l'œil mauvais.
« - T'es pas ma mère.
-Mais je suis d'accord avec Jisung. Assieds-toi correctement. »
Juyeon leva les yeux au ciel mais obtempéra, redressa son dos et posa les deux mains sur la table. Minho, en face de lui, se racla la gorge.
« - Je m'appelle Minho.
-Juyeon. Mais je pense que tu l'avais deviné puisque Minju l'a crié dans tout l'appart. » La concernée rit de bon cœur.
Toute la fratrie prit finalement place autour de la table, et Soohee apporta une large casserole. Tandis que Jisung servait l'invité, Juyeon accrocha sa serviette autour du coup de sa petite sœur.
« - Chae ?
-Oui, on mange des Japchae. Sers-le plus Jisung, un grand garçon comme ça, ça a besoin de manger.
-Ne me sers pas plus » chuchota Minho à l'intention de son cadet. Ce dernier laissa échapper un petit rire. Il eut l'air d'enfin se dérider. Minho se demanda s'il regrettait de l'avoir fait entrer chez lui.
« - Pas carottes.
-Juyeon, tu pourrais trier le plat de ta sœur ? » Juyeon grommela quelque chose d'incohérant mais se pencha tout de même sur l'assiette de sa voisine.
Minho attaqua son plat. C'était fondant et épicé, comme il aimait. Le poulet était particulièrement tendre, et cela lui faisait d'autant plus plaisir d'avoir accepté l'invitation. Il n'avait pas beaucoup l'occasion d'acheter de la viande avec son maigre salaire. Encore moins de le cuisiner de la sorte.
« - Et alors, qu'est-ce que tu fais dans la vie Minho ? » L'intéressé ingurgita la nourriture qu'il avait en bouche avant de répondre.
« - Je suis serveur, aux Temps modernes, c'est pas très loin.
-Je vois où c'est. J'y allais, il y a quelques années. Est-ce toujours Monsieur Kim le propriétaire ? » Minho hocha la tête. Juyeon jura entre ses dents en se penchant sur le sol.
« - Juyeon, pas de gros mots devant ta sœur. Tu sais comment ça va finir. »
Sa remontrance ne servit pas à grand-chose.
« - P'tain, p'tain. » La petite avait l'air très fière d'elle.
« - Désolé » grommela le noiraud. Il venait de se redresser, la fourchette que Minju avait laissée tomber par inadvertance entre les mains.
« - Et qu'est-ce que tu as fait comme études ? » Le morceau de poulet que Minho était en train d'avaler se coinça dans sa gorge.
« - J'ai fait des études de physique. » Jisung le regarda avec de gros yeux.
« - Pour être serveur ? C'est un job étudiant ?
-Non » après une courte pause, il poursuivit : « J'ai quitté la fac. Ce n'était pas pour moi. »
Ça ne servait à rien de tenter de camoufler cette vérité. Il n'avait jamais terminé sa licence, même si elle lui plaisait beaucoup. Tant pis s'il ne faisait pas aussi bonne impression qu'il le souhaitait.
« - Au moins, tu as tenté la fac » soupira Soohee. « J'ai parfois peur que Jisung ne parvienne même pas à avoir son bac, à force de sécher. » Cette fois-ci, ce fut au tour de Minho de se tourner vers son cadet avec les yeux tels des soucoupes. « Tu pensais peut-être y échapper en ramenant ton ami, mais tu n'échapperas pas à mon fameux discours. On a déjà eu cette discussion Jisung, c'est ton futur qui se joue.
-Je sais...
-Si tu es prêt à le balancer aux ordures, ça ne tient qu'à toi. Tu es majeur. Mais fini au moins le lycée. Sans ça, tu ne seras pris nulle part. » Jisung ne quittait pas son assiette des yeux, en se mordillant la lèvre. « Tu es intelligent, tu as les moyens d'aller dans le cursus de tes rêves, pourquoi est-ce que tu ne parviens pas à te raisonner un peu ? Tu penses te la jouer cool à faire l'école buissonnière ? »
Minho se sentit alors de trop. Et passablement mal à l'aise. Il pouvait comprendre que Jisung ne dise rien à ses amis, même s'il ne trouvait pas que ce soit la bonne décision, mais sa famille ? Il avait soudainement l'appétit coupé.
Jisung profita d'un moment où sa sœur accaparait l'attention en récitant les différentes insultes de son inventaire pour souffler ces quelques mots à son aîné : « S'il te plaît »
Minho savait très bien ce que Jisung lui demandait à demi-mot. S'il te plaît, ne leur dit rien. S'il te plaît, garde ce secret pour toi. Mais comment Minho pouvait-il accepter une telle demande ? Comment pouvait-il se taire lorsqu'il constatait à quel point son cadet était coincé dans une situation impossible et avait désespérément besoin d'aide ? Il le revoyait en larme dans ses bras, et son cœur sembla se briser de nouveau. Il ne voulait son bien, rien que son bien.
Mais face aux yeux remplis d'espoir, Minho n'eut d'autre choix que de hocher la tête.
« - Enfin, comme je l'ai dit, tu es majeur et responsable. Tu fais bien ce que tu veux. » Ses lèvres disaient quelque chose mais son regard signifiait le contraire. « Au moins, préviens-moi. Je m'inquiète toujours pour toi, Ji.
-Oui, désolé. »
Minho se sentait incroyablement triste pour cette femme. Seule – ou du moins Minho le devinait au manque d'un sixième couvert – elle devait s'occuper d'un garçon terrifié mais qui ne le lui avouait pas, d'un ado en pleine crise d'adolescence et d'une petite fille handicapée. Minho n'était pas stupide et avait des yeux pour constater l'évidence : Minju était trop âgée pour parler et se comporter encore de cette façon. Il ne devinait pas les détails, et ce n'était pas si important, mais il savait qu'elle ne ressemblait guère aux autres filles de dix ans. Elle était spéciale.
Tout le monde, dans cette famille, était spécial.
« - Comment vous vous êtes rencontrés ? » demanda Soohee en se concentrant de nouveau vers son invité.
« - Jisung est un client régulier du café. »
Le repas continua ainsi, Soohee posant des questions à Minho qui répondait de bon cœur tout en s'occupant de Minju qui demandait une attention quasi constante, Jisung qui participait de temps à autres pour relever un détail amusant et Juyeon qui se faisait aussi loquace qu'une pierre tombale mais qui ne quittait jamais vraiment sa sœur du regard. Comme Changbin, il jouait les durs face aux inconnus mais ne pouvait s'empêcher sa nature altruiste de ressortir.
Cela faisait quelques temps que Minho n'avait pas partager un diner aussi agréable. Bien sûr, il y avait régulièrement des blancs dans la conversation qui rendait tout le monde mal à l'aise et Minho ne savait vraiment comment se comporter au contact de Minju, mais cet instant lui rappela une autre époque douce où il partageait lui-même ses repas en famille.
Il se dit que Jisung n'avait pas conscience de la chance qu'il avait. Sa mère était là pour lui, envers et contre tout, le soutenait malgré son comportement qui aurait rendu fou n'importe quel autre parent. Elle se tenait là, debout à ses côtés, prête à le défendre et à lui offrir toutes les possibilités.
Minho était rassuré.
La nourriture terminée, ils se mirent à débarrasser. Minju réclama du chocolat, mais sa mère refusa.
« - Pas avant de dormir. » Son ton ne laissait pas de place à la négociation. Minju piqua une crise. Elle frappa la table du point, fit tomber un verre qui se brisa sur le sol. Soohee soupira longuement. « Jisung, occupe-toi de ta sœur. Juyeon, jette le verre. Fais attention à ne pas te couper. Minho, continue de débarrasser, s'il te plaît. » Les trois garçons acquiescèrent en silence. Jisung mena sa sœur au salon, sur le canapé où il reprit le livre sur la guerre offert par la fameuse maîtresse. Juyeon partit chercher une balayette et du journal. Minho récupéra les assiettes et retourna à la cuisine.
« - Je suis désolée que tu aies dû assister à cela » s'excusa Madame Han alors qu'elle se retrouvait dans la pièce avec le serveur. « D'habitude, Minju est plus calme. Je ne sais pas ce qui lui prend. La nouveauté sûrement.
-Pas de problème. »
Minho repartit récupérer la casserole sale et les dessous de plats avant de revenir à la cuisine.
« - C'est la première fois depuis Chan et Changbin que Jisung nous ramène un ami. Je suis vraiment heureuse que tu sois resté.
-Moi aussi » et en prononçant ses mots, Minho se rendit compte qu'il les pensait.
« - C'est juste que parfois, j'ai l'impression que Jisung s'éloigne de moi. Que je ne le connais plus aussi bien.
-Il grandit, c'est normal.
-C'est ce que je me dis aussi, mais cela ne change pas ce que je ressens. J'ai du mal à me faire à l'idée qu'il n'ait plus besoin de moi.
-Il a encore besoin de vous, croyez-moi. » Soohee l'observa avec reconnaissance. Minho se mordit la lèvre inférieure.
Ce n'était pas son secret à dévoiler. Ce devrait être à Jisung de révéler son état à sa mère. Mais Minho en avait vu assez, et connaissait Jisung. Jamais il ne le dirait sans un petit peu d'aide. Parce que sa mère avait des problèmes qu'il considérait comme plus important. Parce qu'il voulait se montrer fort pour ses pairs, digne de confiance, un pilier sur lequel Soohee pourrait se reposer. Il ne voulait pas être un fardeau.
Il avait gardé cette partie de lui cachée aussi longtemps, il était capable de continuer jusqu'au bout. Jusqu'à ce qu'il ne la considère plus vraie, lui non plus.
Alors Minho prit une décision. Peut-être lui coutera-t-elle l'amitié du plus jeune. Peut-être Jisung se sentira tellement trahi qu'il ne réadressera plus la parole au garçon de café. Mais c'était un risque que Minho était prêt à prendre.
Parce qu'il savait que cela rendra la vie de Jisung plus simple.
« - Vous savez que votre fils souffre de phobie sociale ? » Soohee détourna son attention de la tâche qu'elle était en train d'accomplir, dans ce cas nettoyer la vaisselle, pour se concentrer sur son hôte. « Jisung, il ne sèche pas les cours parce qu'il trouve cela drôle. Il ne parvient pas à y aller. Cela le rend malade. »
Et comme cela, il était trop tard pour faire marche arrière. Soohee porta la main à son cœur, sonnée. Juyeon rentra dans la cuisine et jeta les débris empaquetés dans du journal à la poubelle.
« - T'as encore besoin de moi, ou je peux retourner dans ma chambre ?
-Tu peux y aller » lui souffla sa mère.
Sans un regard, sans un aurevoir à l'égard de Minho, le plus jeune disparu. Minho se racla la gorge.
« - Je vais y aller aussi. Merci pour le repas. » Il se baissa la tête, reconnaissant. Mais alors qu'il se tournait en direction de la sortie, Soohee le retint pas le poignet. Minho fut plus que surpris de se retrouver dans l'étreinte chaleureuse de la brune.
« - Merci » lui chuchota-t-elle à l'oreille. Elle passa ensuite ses paumes sur ses yeux, effaçant toute trace des émotions qui l'avaient traversée. La revoilà aussi souriante et positive que cinq minutes auparavant.
Où trouvait-elle cette force ?
« - Jisung, ton ami s'en va.
-J'arrive. »
Minho était en train de lacer ses chaussures lorsque son cadet se retrouva devant lui. Il avait laissé sa sœur au bon soin de la télévision, merveilleuse nounou technologique. Minho avait du mal à soutenir son regard.
« - Merci pour aujourd'hui.
-Tu n'as pas besoin de me remercier. » Et ce, pour plus d'une raison.
Jisung passa ses bras autour de la taille de son aîné. Ce dernier sentit sa poitrine se resserrer. Il ne méritait pas son affection. Aussi vite qu'il s'était approché, Jisung rompit leur câlin.
« - Bonne nuit, hyung.
-Bonne nuit, Jisung-ah. » Il vit le visage de son cadet disparaître derrière la porte.
Ce n'est qu'en sentant l'air frais de la nuit venir frapper ses joues qu'il s'autorisa à être triste. Pour un tas de chose. Il était triste pour Jisung dont personne ne comprenait la détresse. Triste qu'il se sente obligé de cacher cela à tous ses proches pour paraître fort. Triste d'avoir peut-être gâché ses chances en avouant la vérité à sa mère. Triste de n'avoir plus la même chaleur, le même joyeux brouhaha qui l'attendait chez lui. Uniquement le silence de ses pensées noires.
Une larme unique roula le long de sa joue. Mais seule la lune en fut témoin.
***
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