#15 Failles et fêlures
Je n'aurai jamais cru dire cela un jour, mais Colin était foutrement rapide quand il le voulait. Lorsque je m'étais précipité dans le couloir, il avait tout juste disparu à l'autre bout, et en l'y retrouvant je constatai qu'il avait trouvé refuge... dans les toilettes.
En arrivant sur les lieux, je fus saisi par une odeur nauséabonde dont je tairai le nom des composants. Si Colin s'était réfugié ici, c'était qu'il se sentait suffisamment mal pour ne plus parvenir à réfléchir. Mon cœur se serra à cette pensée et je scrutai la pièce, essoufflé.
« Colin ? »
Je ne reçus bien sûr aucune réponse, mais en portant une oreille attentive, une cabine me parut bien plus bruyante que les autres. La sonnerie de reprise des cours me fit sursauter, puis jurer. Un lieu public, ce n'était vraiment pas le meilleur endroit pour être tranquille !
Avant que les élèves ne fassent irruption, j'ouvris mon sac, en sortis une feuille sur laquelle j'écrivis « fermé, en cours de nettoyage ». Avec du scotch, je fixai ma pancarte sur la porte puis la refermai. Je priais pour que le taux d'alphabétisme du lycée nous préserve des intrus.
« Colin ? Sors d'ici, tu es le premier à dire que c'est un nid à microbes... » dis-je en revenant vers la cabine.
Je toquai avec douceur sur la porte puis tendis l'oreille. Colin ne voulait toujours pas prononcer le moindre mot, mais je l'entendis renifler et fronçai les sourcils.
« Tu pleures ? »
L'idée me paraissait absurde, mais Colin n'était pas malade, alors pour quelle autre raison reniflerait-il ?
« Non. »
Sa réponse me fit sourire même si j'entendis très bien le sanglot étouffé dans sa voix. Sa fierté l'empêchait sans doute de le reconnaître et c'était certainement pour cela qu'il s'était enfermé ici.
« Écoute Col', te préoccupe pas de ce qu'ils t'ont dit, ils crachent des conneries à longueur de journée... Tu es plus fort que ça, c'est qu'une rumeur à la con...
— Tu comprends rien ! »
Je fronçai les sourcils, agacé, et m'appuyai contre la porte. S'il continuait comme ça, j'allais réellement m'énerver... Non Isaak, respire lentement.
« Qu'est-ce que je comprends pas ? »
Pendant plusieurs secondes, ce fut à nouveau le silence, puis la voix de Colin s'éleva, aussi basse qu'un murmure, si bien que j'eusse cru mal l'entendre.
« Il s'est passé la même chose au collège... la même chose et c'était horrible, horrible, m-mais c'était pas des rumeurs ! N-non tout était vrai...
— Attend attend, tu parles trop vite, calme-toi... »
J'entendis son souffle se faire erratique et je fus certain qu'il était sur le point de nous faire une jolie petite crise de panique.
« Colin, repris-je d'un ton un peu plus pressé, respire en douceur et putain ouvre cette porte. »
Il me sembla que des heures passèrent avant que la porte ne s'ouvre et j'aurais été heureux de la confiance que le brun me portait si la situation n'était pas aussi critique. Je me précipitai dans la cabine et tombai presque à genoux.
La vision de Colin me brisa le cœur.
Il s'était complètement recroquevillé dans un coin, et même si je ne voyais pas son visage, je savais qu'il pleurait aux tremblements qui agitaient son corps. Il ne me regardait pas et j'en profitai pour me rapprocher davantage et le prendre dans mes bras, lui offrant une étreinte réconfortante, obéissant à mon instinct.
C'était la première fois que je m'autorisais une telle proximité avec Colin, peut-être même avec qui que ce soit, et j'aurais préféré que ce soit dans une tout autre situation...
« Ça va aller, d'accord ? Ce n'est pas grave si tu pleures... »
Je tapotai maladroitement son dos, ne sachant pas vraiment quoi faire d'autre. Je n'étais pas de ceux qui réconfortaient les autres d'habitude, mais je ne pouvais pas laisser Colin dans cet état.
Sans même m'en rendre compte, il me rendait meilleur que ce que j'étais. Pour lui, pour l'aider, j'avais envie d'évoluer, de m'améliorer, et je l'avais déjà fait durant ces quelques semaines à le côtoyer.
Nous restâmes sans doute longtemps comme cela. Colin avait fini par s'appuyer contre moi, posant son front contre mon épaule. J'avais fait de mon mieux pour taire un gloussement de satisfaction et était simplement resté sans bouger.
La situation me paraissait invraisemblable. Je ne savais quoi penser de Colin, son attitude, ce qui s'était passé tout à l'heure. Je ne l'avais jamais vu comme cela, aussi... fragile ? Ce n'était pas un adjectif qui lui allait, et pourtant c'était ce qu'il était à l'heure actuelle. Quant à la raison...
« Il s'est passé la même chose au collège... la même chose et c'était horrible, horrible, m-mais c'était pas des rumeurs ! N-non tout était vrai... »
S'il ne démentait pas ce qu'avaient dit ces abrutis, alors cela voulait dire que Colin était gay, ou du moins attiré par les hommes... Je fronçai les sourcils, ne sachant pas si je devais m'en réjouir ou non. J'étais à la fois heureux de savoir que je pouvais l'attirer, et inquiet du fait que d'autres le pourraient aussi... Et si un garçon avec de mauvaises intentions apparaissait ? Je ne le laisserais jamais lui faire du mal, c'était certain. Si Colin devait être blessé par quelqu'un, ce serait par moi, et moi seul. J'étais plutôt doué pour ça d'ailleurs.
Bientôt le corps de Colin cessa de trembler et je baissais le visage pour essayer de voir le sien, en vain. Après un long soupir, je me redressai, écoutant les suppliques dans mes jambes qui n'en pouvaient plus. Je forçai doucement Colin à se relever en même temps.
Inquiet, je posai une main sur sa joue pour l'inciter à le regarder. Le pauvre garçon avait les yeux complètement bouffis et les lèvres pincées, si bien que je n'eus pas le cœur à le forcer plus longtemps et laissai retomber ma main en même temps que son visage. Je déglutis et me frottai la nuque, embarrassé.
« Viens, je te ramène. »
Il était hors de question qu'il aille en cours dans cet état, j'étais déterminé à rester le seul qui l'ait vu pleurer, ou du moins craquer. Je m'écartai de lui et il sortit rapidement de la cabine, puis dans le couloir. Après un dernier soupir, je m'engageai à sa suite.
Je suivis Colin jusqu'au bus, sans jamais le quitter des yeux. Il n'osait plus me regarder, mais j'avais trop peur de le voir craquer à nouveau pour le laisser seul. Alors je l'accompagnai jusqu'à l'arrêt, montai même avec lui. Il me regarda de travers, mais ne dit rien. J'avais l'impression qu'il avait abandonné une quelconque lutte intérieure.
Nous restâmes assis en silence durant tout le trajet, sans que ce soit pourtant inconfortable. J'avais beau avoir terriblement envie de lui parler, je ne voulais pas le presser et le laissais tranquille. À la place je l'observais se fondre dans son siège, je contemplais sa silhouette tournée vers la fenêtre, son regard résolument fixé sur un point mouvant.
J'appuyai sur le bouton d'arrêt quand Colin me murmura de le faire et le laissai descendre en premier. J'aurais voulu lui tenir la main, lui demander si ça allait, mais j'avais peur de blesser sa fierté, qui m'avait l'air déjà bien éprouvée. En effet, son visage n'avait pas perdu ses rougeurs, depuis l'accident.
« Colin ! »
J'attrapai sa veste à temps et le forçai à reculer au moment où une voiture roulait à toute vitesse sur le passage piéton. Mais quel imbécile, où était passé son instinct de survie ?!
« Tu sais, même moi je suis conscient qu'il faut faire attention avant de traverser... »
Ma tentative d'humour ne sembla pas faire effet et après un grognement vague mon ami se remit en marche. Je soupirai et lui emboîtai le pas à nouveau, cette fois très prudent. Il était hors de question que cet idiot provoque un accident de la route.
Puisque la conversation n'était toujours pas une possibilité, je me mis à observer les alentours. Quand nous arrivâmes, Colin n'avait pas l'air d'avoir envie d'entrer. Il resta là, silencieux, et j'en fis de même. J'avais l'espoir très mince de pouvoir entrer chez lui, m'imprégner à nouveau de son lieu de vie... Mais Colin n'était pas du genre à vous inviter chez lui pour vous remercier.
« Bon... Merci de m'avoir ramené. À demain ? »
Je m'apprêtai à répondre quelque chose lorsque nous entendîmes des pas de l'autre côté de la porte qui s'ouvrit à la volée une seconde plus tard.
« Colin mon chéri, tu es déjà rentré ? »
J'avais devant moi certainement la plus belle femme qu'il me fut donné de voir. C'était sans aucun doute la mère de Colin, et elle m'offrit un sourire radieux, tout en déposant une main douce sur l'épaule de son fils.
« Tu ne m'avais pas dit que tu ramenais un ami... Enchantée jeune homme, je suis la mère de Colin. Appelle-moi Lisa !
— Enchanté Lisa, je répondais immédiatement. Je m'appelle Isaak, je raccompagnais juste votre fils... Je vais y aller maintenant, déclarais-je après avoir jeté un regard appuyé au brun.
Si lui faisait soin d'éviter mon regard, Lisa au contraire semblait particulièrement heureuse de me voir. Je n'étais quand même pas le premier ami que Colin emmenait chez lui... Si ?
« Oh non Isaak, tu peux rester un petit peu ! C'est la première fois que Colin amène un ami à la maison... Entrez les garçons, entrez ! »
Elle se décala pour nous laisser passer et je suivis Colin à l'intérieur après un petit sourire contrit. J'étais un petit peu sonné par la douceur et la gentillesse qui émanait de Lisa... C'était réellement une femme exceptionnelle à mes yeux. Elle avait les mêmes cheveux corbeaux que son fils, coupés en carré élégant. Ses yeux étaient bruns et chaleureux, son sourire rayonnant.
Je l'adorais déjà.
Mme Millers me conduisit jusqu'au salon tandis que Colin filait dans ce qui devait être sa chambre. Je la vis froncer les sourcils, certainement inquiète.
« Va t'asseoir Isaak. Je t'apporte à boire, du jus de pamplemousse ça te va ? »
Je grimaçai en me remémorant de cette soirée où nous avions bu cette immondice avec Emilio, Léanne et Colin...
« Euh, vous auriez du jus de pomme, si ça ne vous dérange pas ? »
Lisa sourit et acquiesça puis disparut dans la cuisine. Je profitai de son absence pour observer le salon, un peu déçu. Je ne savais pas à quoi je m'attendais venant de la maison de Colin... Un laboratoire scientifique peut-être ? En tout cas l'intérieur était très ordinaire, propre et bien décoré, sans aller dans l'excès comme les parents de Léanne.
Je ne savais pas pourquoi les intérieurs m'intéressaient autant. Peut-être que je devrais en faire mon projet d'avenir ?
Lisa revint bientôt avec un verre de jus de pomme et je la remerciai avec un sourire éblouissant. Elle s'assit en face de moi, puis me demanda ce qu'il s'était passé. Après avoir hésité un peu, je me décidai à tout lui raconter. Elle m'avait fait une si grande impression que je ne voulais pas lui cacher quoi que ce soit sur son fils, surtout quelque chose de si important.
Après mon récit pourtant, elle ne sembla pas surprise, simplement attristée. Elle m'expliqua alors qu'une chose similaire s'était effectivement passée au collège, et confirma mes doutes. Mme Millers me remercia une nouvelle fois pour avoir aidé son fils et je faillis en rougir.
Nous passâmes une bonne demi-heure à discuter elle est moi, de Colin en grande partie. J'en appris plus sur mon ami en une demi-heure de discussion qu'en plusieurs semaines d'amitié et enregistrai chaque nouveau petit détail dans mon esprit de sorte à ne jamais rien oublier.
Colin était certainement le seul cours que je connaissais sur le bout des doigts.
Il ne revint d'ailleurs pas dans le salon de la soirée. Un SMS de mon beau-père qui me demandait où je me trouvais m'incita à mettre fin à ma petite visite et je saluai Lisa tout en la remerciant. Sans crier gare, celle-ci m'attira dans une embrassade chaleureuse et je déglutis, tentant de lui rendre la pareille. Ce geste si maternel faillit me faire pleurer.
De retour chez moi, je fus accueilli par l'odeur alléchante d'un repas déjà prêt qui n'attendait que moi. Keith s'était visiblement surpassé par rapport à sa cuisine habituelle, et ça me désola de n'avoir pas le cœur à apprécier sa cuisine.
Après qu'il m'eut sermonné pour mon « atroce retard » on se mit à table et je fis de mon mieux pour apprécier le repas, bien que le cœur n'y soit pas. Je n'arrivais pas à oublier la chaleur de l'étreinte de Lisa, cette tristesse qui m'avait immédiatement saisi...
Je levai les yeux et croisai le regard de ma mère, dont le portrait souriant trônait sur l'une des étagères du salon. Sans dire un mot, je me levai de table, débarrassai, et filai dans ma chambre. Cette nuit, je m'autorisai deux larmes, deux uniques larmes qui dévalèrent mes joues avant de disparaître.
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Qu'avez pensé ce chapitre ? D'Isaak ? Et surtout, notre pauvre Colin ? ❤
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