La sonnerie retentit dans tout l'appartement, je crois bien qu'ils sont là. Ma mère leur répond et ouvre. Ça y est, on y est. Quelques marches d'escalier seulement nous séparent du grand moment...

- Les filles, ils arrivent, nous avertit ma mère.

Plus que quelques secondes et ils vont taper à notre porte. Et Papa dans tout ça ? me demande ma conscience. Papa on s'en fou j'ai envie de dire. Pour le moment tout cela ne signifie qu'une simple rencontre avec de nouvelles personnes.

Malgré tout le stress monte et ma bouche devient pâteuse. Je n'ai jamais été à l'aise face à de nouvelles personnes pourtant ce n'est pas la volonté qui manque. Dans ces moment là je suis toujours maladroite, je ne sais ni quoi dire ni quoi faire. Alors à chaque fois il y a cette chose inexplicable qui me pousse au silence.

En entendant frapper à la porte, je prends une grande respiration, et au passage j'essaie de prendre sur moi aussi, et me dirige vers l'entrée.

Dans l'encadrement de la porte se tient un homme que je devine être Frank autant par ses cheveux poivre et sel que par son visage aux traits un peu tirés. La deuxième chose que je remarque c'est ses yeux bleus, j'ai toujours eu une fascination pour cette couleur. Il a du charme, pour son âge bien sûr. J'entends ma soeur arriver dans mon dos alors qu'il se tourne vers nous :

- Bonsoir, moi c'est Frank, dit-il avec un grand sourire.

- Bonsoir, Anissa, réponds-je sans bégayer, un exploit venant de moi.

- Salut moi c'est Carla.

En scrutant le nouvel arrivant, je distingue une silhouette dans la cage d'escalier. Frank se décale, laissant la lumière l'atteindre. Un élégant garçon aux yeux bleu glace et aux cheveux châtains en bataille nous sourit -ou me sourit. Sa carrure un peu imposante me fait me sentir minuscule, alors que mon observation minutieuse me permet de deviner qu'il est le fils de Frank. Qui pourrait-il être d'autre en même temps? Il ressemble beaucoup à son père mais il dégage quelque chose d'exactement opposé à celui-ci. C'est agréable et en même temps intriguant.

- Je vous présente mon fils Morgan, reprend Frank.

- Salut... dit vaguement le principal intéressé.

- Bonsoir, moi c'est Carine, enchaîne ma mère.

- Je le sais déjà, répond-il avec un petit sourire en coin.

- Oh je vois, alors tu t'es renseigné.

- On peut dire ça.

Maman invite les deux hommes à entrer dans l'appartement et on se rassemble rapidement dans le salon autour d'un petit verre.

La soirée avait débutée depuis un moment et je n'ai fait qu'observer tout le monde. Maman est plus qu'heureuse, une attitude qu'elle n'a jamais eue depuis ma naissance, pasmême avec papa. Surtout pas avec lui.

Ça me donne le sourire de la voir aussi épanouie.

- Qu'est ce qui te fais sourire comme ça ? me demanda Morgan.

- M-moi ? articulé-je très mal.

- Oui T-toi, enchaîne-t-il avec un sourire moqueur.

- Te moques pas. Ma mère me fait sourire.

- Et pourquoi ? me questionna-t-il.

- Tu es curieux hein. Elle a vraiment l'air bien et ça faisait très longtemps que je ne l'avais pas vue comme ça, à vrai dire je ne l'avais jamais vue comme ça.

- Ah je vois, c'est cool alors.

- Oui.

Ce garçon est tout bonnement fascinant ou bien juste bipolaire. Depuis le début de la soirée il reste dans son coin, silencieux, ailleurs, à croire que tous les malheurs du monde lui sont tombés dessus et là son expression devient chaleureuse et toute trace de tracas disparaît. Je n'arrive pas vraiment à le cerner mais il me semble gentil. J'attends quand même d'en voir plus pour me faire un vrai avis.

Son père quant à lui m'a l'air très bien. C'est vraiment le cliché du gendre idéal et puis il est vraiment décontracté et blagueur. Ça met tout de suite à l'aise.

Ma mère finit par nous proposer de passer à table. J'en profite donc pour aller chercher les plats dans la cuisine.

- T'es pas très bavarde, me fait sursauter une voix à ma droite.

- Je te signale que t'as passé une bonne partie de la soirée les bras croisés assis à rien dire, dis-je le plus distinctement possible.

- Un point partout.

- T'en penses quoi jusqu'à maintenant ? le questionné-je à mon tour..

- Je pense quoi de quoi ?

- Ton père et ma mère.

- Je n'aime pas donner mon avis trop vite, pour le moment je dirai que c'est bien mais ce n'est pas un avis définitif, dit-il avec un ton détaché. Et toi ?

- Je ne sais pas pour ton père car je ne le connais pas mais ma mère je suis sûre qu'elle est bien, répondis-je.

Il prend un plat comme moi puis nous nous dirigeons en silence vers la salle à manger. Je m'installe à côté de ma sœur et nous commençons à manger.

Les discussions sont vraiment légères et fluides, le temps passe bien. D'ailleurs nous avons même appris que Morgan et Frank allaient bientôt partir à Paris pour cinq jours. Ils étaient tellement impatients que leurs valises étaient déjà dans le coffre alors qu'ils ne partaient que mercredi. Ça a fait rire tout le monde d'entendre ça.

Ils comptaient visiter tous les grands lieux majeurs de notre capital. La Tour Eiffel, le Louvre, le Sacré Cœur, se balader sur les Champs Elysées, enfin vous voyez le genre du voyage. Même si je l'avoue en cinq jours c'est peut-être un peu court pour tout faire.

Le repas s'est très bien déroulé, on a beaucoup discuté et on n'a surtout pas vu le temps passer. Au moment du dessert; le téléphone de ma mère a affiché une notification mais il s'est éteint rapidement: le seul mot que j'ai pu apercevoir c'est « C o n f i n e m e n t ». En un instant, le stress commence à monter même si je ne sais pas vraiment ce qu'il se cache derrière ce mot. J'ai un mauvais pressentiment.

Ma mère revient avec des petites assiettes et des petites cuillères et Frank avec le gâteau. Je lui l'informe que son téléphone a sonné d'une voix aussi neutre que possible. Elle s'assoit et Frank commence à servir les parts de gâteau à tout le monde pendant que maman consulte la notification, ce qui lui fait lâcher un cri en écarquillant les yeux. Tout le monde se retourne vers elle en se demandant ce qu'elle a.

- Alors on risque d'avoir un petit problème, il ne faut pas paniquer, commence-t-elle. Ce soir le président a parlé à la télé à propos de la crise sanitaire, nous sommes confinés.

- Mais ça veut dire quoi ? demandé-je, complètement perdue.

- Ça veut dire qu'on va tous rester ensemble pendant un moment, me répond Morgan,détaché.

- Oui, mais ça veut surtout dire que le virus prend des proportions énormes et que ça va vraiment devenir difficile au travail. Attendez, je lis la suite pour mieux vous expliquer, me répond-t-elle en se replongeant de nouveau dans l'article affiché sur son téléphone.

En attendant on se regarde tous dans l'incompréhension mais personne ne parle. L'ambiance est tendue. Même Frank se tait. Si on est obligé de rester tous ensemble dans le petit appartement, je me demande comment on va faire pour tenir. Déjà qu'à trois c'est tendu parfois alors à 5...

Je sens que ma sœur est de plus en plus tendue et franchement ça ne me plais pas beaucoup. Frank à l'air de vouloir cacher son stress mais c'est largement raté. Morgan je ne sais pas, je n'arrive pas à le cerner, depuis qu'il est entré ici je n'arrive pas à me faire un avis dessus. Un coup il se comporte d'une telle manière et je trouve ça positif l'autre coup il se comporte d'une telle manière et je n'aime pas du tout. Après on ne peut pas juger en quelques heures quelqu'un mais bon... Ma mère aussi semble inquiète, mais c'est mieux dissimulé que Frank.

- Alors... reprend-elle. On va passer deux semaines en confinement jusqu'au prochain discours du président. Ce qui signifie que personne ne retourne à son domicile, tout le monde est confiné là où il est. Donc on reste tous ensemble. Le personnel soignant doit continuer à travailler, c'est le seul autorisé à circuler. C'est tout pour le moment mais surement que d'autres choses vont s'ajouter au fur et à mesure.

- Bon bah on va faire avec et puis faut se dire que ça aurait pu être pire, dit Morgan toujours aussi détaché.

- Par contre je vous préviens personne ne dort dans ma chambre, enchaîne Carla.

- C'est toi qui paye le loyer ? s'énerve ma mère. Non je ne crois pas, jeune fille ! Alors si tu dois partager ton lit tu le ferra un point c'est tout.

- Mais non j'ai pas envie... chouine-t-elle

- Franchement t'abuses, chuchoté-je plus bas.

- Peut être mais j'ai pas envie d'être contaminée! On sait pas où ils ont trainé là, me répond-elle, en élevant le ton, permettant à tout le monde d'entendre.

Ma mère affiche un visage plus qu'outré, Morgan rit et Frank ne sait visiblement pas trop quoi dire.

- T'inquiètes pas madame la princesse on se lave tous les jours, figure toi qu'on a même une brosse à dent, se moque Morgan.

- Carla, tu fais la vaisselle ce soir, tu n'as pas à parler comme ça, répond enfin ma mère avec son calme et son autorité habituelle.

Ma sœur ne se fait pas prier et se dirige directement dans la cuisine pour commencer à laver les assiettes.

- Je suis désolée, vous verrez elle est souvent comme ça mais au fond elle est adorable, explique ma mère.

- On va dire que ça ira mieux la prochaine fois et puis au moins elle a un peu de caractère, reprend Frank.

- Moi je dirais plutôt qu'elle a sa façon de dire les choses, ditMorgan.

- Je suis d'accord c'est plutôt ça. Elle est comme ça, après ça ne l'excuse pas, ajouté-je.

Ma mère hoche légèrement la tête à ma réponse, dans un profond silence qui s'est abattu sur la pièce. Une question persiste: quelle va être notre organisation pour les prochains jours...